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Trois phases de développement du grade de Maître Cet article donne une courte description du contenu des trois formes principales du grade de Maître qui se sont développées au cours de l’histoire. Je ne peux ici présenter cette matière que dans ses grandes lignes. Je ne pourrai vous montrer que les Résultats des recherches des 18 dernières années environ, tandis qu’une grande partie de l’argumentation doit être passée sous silence. Durant près de cent ans, nous avons pensé que nous avions compris la genèse de la Franc-maçonnerie, sinon en détail, du moins dans ses grandes lignes. Tout d’abord, il y avait les loges des Francs-maçons opératifs, composées de simples artisans ; ensuite vint à la fin du 17ème, début du 18ème siècle une phase de transition, durant laquelle toujours plus de profanes de qualité furent reçus, y introduisant l’élément spéculatif; et finalement nous avons la Franc-maçonnerie spéculative moderne (1). Il revient à John Hamill l’honneur d’avoir clairement établi, dans son livre The Craft. A History of Freemasonry, publié en 1986, que cette théorie ne coïncide pas avec le matériel sur lequel elle fut bâtie (2). Depuis, les chercheurs ont consacré une nouvelle attention à l’histoire des débuts de la Franc-maçonnerie, ce qui a conduit à une série de découvertes de nouveaux documents, et par la suite aussi à de nouvelles analyses et théories. Nous pouvons donc dire que l’histoire des débuts de la Franc-maçonnerie a été complètement réécrite durant ces dernières années. Selon la conception actuelle, la Franc-maçonnerie commence au plus tard au moment où William Schaw, Maître d’oeuvre du roi d’Écosse, dans les années 1598 et 1599, écrivit de nouveaux « Statutes », des lois donc, pour les sculpteurs et architectes qui se nomment eux-mêmes « Masons », qui travaillent dans ce qu’ils nomment des « Lodges », et qui recoivent leurs membres avec un rituel, sûrement spéculatif, au grade de « Master Mason or Fellow of the Craft », donc maître maçon ou compagnon du métier. Avant ce grade, il y a dans les loges un grade dénommé « Entered Apprentice », apprenti reçu, mais il n’est pas clair si ce grade, en ce temps-là, a aussi déjà un rituel (3). Environ au même moment, il y a à Londres, dans la « Mason’s Company of London » « l’Acception ». Ici, des « Freestone masons », des sculpteurs donc, qui sont autorisés à travailler la matériau le plus précieux, Freestone, et qui sont depuis longtemps membres de cette « Company », sont reçus. Ce processus est indiqué par la formulation « the making » de « accepted masons », soit la facture de sculpteurs et architectes acceptés. Il y a un fil direct et continu de cette activité depuis le « making » d’Alias Ashmole en 1646, puis à la loge des Francs-maçons dans le « Masons Hall London » qu’il a visité en l’an 1682, et de là aux loges qui se sont unies pour former la première Grande Loge en 1717. Dans le dernier quart du 17ème siècle et dans le premier quart du 18ème siècle, les deux systèmes se découvrent mutuellement et chacun reprend beaucoup de l’autre, ce par quoi ils deviennent toujours plus semblables. Alors que la première Grande Loge se forme en 1717, James Anderson reçoit le mandat d’écrire des lois pour cette institution. Ce sont les Constitutions de 1723, où nous trouvons donc un système en deux grades, composés de ceux de Londres et d’Écosse, maintenant respectivement dénommés « Entered Apprentice » et « Fellow Craft or Master Mason ». Dans la première moitié des années 1720, dans la première Grande Loge, le mythe d’Hiram est introduit dans le dernier grade ; après quoi, en l’an 1725, le premier grade est divisé en deux et la seconde partie reçoit la première partie du nom de l’autre grade. Ainsi apparaît le système actuel en trois grades : apprenti, compagnon, maître. Et c’est ce système qui trouve depuis cette année-là une diffusion dans le monde entier. Par ces changements des rituels apparaît naturellement le besoin d’avoir les textes des rituels désormais valables, et c’est ainsi que paraît alors en 1730 la pseudo-divulgation de Samuel Prichard Masonry Dissected, où nous trouvons donc la première version du mythe d’Hiram. D’un autre côté, il y avait également à Londres au moins depuis 1739 des Francs-maçons, principalement parmi les ouvriers irlandais qui avaient déjà été faits Francs-maçons en Irlande, qui ne voulaient pas devenir membre d’une loge qui travaillait avec ces rituels modifiés. Ils créèrent leurs propres loges et ces loges fondèrent à leur tour en 1751 leur propre Grande Loge. Les membres se nommèrent les « Antients », c’est-à-dire les anciens, et ils nommèrent les membres de la première Grande Loge les « Moderns », soit les modernes. Naturellement, le besoin d’avoir des rituels imprimés des « Antients » se fait également bientôt sentir et ainsi, en 1760, la pseudo-divulgation Three Distinct Knocks est publiée (4). Ce n’est qu’en 1813 que les deux Grandes Loges rivales s’unissent dans la « United Grand Lodge of England ». Évidemment, les « Antients » ne veulent pas travailler avec les rituels des « Moderns », mais les « Moderns » ne veulent pas plus des rituels des « Antients ». Une commission sera alors investie de la mission d’écrire des nouveaux rituels pour la Grande Loge Unie. Ceux-là seront approuvés en 1816. Comme en Angleterre aussi la règle qui veut que les rituels ne peuvent être écrits est encore valable en ce temps, des loges spéciales, qui montrent comment les rituels doivent véritablement être exécutés, seront créées. La loge « Emulation Lodge of Improvement », créée en 1823, est de loin la plus réputée de celles-ci. Il faut mentionner ici que les rituels de 1816 n’ont pas conservé certains éléments qui pourtant appartenaient aux deux traditions, alors qu’ils introduisent de nouveaux éléments pour lesquels on ne trouve aucun précédent dans les anciens rituels. On trouve vers 1800 des modernisations comparables des rituels maçonniques dans d’autres pays également, entre autres en Allemagne. En résumé, il y a donc trois versions principales des rituels maçonniques des grades symboliques, et de là aussi du grade de Maître, soit (1) avant 1720 la version pré-Hiramique, (2) environ entre 1725 et 1800 la version Hiramique originale, et (3) dès 1816 la version Hiramique révisée. La version pré-Hiramique De quoi se compose la version pré-Hiramique ? Ce qui ressort clairement des textes les plus anciens que nous avons est que le secret de la Franc-maçonnerie en ce temps est en rapport avec le « Mason Word », le mot de Maçon. Cette formulation renvoie d’une part au rituel complet, d’autre part à un mot particulier. Oui, le secret de la Franc-maçonnerie réside uniquement dans les mots « Jachin » et « Boaz ». Dans le plus vieux texte rituélique maçonnique, le « Edinburgh Register House Manuscript » de 1696, nous lisons : « Les mots proviennent du 1er livre des Rois 7, 21 et du 2ème livre des Chroniques 3, dernier verset ». Là se trouvent donc les mots « Jachin » et « Boaz ». Et dans A Mason’s Confession, de 1727 environ, il est écrit : « Après le serment, un mot me fut montré qui, dit un, était le mason-word ». Le mot est tiré du 1er livre des Rois 7, 21. On dit que « Boas est le mason-word et que Jachin est un mot de compagnon ». Si l’on parle ici « d’un mot de compagnon », cela ne doit pas nous étonner outre mesure ; nous parlons ici de 1727 et nous nous trouvons donc après l’apparition du système en trois grades. Une autre indication importante est que ces mots, comme aujourd’hui encore, sont toujours épelés par deux personnes ensemble. La plus ancienne évocation explicite de cela n’est certes que de 1727 environ, (5) mais il n’y a aucune raison de douter qu’il en fut autrement auparavant. De fait, il y a deux façons particulières de les épeler. En France, dans la tradition dite « écossaise », on n’épelle pas CH au milieu du premier mot mais K, et au milieu du second mot un J ou un H est introduit (JAKIN et BOJ/HAS) (6). Dans la tradition américaine, il n’y a pas cela, mais le A est extrait de chacun des deux mots et il est placé devant eux (AJCHIN et ABOS) (7). Ce que ces formes singulières ont en commun est qu’uniquement sous ces formes, quand les mots sont épelés en alternance par deux personnes, les voyelles sont toujours prononcées par la même et unique personne. Cela rappelle l’écriture hébraïque ancienne où les voyelles ne sont pas écrites. Pour pouvoir prononcer un mot, il faut en connaître les voyelles. Ce principe est ici transposé dans l’écriture latine: on joue comme si ici aussi les voyelles devaient être connues pour savoir prononcer les mots, et le partage du secret est ainsi le partage de la connaissance des voyelles des mots. Nous nous trouvons ici confronté à une forme de « kabbale chrétienne ». Pourquoi ces voyelles sont si importantes devient évident lorsque nous les plaçons sous nos yeux et observons que, toujours dans l’alphabet latin, elles sont très exactement les voyelles du mot « Adonai ». (8) C’est un mot hébreu spécial et veut dire « Le Seigneur » et qui est toujours prononcé par les juifs respectueux de la tradition et les pieux quand, à la lecture d’un texte biblique, ils rencontrent le tétragramme « YHVH », soit le « Nom » indicible de Dieu. Ainsi le mot « Adonai » est un mot de substitution pour le nom de Dieu. Ce n’est qu’au Moyen-Âge que le texte consonantique de la Bible sera complété par la « ponctuation des voyelles », formant ainsi le texte dit massorétique, pour aider à sa vocalisation correcte. Comme le Tétragramme doit être prononcé « Adonai » (usage qui est appelé : « Qeré-Ketib »), il reçoit également la ponctuation massorétique de « Adonai ». Plus tard, les traducteurs chrétiens de la Bible ne comprennent pas qu’il s’agit ici de la combinaison des consonnes d’un mot avec les voyelles d’un autre, et ils les lisent ensemble, d’où l’origine du mot « Jehovah ». (9) Qu’il s’agit ici d’un malentendu, le kabbaliste chrétien de la Renaissance comme le Franc-maçon du 17ème ne s’en préoccupent guère. Ce qui leur importe, c’est d’assembler les consonnes et les voyelles du nom de Dieu. De fait, le nom de Dieu ne pouvait être prononcé qu’une seule fois l’an, uniquement par le grand prêtre dans le temple de Jérusalem. Après que le temple fut détruit en l’an 70 après J. C., il n’était donc plus possible de prononcer légalement le nom de Dieu. La tradition veut en conséquence que la connaissance de la vocalisation correcte soit perdue depuis lors. Les consonnes sont naturellement écrites. Le secret est donc la connaissance des voyelles. La thématique du grade de Maître dans sa version pré-Hiramique peut alors jusqu’ici être résumée ainsi. Le temple de Jérusalem est détruit. La prononciation du nom de Dieu est perdue. Pour pouvoir prononcer à nouveau correctement le nom de Dieu, il faut retrouver les voyelles et les introduire dans le Tétragramme. Elles seront trouvées dans les noms des colonnes « Jachin » et « Boaz » et elles sont également conservées dans le mot de substitution « Adonai ». On peut reconstruire tout cela sur la base des différents textes d’avant 1720, relatifs au grade écossais originel et au deuxième grade du système en deux grades, que nous avons. Une question intéressante est maintenant de savoir si ce grade disparut complètement après 1725, ou s’il survécut malgré tout quelque part sous une forme quelconque. Cette seconde hypothèse semble effectivement être la bonne. Dès 1733 il y a à Londres, Bath et Bristol des loges dites « Scots Master Lodges ». Une d’entre elles est la loge londonienne « Union Lodge ». Ce sont des loges dans lesquelles, outre les grades désormais en usage, on travaillait également au grade de « Maître Écossais ». (10) En 1742, le Frère Jacopo Fabris crée la loge écossaise « L’Union » à Berlin. Il avait été initié auparavant dans la loge « Union Lodge » à Londres. (11) En 1747, le Frère Frideric Nicoly Thomas Dall ou Dahle reçut de la loge écossaise « L’Union » à Berlin une patente pour créer à Copenhague la loge écossaise « Les Quatre Colonnes ». (12) Nous possédons une esquisse d’un tableau du grade de Maître de Saint-André pratiqué là-bas (fig. 1). Ce tableau présente l’image de deux colonnes effondrées l’une sur l’autre avec, à leur intersection, un rectangle avec par-dessus une figure pas très claire. Sur le tableau d’une autre loge danoise (fig. 2), cette figure est plus reconnaissable. Dans des textes de rituels plus tardifs, cette figure est le plus souvent désignée comme « le calvaire » (Golgotha). Allons en Suède, nous trouvons là-bas la même figure (fig. 3 et 4). Mais là, c’est un triangle circonscrit par un cercle qui se trouve à l’intersection des colonnes. En outre, les colonnes effondrées sont représentées une seconde fois au premier plan. Un autre tableau encore des archives d’Eckleffs (fig. 5) (13) présente la même chose, mais cette fois dans de telles dimensions (60 x 40 cm !) que dans le triangle on peut apercevoir un détail de plus: la lettre J, la première lettre du Tétragramme. Ce triangle est alors celui avec l’ancien mot de Maître, dont il est dit dans la version Hiramique que Salomon l’a déposé sur la tombe d’Hiram. Peu de temps après, une forme plus abstraite des deux colonnes croisées – qui ne sont désormais plus reconnaissables en tant que telles mais qui ne forment plus qu’une croix de Saint-André – se développe en Suède. La pierre cubique avec le triangle et le Tétragramme sont par contre parfaitement reconnaissables (fig. 6 et 7). Sur le tableau du grade de Maître Écossais de « l’Ordre des Hauts Grades » (14) néerlandais, fondé en 1803, on peut voir à nouveau distinctement la double représentation des colonnes « Jachin » et « Boaz » effondrées en croix avec, à leur intersection, la pierre cubique avec l’évocation du « calvaire » et le triangle portant le Tétragramme (fig. 8). Dans le « Rite Écossais philosophique » français, nous trouvons le même grade sous le nom de « Maître Parfait », dont nous montrons ici une image du tableau tirée d’un manuscrit de 1812 (fig. 9). Ici, le Tétragramme est à nouveau évoqué par sa première lettre J. En outre, les colonnes « Jachin » et « Boaz » sont aussi explicitement identifiées par leur initiale. Le même grade sous le même nom se trouve également dans le système pratiqué, aux environ de 1765 déjà, dans la ville belge de Mons (fig. 10). Que l’initiale du Tétragramme soit ici un I n’est pas important : en français, au 18ème siècle, I et J sont parfaitement interchangeables. Dans le manuscrit Francken, d’où provient le système du Rite Écossais Ancien et Accepté, nous trouvons à nouveau le même grade sous le même nom. La figure que Francken y a dessinée (fig. 11) est réduite à son essence absolue : plus que deux colonnes croisées avec, à leur intersection, la pierre cubique et la lettre I. Les cercles circonscrits sont ce qui reste du symbole évoquant le « calvaire », car le texte du rituel se rapportant à cette figure dit : « Question : Êtes-vous un Maître Parfait ? Réponse: j’ai vu les cercles et les carrés qui circonscrivent les deux colonnes effondrées l’une sur l’autre ». Ce qui est intéressant, c’est qu’il existe encore une autre variante de ce grade dans le monde anglo-saxon aussi. Il s’agit là de ce que l’on nomme « Royal Arch ». Dans sa version anglaise actuelle, il n’est certes plus reconnaissable, mais dans sa version américaine, qui se rattache au mode de travail des « Antients », on trouve : Le mot de Maître est formé de quatre lettres hébraïques qui correspondent - dans notre alphabet - à J\ H\ V\ H\, et il ne peut être prononcé sans l’aide des voyelles qui ont été livrées par les mots-clés ou mots de couverture [Jah - Bel - On] qui se trouvent sur les trois côtés du triangle. (fig. 12) En résumé, on peut déduire de ces tableaux et des rituels qui s’y rattachent : que la version pré-Hiramique du grade de Maître était mystico-kabbaliste ; qu’il s’agit de retrouver le nom de Dieu, aussi bien les voyelles que les consonnes de ce nom ; que les consonnes se trouvent sur un triangle et les voyelles dans les noms « Jachin » et « Boaz », ainsi que dans le mot de substitution « Adonai » ; et que le nom de Dieu ne peut être prononcé mais seulement vu. Les colonnes Jakin et Boaz s’écroulent sur le Tétragramme, ce par quoi leurs voyelles sont physiquement introduites entre les consonnes. Que, sur les tableaux, le Tétragramme se trouve toujours au-dessus plutôt qu’en-dessous des colonnes effondrées s’explique simplement par le fait qu’il serait invisible s’il en était autrement, sans autre signification. Le chemin en arrière J’ai présenté jusqu’ici ce qu’était, à mon avis, la forme pré-Hiramique du grade de Maître sur la base de vestiges de rituels (textes et figures) ne remontant pas à plus de 1747. Mais si nous examinons maintenant à nouveau certaines sources antérieures, à la lumière de ce que nous avons reconstruit, nous remarquons certaines choses passées autrefois inaperçues. Il y a en premier les procès-verbaux de la loge berlinoise de Maître Écossais « L’Union ». Ils commencent tous, c’est-à-dire depuis la fondation le 30.11.1742, avec un registre de ceux qui étaient présents, avec quelle fonction ils remplissaient. Ces noms se trouvent dans une figure singulière (fig. 13) mais que maintenant nous reconnaissons incontestablement : le rectangle à l’intersection des colonnes croisées. En second, il y a le rituel Hérault de décembre 1737. Ce qui était clair déjà depuis longtemps est qu’ici le matériel, qui aujourd’hui est divisé dans les deux premiers grades, était alors uni en un seul grade. Mais cela va plus loin ! La figure au centre de la loge ne montre pas simplement, comme d’habitude, le Temple de Salomon, mais « deux colonnes des débris du Temple de Salomon », et les lettres J et B sont « écrit[e]s dans le cercle ». (15) En outre, il y a une version manuscrite de ce rituel, où les deux mots sont épelés « Jakin » et « Bojacs » (fig. 14), (16) ce qui correspond exactement à la théorie développée ici. Le rituel Hérault réunit alors en un seul grade aussi bien des éléments des grades d’Apprenti et de Compagnon d’aujourd’hui que des éléments du grade de Maître dans sa forme pré-Hiramique. Il représente ainsi un stade très ancien du rituel maçonnique, d’où les différents grades plus tardifs sont ensuite issus au cours du développement de la Franc-maçonnerie. La version Hiramique originale Intéressons-nous maintenant à la version Hiramique originale. Je suppose le mythe d’Hiram en principe connu. Mais il y a pourtant dans cette version un élément qui n’est pas tant connu. Déjà dans le plus ancien texte du mythe d’Hiram que nous ayons, soit celui tiré de Masonry Dissected de Prichard publié en 1730, le cadavre d’Hiram, après qu’il eût été retrouvé, est à nouveau enterré dans le Sanctum Sanctorum, c’est-à-dire la partie la plus sacrée du Temple de Jérusalem. (17) Dès 1744, il y a en France la version où, sur sa tombe, on trouve soit le mot « Jehovah » (fig. 15), soit un triangle d’or avec le Tétragramme (fig. 16 et 17). (18) Cette forme est évidemment fonctionnellement équivalente à l’anglaise. Les deux signifient la même chose, soit : Hiram est Dieu. Car naturellement aucun homme ne peut être enterré dans le Sanctum Sanctorum, seul Dieu peut y résider. Et un nom sur une tombe est toujours le nom de celui qui est « passé dans l’autre monde ». Qu’Hiram était Dieu était évident pour un candidat du 18ème siècle dès que l’on mentionnait qu’Hiram était l’architecte du Temple de Salomon. Car dans le 1er livre des Chroniques 28, David sur son lit de mort ordonne à Salomon de construire le Temple et il lui donne les plans avec ces mots : « Toutes ces choses, leur dit le roi, m’ont été données écrites de la main de Dieu [JHVH], afin que j’eusse l’intelligence de tous les ouvrages suivant le modèle ». (I Chroniques 28, 19). Ainsi d’après la Bible c’est Dieu qui est l’architecte du Temple de Salomon. En résumé, nous pouvons donc dire que la version Hiramique originale est une variante profondément religieuse du grade de Maître. Il s’agit ici de l’Unio Mystica rituelle: le candidat est identifié à Hiram, qui lui se révèle être Dieu. Mais il y a encore une identification de plus: Dieu est le créateur du monde; cependant il est aussi l’architecte du Temple de Salomon. Ainsi le Temple de Salomon est une Imago Mundi, un modèle du monde et pour le monde. Cela signifie que le travail sur le Temple de Salomon est un travail sur le monde. La question qui vient directement à l’esprit est comment expliquer le succès de la version Hiramique originale. Car en principe on ne peut que s’attendre à un refus face à une version tant modifiée. Pensons seulement aux réactions auxquelles il faudrait s’attendre si quelqu’un proposait de modifier la version actuelle du grade de Maître, à laquelle nous sommes habitués depuis des années, pour la remplacer par sa version pré-Hiramique ! En réalité, la version Hiramique originale a été à l’évidence acceptée, dans les années 1720, par de nombreuses loges sans grande protestation. Comment pouvons-nous comprendre cela ? Je suppose qu’il y a au moins deux raisons à cela. Premièrement, la version pré-Hiramique a un caractère emblématique dominant, comme également la plupart des versions actuelles du grade de Compagnon. Cela veut dire que de nombreux symboles sont montrés, mais l’action est relativement peu dramatique. Le caractère nettement plus dramatique de la version Hiramique originale a certainement été ressenti comme séduisant, et je suppose que ceci est précisément une des raisons essentielles pour lesquelles, même en-dehors de la Franc-maçonnerie, par exemple dans une série d’ordres rosicruciens, ce grade d’Hiram a aussi été accepté. Deuxièmement, il y a aussi une continuité parfaite entre les deux versions, nommément sur le plan de leur interprétation chrétienne. Car les deux versions ont certainement en leur temps été interprétées dans leur acception chrétienne. Il y a même des rituels plus tardifs où cette interprétation est faite de façon explicite. (19) De là, nous n’avons pas besoin de nous livrer à des conjectures sur la façon dont elles ont été interprétées. Pour la version pré-Hiramique, cela se présente comme suit. (1)
Les colonnes croisées forment une croix de
Saint-André. André quitta Jean Baptiste pour
suivre son nouveau Maître Jésus (Jean 1, 40). Il
est ainsi emblématique du passage de l’Ancien au
Nouveau Testament. Le cube lui-même renvoie à son tour naturellement à certains textes de la Bible les plus importants pour les Francs-maçons. Dans l’AT : « La pierre que ceux qui bâtissaient avaient rejetée a été placée à la tête de l’angle ». (Psaumes 118, 22 (117, 21)) ; et : « C’est pourquoi, dit le Seigneur notre Dieu, je m’en vais mettre pour fondement de Sion une pierre, une pierre éprouvée, angulaire, précieuse, qui sera un ferme fondement ». (Isaïe 28, 16). Et dans le NT : « Vous n’êtes donc plus des étrangers qui sont hors de leur maison ; mais vous êtes citoyens de la même cité que les saints et domestiques de la maison de Dieu. Puisque vous êtes édifiés sur le fondement des apôtres et des prophètes, et unis en Jésus-Christ, qui est lui-même la principale pierre de l’angle, sur lequelle tout édifice, étant posé, s’élève et s’accroît dans ses proportions et sa symétrie, pour être un saint temple consacré au Seigneur. Et vous-mêmes aussi, ô gentils, vous entrez dans la structure de cet édifice, pour devenir la maison de Dieu par le Saint-Esprit ». (Éphésiens 2, 19-22) ; et : « Et vous approchant de lui comme de la pierre vivante, que les hommes avaient rejetée, mais que Dieu a choisie et mise en honneur, entrez vous-mêmes dans la structure de l’édifice, comme étant des pierres vivantes, pour composer une maison spirituelle [...]. C’est pourquoi il est dit dans l’Écriture : Je vais mettre en Sion la principale pierre de l’angle, pierre choisie […] Cette pierre est donc en honneur aux yeux de votre foi ; mais pour les incrédules, la pierre que les architectes ont rejetée, et qui néanmoins est devenue la tête d’angle leur est une pierre contre laquelle ils se heurtent... » (I Pierre 2, 4-8). Ici aussi nous voyons que la pierre angulaire de l’Ancien Testament se transforme dans le symbole du Christ du Nouveau Testament. Et ainsi il n’est plus étonnant que la marque sur cette pierre soit appelée « calvaire », soit l’endroit où le Christ a été crucifié. Consacrons-nous maintenant à l’interprétation chrétienne de la version Hiramique originale. Celle-ci est nettement plus simple. (1) Hiram est alors naturellement le Christ. (2) De là, la mise à mort d’Hiram signifie la Crucifixion du Christ, (3) l’élévation du cadavre, la Résurrection et (4) la ré-inhumation dans le Sanctum Sanctorum, l’Ascension. À ce niveau d’interprétation, le pas n’est pas très grand de la version pré-Hiramique à la version Hiramique. En outre, cette interprétation a un avantage certain, car l’Unio Mystica rituelle avec le Christ maintenant réalisée est un thème accepté au cours de l’histoire de l’Église; une Unio Mystica avec Yahvé, comme elle apparaît au premier niveau d’interprétation, ne se rencontre ni dans l’histoire du christianisme, ni dans celle du judaïsme. Et, finalement, de toutes les alternatives, cette interprétation est de loin la plus facile à comprendre, ce qui a probablement aussi contribué à sa popularité. La version Hiramique révisée Au début du 19ème siècle victorien et du Romantisme, la ré-inhumation d’Hiram dans le Sanctum Sanctorum est supprimée des rituels anglais de 1816, et avec elle l’Unio Mystica rituelle. Mort et ensevelissement, qui n’étaient dans la version Hiramique originale qu’un moyen d’atteindre le but, soit l’Unio Mystica avec Dieu, sont maintenant élevées au rang de thème central. De mystique, le rituel devient moraliste : Hiram s’est comporté comme l’exige la conception victorienne: il ne trahit pas le secret, même pas face à la mort. Cette thématique ne se trouve pas du tout dans la version Hiramique originale anglaise, car alors Hiram ne peut guère trahir le secret puisque l’ancien mot de Maître, le nom de Dieu, ne peut être vocalisé que par les trois Maîtres ensemble – le Roi Salomon, le Roi Hiram de Tyr et Hiram Abiff. (20) Dans d’autres pays, des modifications comparables du grade de Maître se produisent entre 1800 et 1820. Par exemple, dans le rituel du grade de Maître du REAA, qui prend naissance en France vers 1804 (21), le candidat n’est pas identifié avec Hiram (déifié), mais c’est Hiram qui s’éveille à une nouvelle vie (humaine) dans le candidat ! Et dans le rituel « Schröder » allemand, le Temple de Salomon, Imago Mundi, est réduit au temple de l’humanité. Épilogue maçonnique Si nous regardons en arrière l’histoire de cette évolution depuis notre perspective actuelle, un dilemme se présente. Car le Romantisme victorien se trouve loin derrière nous, mais depuis le début du 19ème siècle, il n’y a plus eu de modifications – comparables en importance à celles que nous venons de voir – dans les rituels maçonniques. Ces modifications ont, chacune, engendrées un rituel qui s’est montré optimal pour environ un siècle. Au cours du 20ème siècle cependant, le nombre des membres de la Franc-maçonnerie s’est toujours plus réduit partout dans le monde. Et la « nouvelle religiosité » des dernières décennies se détourne du moralisme peu pratiqué des Églises pour se tourner vers la spiritiualité. Que fait, dans ces conditions, la Franc-maçonnerie ? Persévérons-nous avec les rituels moralistes, romantiques, victoriens du 19ème siècle qui ont ensuite été révisés sur la base d’incompréhensions ? Ou puisons-nous dans notre riche tradition pour donner naissance à quelque chose de plus adapté à notre époque, comme cela a été fait aux débuts des 18ème et 19ème siècles pour les temps d’alors ? C’est à nous de décider ! J\ A\ M\ S\ Liste des figures 1. Tableau de la première loge écossaise du Danemark, « Loge de Dahl », « Til de fire Broncesöjler » (Aux Quatre Colonnes de Bronze), 1747. Archives de Copenhague. (SD/4, p. 132/486 in Klaus C\ F\ Feddersen : Die Arbeitstafel in der Freimaurerei, Quellenkundliche Arbeit No. 16 der Forschungsloge Quatuor Coronati No. 808, Bayreuth. Selbstverlag, Bayreuth 1982). Cette figure est en fait reproduite chez Feddersen de manière inversée. Je l’ai réfléchie à nouveau avec l’ordinateur. 2. Loge écossaise « La Gloire », de 1748, du Comte Lauvig. Archives de Copenhague. (SD/5, p.132/487, idem). 3., 4. & 5. Parmi les premiers dessins des tableaux pour le grade de Maître Écossais, tirés du fonds Eckleff, aux archives de la Grande Loge de Suède. 6. Tableau du grade de Maître Écossais. Des actes appelés « de Strasbourg ». Vers 1750. Archives de Stockholm. Copié par E. Engelsborg. (SS/19, p. 131/469, in Klaus C.F. Feddersen: Die Arbeitstafel in der Freimaurerei, Quellenkundliche Arbeit No. 16 der Forschungsloge Quatuor Coronati No. 808, Bayreuth. Selbstverlag, Bayreuth 1982). 7. Tableau du grade de Maître Écossais (c. 1756), tiré d’une série de tableaux d’Eckleff. Archives de Stockholm. (SS/18, p. 131/468, idem). 8. Tableau pour le grade de Maître Écossais de « l’Ordre des Hauts Grades » néerlandais (1803). 9. Tableau pour le grade de « Maître Parfait » du « Rite Écossais philosophique » (M\ S\ de 1812, bibliothèque du Grand Orient des Pays-Bas (122 B 110)). 10. Tableau pour le grade de « Maître Parfait » du système utilisé à Mons (Belgique) vers 1765 dans la loge « La Parfaite Union » (P. Debusschere: Les Tableaux Symboliques de la Parfaite Union, Marot, [Bruxelles?] 2000, figure 2 [p. 7]). 11. Figure tirée du rituel du grade de « Perfect Master » (M\ S\ Francken 1783/1794 p.44, copie de la bibliothèque du Grand Orient des Pays-Bas (123 E 80), original en possession du « Supreme Council of the Northern Jurisdiction of the U.S.A. »). 12. Figure tirée du rituel américain de l’Arche Royale. (« Printed and Published by Order of The General Grand Chapter of Royal Arch Masons International », 15. édition 1996, p. 127). 13. Procès-verbal de la séance de fondation de la loge écossaise « L’Union » à Berlin, 30 novembre 1742. (De P. Mollier : « L’Ordre Écossais à Berlin de 1742 à 1751 », Renaissance Traditionnelle 131-132 [33] (2002) 217-227, spéc. 219). 14. Fin du MS. BN FM4 B39, 3 verso (J.A.M. Snoek : « A Manuscript Version of Hérault’s Ritual » in : R\ Caron et all. (eds) : Ésotérisme, Gnoses & Imaginaire Symbolique : Mélanges offerts à Antoine Faivre, Peeters, Leuven 2001, 507-521, spéc. 521). 15. Tableau du grade de Maître, tiré du Catechisme des Francs-Maçons, Jerusalem [= Paris?] 1440. depuis le Déluge [= 1744] (H. Carr (ed.) : The Early French Exposures, London 1971, 99). 16. & 17. Tableau du grade de Maître, tiré de La Désolation des Entrepreneurs Modernes du Temple de Jerusalem, Jerusalem [= Paris?] 1440. depuis le Déluge [= 1747]. (Exemplaire de l’auteur. Se trouve aussi in H. Carr (ed.) : The Early French Exposures, London 1971, 355). n.d.t.
: Notes (1)
Ainsi par ex. D. Knoop & G.P. Jones : The Genesis of
Freemasonry. An Account of the Rise and Development of Freemasonry in
its Operative, Accepted, and Early Speculative Phases, Manchester
University Press, Manchester 1947. |
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