Saint-Jean d’Ecosse de la Vertu Persécutée
Un titre du à la Sainte Inquisition...
Les historiens de la F\ M\, s’accordent à reconnaître que son
implantation et son développement dans notre pays sont liés à l’arrivée
dans le royaume de France des partisans des Stuarts, prétendants au
trône d’Angleterre, et exilés de ce fait. La première
L\ connue,
Saint-Thomas, date de 1726 et a été créée par Charles Radclyffe, lord
Derwenwater ; les Français n’y furent acceptés que peu à peu, et le
première L\ véritablement française a été fondée en 1729 par
Jean-Baptiste de Puisieux, architecte- juré du roi, sous le nom de Arts
Sainte Marguerite.
A ce bref
rappel, j’ajouterai que, pendant un certain nombre d’années,
la Maçonnerie n’a vécu qu’à Paris, au point que, dans une
correspondance citée par Claude Mesliand1, le correspondant du marquis
de Calvières, dont je vais reparler, s’étonnait de l’arrivée de la
F\ M\ en province, demandant même si elle était
passée de
mode à Paris pour qu’elle s’exile
ainsi !
Ce petit préambule, historique et anecdotique, n’avait d’autre objet
que de mettre en exergue la réelle ancienneté de la
L\ avignonnaise, qui a été par surcroît la première en France
à
intégrer le mot « Ecosse »
dans son titre. Car c’est en 1737, soit 11 ans après la création de
Saint-Thomas à Paris, que le marquis de Calvières, qui avait été initié
par un seigneur anglais de la suite du prétendant Stuart, créait à
Avignon la Loge Saint-Jean d’Ecosse.
A son
correspondant parisien, il annonçait ainsi « l’établissement
d’une loge de F\M\ en Papimanie ».
Cette citation n’est pas innocente, car les 7 à 8 F\ qui
composaient la L\ ont du travailler dans la plus grande
discrétion, pour ne pas dire dans la clandestinité, à Avignon, dans les
terres du pape. A certains moments de sa jeune histoire, Saint-Jean
d’Ecosse s’est même abstenu de tenir ses registres, nos modernes
planches tracées, pour éviter l’existence de tout document attestant de
son existence. La L\ a d’ailleurs dû somnoler quelque peu,
jusqu’en 1745, date à laquelle elle a repris régulièrement ses travaux
(2 tenues par mois). Puis, le 27 juin 1751, jour de la fête solsticiale
de la Saint Jean d’Eté, elle a décidé, devant les menaces, de suspendre
ses travaux, qu’elle ne reprendra qu’en 1774. Cette discrétion mérite
quelques explications…
La première en France dite d’«Ecosse»
En fait, dès ses débuts, la Loge a suscité la méfiance et l’hostilité
de l’Eglise ; mais, en 1738, la pape avait fulminé sa bulle contre les
F\M\ et le père Mabil, responsable de l’Inquisition à Avignon,
terre papale, rappelons-le, veillait soigneusement au grain… Ainsi,
chez le Dr Antoine Bouge, l’un des FF\ (et probablement même
le
V\ M\) de Saint-Jean d’Ecosse, il fut procédé à une descente
de
police : il entreposait provisoirement le matériel et le mobilier de la
Loge, alors en recherche de local… Et il est avéré qu’il a été dénoncé
par quelques F\, ce qui a suscité de beaux débats en L\ où la
discrétion et la loyauté maçonnique de certains a été fortement remise
en cause ! Pour preuve, ce compte-rendu rapportant qu’il « avait
été entendu dire dans le public (ndr : c’est-à-dire dans le monde
profane) que le père Mabil avait été averti par des Frères de la Très
Respectable Loge, qui décide qu’à l’avenir on fasse mention de la
tribulation dans tout ce qui sera écrit, et qu’elle ajoutera au titre
de saint Jean d’Ecosse celui de la Vertu Persécutée ».
La Mère-Loge écossaise de la région
Lors de la fête solsticiale suivante, prudemment tenue à Roquemaure,
terre du roi, en 1775, Saint Jean d’Ecosse de la Vertu Persécutée
installe une Loge-Fille, qui apparaît d’ailleurs surtout comme un lieu
de repli hors de Papimanie pour les F\ avignonnais ; on notera
que
son titre en dit L\ sur le fait que les
M\ vauclusiens
avaient quelque mal à digérer leur dénonciation et leur persécution,
puisqu’elle a été appelée Saint-Jean d’Ecosse des Vengeurs de
l’Innocence ! Il va de soi qu’à Avignon, Saint Jean d’Ecosse de la
Vertu Persécutée travaille toujours dans plus grande discrétion, ce qui
pose d’autant moins de problème qu’elle s’oriente exclusivement dans le
sens de l’instruction maçonnique.
Pour en terminer avec cet aspect purement historique des choses,
signalons que la L\ avignonnaise fut une mère-Loge, qui est à
l’origine de la plupart des L\, et j’irais même jusqu’à dire des
L\ écossaises, de la région.
Pour tout
ce qui touche à ce premier aspect des choses, des études fort
complètes ont été faites par Claude Mesliand, dans son « F\ M\ et
religion à Avignon au XVIIIème siècle », par M.
Chobaut, dans son article « Le début de la
F\ M\ à Avignon et Carpentras (1737-1751) »,
paru dans les « Mémoires de l’Académie de Vaucluse »
de 19242, et par Claude Guérillot, dans « La rose maçonnique »
(Guy Trédaniel éditeur).
Au-delà de l’intérêt historique, Saint Jean d’Ecosse de la Vertu
Persécutée nous rappelle opportunément qu’après deux siècles et demi
les idées-force de la F\ M\ de tradition n’ont pas
changé. Et
nous le savons, comme souvent, grâce aux divulgations que ses
adversaires ont pu faire des travaux de ses L\ : ainsi, en
janvier
1920, la RISS3 publiait une partie des registres de notre
L\ avignonnaise, ce qui a au moins eu le mérite d’assurer la
pérennité de documents dont les originaux ont aujourd’hui complètement
disparu. Aujourd’hui, le point 6 de notre règle en 12 points stipule :
« La
F\ M\ impose àtous ses membres le respect
des opinions
et croyances de chacun. Elle leur interdit en son sein toute discussion
ou controverse politique ou religieuse ».
Dans les
statuts de Saint Jean d’Ecosse de la Vertu Persécutée, on pouvait lire
: « (…)
le profond respect qui est dû à la loi divine oblige tous les
F\ à
ne jamais en disputer en L\. Ils n’y parleront pas non plus des
affaires d’état ». Soit très exactement la même
chose sous
des formulations différentes ! Le point 1 de la même règle précise par
ailleurs aujourd’hui que « La F\M\ est une
fraternité initiatique qui a pour fondement traditionnel la foi en
Dieu, Grand Architecte de l’Univers
». Nos glorieux anciens étaient, il me semble, plus subtils. Car que
disait l’Orateur de Saint Jean d’Ecosse de la Vertu Persécutée en 1787,
dans l’une de ses interventions ?
« Le
M\ ne discute ni
de croyance ni de foi, mais il veut et ne doit admettre dans sa société
que l’honnête homme, et il n’en est point et ne peut y en avoir sans
une croyance dans un
Dieu » : si la croyance en une
divinité créatrice unique est commune aux deux rédactions, on relèvera
qu’un quart de millénaire plus tôt, à une époque où le brass éculier de
l’Eglise, omnipotente en Occident, était toujours prêt à frapper,
surtout en terre papale, les F\ M\ avignonnais parlent d’un
Dieu,
et pas de Dieu. La nuance est d’importance et correspond, à mon sens,
plus particulièrement à la sensibilité écossaise, relevant davantage
d’une mentalité initiatique que religieuse (l’un n’excluant pas l’autre
d’ailleurs : le RER, rite remarquable mais fondamentalement chrétien,
est incontestablement initiatique ; mais il tend à exclure les
cherchants qui ne sont pas de confession chrétienne).
Le Rite Ecossais Philosophique
Enfin, dans le rituel du 1er degré tel que nous le pratiquons
aujourd’hui, l’instruction précise que les devoirs du M\ sont
de
fuir le vice et de pratiquer la vertu. Auparavant, le
V\M\ avait
expliqué à l’impétrant en cours d’initiation que la vertu était une
disposition habituelle au bien et le vice une disposition habituelle au
mal. Et dans une planche datée de 1788, l’Orateur de Saint Jean
d’Ecosse de la Vertu Persécutée rappelait : « Le
F\ M\est l’homme (…) connaissant le Bien, l’aimant et le
pratiquant, connaissant le Mal, le détestant et l’évitant ».
Fuir le vice d’un côté, éviter le mal de l’autre, pratiquer le bien
pour nos anciens, pratiquer la vertu pour nous, les devoirs se
ressemblent beaucoup !
Ceci dit, St Jean d’Ecosse de la Vertu Persécutée pratiquait le Rite
Ecossais Philosophique, un rite de tradition hermétique et alchimique,
ce qui le rapproche incontestablement plus du REAA que du RER. C’est
cette Loge avignonnaise qui, en 1776, avait transmis le REP à la loge
parisienne du Contrat Social, installée le 5 mai 1776 par les
commissaires de la Mère-Loge Ecossaise du Comtat-Venaissin et qui
s’auto-proclama Mère-Loge Ecossaise, ce qui fut à l’origine d’une
véritable guerre au sein du GODF, guerre qui dura jusqu’à la
disparition du Contrat Social, en 1826.
Toutes ces raisons font que nous pouvons parfaitement nous reconnaître
dans ces hommes, nos Frères, qui, tout comme nous le faisons
aujourd’hui, cherchaient à s’améliorer au milieu du XVIIIème siècle. Et
que c’est un bel hommage à leur rendre que de baptiser du nom de leur
Loge le premier Atelier à renouer avec la tradition écossaise à Avignon
!
(Footnotes)
1 : in « Franc-maçonnerie et religion à Avignon au
XVIIIème siècle ».
2 : ces deux documents sont consultables à la médiathèque Ceccano, à
Avignon.
3 : RISS (Revue Internationale des Sociétés Secrètes), organe
anti-maçonnique très en vogue en France jusqu’à la Seconde Guerre
mondiale.
J\L\
C\
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