GLFM Bulletin : Bulim Misraïm 12/2008

Héliopolis

Vous n'avez pas été sans remarquer que le titre de cette planche( B003-A) traite du vocable même de notre R4 L4. Notre Obédience et Rite, Misraïm, est le nom de l'Égypte, au pluriel puisqu'elle était la réunion des deux Terres.

Notre R4 L4 Héliopolis est le nom d'une ville de l'Égypte ancienne à l'extrémité sud du delta du Nil. Nous laisserons de côté ce même nom donné par les grecs à une ville du Liban, ancienne cité syrienne : Baalbek, mais aussi à d'autres cités de moindre importance. Héliopolis, signifie, en grec, ville du soleil, quel nom en effet donner à cette ville au clergé puissant attaché au Dieu solaire Rê, clergé qui eut une grande influence tant politique que religieuse. Les contrées primitives, petites principautés se regrouperont après le néolithique selon deux foyers de civilisation, celui du Nord et celui du Sud. Vers 3300 avant J.C., une première tentative d'unification a lieu par un roi du Nord, qui conquiert et colonise le Sud. Ce premier royaume unifié sera éphémère mais sa capitale en sera Héliopolis.

Héliopolis apparaît dans la Bible sous le nom d'On (Gén. 41/45) au sujet de Potifar (ou encore Potiphéra), Prêtre d'On., beau-père de Joseph. Celui-ci fut rebaptisé “Sophnath Pa'anéah”, nourricier et donneur de vie, après qu'il eut dévoilé la signification du songe de Pharaon concernant les vaches maigres, et les vaches grasses. Ce simple épisode nous indique que l'Égypte, nationaliste, n'était pas xénophobe.

Ézéchiel (Ez 30/17) cite Héliopolis, puis Jérémie (43/13) qui évoque “les stèles de Beth-Shemesh” (la Maison du soleil), en terre de Misraïm et “les maisons des Élohim” de Misraïm, c'est à dire les obélisques dédiés à l'astre du jour. Esaïe (19/18) évoque 5 villes qui seront liées par serment au Seigneur ; l'une d'entre elle se nomme “Ir- Hahérès”, ville du Soleil. “Iounou”, de l'égyptien “pilier”, était le principal lieu de célébration du culte solaire. Le sanctuaire était constitué d'une large cour à ciel ouvert au centre de laquelle se dressait une pierre dressée, la pierre Benben, par la suite un gros obélisque, tous deux représentant la colline qui avait émergé de l'Océan primordial et sur laquelle naquit le soleil. Ce fut alors le lieu du culte d'Atoum, Dieu primordial.

Héliopolis était aussi considéré comme la “source septentrionale” du Nil, source mythique, mais due à ce que les vents étésiens, pendant la crue, venant du Nord, semblaient ralentir le fleuve, voire même inverser son cours. Ancienne capitale administrative, elle est devenue aujourd'hui un faubourg du Caire, appelé “nouveau Caire”, qui comporte l'université locale sous le nom arabe de “Ain Shams”, la source du soleil. Il n'en subsiste qu'un obélisque provenant du temple du soleil, car Héliopolis fut rasée par les Perses en 525 av. J.C. Champollion mentionne un obélisque qu'il découvre près d'Alexandrie, lequel avait été érigé par Thoutmosis III (alias Moëris) devant le grand temple du soleil à Héliopolis. Capitale du XIII° nome (ou province) en Basse Égypte. Chaque nome, vénérait systématiquement un Dieu protecteur. Ce furent ici Atoum et Rê, qui devinrent essentiels pour toute l'Égypte. René Lachaud nous indique le nom hiéroglyphique du nome : Héka - Andjou, c'est à dire :“le souverain sain”. Héka est le sceptre recourbé du Roi­ Pasteur, sans doute aussi Mage. Le mot “sain” peut aussi se lire “sauvé”, mot évoquant un mythe ancien de cette région où naquit la ville Zou, qui deviendra Iounou, puis Héliopolis.

Le temple d'Héliopolis devint le berceau d'un ensemble de doctrines en relation avec le culte du soleil : Rê, Harmakhis, et Atoum, son dieu principal. Ici naquit le dogme de l'Énnéade, élaboré par un collège de prêtres reconnu comme foyer principal de la haute culture, tant par les égyptiens, que par les grecs ensuite. Les philosophes grecs au V° siècle av. J.C. y venaient étudier les sciences à leur source. Hérodote l'avait en très grande considération; Platon et Eudoxe y séjournèrent. Examinons maintenant la cosmogonie égyptienne qui prit forme à Héliopolis.

Gardons à l'esprit que tous les noms de Dieu employés n'étaient que des épithètes ; le vrai nom, essence de l'Être n'était jamais dévoilé, c'était un mystère. Atoum est la raison mystérieuse du Tout, il est le Père de l'Énneade. “Lion sauvage des Temps anciens”, Enel l'associe à l'Aïn Soph (Ancien des Jours) de la Kabbale hébraïque. Atoum est l'Esprit du Dieu primitif qui porte en lui la force génératrice de l'existence future des êtres et des choses. Il est immergé dans le Noun, Océan primordial, les Ténèbres intemporelles. Souffrant de son inertie, il émergea du Noun par un effort de sa volonté, alors la Lumière fut extériorisée, hors de l'Océan primordial, ce fut la “condensation” d'Atoum : Râ, autrement dit un Dieu cosmique a créé un Dieu dans notre système solaire. Atoum-Râ organise le chaos. Toutes les traditions locales convergent au départ : au début des temps résonna le Verbe créateur, et la

Lumière fut. Si cette doctrine faisait l'unanimité, le nom du Créateur changeait selon les villes. A Héliopolis, on révélait l'acte créateur et l'apparition de Toum (ou Atoum) qui se déployait par l'ennéade. Cette mystérieuse Grande Ennéade d'Héliopolis se déploie selon le rythme 1- 2 - 4 - 8. Atoum-Râ reste le médiateur des éléments créés 2 à 2, l'un masculin, l'autre féminin.. Ce fut le premier couple Shu (l'air) et Tefnut (principe humide), qui évoquait aussi les deux couronnes d'Égypte. Shu sépara ensuite Geb ( la Terre) de Nout ( le ciel). Puis ce furent Isis et Osiris, ainsi que Seth et Nephthys. L'enseignement de cette Énnéade était illustré par une feuille que l'on pliait en deux plusieurs fois, laquelle feuille, dépliée, avait gardé son unité. L'étiquette de polythéisme que l'on accole trop facilement à la religion égyptienne dénote une incompréhension de l'unité transcendante qui portait toutes les représentations divines. La Kabbale hébraïque a constitué l'arbre séphirothique selon une même polarisation, fondée sur le 10 au lieu du 9, cependant la 10° séphire, Malkut, est un retour à l'unité, aboutissement de la volonté première.

L'ennéade fut adoptée par les autres centres égyptiens, en y substituant leur Dieu principal à Atoum-Râ. A l'époque de l'élaboration théologique héliopolitaine, Memphis, résidence royale était la ville la plus importante d'Égypte. Ses prêtres reformulèrent l'ennéade selon la théologie memphite, où Ptah émana... Atoum à la seconde génération, lequel devrait donc tout à Ptah.. Plus tard à l'époque ramesside, proche de l'an 0 de notre calendrier, le papyrus de Leyde évoque les Trois mystères : Trois Dieux sont tous les Dieux, leurs villes sur terre sont Thèbes, Héliopolis et Memphis... Quand il y a un message du ciel, on l'entend à Héliopolis (lieu de la révélation), on le répète à Memphis pour l'écrire en langage hermétique(lieu d'enseignement, de mise en formes); la réponse et la décision sont données à Thèbes (lieu d'intégration, d'application). Hermopolis faisait le lien entre les trois mystères.

Plus simplement, le cœur et la langue d'Atoum sont Thot et Horus et, je cite : ”Si les yeux voient, si les oreilles entendent et si le nez respire l'air, ils conduisent au cœur ce qu'ils ont recueilli et celui-ci prend ses décisions. La langue alors les énonce”, elle qui crée tout par le moyen de la parole. Pour les Égyptiens, le vocabulaire est concret, réaliste. Le mot pensée est écrit “cœur”, le rôle du cœur s'incarne en Thot (Dieu de l'intelligence) ; le mot verbe s'écrit “langue”, et le rôle du Verbe s'incarne en Horus (Dieu des réalisations concrètes). La doctrine du Verbe créateur renaîtra dans toutes les traditions issues de la Tradition Universelle, et pour nous chrétiens elle apparaît dans le prologue de l'Évangile de Jean. Au-delà de la religion érudite, le peuple vénérait le Taureau Mnévis, incarnation du Dieu Rê mais aussi le phénix. Le taureau Mnévis est le nom grec du Dieu égyptien Mérour. Taureau sacré d'Égypte, il représente le Ba du Dieu solaire, le Ba étant cette partie de l'âme qui garde la mémoire de la forme d'expression de l'être. Mnévis est l'incarnation de Rê, mais aussi le médiateur du dieu Atoum. Vénéré à Héliopolis, il est représenté avec un disque solaire entre les cornes, ainsi qu'un uræus. Une stèle frontalière mentionne qu'Akhénaton lui faisait vouer un culte à Amarna. Akhénaton désirait un retour aux sources, en l'occurrence héliopolitaine, avec un culte exclusif du soleil. Mais pour se démarquer du culte d'Amon-Rê, qui avait intégré la théologie de l'Ennéade, Akhénaton préféra promouvoir l'adoration, en plein air, du disque solaire Aton, et pouvoir ainsi combattre la multiplicité des cultes rendus et le pouvoir des prêtres. Le phénix, ou phoinix, nom grec de l'oiseau Benou, oiseau mythique de Rê, était aussi vénéré à Héliopolis, il y vivait sur la pierre Benben, ou sur le saule sacré. Pendant l'ancien Empire, c'était un passereau, plus exactement une bergeronnette printanière. Au nouvel empire, il devient héron cendré au bec fin et allongé et une double aigrette à l'arrière de la tête. Oiseau migrateur, il évoque parfaitement l'idée des cycles de vie, de l'6ternel retour. D'abord associé à Atoum, puis au Ba de Rê (comme Mnévis), il manifesta d'autre part une forme d'Osiris. Selon le Livre des Morts au chapitre XIII, le défunt déclare: “ Je parcours les régions du ciel tel un Phénix ”. Le chapitre 83 est entièrement consacré à cette transformation en phénix royal, transformation qui débutait par une immersion dans la matière primordiale, avant de devenir Khépra, dieu des métamorphoses, puis les déesses serpents, Horus, Thot, Khonsou, enfin l'âme de Râ, l'oiseau Bennou. Cette métamorphose est à l'origine du mythe grec du phénix, qui renaît de ses cendres par le feu qu'il a lui même généré.

La confession négative du défunt comportait ce passage

« O toi, Esprit, qui marches à grandes enjambées Et qui surgis à Héliopolis, écoute-moi Je n'ai pas commis d'actions perverses. » Le phénix était encore considéré comme le “Seigneur du Jubilé”, car il était réputé pour sa longue vie. Il naissait et mourrait à Héliopolis, son cycle de vie durait 1460 ans, soit une période séparant l'apparition conjointe du soleil et de Sirius (forme d'Isis) lors du premier jour du calendrier administratif. Notre calendrier Égyptien comporte 365 jours, il débutait avec le lever héliaque de l'étoile Sothis (Sirius, à gauche de la Constellation d'Orion.), qui annonçait la proche crue du Nil en Juillet-Août. Jules César fit réformer le calendrier lunaire romain pour adopter celui-ci. Cependant il existait un calendrier des saisons et un calendrier sacré qui diffèrent d'un quart de jour ; ils ne coïncident donc que tous les 4 x 365=1460 ans, soit une période sothiaque. Certains scribes déplorèrent ce décalage entre l'année agricole et l'année des administrations. L'année sothiaque était un évènement grandiose où les deux calendriers affichaient le même jour. Celle-ci survint avant notre ère au début du règne de Séthi I° et de la co-régence de Ramsès II, vers 1221-1317. Ce fut le retour mythique du Phenix. Un symbole important nous vient aussi d'Héliopolis, puisqu'il s'agit du Scarabée Khépri, “celui qui sort de la terre”, en homonymie avec “venir au monde sous une forme donnée”. Il est censé sortir d'un excrément, enrobant l'œuf et la larve, qu'il pousse ensuite. Il représente le dieu solaire naissant le matin, et dès la période archaïque, identifié à Atoum à Héliopolis. Il est alors doté d'ailes de Faucon. Renaissant tous les matins, il est aussi symbole de résurrection. Héliopolis est sans doute associée aux “Dieux anciens”, et elle en avait annoncé le déclin. En ce “crépuscule de Dieux”, c'était maintenant, selon les cycles cosmiques, aux initiés de porter le fardeau du gouvernement cosmique. Héliopolis aura laissé la trace d'un lieu très tôt consacré au culte solaire, d'un foyer de culture renommé dans l'antiquité, et d'un clergé aux capacités théologiques et mystiques admirables qui lui ont permis de fédérer, en quelque sorte, la multiplicité des cultes rendus en Égypte. Cette impulsion d'unification est un des dynamismes de notre Loge puisque le VM a clairement exprimé sa volonté de travailler à la Maçonnerie universelle.

Cette quête d'unité est toujours aussi essentielle à notre monde d'aujourd'hui, comme l'était la recherche des éléments dispersés du corps d'Osiris. L'Histoire a déplacé la ville sacrée, dont Héliopolis était une préfiguration,. à Jérusalem : “C'est dans Jérusalem que je placerai mon nom”(2 Rois 21/5)” déclare le Dieu de l'Ancien Testament. Pourtant le Temple à Jérusalem avait beaucoup hérité des initiés égyptiens. En ce qui concerne le Nouveau Testament, St Jean dans l'Apocalypse nous décrit ainsi la Jérusalem céleste : “La ville céleste n'a plus besoin ni du soleil ni de la lune, car la gloire de Dieu l'éclaire” (Ap 21/23). Le christianisme porte des valeurs qui visent à l'universalité : Jésus ne déclare ­t-il pas à la Samaritaine ce n'est ni sur cette montagne, ni à Jérusalem... mais en esprit et en vérité (Jn 4/24). Paul renchérit (1 Cor 3/16) “Vous êtes le Temple de Dieu”. Nul doute que ce soit là une vision hautement spirituelle, mais il nous reste à bâtir ce Temple, et c'est pourquoi les villes saintes se sont succédées, Héliopolis en fut l'une des premières de notre civilisation présente. Le projet demeure. Près de 5000 ans plus tard, Tommaso Campanella écrit en 1602 “Civitas Solis”, la Cité du Soleil. Cité idéale, cette Cité du Soleil était le nom qu'utilisaient dans leurs écrits, les membres de la Rose-Croix pour désigner la “fameuse Fraternit6”.

Un F\ de la R\ L\ Héliopolis à l'O\ de Foix

Publié dans le Bulim - Bulletin N° 3 - 30 Décembre 2008  -  Abonnez-vous

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