Le Vieux Scribe

Un vieux Scribe effectue sa promenade quotidienne dans les jardins de Pharaon. En chemin, il rencontre une dizaine d’étudiants, choisis par les anciens, destinés, par leur intelligence et leur culture, à devenir l’élite du royaume et de l’Égypte. Le vieil homme, sage et bon, se trouve néanmoins agacé par le comportement arrogant, voire méprisant des jeunes éphèbes. S’approchant d’eux, il les scrute un par un, puis les toise et leur propose : "puisque vous semblez vous ennuyer, suivez ­moi ! Nous allons réaliser une expérience". Les adolescents se regardent amusés. Ils se poussent du coude d’un air entendu signifiant : "mais que nous veut ce vieillard ?". Néanmoins, bon gré, mal gré, sans doute piqués de curiosité, ils consentent à se plier à la volonté du Scribe et le suivent dans un atelier jouxtant le lieu où ils se pavanaient peu de temps avant. L’endroit est sommaire. Un bureau sur lequel est posée une grande jatte. Des étagères emplies de fioles. Des récipients de toutes formes et de toutes tailles sont posés à même le sol en terre. De sous le bureau, le vieux Scribe sort un seau duquel il extrait des cailloux à peu près gros comme des balles de tennis. Il les place délicatement, un par un, dans la grande jarre. 

Lorsque celle-ci est remplie jusqu’au bord et qu’il est impossible d’y ajouter un caillou de plus, il lève lentement les yeux vers son auditoire et demande : "Est­-ce que cette jarre est pleine ?". Tous, sans exception, s’empressent de répondre par l’affirmative... "Vraiment " insiste-t-il. Alors, il se penche de nouveau et sort de sous le bureau un récipient rempli de gravier. Avec minutie, il verse ce gravier sur les gros cailloux puis brasse légèrement la jarre jusqu’à ce que les morceaux de gravier s’infiltrent entre les cailloux jusqu’au fond. "Alors, est-ce que cette jarre est pleine ?" demande-t-il malicieusement. Cette fois, les brillants étudiants commencent à comprendre son stratagème et l’un deux répond alors : "probablement pas Maître... ". "Bien !" s’écrit le vieux Scribe et il se penche de nouveau et, cette fois, sort de sous le bureau, un seau de sable. Avec la plus grande attention, il verse le sable dans la jarre. Le sable remplit les espaces entre les gros cailloux et le gravier et, une nouvelle fois, il questionne : "Et maintenant, est-ce que notre jarre est pleine ?". Cette fois, sans aucune hésitation, les brillants élèves s’écrient en cœur : "certainement pas Maître !".

"Très bien !" feint de s’étonner le vieux Scribe et, comme s’y attendent ses prestigieux élèves, il prend un pichet d’eau qui se trouve à proximité sur une étagère et remplit la jarre jusqu’à ras bord. Le vieux Scribe lève alors les yeux vers le groupe et demande : "quel enseignement croyez-vous pouvoir tirer de cette expérience ?".

Intimidés les disciples se regardent en gardant le silence. Le plus téméraire d’entre eux avance cette hypothèse : "cela veut dire que même lorsque nous croyons que notre journée de cours est achevée, avec de la volonté, nous pouvons encore recevoir des enseignements et faire des choses utiles". "Certes" répond le vieux Scribe « mais ce n’est pas seulement cela ! La grande vérité que nous démontre cette expérience est la suivante : Si on ne met pas les gros cailloux en premier dans le pot, on ne pourra jamais les faire tous entrer ensuite". Il y eu un profond silence, chacun prenant conscience de la pertinence et de l’évidence de ces propos. Le vieux Scribe poursuivit alors :  "Quels sont les gros cailloux dans votre vie ? Votre santé ? Votre famille ? Vos amis ? Réaliser vos rêves ? Faire ce qu’il vous plait ? Apprendre ? Défendre une cause ? Vous relaxer ? Prendre le temps ou... toute autre chose ?". "Ce qu’il faut retenir, c’est l’importance de mettre ses gros cailloux en premier dans la vie, sinon, on risque de ne pas réussir SA vie. Si on donne priorité aux peccadilles (le gravier et le sable) on remplira sa vie de peccadilles et on n'aura plus suffisamment de temps précieux à consacrer aux éléments importants de son existence. Alors n’oubliez pas de vous poser intérieurement la bonne question : quels sont les gros cailloux de ma vie et ensuite mettez ­les en premier dans votre pot". D’un geste amical de la main, le vieux Scribe salua l’assistance subjuguée et, lentement, un léger sourire aux coins des lèvres, reprit sa promenade.

Ce petit conte anodin mais amusant doit nous inspirer en cette période de bilans et de projets. Faisons donc le point sur nos "gros cailloux" tant dans notre vie profane que maçonnique. Méfions-nous des marchands de sable ou de gravier ! Mais, surtout, souvenons nous, quel que soit notre grade, quelles que soient nos qualités, qu’il existe toujours un vieux Scribe qui ne demande pas mieux que de partager ses expériences...

Du SGM\ Er\ Jacq\