GLFM Bulletin : Bulim Misraïm 02/2009

Le Sphinx

Le mot de Sphinx évoque immédiatement la sentinelle du plateau de Gizeh. Mais nous verrons plus loin que sa progéniture est nombreuse. Son nom était RWTY (le dieu Lion), un dieu gardien dédié à Atoum dans le livre des morts égyptien. Ce Dieu gardien était aussi celui qui présidait aux cérémonies d’initiation.. Il symbolise la tradition initiatique orale, qui préconisait de chercher l’initiation en passant par des stades évolutifs (que l’on pourrait aussi appeler phases, chakras ou cieux). D’autres noms lui sont attribué : SESHEY (pouvoir d’illuminer) ou encore HOR EM AKHET (Horus -le Fils - dans l’horizon). Il est remarquable de constater que le sphinx peut se décomposer en 4 animaux différents : l’arrière train du bœuf, le torse du lion, les ailes de l’aigle et le visage d’homme portant parfois le serpent sur le front. C’est pourquoi les pharaons étaient armés d’un triple sceptre : le fouet pour le bœuf, le bâton pour le lion et la baguette pour l’aigle. Le sphinx se retrouve aussi chez les Assyriens, les Perses, les Hittites, les Phéniciens, les Grecs, voire aussi dans la culture chrétienne sous forme de chérubins.

Chez les grecs, il est associé au mythe d’Œdipe. Le sphinx pose à Œdipe une question à laquelle il doit répondre d’une manière juste sous peine de mort. Notons que le mot sphinx tire son origine du grec “spheig”, lequel donnera sphincter, qui peut signifier soit évolution soit étranglement. La question posée est la suivante : “ Quel est l’animal qui a 4 pattes le matin, deux le midi et trois le soir ?” Œdipe donne la réponse, il s’agit de l’homme qui, petit enfant, avance “à 4 pattes”, puis sur 2 pieds, enfin sur trois quand, vieillard, il s’appuie sur une canne. Ces trois stades de l’évolution humaine sont aussi ceux du bœuf à l’âge où prédominent les instincts, la psychomotricité, du lion dans la jeunesse à l’âge de l’action et des passions, de l’aigle à l’âge du recueillement spirituel et de la sagesse. Le Sepher ha Zohar dans la tradition kabbalistique fait plusieurs fois référence aux animaux du tétramorphe, c’est à dire du sphinx. Ceux-ci représentent parfois des personnages bibliques, respectivement Isaac, David et Moïse (ou Jacob). Moïse étant la figure du char céleste qui domine. Ouvrons une parenthèse : le char céleste nous permet d’évoquer dans la tradition hindoue l’allégorie

de l’attelage, se décomposant aussi en 4 éléments : voiture, cheval, cocher et voyageur.

Les 12 tribus dans le désert, se rangent en grand sanctuaire nomade selon 4 groupes, ceux du tétramorphe. Le mot chérubin vient de l’hébreu KRUB. Moïse l’égyptien connaissait parfaitement la valeur symbolique du sphinx, et l’a manifesté sous une forme différente qui échappait à l’idolâtrie. Aaron avait failli. Mais il a placé deux chérubins dans l’Arche d’Alliance ainsi que sur les tapis du tabernacle.

Cependant les chérubins sont aussi connus dans la Genèse puisqu’ils gardent le Chemin de l’Arbre de Vie depuis la Chute d’Adam et Ève et ils apparaissent sous la forme du tétramorphe dans l’Apocalypse. Omniprésent, le sphinx pose la question du temps : passé, présent et avenir, soit encore les questions fondamentales : d’où venons nous ? Qui sommes nous ? Où allons-nous ? Dans l’iconographie chrétienne, les fils d’Horus devinrent les animaux, symboles des apôtres. Le Tarot médiéval des Imagiers fait lui apparaître 4 fois le sphinx avec la Papesse, le Chariot, la Roue de fortune et le Monde. Il existe aussi un avatar du sphinx chez les Compagnons bâtisseurs. Certains symboles évoquent le dragon, toujours gardien. Celui ci a une queue de reptile (eau), un corps d’animal griffu (terre), des ailes (air) et une gueule crachant le feu. Quand l’homme a maîtrisé chacun des éléments, il domine le dragon, il ne craint plus le feu animal. Le sphinx est associé à l’idée de maîtriser des serpents, dragons et monstres pour connaître l’illumination, c’est à dire que l’homme est appelé à maîtriser sa nature animale. Comme Saint Marc posant son pied sur le bœuf et Saint Luc sur le Lion, ou Saint Michel et Saint Georges sur le dragon. Ainsi chacun des animaux représente un inconscient de l’homme. Le bœuf, associé à l’abdomen, au bas du corps. Yung l’associe à l’instinct, à l’animalité. Le bœuf non maîtrisé est l’homme chez qui prime la satisfaction des instincts. Sublimé, il devient symbole de force paisible, de bonté, de sacrifice. Le pharaon portait une queue de taureau enroulée autour de la taille. Le lion associé au thorax dont le cœur est le centre de l’émotion, et du moi. Non maîtrisé, il est associé aux passions et aux fanatismes. Dans son aspect positif, c’est la puissance et la justice. Notons que les pharaons portaient aussi la crinière du lion.

L’aigle associé par les ailes à l’élément air, et donc au mental. L’aigle non maîtrisé correspond aux excès de l’intellect, aux idéologies néfastes, aux rationalisations excessives. L’aigle a la vue pénétrante, et seul, peut regarder le soleil en face. Il est le messager entre les hommes et le ciel. C’est pourquoi il symbolise la pensée,

l’intelligence, le discernement, et la contemplation des choses éternelles. Horus porte la tête de faucon, il est le “Dieu du soleil rayonnant qui vainc l’obscurité”. Le visage d’homme, ou d’ange, atteint la plénitude quand il est porteur du serpent sur le front, l’uraeus, ou cobra d’or. Si celui-ci est absent, le symbolisme est préservé pourvu que le sphinx soit tourné vers l’est. Le serpent, animal des origines, est aussi celui de l’aboutissement dans l’éternité, tel le serpent Ouroboros. Celui-ci a été une des premières figurations de la mère cosmique, il enserrait le monde, carré, dans un cercle. Il se féconde (queue dans la bouche) autant qu’il se tue (morsure venimeuse de la queue) suscitant des cycles sans fin. C’est pourquoi Isis porte l’uraeus.

Le symbolisme du serpent frontal devient plus explicite en évoquant la Kundalini, force potentielle lovée au bas de la colonne vertébrale ordinairement consacrée au sexe, mais susceptible de s’élever à des plans plus élevés, des cieux, des chakras. Chaque étape se traduit par des états spirituels nouveaux, des révélations, jusqu’à la conscience “cosmique”. Toute démarche spirituelle s’attache à transformer cette énergie, le pouvoir du serpent. Moïse avait maîtrisé devant pharaon un serpent, le transformant en bâton. On comprend aussi pourquoi seuls trois des disciples de Jésus assistèrent à sa transfiguration, ils représentent un quatrième plan d’évolution. Ce serpent sur le visage d’homme évoque la perception soudaine comme le serpent, en un mot l’intuition. Telle est la faculté de l’homme éveillé, découvrant les plans supérieurs. Nous allons maintenant examiner quelques correspondances avec le Sphinx. Sachez que le Sphinx a permis une analyse comportementale de l’individu. Notre corps parle à notre insu. Les FF\ ou SS\ qui trouvent mon exposé trop long ont leur bœuf docilement entravé, et donc l’abdomen et le bassin immobile, mais leur lion (le torse) est penché en arrière, se retirant de la situation, quant à leur aigle (la tête, les yeux) il cherche ailleurs des sujets d’intérêt. Ceux qui s’y intéressent auront au contraire leur lion attentif (le torse en avant) et l’aigle au regard fixé sur moi. Cette structure simple se retrouve aussi dans le visage, où l’on discerne trois étages, le menton (bœuf), le nez et la zone médiane (lion) le front et les yeux (l’aigle). Si vous mettez en doute mes assertions, votre menton s’avance dans une moue sceptique, comme si le bœuf mettait en avant toutes les objections concrètes et matérielles qu’il a rencontrées. Mais continuons nos investigations ailleurs. Prenons les saisons. Le bœuf, symbole de fécondité, de régénération correspond au printemps. Le lion, symbole de force et de puissance, à l’été. L’aigle, capable de s’élever de la terre au ciel, correspond à l’automne, comme période transitoire entre l’été, matériel, et le dépouillement de l’hiver, spirituel, période de l'éveil de l’homme à l’essentiel.

En ce qui concerne les cartes du Tarot, les épées correspondent à l’air, où elles évoluent, et à l’aigle. C’est la phase de volonté et d’énergie combative. Les bâtons, en bois, au feu et donc au Lion, c’est la phase d’investissement, de dynamisme et de fécondité. Les coupes à l’eau, et à l’Ange : Amour et mysticisme, c’est la phase d’élaboration des richesses spirituelles. Les deniers à la Terre à cause des métaux dont ils sont faits et qui sont extraits de la terre, et donc au bœuf. C’est le travail pratique, l’industrie créatrice. Le cycle évolutif se développe selon la structure du sphinx. C’est tout d’abord la recherche d’un point d’appui concret qui va conférer le denier. La coupe apportera toute une maturation intérieure. Le glaive sera obtenu quand le verbe mettra en fuite les fantômes de l’erreur (“Je ne suis pas venu apporter la paix mais l’épée”). Enfin, vainqueur du feu, l’initié recevra la baguette, le sceptre du monarque en symbiose enfin avec la volonté céleste. En astrologie, nous allons retrouver nos animaux intimes. Le bœuf avec le signe du Taureau, le Lion avec le signe du Lion, l’aigle avec le scorpion. Dans le panthéon égyptien, il est une divinité portant un scorpion sur la tête, son nom est Selket, “celle qui fait respirer”, elle se trouve à la porte de l’autre monde, à la naissance et au terme de la vie. Son clergé appartient à la vieille corporation des charmeurs de serpents. Dans la pensée égyptienne, le scorpion symbolise la respiration de l’univers qui s’origine dans un principe de fixité contractante provoquant la dilatation aspirante. Notons que Paul Bouchet évoque le signe du Scorpion comme étant traditionnellement le signe du serpent et celui de l’aigle, selon le niveau spirituel considéré. Pour terminer, l’homme correspond au Verseau, ainsi se complète cette série dont les quatre signe forment la croix fixe, c’est à dire la croix formée par les signes au cœur des saisons, et dont l’énergie est stable.

Examinons encore le Livre de Thot, j’entends le Tarot. Le sphinx y est représenté à quatre reprises. Nous le découvrons dans l’arcane X, la roue de Fortune. Cette grande roue est le cycle des vies individuelles. Hermanubis, le génie du bien armé d’un caducée, s’élève vers le haut de la roue où se trouve un sphinx armé d’un glaive. Typhon, son adversaire de l’Autre côté, génie du mal, descend, s’éloignant du sphinx. Tel est le choix que nous habitons toute notre vie. Le chariot, arcane VII, représente deux sphinx attelés à un chariot cubique. L’un est blanc, tirant vers la droite (bonne volonté constructive), l’autre est noir, tirant vers la gauche (tendances obscures), les mouvements des deux se compensent et permettent au maître de l’attelage d’avancer droit. Ceci est une version du caducée où la baguette interposée entre les deux serpents, aux forces contraires, les force à s’élever jusqu’à parvenir à la sublimation que symbolisent les ailes au sommet de celui-ci. La Papesse, arcane II, est Isis, gardienne des mystères. Elle garde le livre des secrets et appelle à découvrir la réalité au-delà des apparences sensibles. Résumons nous : l’homme, confronté au bien et au mal, évolue par l’exercice d’une volonté lucide et droite. La gardienne de la Tradition (Livre des secrets), repose sur un sphinx qui appelle l’homme à reconnaître et équilibrer les 4 plans de son être. Ainsi pourra-t-il accéder au seul sanctuaire : le monde, Arcane XX, où la lumière de l’esprit l’illumine. Le sphinx est maintenant tétramorphe, les éléments y sont en équilibre dans un mouvement éternellement créateur. La femme nue qui demeure au centre représente l’âme universelle, perçue maintenant sans voile, et véritable Puissance de Dieu. Le sphinx nous invite à réaliser une synthèse harmonieuse de nos animaux intimes. Il évoque le Tétragramme, nom du Dieu créateur, et suggère l’harmonisation des 4 éléments dans la quintessence. Veillons à équilibrer chacun des aspects de notre vie dans une direction unique, comme sont unis dans une même vision les quatre animaux. La sentinelle de Giseh semblait impénétrable, mais il nous parlait aussi de notions toutes simples : un support matériel, une énergie qui s’y applique, un mode de faire s’exerçant selon une conception et une maturation approfondie, tel a toujours été notre travail de Maçon. Perfectionnons notre pratique de l’Art jusqu’à ce que nous puissions retrouver l’Orient éternel. Alors nous serons devenus des sphinx, le visage tourné vers l’Orient, et maintenant devenus gardiens du Sanctuaire de la Lumière d’Égypte.

F\ Den\ Bour\ O\ de Foix

Bibliographie
"Le sphinx" par Pierre WEIL. Épi - Exode XXVI, Nombres VII, Genèse III, 2 Chroniques III, Ézéchiel I, Apocalypse IV et V
"Votre corps parle" par P. Weil et Tompakov – "Magie et initiation en Égypte pharaonique" par René Lachaud
"Science et philosophie des druides” par Paul Bouchet - “Le Tarot des imagiers du Moyen- Age” par Oswald Wirth
Publié dans le Bulim - Bulletin N° 5 - 28 Février 2009  -  Abonnez-vous

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