GLFM | Bulletin : Bulim Misraïm | 09/2010 |
La
Grenade
![]() Graines, grenade,
grenadine.
Si
fécond de poésie
enfantine, ce fruit rouge à craquer. Rouge tel la grenadine
à laquelle il donne
son nom, rond comme une balle, compartimenté comme un jeu de
damier. Dame
Nature l’a de surcroît pourvu d’un
éclat de chair en forme de couronne. Comme
dans un conte de fée ? Comme dans une quête de
fond ? Est- ce un hasard si
Kether, qui signifie couronne, est la première
émanation de l’arbre des
séphiroth ? Je ne sais pas. J’observe. En
décortiquant ma
grenade, deux anagrammes apparaissent : - « en garde » comme pour avertir d’un danger. Tout en dualité, Gorgée d’eau et de sucre, elle rappelle le soleil par sa rotondité et ses grains sont rouges comme le sang qui afflue dans les veines. Elle symbolise la force de vie. Mais elle est aussi arme de larme, instrument de violence, rouge comme le sang qui coule. Sous cet aspect mortifère, c’est la fragilité de la vie qu’elle évoque. Son
aspect
extérieur rond et lisse fait songer à une
plénitude alors que sa structure
intérieure est garnie de nombreux petits grains,
suggérant ainsi la complexité
et la multiplicité. J’y vois comme une
représentation du lien qui nous unit. Et
cette écorce épaisse pourrait être le
secret qui nous protège. En outre, les
cavités séparées par un voile de peau
blanche sont appelées, (tient
coïncidence), des loges. Comment
survit
cette multiplicité enfermée dans le fruit ? La
grenade, comme l’esprit, secrète
une bataille intérieure entre le courage et la peur, entre
le bien et le mal,
entre la vie et la mort. Et pourtant, tout en étant une,
elle prouve à elle
seule que blanc et noir sont nécessaires l’un
à l’autre et peuvent construire
une unicité. Cet
enfermement en
une seule sphère pourrait apparaître comme un
étouffement. Peut-être. Mais
peut-être aussi, est ce que la graine survit parce
qu’elle s’est
rectifiée en se débarrassant du surplus
d’ego. Et l’écorce commune devient
alors un dôme protecteur. Quant à la forme
pyramidale de l’arille, est-ce
encore un hasard ? Au cœur de la grenade donc,
apparaît un agencement structuré
de petites arilles serrées les unes contre les autres,
liées comme nous sommes
dans la chaîne d’union, structure où
chacun prend sa place comme la pierre dans
le temple, où tous les grains fragiles liés
deviennent une architecture
cohérente par fraternité. Si
j’observe de
façon générale l’image de la
grenade dans l’inconscient collectif, elle a
souvent été peinte comme une allégorie
de la fécondité. Elle représente le
sein
maternel, l’enfantement et la descendance. Mais cette image
idyllique à son
pendant ténébreux, au travers de la
légende de Proserpine, fille de Cérès
et de
Jupiter. Celle-ci fut enlevée par Pluton et durant sa
captivité aux enfers,
elle croqua 6 pépins de grenade. Ce qui la condamna
à séjourner six mois dans
l’empire des ombres et six mois sur terre.
L’histoire de Perséphone qui goûte
au fruit interdit, comme Eve et sa pomme de la connaissance
d’ailleurs,
rappelle l’accès aux mystères
maçonniques. Quant au cycle des saisons, il
dépeint l’alternance de la
mort et de la renaissance. Voila bien une allusion au voyage
initiatique, ce
moment où l’homme en passe de se
métamorphoser entend « Met ta mort, il faut
oser ». «
Proserpine »
Dante Gabriel Rossetti Et
si la Kabbale
avait aussi un avis à me donner sur le sujet. A la
lumière des lettres hébraïques,
le nom de la grenade se dit rimmon et s’écrit : ר נ ו מ
מ י Double Mem : l’eau et encore l’eau qui régénère, Waw : le crochet qui réunit, Nun : Le poisson qui féconde, Resh : La tête qui génère le renouvellement. Que dois-je comprendre ? Que la grenade débute comme Resh, la rondeur, la tête, le crâne, lisse d’extérieur, riche d’intérieur, conscience naturelle du fruit qui protège sa chair ? Qu’elle
devient
Yod, la main active qui crée, enfante et se
perpétue en divisant et multipliant
? Qu’elle
se
transforme en deux fois Mem, capable de garder longtemps ses grains
frais et
juteux, mais périssable aussi,
éphémérité et
régénérescence en même temps
? Qu’elle
est Waw, le
lien qui unit et transforme sa multiplicité en
unité ? Qu’elle
termine en
poisson Noun, où la découverte devient richesse
mais où tout nage dans
l’illusoire et où on recommence à
chercher sans cesse ? Décidément,
elle
est bien difficile à comprendre, ma grenade. Peut-être,
aurais-je plus de chance en découvrant son
écriture en hiéroglyphes ?
Cette
transcription
de la grenade, qui pourrait se lire « inehmen »,
fut retrouvée gravée sur le
tombeau d’Amenemhat, un officier de Thoutmosis III.
Elle représente un roseau fleuri, un poisson sur un filet
d’eau, puis un abri
de roseau sur un jeu de Senet sur un filet d’eau, et enfin un
arbre. Avec
un peu
d’imagination, je peux penser que le roseau est
l’homme, ce roseau pensant
fruit de la nature. Le
poisson est la
fécondité de l’eau, la vie.
L’abri est le mystère enfoui en nous, le damier
est
la découverte du multiple, l’eau souterraine
figure le fleuve des morts et
l’arbre est la colonne
végétale
qui relie l’homme au divin, qui identifie ce qui est en haut
à ce qui est en
bas. Et
si l’arbre
cachait la forêt ? Si le roseau était le
frère, le poisson dans l’eau la
fraternité, l’abri le secret, le damier sur
l’eau le partage et l’arbre
l’accès
à la connaissance. Mais tout ça n’est
peut-être que conjectures. Toujours
est-il que
les grenades sont bien présentes dans la loge car elles
ornent Boaz et Jaquin.
Lorsque Hiram de Tyr, Grand Architecte de Salomon, dressa les deux
colonnes du
temple, il fit graver sur chaque chapiteau deux rangées de
deux cent grenades
chacune. Deux
cent fruits,
fruits de sang. Grains alignés comme des dents, rouge de
cœur comme le notre.
Que la grenade est proche de notre constitution. Et
comme il naît
d’elle de si simples symboles qui nous correspondent. Mais,
tout se lie, tout se tient, de la
fleur à l’étoile, disait
Théodore Monod. J’ai dit, V\ M\. J\ M\ ![]() |
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