GLFM | Bulletin : Bulim Misraïm | 04/2011 |
L'Egrégore L’égrégore,
alchimie secrète, impalpable et présent, ciment
qui unit les Francs Maçons à
leur atelier, mais aussi qui les lie mystérieusement entre
eux. L’égrégore
est-il un outil maçonnique, le parfum de la Loge ou son
esprit? C’est le mot
derrière lequel je ne mettais rien. Les autres mots entendus
en loge m’étaient
connus. J’y rattachais mes propres symboles. Les outils, les
gants, le tablier
représentaient des valeurs que je partageais, que
j’appréhendais déjà. Mais la
première fois que j’ai entendu ce mot
là, je suis restée perplexe. Il
m’interpellait. J’ai donc laissé ce mot
venir à moi, sans précipiter. Les
choses deviennent miennes quand elles me parlent. Je l’ai
laissé grandir en
moi, comme doit grandir un égrégore. Ce mot finit
toujours par devenir sacré. La
seule racine que
j’y voyais, c’était
“grégaire”, signifiant le besoin
qu’ont les animaux de se
rassembler en troupeau, les êtres humains à
constituer des groupes où se perd
peut-être la personnalité de chacun, son
individualité, mais d’où naît
une
force nouvelle. Dans
‘égrégore”, je voyais aussi
“grégorien”, comme ces
superbes chants grégoriens, avec les voix
d’hommes, que Grégoire 1er a mis sous
forme d’antiphonaire au VI° siècle. Mais
il me fait aussi penser à égrener,
détacher le grain de la grappe, c’est à
dire enlever une partie d’un tout, ou à
“agrégat”, réunion
d’éléments divers formant un tout. ou
encore à “grenade”,
cette multitude de petits grains qui composent un fruit unique, symbole
de tous
les Francs Maçons, aussi divers soient-ils, appartenant
à une seule et même
famille. Dans le Livre d’Hénoch, personnage
biblique, il est employé au pluriel. Les
égrégores sont des anges qui veillent
sur le Mont Hermon, pour éviter que les forces du mal ne se
répandent sur la
terre. On le traduit par “les veilleurs”. Ces
veilleurs gardent les gens et les
secrets, entourent, apportent protection, et par conséquent,
la sensation de
mieux être, la possibilité de mieux se reposer ou
de mieux travailler. On peut
aussi rapprocher ce concept d’égrégore
du Saint Esprit de la Pentecôte, chez
les chrétiens, de la conception de l’inconscient
collectif dans la pensée de
Karl Gustav Jung, et de la notion de dynamique de groupe
développée par le
psychosociologue Kurt Lewin. Toutefois, la phrase qui me vient
à l’esprit est
“Tout est dans un”, ce qui
m’emmène vers d’autres
phénomènes. On ne parvient
pas à une communion, à une fusion de
n’importe quelle manière. Il faut une
préparation, une mise en condition. Il faut être
plusieurs, et la
transformation intérieure de chaque individu est la
condition préalable, qui va
amener à une volonté commune de transcendance
d’un moment. Dans les tribus
primitives, ou chez les Indiens, dans certaines communautés
religieuses, la
mise en condition physique et psychique se fait par la peinture ou le
tatouage
des corps, par des libations, des incantations
répétées, envoûtantes,
obsédantes, des prières psalmodiées,
où les participants se rejoignent par le
chant et la danse, pour ne plus former qu’un seul corps,
qu’une seule vibration,
expression collective du sacré. L’égrégore
des
musiciens, des danseurs, des chanteurs, c’est
d’abord la symphonie, le ballet,
l’opéra, l’œuvre enfin
qu’ils interprètent ensemble, par laquelle ils
vont
faire naître chez l’auditeur ou le spectateur, la
même émotion, le même
transport, le
même plaisir de partager. Ce sont des moments de
plénitude où l’on se laisse
porter par la même ambiance, le même rythme. Une
même force émotionnelle,
chargée d’ondes positives, peut aussi
s’élever d’un stade rempli de supporters
enthousiasmés par du rugby, par exemple !!..
“Lorsqu’un certain nombre d’hommes
sont rassemblés, l’observation démontre
que leur ensemble constitue une âme
collective puissante, mais momentanée” nous dit
Gustave Le Bon dans son livre :
“la psychologie des foules”. Toutefois,
toute
assemblée de personnes ne dégage pas
forcément une force employée à une
bonne
cause. L’histoire est pleine d’exemples
où des énergies maléfiques, loin de
libérer les esprits en les élevant, manipulent
les forces collectives pour les
asservir à des fins funestes, les soumettre à la
volonté de pouvoir d’un
gourou, d’un dictateur ou d’un fanatique. Il peut
donc y avoir danger à faire
naître certains enthousiasmes. Que
venons-nous
faire dans une Loge? Nous sommes tous différents, avec des
professions, des
occupations, des obligations différentes, mais nous sommes
tous animés par
l’amour et par la défense des mêmes
valeurs, et, à un moment donné, nous
décidons de nous rassembler dans un espace donné,
pour partager et créer ensemble
quelque chose. Bien sûr, nous allons nous pencher sur des
questions, réfléchir
sur le symbolisme. L’égrégore
sera le
“plus”, l’élément
irrationnel, le subconscient de la Loge. Jean-Pierre Bayard
nous dit :”C’est l’atmosphère
très particulière qui règne dans la
Loge. C’est
la force de cohésion qui unit,
dans un groupe humain, les membres qui la composent”.
C’est dire si la présence
de chacun est nécessaire. Cet élan commun, cette
fusion totale, comment les
connaît-on? Comment les vit-on?. Il faudrait oublier tant de
choses à
l’extérieur, laisser tant de métaux.
Nous avons besoin du sacré, et cela mérite
bien quelques sacrifices. La Loge est, par définition, un
asile de paix, de
concorde et de fraternité. Chacune a son
égrégore fragile. Il faut que tout
concorde pour que le miracle ait lieu. Quelquefois un rituel mal fait,
parce
que mal compris, mal accepté, gêne,
gâche casse cette communion, cette harmonie
indispensable à l’élévation
commune de l’esprit. Nous ne sommes pas là pour
faire de la figuration. Si la présence du corps est
indispensable, celle du
cœur et de l’esprit ne le sont pas moins.
L’égrégore sera ce que chacun de nous
voudra en faire par son comportement, sa coopération, son
sérieux, sa tenue, sa
sincérité. Plus nous nous sentirons investis de
notre rôle et plus il se
manifestera. Chacun de nous est responsable de ce que la tenue sera,
et, par là
même, de l’égrégore qui se
dégagera. Tout commence par la capacité
d’écoute de
chacun, par le silence et le respect pour l’auteur
d’une planche ou d’une autre
lecture. La lumière a sa place. : vive, elle est active,
atténuée, elle est
propice au recueillement. La musique joue un grand rôle. De
sa qualité, de sa
puissance, de sa douceur, dépend le plaisir de
l’émotion esthétique
partagée
par tous, et peut donner un sentiment
d’élévation spirituelle, le sens du
sacré. Mais
l’égrégore
peut naître aussi du silence, quand il est communion. Savoir
se taire pour
recevoir, heureux de se sentir en complète harmonie,
tout
simplement, se laisser aller, baisser sa garde, se
pénétrer du sacré,
rechercher sa propre résonance aux symboles et au rituel,
touché par la grâce
du moment, peut-être.!!.. Pour être efficace, un
rituel doit être pratiqué avec
foi, avec rigueur, certes, mais la rigueur n’exclut pas la
beauté : celle du
Temple d’abord, préparé avec soin,
celle des rythmes. La Beauté figure dans
l’ouverture des travaux, parce qu’elle est un
élément essentiel
d’équilibre et
d’harmonie. Après la Sagesse qui
tempère les passions et aide au discernement,
la Force qui nous permet de continuer, de
persévérer, la Beauté doit nous
illuminer, pour mieux nous élever, donner une autre
dimension aux choses, nous
emmener vers le sacré. L’émotion que
procure la beauté établit un lien puissant
entre tous ceux qui l’éprouvent, et rapproche les
hommes mieux encore que les
intérêts matériels les plus directs. Ce
qui pousse les
gens à se regrouper, c’est la recherche du partage
dans la transcendance d’une
émotion, sentiment et désir d’absolu,
de communion, d’harmonie, de beauté.
D’abord la beauté intérieure, celle du
cœur, qu’on écoute en essayant de faire
la paix en soi. Ce n’est pas seulement son propre
cœur qu’il faut écouter,
c’est surtout celui de l’autre, à
travers ses silences et ses mots. Donner la
même signification aux mots, entre celui qui parle et celui
qui écoute, et
c’est déjà
l’égrégore qui passe. Il suffit parfois
d’être deux. Il faut une
grande confiance, complicité,
réciprocité dans les sentiments, dans les paroles
pour qu’une réunion devienne union où
planera l’égrégore. Nous recevons dans
le
Temple une énergie qui doit nous permettre de faire
fructifier nos talents, nos dons,
notre faculté d’aimer. Cette énergie
globale ne peut se former que lorsque le
groupe entier, solidement soudé, devient une
unité. Une foi commune va nous
lier, en respectant cependant la liberté de chacun. Tout est
dans UN. Il y a
des tenues particulièrement riches et fraternelles,
où, après une belle
planche, une cérémonie bien faite, on
goûte tous ensemble un moment de silence,
peut-être de bonheur !..Un ange passe? Non,
l’égrégore veille. Notre
chaîne
d’union est, sans doute, le moment le plus
privilégié pour que le courant passe
entre les maillons que nous formons, nos bras enlacés, nos
mains jointes,
puisant les uns dans les autres, nous donnant raison
d’être venus et d’être
là.
Notre chaîne d’union est un moment sublime, une
chaîne de vie. Elle témoigne de
notre unité au-delà des diversités.
C’est là que j’essaierai de vous donner
tout à l’heure le meilleur de moi-même,
parce que je vous aime. Vous ferez
pareil, j’en suis sûre. Et si
c’était l’Amour, tout simplement !. Ce
qu’il y a
d’extraordinaire c’est ,qu’à
chaque heure du jour, il y a quelque part, dans le
monde, chaque fois que l’occasion et la liberté
leur en sont donnés, une poignée
d’hommes et de femmes réunis, toutes
obédiences et tous rites confondus, qui
tentent d’élever leur cœur en
fraternité, dans un idéal commun, celui du
progrès de l’humanité. Cette force qui
existe, ce lien qui nous tisse au-delà
des frontières et au- delà des mers, cela aussi,
pour moi, c’est l’égrégore. Une
Sœur de la loge
Athanor |
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