GLMFMM Bulletin : Khalam 06/2004

Les Liqueurs de Bacchus

Rome est en liesse, c'est l'heure des Bacchanales. A la nuit tombée les cali­ces se remplissent d'or et de rubis pour fêter Bacchus, Dieu de la vigne, qui, accompagné de satyres (démons de la nature) de silènes (satyres devenus vieux) et de ménades (femmes possé­dées) verse les liqueurs du plaisir.

L'heure est à l'extase, les hommes et les femmes se libèrent de leurs chaînes et laissent place à leurs instincts les plus primitifs.

Soudain le chœur des Bacchantes s'é­crie : " louange à l'homme heureux qui connaît les divins mystères et purifie son âme dans les bacchantes "

C'est l'heure où la vigne des Dieux endort la raison pour laisser place à un flux libérateur qui permet à l'homme de plonger dans ses ténèbres d'atteindre la fleur du mal, de la cueillir et de la remon­ter au grand jour pour l'offrir, fragile et virginale, au créateur du Jardin Divin.

Si aujourd'hui, ces fêtes religieuses célébrées à Rome en l'honneur de Bacchus, ont été interdites par le Sénat en 186 av JC, il n'en reste pas moins vrai, que l'être humain expérimental et transmutable par nature, a  toujours su utiliser les produits naturels qui lui permettent l'éva­sion, le " lâcher prise " avec sa conscience et l'accessibilité à son inconscient.

Dans les temps les plus reculés, ceux qui détenaient les secrets de guérison, connaissaient les plantes qui permettaient au corps d'oublier sa souffrance.  

Dans les peuplades primitives, le sorcier mangeait des champignons hallucinogènes pour recevoir des messages céles­tes et asseoir ainsi définitivement son autorité, devenue par le fait une " autori­té divine ".

Pendant les rituels de purification les tribus fumaient des plantes sèches qui les mettaient en transe, pour faire sortir les ondes maléfiques de leur corps,

On peut dire que le vin fait partie de ces agents transformateurs venus du ciel. D'ailleurs, n'existe-t-il pas un Dieu de la Vigne ?

Jésus n'a-t-il pas changé l'eau en vin lors des noces de Cana ? Pourquoi ? Et même si les bacchanales ont été interdites, car elles devinrent le moment de tous les excès, à l'origine n'avaient - elles pas un pouvoir de délivrance sal­vatrice ?

Sans aucun doute ; le miracle du vin est, sur le plan psychique, un don de Dieu, car il permet la transformation de l'être terrestre en esprit subtil.

Il nous amène aux rêves et à une per­ception extra sensorielle que nous pou­vons difficilement atteindre naturelle­ment, à quelques rares exceptions.

La culture de la vigne est très ancienne plus parti­culièrement en Orient et en Egypte ; Déjà, 3000 av JC les fêtes ne se passaient jamais sans vin.

Le boire en grande quantité était une pratique cultuelle et permettait l'union avec le Dieu de l'extase.

Chez les mystiques musulmans, le vin était le symbole de l'accès à l'amour de la divinité et à l'extase unitive qui l'ac­compagne.

Ils partaient du principe que :
-" le connaissant, le connu et la connais­sance " ou
-" l'amant, l'aimé et l'amour " ne sont en réalité que les facettes apparentes et la même et unique réalité fondamentale.

Le vin devenait alors symbole d'unifica­tion.

Dans notre tradition judéo-chrétienne le blé et la vigne poussent en vertu d'une force germinative. Par l'eucharistie ils se transforment en chair et en sang du Christ. Le vin est alors sève de la terre et du ciel. Dans ce cycle ascensionnel il est un lien évident entre la vie et la mort clans l'éternité.

Mort et renaissance, telle est l'aboutis­sement de l'histoire d'une graine nourrie du ventre de la terre réchauffée et abreuvée par le ciel.

De nos jours, même si malheureuse­ment les drogues douces et dures pren­nent une place importante auprès de la nouvelle génération, le partage du vin reste un moment de plaisir, d'échange, et d'amour.

Car il en faut de la patience, du travail, de l'amour avant de remplir la coupe !

Le vigneron, l’œnologue le savent bien, de la naissance de la grappe de raisin, à sa transformation en vin capiteux, c'est toute une alchimie, une alliance entre les éléments et l'homme qui s'effectue.

Mais voyons de plus près en utilisant la symbolique maçonnique, quels sont les parallèles qui existent entre la fabrica­tion du vin et le chemin de l'initié.

Quels sont les pouvoirs du Créateur qui agissent aussi bien sur le monde végé­tal que sur le monde hylique ?

De l'ensemencement de la graine à la coupe de vin c'est le chemin parcouru dans son intégralité par l'Initié et c'est ce que je vais essayer de vous démontrer.

La production du vin exige du savoir faire et une expérience personnelle ; chaque vigneron apporte sa touche du début à la fin de l'histoire. C'est non seu­lement un artisan, un artiste, mais éga­lement un bon père de famille car sa tâche première est de veiller sur la peti­te pousse sortant de terre comme un père regarde grandir son enfant.

De la même manière il y a plusieurs voies pour accéder à la connaissance annonçant la paix et l'harmonie profon­de avec l'Univers.

La franc Maçonnerie, c'est-à-dire la voie que nous avons choisie, est un des outils mis à notre disposition pour accé­der à ce stade de plénitude. Il s'appa­rente assez facilement avec les moyens mis à la disposition de l'homme pour faire le vin.

Nos rituels partent du principe :
- que la vie réside très réellement au sein des trois règnes de la Nature : minéral, végétal et animal.
- que ses trois règnes sont ainsi tous animés par la même et unique Intelligence Universelle.
Il y a donc forcément un point, ou un chemin commun parcouru par une inno­cente petite graine de raisin et un homme qui cherche à comprendre pour­quoi il est sur terre !
Continuons de développer l'histoire d'une graine et d'un homme.
- la plantation est importante ; le moment de l'année, l'emplacement du terroir, le climat et l'endroit géographique par rap­port au soleil, le choix du cépage, sont autant de choix décisifs qui vont permet­tre à la vigne de mettre au monde ses fruits. A partir du moment où le cèpe de vigne est sorti de terre, le vigneron ne cessera de le surveiller, comme un enfant qui vient de naître, Il lui appren­dra à grandir, à prendre des forces pour affronter les saisons, les tempêtes, la sécheresse, la grêle. Il lui donnera amour et protection, il portera en son cœur l'angoisse de l'accident. Lorsque les petites grappes apparaîtront, il les protégera par toutes ses connaissances et son amour.

Initier un profane au grade d'apprenti c'est bien me semble planter une graine dans la loge, en mettant tout en oeuvre pour qu'elle grandisse vite et donne le meilleur des fruits. Pendant le temps de son apprentissage, le Vénérable Maître devra veiller à ce qu'il reçoivent toute l'instruction nécessaire son développement, mais aussi le sou­tien, la protection, et la pulsion éminem­ment utile à son évolution au sein du groupe.

-Puis viendra le moment merveilleux de l'égrappage. C'est le moment où les grains de raisin se séparent de la tige porteuse. Après la Saint Jean d'Eté, ces grains gorgés de soleil et de sucre, seront prêts à être cueillis, à donner le meilleur d'eux-mêmes, tout comme le jeune compagnon à peine sorti de l'ado­lescence initiatique, son sac sur le dos et son bâton en main prêt à partir sur le chemin de la vie, sans savoir où il va, des questions plein la tête. fougueux et sauvage voulant croquer la vie à pleines dents, et ayant la certitude que tout lui appartient.

Il ne sait pas ce qui l'attend sur ce che­min qu'il vient d'emprunter : les épreu­ves, les déceptions, les ruptures, les efforts à fournir, les trahisons, les dés­illusions, il va s'écorcher, saigner, souf­frir, car la vie implacable, estampillée par les décrets célestes vont le faire passer sous les fourches caudines comme ces belles graines qui vont subir le foulage car il faut écraser les graines pour faire sortir le moût et laisser les substances se diluer, s'épaissir, se transformer,

Il ne sait pas, mais il est assez fort et enrichi pour accéder à la maîtrise et subir les épreuves de cette grande transformation qui devrait lui permettre d'utiliser toutes ses connaissances et tous ses acquis pour donner le meilleur de lui-même.

Inexorablement l'alchimie est mise en œuvre.

Lentement le jus devient vin sous l'ac­tion des levures ; les sucres se transfor­ment en alcool  par fermentation.

C'est aussi une question de macération, il faut que le marc (peau, pépins et rafles) imprègnent le moût donnant corps et couleur.

Puis marc et moût seront séparés c'est l'épreuve du soutirage.

On approche du final : la fermentation malolactique : l'acide malique rêche se transforme en acide lactique souple et stable sous l'action naturelle des bacté­ries.

Enfin le vin est clarifié et placé en fut pour sa stabilisation et son accomplisse­ment.

Ne voyez--vous pas une évidente paral­lèle entre la transformation d'une graine de raisin en vin et celle d'un franc-­maçon en initié ?

Tout ce qui a été appris et découvert par l'apprenti devenu compagnon, n'est pas forcément assimilé, voire filtré par sa conscience et son cœur, mais seule­ment " stocké " par son intellect : que ce soit la force magnétique et spirituelle d'une initiation, la mise en œuvre des rituels, l'imprégnation de la symbolique,

Tout s'est enraciné inconsciemment, mais commence à bouger dans la cons­cience de manière à faire réagir le Franc Maçon.

Il a acquis assez de connaissance, mais il lui faudra une prise de conscience obligatoire, pour entrer dans la période de fermentation et de macération.

Tout s'affronte :
- Il découvre au travers de l'histoire maçonnique propre à notre Rite, sa place originelle dans l'Univers : une place de choix qui lui assurait paix et harmonie pour l'éternité auprès du fon­dateur des mondes, mais qu'il a perdu face aux forces invisibles manipulatrices de l'ego.
- Il comprend sa chute et mesure la dis­tance qui le sépare maintenant du créa­teur,
- Il réalise qu'il doit retrouver le langage enfoui au fond de lui qui lui permettrait à nouveau de communiquer avec sa pro­pre puissance.
- Il mesure l'immensité rie cette tâche :
prendre le chemin en solitaire, .affronter ses peurs, maîtriser ses démons, lâcher prise et dépouiller le vieil homme sans quitter le chemin, pour redevenir l'enfant pur, au cœur léger comme " la plume ", stabiliser les deux plateaux de la balan­ce de sa vie, ( le plateau de la terre et le plateau du ciel ), pour vivre enfin dans la plénitude et l'harmonie.

Mais l'initié à force de volonté, de persé­vérance et d'amour saura trouver le chemin mystérieux qui mène à son " Everest ", tout comme le vin aux essen­ces capiteuses et divines excite les papilles gustatives, embrase la gorge offrant avec amour ses liqueurs parfu­mées pour libérer l'esprit de ses chaînes et lui permettre d'atteindre une exta­se.... Illusoire.

En conclusion, je dirais que ce travail n'a pas pour but d'inciter à boire de l'al­cool pour obtenir un état nous permet­tant de naviguer dans des espaces inconnus.

Non sûrement pas, je suis partie du prin­cipe :
- qu'il y a un lien et un point commun entre les trois règnes minéral, végétal et animal,
- qu'en Franc-Maçonnerie nous pou­vons utiliser tous les outils et tous les symboles mis à notre disposition pour découvrir ce qui nous est donné d'inter­préter.

En l'occurrence nous devons comprendre et tendre à nous rapprocher de la nature, car c'est elle qui nous livre les messages les plus importants. ( nous connaissons de nom­breuses sociétés primitives hautement initiées qui commu­niquaient avec elle et en reti­raient la plus grande sagesse ).

Je soulignerais également que j'ai choisi l'histoire d'un vin exceptionnel, et d'un initié exceptionnel.

Mais hélas tous les vins ne sont pas millésimés, simplement, parce que le terrain peut être riche, mais la saison n'a pas offert assez d'eau et de chaleur, le père nourricier a donné tout son amour mais la technique de vinification a mal fonctionné, autant d'éléments qui nous font comprendre que l'on peut facilement être Franc Maçon, mais pas forcément un grand initié.

Je pense que la lumière veille en chacun de nous, la prise de conscience nous aide à la faire rayonner, et le " lâcher prise " nous permet de revenir sur le " chemin de la rencontre " nous laissant l'impression de ne plus être tout à fait seul, et d'avoir en quelque sorte été " appelé " pour créer ce duo d'amour.

Donnons-nous les moyens de changer le sens de notre existence en travaillant sur nous-mêmes par le biais d'études des sciences ésotériques, mais sachons rester humbles et modestes nous ne sommes que des hommes ayant le minuscule pouvoir de forger notre prop­re destin. ( dans le cadre des décrets de la Providence ).

Mais au fait…
le destin qu'est-ce ?….
A notre santé, buvons !!!

K013-4-1

Le 29 décembre 2003. Monique FRANCOZ

Grand Maître Adjoint

Publié dans le Khalam - Bulletin N° 13 - Juin 2004

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