GLMFMM Bulletin : Khalam 10/2004

Le Premier Surveillant et les Compagnons

Le grade de Compagnon apparaît sou­vent comme un simple passage entre l'Apprenti et le Maître. Au début de la Maçonnerie n'existaient que les grades d'Apprenti et de Compagnon, suivant en cela la tradition des constructeurs. Puis s'est rajouté le gracie de Maître et l'on a alors considéré que le grade de Compagnon se vidait de sa substance.

Il n'en est rien. Chacun de ces deux pre­miers grades comprend sa spécificité pleine et entière et se complète, pour accomplir un premier cycle bien différent de celui qui sera abordé au grade de Maître ; celui du monde sensible repré­senté par notre corps de matière.

Aussi je vous propose un bref parcours, à travers quelques-uns des symboles significatifs de ces différences, en ten­tant -mais le jeu n'est pas simple- de ne rien dévoiler qui ne puisse être perçu au premier degré.

Mais au préalable, nous ferons une embardée par les Surveillants avant de revenir au Rituel.

LE SURVEILLFINT  et LA FORMATION

Quel est le rôle d'un Surveillant, et quel­le doit être son attitude ?

Son rôle est la mission qui lui est confiée: celle concernant la formation Maçonnique.

Son attitude est celle que l'on doit avoir à l'égard de toute personne que l'on aime : souhaiter son plein épanouisse­ment et non pas la mettre en cage.

Par formation, il faut plutôt entendre forme, celle qui constitue l'individu, celle qu'il e à modeler. Il ne s'agit pas de for­mer un Frère, il s'agit de lui communiquer ce qu'il faut pour que lui se forme. Donner forme à quelque chose, c'est donner du sens. Or ce "sens", c'est la première chose à communiquer au nou­veau Frère. Une fois ce sens intégré, l'axe se détermine de lui-même et s'off­re comme "ossature d'une nouvelle construction à réaliser. Le nouveau Frère est ainsi amené à s'engager dans la voie initiatique, à s'engager dans une "pratique". Une praxis, comme disaient les Grecs, c'est-à-dire une mise en mou­vement.

Par" attitude", il en va ici comme pour tous les officiers de la Loge : on est là pour actionner un rite et permettre à ses symboles d'opérer. On ne s'impose pas devant le Rite, c'est lui qui s'impose, c'est lui qui est porteur d'une autorité et c'est elle qui opère.

En se substituant à elle -par ce que l'on appelle chez nous, les humains, un "pouvoir", on coupe la relation et on change de voie. Nous avons donc à observer un retrait naturel, qui est en quelque sorte un acte d'amour, puisque, en laissant opérer le Rite, une union indicible s'instaure dans une sorte d'a­mour transcendé.

Ainsi le Surveillant, vis-à-vis du nouveau Frère, va agir pour qu'il entre dans cette communion. Là aussi en n'imposant pas, mais en suscitant. C'est affaire de ressentir, et c'est là le rôle d'"Eveilleur" du Surveillant : éveiller le Frère à sa pro­pre réalité, en le tenant par la main s'il le faut.

Nous sommes en effet dans une pra­tique et non dans un exercice intellec­tuel. Tout l'enjeu est là, et l'ensemble des outils et symboles existe, pour bali­ser cette voie. Les outils et symboles de la maçonnerie, empruntés à la tradition des constructeurs pour exprimer La Tradition.

Comme toute voie, elle a sa cohérence qu'il faut respecter au risque, encore une fois, de la rendre inopérante.

C'est sur ces outils et symboles que s'appuie donc le Surveillant, pour guider notre nouveau Frère et sur lesquels nous allons à présent jeter un regard, pour quelques--uns d'entre eux.

LE RITUEL

Ainsi, commençons par deux symboles qui sont à la naissance du parcours : l'Etoile Flamboyante et une lettre inscri­te en son centre, qui permettent de per­cevoir la finalité lumineuse du Cheminement. Ces deux symboles apparaissent au premier degré, lors de l'initiation ainsi que dans le rituel.

Lors de l'Initiation, en effet, au moment où l'on donne la Lumière au Récipiendaire, l'Étoile Flamboyante fulgure un bref instant.

Lorsque l'on donne la Lumière, c'est de cette lumière-là qu'il s'agit. Celle qui détermine fondamenta­lement le sens de toute la démarche, qui vient d'être entreprise. En même temps, peu de temps avant, le Récipiendaire a vu son inverse : le Maître châtié, l'Adam Kadmon.

Ainsi, en de brefs instants qui ne sont pas immédiatement saisis, l'impétrant a VU les deux termes de sa condition le haut et le bas.

Entre les deux, un chemin, et sur ce chemin... lui. Tout cela, il l'a vu. Mais dans l'émotion, il ne l'a pas compris.

Ce Chemin, c'est celui qui est rattaché à l'une des interprétations de la Lettre, la Gnose, que le Récipiendaire entreprend dés son entrée dans le cabinet de réflexion.

Là, l'Initié ressuscite à la vie de l'esprit et meurt à celle des apparences. Il quitte son corps de chair qui entre en putré­faction, pour voyager dans l'Amenti, où doit s'opérer la séparation des éléments constitutifs de l'être afin de les purifier avant de les réunir à nouveau.

C'est le Sel, le Soufre et le Mercure, représentant la tripartition hypostatique, (ou les trois tendances divines qui nous constituent) et qui, par nature nous instaurent dans la dynamique.

C'est le principe de la manifestation : les deux forces opposées qui s'équilibrent autour d'un point central, lieu de stabili­té, lieu du jugement.

Ainsi le Récipiendaire entrep­rend-il, en aveugle, le che­min vers la Lumière ineffa­ble.

En aveugle, guidé par l'Hermès souterrain. En aveugle, c'est-à-dire dans une situation si ténébreuse que la lumière ne peut être vue sans une intervention providentielle, qui engage sur le chemin de notre liber­té première.

SE LIBÉRER des ténèbres. Voilà le sens de la voie, voilà l'enseignement de ta Gnose, comme cela est précisé par le Frère Expert avant même que le Récipiendaire n'ait pénétré en loge.

Tout est dit d'entrée.

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L'apprenti commence donc son chemin par la perpendiculaire (que nous enten­drons sans ambiguïté comme une verti­cale) et entame clans le silence, dans son intériorité, sa "reconstruction", c'est- à-dire la réorientation de tout ce qui constitue son corps de Matière.

Là s'opère la prise de conscience de son état et de sa condition, et un début d'explication de cette incessante réacti­vité instinctuelle et animale, aux évène­ments immédiats.

L'appréhension juste de cet état et de cette condition, est le premier pas vers son dépassement. Nous nous sommes alors un peu rapprochés de notre point central.

Le Compagnon passe de la perpendicu­laire au niveau, de la verticale à l'hori­zontale, et rompt avec le silence. En rompant avec le silence, l'Apprenti est supposé s'être refonde et réorienté et il lui est demandé à présent, d'élargir cette harmonie intérieure à ses actes, de tendre à une harmonie globale entre conscience et acte.

Le premier acte de cette mise en mou­vement, est la prise de parole du Compagnon en Loge.

À ce moment précis, le Compagnon s'articule avec la Loge. C'est la premiè­re impulsion, sans laquelle le reste ne pourrait suivre. C'est un moment diffici­le, chargé d'émotion, et de ce fait, qui met à l'épreuve tout notre être, qui nous pousse hors de nous-même. Sorte d'ac­couchement qui, inéluctablement, doit avoir lieu.

C'est un intense moment de libération, que chacun a ressenti.

Tant que ce moment majeur n'a pas eu lieu. l'Apprenti n'est pas devenu

Compagnon car, symboliquement, en se livrant à la Loge, il se livre au Monde ( loge, en sanskrit, signifie monde).

" Que venez-vous faire en Loge ? ", demandent certains rituels, que l'on peut traduire par " Que venez-vous faire au Monde ? ".

Poursuivons par l'analyse de l'Outil Niveau plus qu'intéressante, puisqu'elle traduit, cette complétude "intérieure/ extérieure" par le Passage.

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Le niveau, en effet, est formé d'une équerre dite "juste", c'est-à-dire ouverte à 90', au sommet de laquelle est fixé un fil à plomb -la perpendiculaire- qui passe au droit d'une barrette graduée, et dont la position du fil sur le 0, permet de déterminer l'horizontalité des jambages de l'équerre.

Ainsi, le zéro détermine la verticale et la verticale détermine l'horizontale. On ne peut donc passer à l'horizontale qu'a­près être passé par la verticale, c'est-à- dire après s'être recentré. C'est unique­ment clans cet enchaînement, que se réalise notre démarche.

Que ceux qui ont des oreilles enten­dent, que leurs yeux voient, et que leur âme comprenne.

Ainsi en va-t-il du chemine­ment initiatique, d'échelon en échelon, de plan en plan, jus­qu'à la Connaissance.

Enfin, les pas du Compagnon souli­gnent, par le geste, cette mise en mou­vement, par le décentrement -passage dans l'horizontale, plan de réalisation- puis le recentre- ment ou le surcentrement, qui suppose l'accomplisse­ment d'un cycle, ou le dépas­sement d'un état particulier de notre être, préalable à l'a­morce d'un nouveau cycle. Les pas du Compagnon sont en fait multiples.

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En intervenant au début de ce chemin pour mettre le nouveau Frère sur la voie, les Surveillants ont un rôle crucial et délicat, crucial, car si ces deux premiers degrés ne sont pas compris, il faudra dix ans au Frère pour se remettre en selle . Délicat, car cette transmission du sens et de la perspective, pour amener le Frère sur le chemin de l'engagement, demande de la part des Surveillants une connaissan­ce approfondie du Rite avec le risque de se tromper de voie.

Aussi, pour tenter d'harmoniser nos démarches et dans un souci de cohé­rence de notre Ordre, fondé sur une Voie Initiatique véritable qui rie doit pas être altérée, le Grand Collège a deman­dé aux Premier et Second Grands Surveillants de préparer un mémento succinct, à l'intention des Surveillants en Loge.

Celui-ci aura pour objet essentiel de souligner, pour les cieux premiers gra­des, le contenu et l'esprit initiatique de la Voie de Memphis-Misraïm, qui com­porte une spécificité hermétique et gnostique.

Philippe DIIV1ARTINO

Publié dans le Khalam - Bulletin N° 14 - Juin 2004

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