GLMFMM Bulletin : Khalam 02/2006


La sagesse des tarots

L'arcane XVIII :
la Lune
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Ce qui peut être déconcertant pour le lecteur non averti du livre de Thot, c'est que les 22 Arcanes qui le composent paraissent ne pas être classés suivant un ordre rationnel dans lequel les la­mes se succéderaient de manière logi­que et progressive les unes par rapport aux autres ; cela est dû au fait que, la plupart du temps, les Arcanes sont in­terprétés individuellement alors qu'ils ne trouvent leur véritable significa­tion que les uns par rapport aux autres dans le cadre d'une vision globale des Principes de Vie et des Lois Naturelles Universelles. Seule cette approche uni­taire et cohérente permet de donner à chacune des lames sa véritable signifi­cation.

Une belle démonstration de ce qui pré­cède nous est donnée avec les Lames

XVII et XVIII. Souvenons-nous (cf. Kha­lam n° 17) : avec l'Étoile, nous étions dans le monde du Divin, en plein exercice spirituel ; avec la lune, nous revenons dans le domaine de la maté­rialité et de l'intellectualité parce que l'Arcane XVIII est celui du double cou­rant "intelligence — matière" contraire au double courant "durée — esprit" ou "intuition —conscience". La Lune cons­titue le principe de la réflexion car, de même qu'elle reflète elle-même la Lu­mière du soleil, de même l'intelligence humaine réfléchit la lumière créatrice de la conscience ; ainsi, l'Arcane XVIII de la Lune, antithèse de l'Arcane XVII de l'Étoile, suggère le mouvement ré­trograde représenté par la matérialité et l'intellectualité et contraire à celui de la vie. Tous les éléments de la lame XVIII - l'eau stagnante du marécage où veille l'écrevisse — scorpion, les deux tours rigides en pierre, le chien qui aboie de manière plaintive et le loup qui hurle vers le haut, les gouttes d'eau qui tombent, l'obscurité complète de l'éclipse - se situent à l'opposé de ceux de la lame précédente XVII, à savoir : le fleuve qui coule paisiblement, les arbustes verdoyants, la constellation rayonnante des huit étoiles, la femme dénudée versant "l'eau de vie" dans le fleuve de la continuité.

L'Arcane lunaire ou lame XVIII est ce­lui du couple inséparable de la Terre et de son satellite, c'est-à-dire de la matérialité et de l'intellectualité du microcosme ; il nous indique que la divisibilité et la transformation perma­nente de la matière sont indispensables à l'intelligence pour s'exprimer, que la matière constitue l'élément vital de l'intelligence lui permettant de réduire en les quantifiants les notions de temps et d'espace alors que l'intuition con­duit à l'invers. Notre intelligence n'est tout à fait à l'aise que lorsqu'elle opère sur la matière brute ; c'est pourquoi, non seulement la science matérialiste cherche à décomposer en permanence les corps et les substances, mais égale­ment que les sciences occultes décom­posent l'être humain en trois, quatre ou sept principes, selon les besoins, car l'intelligence, même lorsqu'elle se préoccupe de sciences occultes, ne se représente clairement que le fractionné et le discontinu alors que l'intuition peut seule se représenter l'Unité et concevoir l'état unitaire.

Le principe de l'intuition créatrice sera abordé avec l'Arcane suivant du Soleil qui est celui du printemps et corres­pond à la "participation à ce qui sera", alors qu'il s'agit ici d'aborder le prin­cipe lunaire automnal de l'intelligence qui est celui de la "compréhension de ce qui est". Relevons à cet égard que l'Hermétisme, fondement même du Rite Ancien et Primitif de Memphis­Misraïm, correspond à l'effort continu permettant d'aboutir à l'alliance de l'intelligence et de l'intuition ; c'est la voie de l'Union désintéressée dont le fruit est la Gnose. Cette voie de l'ef­fort continu nécessaire à l'union des contraires, but de tout hermétisme, est ce que la cabbale ésotérique appelle Kawwana, c'est-à-dire celle de la mé­ditation profonde permettant de sonder les profondeurs obscures qui sont dans et autour du méditant. C'est ce qui per­met de dire que l'Hermétisme ne porte pas sur un ensemble d'éléments obs­cures ou extra-ordinaires, mais qu'il est une manière peu comprise de voir les éléments et les choses ordinaires en profondeur. Une telle réflexion trouve ici sa place car elle résulte précisément de la réflexion commune aux Arcanes XVII, XVIII et XIX.

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La lame XVIII enseigne donc la mé­thode permettant de dépasser l'intelli­gence lunaire. C'est l'Arcane montrant à l'initié qu'il lui faut impérativement passer de l'intelligence éclipsée de la technicité terrestre à l'intelligence illu­minée par la spiritualité solaire, c'est-à dire l'intuition ; c'est l'Arcane montrant que le "savoir mieux" de l'intelligence stagnant dans le bassin de l'eau inerte recule comme l'écrevisse-scorpion et que ce "savoir mieux" est le cerceuil de l'Hermétisme pratique et de sa capa­cité à connaître et à apprendre de tout le monde et de toute chose. Cette lame est fondamentale en ce qu'elle indique que, sur le chemin de la réalisation, le choix se présente inexorablement entre la possibilité d'avancer avec la spiritua­lité intuitive et unitaire ou de reculer avec l'intellectualité stagnante de la fragmentation. Apparaît alors la Voie de la Connaissance qui est celle du sa­voir intellectuel illuminé par la grâce intuitive, celle de l'intelligence unie à la sagesse, celle du savoir acquis et du savoir spontané ou révélé, en un mot celle de l'hermétisme millénaire qui ré­vèle le "monde des profondeurs".

Sous jacent à notre lame XVIII et aux deux qui la précède et la suit immé­diatemen,t émerge le Grand Arcane Gnostique du mariage des opposés, c'est-à-dire ici de la transmutation de l'intelligence attachée au "comment" des choses, en véritable organe intuitif, s'occupant du "pourquoi" de la vie ; alors seulement, l'inconscient, au lieu de choquer l'intelligence, s'allie à elle. Il n'existe donc aucune technique d'enseignement, qu'elle soit ésotéri­que ou occulte, permettant de passer du monde de la surface au monde des profondeurs, en dehors du "sacrificium intellectus", du sacrifice de l'intelligen­ce à la conscience. Aucun exercice de concentration, nul exercice de respira­tion car, ce qui est spirituel ne peut être atteint avec des moyens sensoriels ou objectifs ; la spiritualité de l'occident, sa mystique, sa magie et sa gnose ne peuvent résulter que de la communica­tion et de la grâce, de l'Amour mutuel entre Dieu et l'Ame.

L'Arcane XVIII est celui qui laisse pres­sentir le mécanisme magique opérant derrière la surface de l'intelligence et qui annonce l'épanouissement du sens intérieur permettant de voir au-delà des choses de façon entièrement nouvelle. Derrière son imagerie évoquant des sentiments transparaît l'envoûtement du binaire, de la dualité, dont est victi­me et prisonnière l'intelligence subjec­tive humaine et dont celle-ci ne pourra s'affranchir qu'au moyen de l'intuition en se tournant vers la conscience et la connaissance des profondeurs. Les deux éléments de cet envoûtement sclé­rosant sont, d'une part, le doute de l'in­telligence confronté en permanence au choix imposés par la dualité et, d'autre part, la psychologie objective et subjec­tive de l'homme qui réduit son inten­tion à l'intérêt qu'il se porte à lui-même car ce désir d'être important façonne en l'individu des motifs psychologiques cachés conditionnant de manière tota­lement inutile son intelligence. Cette psychologie courante projette la face de l'homme sur le luminaire lunaire et ce n'est jamais que la face humaine qui reviendra par reflet à l'auteur de la pro­jection et rien d'autre. La psychologie contemporaine ne regarde et ne voit que la face humaine et elle contribue ainsi à enfermer l'intelligence dans le bassin d'eau stagnante où végète l'écrevisse-scorpion, et elle constitue un obstacle à la mise en oeuvre du saut magique ouvrant la conscience au monde et à la vie. Car l'écrevisse de l'Arcane XVIII a le scorpion comme prototype, celui dont l'intelligence a préféré le recul pour aboutir à l'absurdité du suicide de la conscience.

En conclusion, l'apparition de l'Arcane lunaire signifie pour le consultant qu'il peut encore choisir entre la voie de la "conscience-aigle" qui s'élève au-dessus des antinomies ou la voie de "l'intelligence-écrevisse" qui recule et mène à l'impasse. Elle nous invite à un exercice spirituel pour écarter les an­tinomies qui inversent le mouvement évolutif et qui sollicitent en permanen­ce l'intelligence pour précipiter l'âme humaine défaillante dans le bassin d'eau stagnante ; elle nous suggère de renforcer le désir conscient d'aller plus loin que l'intelligence et de se décider à faire le saut permettant de sortir de notre milieu sclérosant . L'Arcane XVIII est une mise en garde contre notre pro­pre fonctionnement, et son apparition ne doit jamais être prise à la légère. 

Patrick-Gilbert FRANCOZ Maçon de la Vieille Egypte

Publié dans le Khalam - Bulletin N° 18 - Février 2006

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