GLMFMM | Bulletin : Khalam | 06/2007 |
La
Porte basse La porte symbolise
le lieu de passage entre deux états, entre deux
mondes, entre le connu et l'inconnu, la lumière et les
ténèbres, le trésor et
le dénuement. Mais elle a une valeur dynamique, elle indique
un passage et elle
invite à le franchir, c'est l'invitation au voyage vers un
au-delà qui, dans
l'acception symbolique, passe du domaine profane au domaine
sacré. Janus, dieu
latin de l'initiation aux mystères, détenait les
clés des portes solsticiales,
c'est-à-dire des phases ascendantes du cycle annuel. Il
s'agit respectivement
de la porte des dieux et de la porte des hommes.
La porte ouvre sur
un mystère ... Qu'y a t-il derrière ?
Aujourd'hui, je sais
ce qu'il y a derrière la grande porte du temple
mais, le jour de mon initiation, je l'ignorais. Je sortais du cabinet
de
réflexion qui figure la terre, domaine souterrain
où se développent les germes
et les semences, archétype de la matrice maternelle,
représentation du monde,
lieu de souffrance et d'ignorance où
l'homme est
enchaîné à sa vie toute
matérielle, d'où il n'entrevoit que
l'ombre de la vérité selon Platon. Pour
accéder à la lumière, il faut sortir
de
la caverne, franchir la porte.
La porte basse, dans
le désarroi de l'arrivée à grand
fracas des trois
coups frappés à la grand porte du temple, est
donc la seconde épreuve que subit
le néophyte.
Ce
jour-là, le néophyte, c'était moi...
J'ai entendu : « Baissez-vous,
encore, encore, avancez ». J'étais
pliée en quatre et le bandeau sur les yeux.
Lorsque je me suis relevée, un silence habité,
une odeur d'encens, je me suis
tout de suite sentie dans un autre lieu. Il y avait une
densité qui se
dégageait de l'atmosphère que je n'avais encore
jamais ressentie. C'était le
franchissement du lieu des profanes vers un lieu d'initiés.
J'étais dans un
temple M\..
Le cours de mon
initiation s'est déroulé et j 'ai eu la
lumière, plus de
bandeau sur les yeux. Dès que j'ai pu voir, j'ai
cherché la fameuse issue
étroite et basse... Elle avait disparu. Comme
j'étais troublée et un peu
secouée dans mes fondements, je n'ai pas posé de
question. Ce n'est que plus
tard que j'ai appris et compris que le passage par la porte basse
était tout à
fait symbolique.
Et, ce symbolisme
était à plusieurs degrés :
• La porte basse,
c'était
d'abord montrer combien l'accès à l'initiation
est une démarche difficile. Il
faut aller chercher très bas à
l'intérieur de soi- même pour trouver des
matériaux conducteurs qui donneront la Lumière.
Plus tard, la perpendiculaire du second
surveillant me précisera que cette démarche est
primordiale et se
situe justement pour le néophyte dès
l'entrée du temple.
• La porte basse, c'est
l'écrasement de l'égo qui avant de
retrouver sa verticalité aura subi un bon malaxage
psychologique et n'en sera
que mieux recentré.
• La porte basse, c'est la
sortie de la grotte de la jeune Perséphone ,
épouse du Dieu des Enfers; elle
annonçait le printemps dans la mythologie grecque.
C'est le renouveau
de la nature; symboliquement, c'est pour le M.'. une
renaissance. Mais la lumière à ce sujet n'est
venue que très progressivement au
cours de mes lectures, de l'écoute des frères et
soeurs et surtout par ma
présente observation dans le temple et au cours des tenues.
La
première réponse m'est venue d'une soeur qui,
à la fin d'une
initiation, a dit avec un sourire radieux : «Nous avons
assisté à une belle
naissance, un bel accouchement». Ce soir-là,
après avoir pris la position du
foetus, j'étais donc née; la porte basse,
c'était la sortie du ventre de la mère.
À mon âge, il s'agissait bien sûr d'une
seconde naissance, accession à une vie
nouvelle, une renaissance. J'étais devenue une
initiée, j'avais, une fois
franchie la porte, quitté la vie profane, quitté
l'espace profane pour un lieu
sacré.
J'ai lu quelque part
que, franchir la porte basse, c'était
symboliquement la mort du vieil homme et le regressus ad uterum comme
le
précise Mircéa Eliade, régression qui
débouche sur la lumière : la naissance.
Lorsque je traduisais cela au féminin, ça ne me
plaisaitguère la mortcle la
viei I lefemme, je préférais me voir dans un
couloir muni de grattoirs qui
m'écorçhaient et me laissaient «ni nue
et ni vêtue» avec une peau rose comme un
nouveau- né, car j'étais bien balbutiante avec
mon tablier blanc et mes gants
blancs, et balbutiante est peu dire; j'avais trois ans et je ne savais
ni lire
ni écrire, que devais-je donc faire pour grandir ?
Il me restait
à regarder, à écouter autour de moi et
à l'intérieur de
moi, et à me taire. On m'avait montré un chemin
de lumière niais j'avais tout à
faire.
Lors de mes
premières tenues, j'ai dû installer le temple
aidée par les
plus grands. J'ai appris la place de chaque objet rituel sans encore
savoir
leur valeur symbolique, niais je prenais conscience que le temple
était le lieu
sacré auquel la porte basse donnait accès; je
prenais conscience que ma tâche
d'apprentie n'était pas un travail de valet mais une
participation active à la
rituelie, un chemin vers une nouvelle connaissance. Au bout d'un
certain temps,
le temple m'est devenu familier, j'avais intégré
son économie, j'avais déjà le
ressenti d'un avant et d'un après; petit à petit,
le bébé grandissait. Ce lieu
auquel j'avais accédé accroupie était
devenu mon temple.
Mais, au macrocosme
correspond le microcosme, et je commençais à
construire mon propre temple intérieur.
Cependant, lorsque
je commettais encore des erreurs, mon amour propre
repassait sous la porte basse, mais c'était un puissant
moteur de progrès parce
que lorsqu'on s'abaisse, l'envie de se relever et surtout de mieux
faire
insuffle une énergie considérable, une
poussée vers le haut qui va plus loin
que le geste. Le soir de ma plus jolie maladresse, lorsque j'ai
invoqué le
Grand Architecte de l'univers et, qu'au lieu de nie mettre à
l'ordre, j'ai fait
le salut phalangiste, la porte basse a été bien
douce; j'ai senti une telle
bienveillance de la part de mes soeurs et frères, une si
grande tolérance
envers cette apprentie qui avait beaucoup à apprendre, que
je nie suis sentie
réellement en confiance, que j'ai compris ce que signifiait
un certain serment
que j'avais signé et comment l'appliquer moi-même.
Personne ne nie dirait
quoique ce soit, j'avais un chemin à faire toute seule, je
ne savais pas encore
lire, mais je savais marcher.
Alors, en avant
Fanfan la Tulipe... Prudence, la porte basse était
encore là pour me signifier que les difficultés
et les chaos du chemin
jalonnaient le parcours. Il y a eu tout le travail à faire
pour pénétrer la
pensée maçonnique, oublier tout ce que j'avais
jusqu'alors appris pour le repenser
sous un jour nouveau, mettre plus de ressenti que de
rationalité, plus de vécu
que de connaissance livresque dans mes acquis. La porte basse faisait
encore
son effet que je dirais bienfaisant, un peu comme si je faisais les
cuivres
dans ma tête; j'allais vers la lumière, mais
où était cette lumière ?
La bougie verte du
Naos en symbolisait la quintessence, niais saisir le
symbole n'est pas forcément appréhender au fond
de soi-même le sens profond de
la chose matériellement représentée.
Il faut aller plus loin. Je m'étais bien
baissée sous la porte basse, mais le rebond devait
être très énergique pour
devenir bénéfique, et il m'en a
coûté bien des efforts.
Je me posais souvent
une question : Je me suis baissée pour mieux
accéder à la lumière.
La
lumière ?
C'est la chose la
plus difficile à cerner parce qu'elle n'est pas
connaissance pure, rien à voir avec la froide
rationalité; elle n'est pas non
plus livresque, c'est une chose impalpable et pourtant
présente, une grâce de
l'esprit, une large compréhension, un doux sourire qui admet
tout, même les
maladresses. Je la captais, un peu, dans le rayonnement des
Maçons, dans
l'éclairage du Naos, mais ce n'était pas
seulement ce que je cherchais.
Le moment qui m'a
mise sur la voie, c'est lorsque, avec tous les frères
et les soeurs, je formais la chaîne d'union. En ces
moments-là, j'ai compris
que la plus lumineuse des pensées venait du coeur de la
chaîne, dans la chaleur
des paumes unies, dans le rayonnement vers les autres,
présents ou absents,
proches ou lointains, pour leur
apporter
réconfort et paix, compassion au sens premier du terme, et
présence. Donner de l'amour. Essayer d'envoyer au monde un
peu de paix. Une
lumière intérieure qui, peu à peu,
s'infiltre et donne à l'initié son
rayonnement. Matériellement, ce rayonnement se traduit dans
les oeuvres d'art
par une auréole, des cornes pour le Moïse de
Michel-Ange, un nimbe; c'est
l'homme unifié, achevé par le haut ( attention,
je ne veux pas dire par là que
tout les M\ accomplis
ressemblent à des vers luisants ). Simplement, à
la fin
de chaque tenue, chacun de nous emporte avec soi un brin de
l'égrégore dégagé.
C'est un peu là notre secret .
A partir de ce
moment, j'ai commencé à épeler, non
pas le mot du rituel
qui sert à se reconnaître entre M, mais un autre
qui, si j'en donne la
première lettre, toutes les autres vont suivre avec
facilité: F.R.A.T.E.R N I.T.E.
Mais
voilà que la porte basse me laminait une fois encore, avec
tout ce
que ce mot fraternité banalisé par la devise
nationale pouvait comporter de difficile
si on veut bien le mettre en pratique effectivement. Je me voyais dans
la
position d'un artichaut: on enlève toutes les feuilles, la
barbe, et on arrive
au coeur. Que représente une feuille :
égoïsme, confort intellectuel,
étroitesse d'esprit, mesquinerie, idées toutes
faites, jugement rapide,
préjugés, petites vanités,
rugosité des rapports humains, etc... Apprentie,
quel travail sur toi d'introspection, comme le bijou du second
surveillant
l'indique, il te reste à faire ! Mais tu as appris
à installer les joyaux de la
L\, et il te reste
à bien savoir t'en servir. La porte était basse,
niais
puisqu'elle est franchie, il faut oeuvrer; ne reste-t-on pas apprentie
toute sa
vie ?
La porte basse m'a
ouvert un chemin large et lumineux, pas toujours facile
comme le parcours initiatique me l'a montré, mais tellement
exaltant qu'il
valait la peine de bien se baisser pour la franchir.
J'ai dit, V\M\
Pauline ROMITI
R\L\ " L'Étoile d'Égypte" - Orient de Marseille |
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