GLMFMM Bulletin : Khalam 10/2007

La Boisson de l’Oubli

J'ai choisi de vous parler ce soir de la boisson d'oubli. En effet, on nous parle de la boisson d'oubli dans le rituel d'initiation du ter degré symbolique. Cette boisson est proposée au néophyte tout de suite après son entrée dans Le Tem­ple, une fois son premier serment fait. Ce détail me semble souligner l'importance de cette boisson d'oubli. En effet, ce qui débute une cérémonie est immanquable­ment un symbole fort qui est placé là pour marquer l'esprit du néophyte. Et pourtant, de cette boisson d'oubli, je n'entendrais plus parler ailleurs clans le rituel et cu­rieusement tous les livres sur les symbo­les que j'ai pu consulter ne m'ont donné aucune information ou piste.

Il me fallait alors, tout comme me l'avait conseillé un frère bienveillant, partir du rituel et essayer de puiser en lui pour ré­pondre aux trois questions que soulève la boisson d'oubli, à savoir :
• oublier quoi ?
• pourquoi ?
• comment ?

I) OUBLIER QUOI ?

Le rituel nous dit « Ce breuvage a pour but de vous dépersonnaliser ». Se dépersonnaliser, c'est pour moi s'oublier, perdre son « soi » et ses illusions. La plus grande illusion de l'Homme est sa suffi­sance sans frein en lui, en ses connais­sances, ses croyances, ses préjugés, ses certitudes, ses jugements, sa maîtrise de lui, des autres, du ciel, des éléments, des planètes. Illusions cependant tenaces et qui font vivre la plupart des êtres sur no­tre planète, mais d'autant plus absurdes lorsque l'on croit en des «lois naturelles» auxquelles nous ne pouvons échapper.

Se dépersonnaliser, c'est ne plus vouloir consacrer consciemment autant de temps et d'énergie à satisfaire ses fu­tilités de l'ego. Même s'il s'agit d'un égo bien structuré, parfaitement adapté à la vie mondaine, son règne est d'une tyran­nie insupportable pour notre «Etre» pri­sonnier de nos identifications.

Se dépersonnaliser, c'est aussi oublier le modèle qui est constitué par la somme de nos expériences passées. En quelque sorte, on apprend l'humilité qui permet de s'ouvrir à de nouvelles expé­riences. Et même lorsque l'on en arrive à cette étape, il faut bien comprendre que cette nouvelle expérience n'est pas une fin en soi, elle n'est qu'une expérience parmi tant d'autres et l'ego ne doit pas s'enorgueillir. La connaissance de soi est le début de la sapience. L'enter, ce n'est pas les autres. L'enfer, c'est l'enfermement dans le monde mental. Pour en sortir, il faut parcourir le labyrinthe du mental pour atteindre le centre usurpé par l'égo afin d'y trouver Le réel. On rie cherche pas à bâtir des paradis dans l'au-delà, on ne propose pas une spiritualité d'évasion pour tenter d'oublier le bas monde qui s'agite dans les têtes. La tradition nous convie à devenir ce que nous sommes, le Réel, en prenant conscience que nous sommes la Réalité.

II) OUBLIER : POURQUOI ET COM­MENT ?

Une des caractéristiques de l'ego, c'est la séparation. L'ego immature sépare en «j'aime, je n'aime pas», «c'est bon, ce n'est pas bon». La problématique est que, de par sa vision dualiste, l'ego a une vision au mieux restreinte, au pire fantasmagorique de la réalité. Si le néo­phyte est dans une démarche d'apprentis­sage, on sait que ce qui va le retarder sera ses mauvaises conceptions. On sait qu'il ne faut pas rajouter, niais tout labourer.

Dans notre rituel, l'oubli nous est proposé. Dans d'autres traditions, connaître les secrets de notre corporéité, devenir conscient et extrêmement vivant en notre chair et nos fonctionnements, pour ensuite les transcender dans une mort symbolique sera la voie proposée.

Toutes !es voies méritent le res­pect mais l'on peut noter une certaine cohérence entre elles l'ego est la pre­mière barrière pour l'initié.

Si donc, un des objectifs de la boisson d'oubli est de nous faire prendre conscience que nous devons dépasser notre ego, vers quoi cela nous mène t’­il?

Ce nouvel état peut à mon sens nous mener vers la paix intérieure ou vers le silence intérieur, cet état où les tumultes ne sont plus, où disparaît l'angoisse existentielle, la peur de la mort , c'est-à-dire de la dissolution du corps mental egocentré. C'est un état où l'on peut alors commencer à pren­dre contact avec notre Être intérieur. Notre pèlerinage part du profane pour aller vers le sacré et trouver cette part de Divin en nous, car je pense sincère­ment que nous sommes tous une partie du Divin.

Il ne peut y avoir une zone profane délimitée et une zone sacrée. Les deux se retrouvent dans la nature même de l'Homme.

Ce qui est recherché, c'est la mort de notre attention à notre être-là de mammifère pour être attentif à l'être- là de l'Être profond. Et ce n'est pas un hasard s'il nous est dit dans le rituel : «Vous ne serez plus alors, selon l'anti­que et très occulte formule, que pareil au cadavre que la main du laveur de morts tourne et retourne à son gré». Il s'agit bien là d'une mort symbolique.

Quant aux moyens proposés pour y parvenir; j'en vois deux.

,,Ce breuvage, véritable phil­tre, est composé de plantes cueillies à certaines époques lunaires, travaillées et infusées à certaines autres et finale­ment consacrées selon des rites ances­traux». En me penchant sur la médecine hermétique des plantes, j'ai appris que le mot hermétique qui dérive d'Hermès signifie réellement fermé ou invisible, mais fermé ou invisible aux hommes impurs ou aveugles.

Tous les corps sont faits de matière et d'esprit. La matière est pas­sive et inerte, tandis que l'esprit est le principe vital actif empreint de l'Idée Divine qui est cause d'évolution. Il est clair que la vertu des mixtes iou pré- parafions) est dans l'esprit et que cet esprit est beaucoup plus actif lorsqu'il est délivré de sa prison corporelle.

Tout le côté physique de l'art spagyrique est clans cette séparation ou extraction. Pour obtenir cet esprit en puissance de son maximum de vertu, il le faut exalté; pour l'exalter il le faut mûrir (évoluer) et pour mûrir il faut corrompre le corps à la façon dont le grain se putréfie dans la terre avant que de pouvoir germer. Or cette évo­lution n'est autre que l'évolution de la matière. Tout l'art spagyrique consiste à provoquer l'évolution de la matière pour la purifier et l'exalter.

La boisson d'oubli dans notre rituel, à mon sens, permet cette évo­lution de la matière pour la purifier et l'exalter. Je dirais qu'elle représente le moyen «physique» qui est mis à la dis­position du néophyte.

Le deuxième moyen proposé me semble être l'égrégore. En effet, dans le rituel il nous est dit : «lentement mais sûrement, l'égrégore qui anime et qui conduit notre antique société vous imprégnera et substituera sa volonté à la votre et au prochain anniversaire de votre réception il ne restera plus rien de la femme ou de l'homme que vous êtes actuellement».

En relisant cette phrase, je me suis interrogée sur le sens du mot égré­gore. L'égrégore est une entité « cosmi­que » collective créée clans l'astral par une communion de pensées. C'est donc un «être» qui rie peut agir que s'il est «nourri» psychiquement par celui qui l'a créé. Sa puissance sera fonction du nombre et de l'intensité psychique de tous ses créateurs.

S'il en est ainsi, il est clair que l'égrégore est un moyen visant à la dé­personnalisation de l'individu. Chaque personne présente alimentant l'égré­gare et aidant son prochain à atteindre son but.

Pour conclure, je voudrais revenir sur une interrogation posée en introduction; pourquoi après avoir bu la boisson d'oubli n'en entendons nous plus parler ? Je pense que c'est précisé­ment pour que la dissolution lente de. la personnalité puisse s'effectuer qu'il faut oublier la boisson d'oubli et ses ef­fets.

Je vous invite donc tous à oublier tout ce que je viens de vous dire pour ne plus nous axer que sur le chemin ouvert pour nous et à partager l'Amour donné et reçu de notre quête.

J 'ai dit, V\ M\.

Solange MASOERO
Maître de la R\L\ SOTHIS Orient de Nîmes

Publié dans le Khalam - Bulletin N° 23 - Octobre 2007

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