GLMFMM Bulletin : Khalam 02/2009

Le RAPMM  et la laïcité Laïcité
Fondements juridiques



Tenue blanche ouverte organisée le samedi 18 octobre 2008 au temple de Saint-Jean du Désert
à l’Orient de Marseille à l’initiative de la Grande Loge Mixte Française de l’Ordre International
du Rite Ancien et Primitif de Memphis-Misraïm

Les frères et sœurs de la Voie Mixte Française du Rite et des obédiences amies ainsi que leurs nombreux invités ont pris place dans le temple selon les usages. Les travaux de Tenue Blanche Ouverte sont activés par le T\R\G\M\ Patricia MONDINI assistée des Grands Officiers de l’Obédience selon le rituel spécifique.
Ont pris place à l’Orient aux côtés du Grand Maître de l’Obédience :
Le respectable frère Jean-Pierre FIRMIN, Grand Maître adjoint, conférencier, le respec­table frère Paul GUGLIELMI, Grand Orateur, conférencier, ainsi que le T\S\ F\ Patrick- Gilbert FRANCOZ, Passé Grand Maître Général du Rite, conférencier, et la T\S\S\ Sabine DOUMENS Président du Souverain Sanctuaire Mixte.
Le T\R\G\M\ remercie l’assistance de sa présence, rappelle les règles de prise de parole et précise que les planches de confé­renciers seront publiées dans le bulletin KHA­LAM de l’Obédience.
La T\S\S\ Sabine DOUMENS intro­duit rapidement la conférence proposée ce jour, puis elle laisse la parole au premier des conférenciers le frère Jean-Pierre FIRMIN :

1) Laïcité : fondements juridiques
« Mesdames et Messieurs, mes chers sœurs et frères, quelques mots, tout d’abord, pour vous présenter cette intervention.
Celle-ci a pour objet d’exposer, dans un premier temps, la façon dont s’est historique­ment constituée la laïcité dite « à la française » qui trouve ses fondements à la fois dans le droit écrit et dans la jurisprudence.
Dans un second temps, j’essaierai de montrer que s’il n’existe pas de définition du concept de laïcité stricto sensu, celle-ci doit, à tout le moins, se décliner en trois principes : ceux de neutralité de l’État, de liberté reli­gieuse et de respect du pluralisme.
Je vous prie de m’excuser par avance de l’aridité du propos découlant de son caractère historique et juridique.

Le principe de laïcité de la République est affirmé par notre Constitution du 4 octobre 1958.
Aux termes de son article 2e: « La France est une République indivisible, laïque, démo­cratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’ori­gine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ».
Le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel le Préambule de la Constitution de 1958 renvoie, dispose que : « La nation garantit l’égal accès de l’enfant à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État ».

Quant à l’article 10 de la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen, il proclame : « Nul ne doit être inquiété pour des opinions, mêmes religieuses, pourvu que leur manifes­tation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ».
Ce principe de laïcité de l’État, qui fut affirmé avec force sous la IIIe République, est donc issu de la philosophie des lumières et de la période révolutionnaire.
Les républicains ont souhaité émanciper l’État de la tutelle de l’Église catholique.

L’indépendance de l’État, la coupure entre le spirituel et le temporel devaient permettre d’assurer et de garantir à tous, sans discrimi­nation, les libertés de conscience et d’opinion. Les futurs citoyens devaient être formés, indé­pendamment de toute pression ou tutelle, afin de mieux jouir de leur liberté et de faire leur choix en êtres libres.
Ainsi, selon la volonté des révolution­naires, les discriminations d’origine religieuse doivent disparaître.

C’est ainsi qu’en décembre 1789, les pro­testants peuvent être électeurs et éligibles et sont admis à tous les emplois. En septembre 1791, la Constituante donne le statut de citoyen aux juifs.
L’état civil séculier est institué dès 1792, introduisant une distinction inconnue jusque-là entre religion et société pour les événements qui rythment la vie : la naissance, le mariage, la mort. La législation civile doit devenir la norme. Ces mesures, et plus généralement l’établissement de la liberté de conscience et de culte, constituent d’une certaine façon la « matrice » de la conception libérale de la laï­cité.

La laïcité a donc été conçue et est une obligation pour l’État et le service public afin de mieux garantir les libertés de tous, dont la liberté religieuse, elle aussi constitutionnelle­ment consacrée.
Son corollaire, la neutralité, s’impose comme obligation au service public et à ses agents, pour la plus grande liberté des usa­gers.
À l’origine, ce principe n’a donc pas été conçu et mis en œuvre avec la même finalité selon qu’il s’agit d’agents publics ou d’usa­gers. Les obligations des premiers devaient asseoir la liberté des seconds.

L’enseignement a été le premier lieu d’af­firmation de la laïcité. La volonté de couper le cordon ombilical avec l’Église catholique s’est manifestée dès la loi du 27 février 1880 modi­fiant la composition du conseil supérieur de l’instruction et des conseils académiques, et du 18 mars 1880 réservant à l’État la collation des grades universitaires et refusant le titre d’université aux établissements d’enseigne­ment supérieur catholique.

La loi du 28 mars 1882 a fixé les pro­grammes dans l’enseignement primaire (« lec­ture et écriture » [ ... ] « les exercices militaires » pour les garçons et les « travaux à l’aiguille » pour les filles), et surtout assuré la neutralité religieuse : « l’instruction morale civique » a été substituée à la « morale reli­gieuse » et les dispositions de la loi du 15 mars 1850, votées par la majorité de « l’ordre moral », donnant aux ministres des cultes un droit d’inspection, de surveillance et de direc­tion dans les écoles primaires publiques et pri­vées ont été abrogées.

Quant à la loi Goblet du 30 octobre 1886, elle laïcise le personnel des écoles publiques d’enseignement primaire. Jules Ferry indiquait alors : « Le premier devoir du législateur qui institue l’école neutre, notre devoir à tous, le devoir du ministre et du gouvernement qui feront appliquer cette loi, sera d’assurer de la manière la plus scrupuleuse et la plus sévère la neutralité de l’école [ ... ]. Si par conséquent un instituteur public s’oubliait assez pour insti­tuer dans son école un enseignement hostile, outrageant pour les croyances religieuses de n’importe qui, il serait aussi sévèrement et aussi rapidement réprimé que s’il avait com­mis cet autre méfait de battre les élèves ou de se livrer contre leurs personnes à des sévices coupables ».

Dans sa circulaire aux instituteurs du 17 novembre 1883, il indiquait : « [ ... ] parlez donc à un enfant comme vous voudriez que l’on parlât au vôtre avec force et autorité, toutes les fois qu’il s’agit d’une vérité incontestée, d’un précepte de la morale commune ; avec la plus grande réserve dès lors que vous risquez d’effleurer un sentiment religieux dont vous n’êtes pas juge... ».

L’instruction du 9 avril 1903 sur la neutra­lité de l’école rappelait que la politique constante des républicains était « d’assurer la neutralité de l’école, de la dégager des liens confessionnels qui ont pendant des siècles pesé sur elle, de séparer nettement le domaine de l’Église et celui de l’enseignement de l’État ». Mais la même instruction indiquait que « l’État a le devoir d’assurer à la fois le libre exercice de la religion des enfants qui lui sont confiés et le respect absolu de la liberté de conscience du maître. Agir autrement serait violer la neutralité qui est son principe ».

Enfin, la loi du 9 décembre 1905 a assuré la séparation des Églises et de l’État.
Son article premier dispose que : « La république assure la liberté de conscience. Ele garantit le libre exercice du culte sous les seules restrictions édictées ci-après et dans l’intérêt de l’ordre public », tandis que son arti­cle 2 prévoit que : « La République ne recon­naît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l’État, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l’exercice des cultes ».

La valeur constitutionnelle de ce principe est constamment réaffirmée par la juridiction administrative et il a été jugé qu’il n’est pas contraire à l’article 9 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales.
La jurisprudence du juge, notamment du juge administratif, a fait une stricte application des principes indiqués.

C’est ainsi que la neutralité de l’État et la laïcité de l’enseignement doivent être étroite­ment respectées par l’administration (légalité de la suppression des emblèmes religieux dans les établissements scolaires : C.E., 30 avril 1909, commune de Ste Mémie, au Lebon page 432 ; nécessité d’une neutralité des manuels scolaires : 20 janvier 1911, Sieur Porteret, au Lebon page 68), ainsi que des enseignants sans toutefois que leurs convic­tions personnelles puissent être remises en cause dès lors qu’elles n’interfèrent pas avec le service public (28 avril 1938, Delle Weiss, au Lebon page 379).

Il résulte donc de ce bref rappel historique qu’il n’existe, en réalité, pas de définition de la laïcité, concept qui n’est pas univoque. Celle- ci s’est construite en France par apports suc­cessifs, on pourrait dire, pierre à pierre, la jurisprudence, notamment administrative, constituant son liant.
Est-il alors possible d’en donner une défi­nition ?

Pour Ernest Renan, dans sa réponse au discours de réception de Louis Pasteur à l’Académie française du 27 avril 1882, c’est « l’État neutre entre les religions, tolérant pour tous les cultes et forçant l’Église à lui obéir sur ce point capital ». Pour René Capitant, une « conception politique impliquant la séparation de la société civile et de la société religieuse, l’État n’exerçant aucun pouvoir religieux et les Églises aucun pouvoir politique ».
Le terme de laïcité serait intraduisible dans d’autres langues, hors les langues latines, et c’est peut-être pourquoi la laïcité est souvent présentée comme « une exception française ».

Si exception il y a, elle ne peut être que relative, la vraie question étant celle, si l’on se compare avec le reste du monde, de savoir comment, dans chaque État, sont reconnues et assurées la liberté de conscience et la liberté de religion, ce qui suppose, bien sûr, que les rapports entre les Églises et l’État soient organisés d’une manière garantissant l’exercice de ces libertés.
Au sens large, la laïcité renvoie notam­ment à une perte d’emprise de la religion sur la société.
Synonyme de sécularisation, ce proces­sus s’est progressivement accompli, de façon plus ou moins achevée, dans toutes les démo­craties occidentales. Cela conduit à ce qui constitue le second sens, plus étroit, mais aussi plus « français », de la laïcité, la trans­formation, souvent conflictuelle, des rapports entre Églises et État.

Laïcité signifie dans ce contexte le refus de l’assujettissement du politique au religieux, ou réciproquement, sans être forcément syno­nyme d’étanchéité totale de l’un et de l’autre. Elle implique nécessairement la reconnais­sance du pluralisme religieux et la neutralité de l’État vis-à-vis des Églises.

Pour les pères fondateurs de la loi de 1905, puis de celle de 1907 sur les cultes, la laïcité n’est pas le refoulement des religions ou de leurs manifestations de l’espace public vers la sphère privée. C’est le refus de l’acca­parement de l’État et de la société par les reli­gions et, inversement, de la mainmise de l’État sur celles-ci.

Dans l’interprétation libérale de la loi, le juge administratif a su jouer un rôle conforme aux vœux du législateur.

Selon Jean Barthélemy, on a pu voir dans la fonction de régulation exercée par le Conseil d’État dès le lendemain de la promul­gation de la loi de 1905, une « véritable construction par la Haute Assemblée des fon­dements de la laïcité » (Le Conseil d’État et la construction des fondements de la laïcité, La Revue administrative, 1999).
S’il ne pouvait que tenir compte de la rup­ture entre l’État et les Églises consacrée par la loi de 1905 et en tirer les conséquences, le Conseil d’État l’a fait dans l’esprit le plus libé­ral, « imposant de la sorte une conception ouverte de la laïcité » (déjà cité).
Il s’est ainsi attaché à assurer une applica­tion libérale du texte de séparation, en veillant à la mise en œuvre du principe de libre exer­cice des cultes, sous réserve des restrictions exigées par l’ordre public, ainsi qu’au respect des règles d’organisation de ces nant ainsi les contours d’une véritable « laïcité d’intégration », conforme aux vœux des pères fondateurs, par opposition à la « laïcité d’ex­clusion » prônée par les tenants du « laï­cisme ».

Le Conseil d’État a ainsi, tant par son acti­vité contentieuse que par ses avis rendus à la demande du gouvernement, façonné les contours de la laïcité par l’affirmation de la liberté de conscience et, par là, de la liberté religieuse.
La richesse du concept de laïcité est source d’interprétations très diverses et par­fois excessives. Pour les uns, la laïcité est synonyme d’éviction du religieux, et même plus largement du spirituel, et conduit à leur négation, sauf à laisser place à une religiosité de substitution, celle du groupe d’apparte­nance.

D’autres concluent à l’existence, entre croyants et non croyants, d’un tronc commun de convictions humanistes auxquelles tous adhéreraient, ou devraient adhérer. D’autres encore font de la laïcité une sorte de corpus philosophique singulier, le cas échéant concurrent des corpus religieux ou d’autres corpus philosophiques.
Enfin, pour ceux qui, comme Jaurès, voient seulement dans la laïcité la disqualifica­tion de « l’infaillibilité d’Église ou d’État », et la « fin des réprouvés », souscrire à celle-ci revient à admettre que l’homme peut apparte­nir à la société civile et adhérer à un monde religieux ou spirituel, sans qu’on puisse le contraindre à renier l’une ou l’autre de ses allégeances, ni lui imposer le respect de croyances qu’il ne partage pas, ou l’abjuration des croyances qui l’animent.

En réalité, la laïcité française doit, à tout le moins, se décliner en trois principes : ceux de neutralité de l’État, de liberté religieuse et de respect du pluralisme.

Laïcité et neutralité :
La loi Ferry du 28 mars 1882 sur la gra­tuité et l’obligation de l’enseignement, la loi Goblet du 30 octobre 1886 qui laïcise le per­sonnel enseignant des écoles publiques de l’enseignement primaire sont regardées comme instituant la laïcité dans l’enseigne­ment public.
Avec la loi de 1905, sont consacrées, d’une part, la neutralité de l’État face aux reli­gions, d’autre part la garantie par la loi de la liberté de conscience et d’opinion.
Le principe de laïcité impose des obliga­tions au service public : la neutralité à l’égard de toutes les opinions ou croyances, corollaire de l’égalité de traitement de l’usager du ser­vice public.
Selon Matthias Guyomar et Pierre Collin, dans leur « Chronique générale de jurispru­dence administrative française », parue à l’Actualité Juridique Droit Administratif du 20 juillet et 20 août 2000 : « Cesserait d’être neu­tre voire impartial l’État qui pourrait laisser à penser aux usagers du service public qu’il éta­blit des distinctions, voire des préférences, selon les opinions religieuses ».

Si l’exercice de la liberté de conscience trouve naturellement ses limites dans les
jurisprudence s’oppose à une conception maximaliste de la neutralité.
Ainsi que l’écrivait Jean Rivero « la neutra­lité est la loi commune de tous les agents publics dans l’exécution de leur service ; tous sont tenus par la même obligation de principe ; si les modalités d’application sont nécessaire­ment variables selon les fonctions qu’ils exer­cent, tous peuvent se prévaloir des mêmes droits lorsqu’il s’agit de tracer la limite de leur obligation ».
Le principe d’égal accès à la fonction publique constitue une première illustration du principe de neutralité du service public. La décision d’Assemblée du Conseil d’Etat, Barel, du 28 mai 1954, confirme avec force le principe d’égal accès à la fonction publique : le ministre, lorsqu’il arrête la liste des candidats admis à concourir, ne peut, sans violer ce prin­cipe, écarter un candidat en se fondant exclu­sivement sur ses opinions. S’il s’agissait, au cas d’espèce, d’opinions politiques, le raison­nement serait sans nul doute le même si des opinions religieuses étaient en cause.

Par le célèbre arrêt Bouteyre du 10 mai 1912, le Conseil d’État a étendu au secondaire l’interdiction faite aux clercs, par l’article 17 de la loi du 30 octobre 1886, d’enseigner dans le primaire.
Pour sa part, le Conseil constitutionnel qualifie de « principes fondamentaux du ser­vice public » le principe d’égalité et son corol­laire, le principe de neutralité du service (Décision n° 86-217 DC du 18 septembre 1986). La neutralité des services fait partie des principes constitutionnels régissant le service public (Décision n° 96-380 DC du 23 juillet 1996).

Laïcité et liberté religieuse :
Conséquence logique de l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 qui consacre la liberté d’opinion, même religieuse, et des deux pre­miers articles de la loi de 1905, la laïcité ne se résume pas à la neutralité de l’État, ni à la tolé­rance. Elle ne peut ignorer le fait religieux et implique l’égalité entre tous les cultes.
Indissociable de la liberté de conscience et de la liberté religieuse, la laïcité doit permet­tre la diversité religieuse de la société, ce qui inclut la possibilité pour les différentes sensibi­lités religieuses de cohabiter dans l’espace public, pour autant que ne se posent pas de problèmes d’ordre public.

La loi de 1905 a supprimé le service public des cultes, mais la religion n’est pas une affaire purement privée : l’exercice du culte peut être public et les manifestations reli­gieuses en dehors des lieux de culte peuvent intervenir, sous réserve de l’ordre public.

La liberté religieuse suppose la liberté pour chacun d’exprimer sa religion, celle de la pratiquer et celle de l’abandonner. La liberté de religion est un des éléments de la liberté de conscience, principe fondamental reconnu par les lois de la République selon le Conseil constitutionnel (Décision n° 77-87 DC du 23 novembre 1977, rec. p. 42).
De façon générale, dans la ligne de sa jurisprudence Benjamin, posée le 19 mai 1933 par le Conseil d’Etat, le juge administratif s’ef­force de concilier les nécessités de l’ordre public et l’exercice des libertés fondamen­tales, seules des circonstances exceptionnel­lement graves permettant de restreindre l’exercice de ces libertés.
Le juge, qui exerce un contrôle très étroit sur les mesures de police prises, s’attache à vérifier que celles-ci sont proportionnées à l’objectif à atteindre, qui est la sauvegarde de l’ordre public, démonstration devant être faîte par l’Administration que celui-ci ne pouvait être préservé par des mesures moins contrai­gnantes. La jurisprudence relative à la police des cultes, et notamment celle sur les mani­festations religieuses sur la voie publique, qui cherche à concilier liberté religieuse et exi­gences de l’ordre public, s’inscrit dans ce cadre.

Laïcité et pluralisme :
Si l’État ne reconnaît aucune religion, il ne doit en méconnaître aucune, et il reconnaît le fait religieux.
Avec la loi de 1905, le principe est désor­mais celui de l’absence de distinction entre les anciens cultes reconnus et les autres. L’État, garant de la liberté religieuse, doit à ce titre protéger les cultes minoritaires contre les dis­criminations.

Parmi les acquis de la laïcité, figurent l’af­firmation que toutes les religions ont droit à l’expression et, contrepartie de la précédente, celle qu’il ne doit pas y avoir, par une ou plu­sieurs d’entre elles, accaparement de l’État ou négation des principes fondamentaux sur les­quels il repose.

Pour Jean Carbonnier, dans sa note sous Cour d’Appel de Nîmes du 10 juin 1967, parue au recueil Dalloz Sirey de 1969, p. 366, « Notre droit public des cultes, dans la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État, ne distingue pas entre les religions suivant leur importance, leur ancien­neté, leur contenu de dogmes ou d’obser­vances. Pas davantage notre droit privé du fait religieux n’a à distinguer entre eles : il doit enregistrer la présence d’une religion dès qu’il constate qu’à l’élément subjectif qu’est la foi se réunit l’élément objectif d’une communauté, si petite soit-elle. Formuler des distinguos reviendrait à instaurer parmi nous – quoique avec d’autres conséquences – la hiérarchie du XIXe siècle entre cultes reconnus et non recon­nus... Cette égalité d’honneurs, toutefois, doit avoir sa contrepartie dans une égale soumis­sion au droit commun ».

Dans son ouvrage « Les Libertés Publiques », paru aux Presses Universitaires de France en 2003, Jean Rivero insistait sur le double aspect du principe de laïcité : un aspect négatif, car si, « en affirmant que la République ne reconnaît aucun culte, la loi n’a pas entendu dire que la République se refusait à en connaître l’existence » mais « fait dispa­raître la catégorie juridique des cultes recon­nus... l’État laïque est celui qui se situe en dehors de toute obédience religieuse » ; un aspect positif, car « laïque, l’État assure (la liberté de conscience), c’est-à-dire la liberté personnelle de croire ou de ne pas croire » et «se reconnaît l’obligation de rendre possible l’exercice des cultes ».

Outre la loi de 1905, l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 impliquent le respect de la liberté de conscience.

Neutre et laïc, l’État ne saurait pratiquer la moindre discrimination à l’égard de tel ou tel mouvement religieux dans la mesure où cha­cun respecte, dans sa manifestation sociale, les prescriptions étatiques de l’ordre public.

Là encore, le rôle de la jurisprudence est essentiel, afin de censurer toute attitude discri­minatoire fondée sur les croyances auxquelles un individu adhère ou est supposé adhérer.
Il revient donc, tant aux juridictions admi­nistratives, comme le montre la jurisprudence évoquée précédemment, qu’aux tribunaux de l’ordre judiciaire, d’y veiller.
La laïcité française, inséparable du contexte historique dans lequel elle est née, n’est pas statique. Elle a su s’adapter pour que soit assurée l’application des règles régis­sant les rapports entre les individus et les groupes, valables pour tous, tout en permet­tant la reconnaissance mutuelle et l’expres­sion des diversités d’opinions.
Mais la question de la laïcité a toujours revêtu, en France, un caractère sensible, et les débats actuels en sont une nouvelle illus­tration.

Le regard porté sur cette question est aujourd’hui nourri, mais aussi brouillé, par celle, plus large, de l’intégration et des dan­gers à cet égard du communautarisme.
Le paysage français des croyances est plus diversifié, les religions sont, aujourd’hui, plus nombreuses et plus visibles qu’en 1905.
Cette évolution n’en rend que plus néces­saire la préservation des principes fondateurs de la laïcité française, neutralité du service public, pluralisme et liberté de croyance et de conviction, dans le respect des nécessités de l’ordre public.
La nécessité se fait jour d’une réaffirma­tion du respect de ces principes qui ne sau­raient être transgressés.
Jean-Pierre FIRMIN Grand Maître adjoint de l’Obédience
Même si des évolutions s’avèrent néces­saires, afin de répondre aux transformations les plus récentes du paysage religieux fran­çais, celles-ci devraient s’appuyer sur le socle juridique sur lequel s’est construite la laïcité à la française et qui en fonde la singularité et la vertu.
Encore convient-il de distinguer, d’un côté, entre communautarisme et religion, de l’autre, entre intégration et condamnation sans discer­nement des pratiques religieuses.
Au-delà du cadre juridique, le dialogue et la pédagogie sont essentiels pour lutter contre les tensions et incompréhensions actuelles.

Jean-Pierre FIRMIN Grand Maître adjoint de l’Obédience

Sources :
Les religions et l’égalité en droit français, Chron. Pierre-Henri Prélot.
Le débat sur la laïcité et la loi, Chron. Florence Bussy.
Enseignement public – Laïcité et liberté religieuse, Chron. C. Maugüé et R. Swartz.
La laïcité réaffirmée : la loi du 15 mars 2004, Chron. Jamil Sayah.
Ce que nous voile le voile, R. Debray. Jean-Pierre FIRMIN Grand Maître adjoint de l’Obédience
Réflexions sur la laïcité, Rapport public du Conseil d’État 2004.
Publié dans le Khalam - Bulletin N° 27 - Février 2009

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