GLMFMM Bulletin : Khalam 02/2010

Science et Gnose

« Le sage est celui qui cherche,
non pour enfermer la monde
dans la prison des concepts,
mais pour redécouvrir
le foisonnement universel
de la vie, pour ne faire qu'un
avec cette puissance créatrice
et devenir créateur lui-mémo. »
Giordano Bruno

Au commencement était la tradition partagée par les peuples nomades, chasseurs, pêcheurs puis pasteurs qui se déplaçaient librement par toute la terre, avec en commun une vision unitaire du monde qui, loin de se limiter à sa partie visi­ble, s'étendait infiniment au-delà en un Tout Unique et Ineffable.

L'école pythagoricienne pose toute la problématique "La lumière du soleil est une, bien qu'elle se disperse sur une mul­titude d'objets. De même qu’il n’y a qu'une matière, même si elle parait se diviser en choses séparées, une seule âme même si elle se répartit entre des mil­lions d'êtres et une seule intelli­gence même si elle semble se partager.

Pour avoir déconnecté la science de son environnement causal, philosophique et intuitif, la cantonnant au monde dit "visible" sans l'inscrire dans le processus générai de la créa­tion Une selon lequel le "visible" n'est jamais que la manifesta­tion naturelle de ce qui ne l'est pas, les hommes se sont abu­sés. Et ont qualifié de non natu­rel tout ce qui n'entrait pas dans la champ de la caution rationno­scientifique, favorisant un ter­rain propice à la superstition, aux interdits et à la religion de la crainte à propos de laquelle d'ailleurs Albert Einstein dénon­çait la caste sacerdotale qui prétend se poser en médiatrice entre les hommes et l'être qu'ils craignent, parvenant ainsi à une situation dominante (1).

Mais ceux qui portaient le flambeau de l'Unité de toute Vie, pour qui somme toute, c'est ta éniéme Intelligence qui est â l'œuvre dans tout l'univers" (voir les 3 questions du testament philosophique proposés aux candidats) en des manifesta­tions diverses, certes, mais per­ceptibles à travers une évolution générale de conscience - objet d'ailleurs de la méthode initia­tique -, savaient que ce scien­tisme enchaînait les hommes au plan horizontal de leur exis­tence, niait la profondeur de l'être et mettait obstacle à toute démarche verticale avec d'au­tres niveaux d'existence. Qu'est- ce qui est bien et bon pour l'homme ? Ils ne se sont pas payés de mots, ont noté que le "progrès" du monde n'était pas toujours celui de l'esprit mais souvent celui des "artifices de l'intelligence" qui, dans l'embal­lement de son accélération ces derniers siècles, amènent les hommes et les femmes vers l'impasse d'une société de logique utilitaire compensée par la satisfaction de son besoin de jouissance immé­diate et où les valeurs se dissol­vent à mesure que s'étend le désespoir.

Ils n'en mourraient pas tous, mais tous étaient frappés" rap­pelait Jean de La Fontaine dans ses Animaux Malades de la Peste. Quelle peste ? Le condi­tionnement mental assurément. Et au nom de quoi serions-nous prisonniers à tout jamais de nos caractères, de nos physiques. de notre Q.I, de notre milieu familial, de notre bagage géné­tique, de notre "niveau" écono­mique ?

Ce que nous dit l'initiation, c'est que la Tradition libérant le mental et par là même l'Esprit rend LIBRE, expression fonda­mentale de l'homme inscrit har­moniquement dans le concert de l'univers. Évidemment, les pouvoirs tant politiques que reli­gieux ont toujours persécuté, torturé à mort ou fait brûler ceux qui la diffusaient. Et aujourd'hui le dogme économique tendrait à faire croire à l'inégalité natu­relle, sociale et culturelle.

Alors que faisons nous en loge ? Nous apprenons à nous recentrer.

Pour paraphraser maints ini­tiés qui nous ont précédés, nous pouvons dire que dans nos ate­liers, au fil de l'échelle initiatique, pour passer des vérités sensibles aux vérités intelligibles, nous dis­sertons sur des FAITS, en recherchons leurs LOIS (causes secondes) et tentons d'en discer­ner les PRINCIPES (causes pre­mières). Cet assemblage gradué constitue la hiérarchie ternaire de base du cheminement initiatique, permet de naviguer entre micro­cosme et macrocosme, et per­met au rite Ancien et Primitif de Memphis Misraïm de donner une clé majeure, dans son rituel de fondation de loge en affirmant qu'il y e 3 temples :
1°) le temple simple qui est le corps de l'homme-image du temple,
2°) le temple symbolique qui est le tem­ple terrestre-image de l'univers. et enfin
3°) le temple parfait qui est l'univers-image de l'Architecte éternel. Et que étudier l'un c'est étudier l'autre.

Longtemps la science a avancé l'excuse qu'en raison de ses méthodes objectives, elle se limitait aux phénomènes pure­ment objectifs pouvant faire l'ob­jet de méthodes de recherche objectives. Qu'advenait-il alors des mondes cachés au sein du monde physique ? Les initiés à la pensée Unitaire savaient que leur nature étant bien objective, ils pouvaient être perçus à la faveur de l'Éveil.

La science expérimentale par un juste retour des choses confirme ce que la tradition énonce depuis des millénaires : L'univers est énergie. La matière aussi, compactée dans des formes, ce qui la rend visible. Le vide est de l'énergie sans forme donc invisible qui génè­rent sans cesse la matière et quand les conditions sont favo­rables, la vie organique. Les Sphères énergétiques sont 1) éphémères et 2) engendrées par l'Énergie universelle et intemporelle.
Fritjof Capra, physicien à Berkeley (2) note que les paral­lèles avec la physique moderne apparaissent non seulement dans les Veda, le Yi King ou les sutra bouddhistes, mais égale­ment dans les aphorismes d'Héraclite, le soufisme d'Ibn Arabi ...

Albert Einstein (1) admirait le désir de comprendre « fut-ce même une parcelle de l'intelli­gence manifestée dans le monde » qu'anima Kepler et Newton pour pouvoir découvrir le mécanisme des cieux dans de longues années de travail solitaire et affirmait que l'expé­rience religieuse cosmique était le mobile le plus fort et le plus noble qui puisse inciter aux recherches scientifiques.
Hubert Reeves note que les phénomènes de l'univers ne sont que les parties intégrantes d'un tout inséparable et que la réalité est indivisible (4).

Pour autant, si le langage des scientifiques e évolué, l'éclatement et la spécialisation de la connaissance scientifique ne favorisent pas la découverte d'un terrain de rencontre entre celle-ci et notre propre idée du monde. À force de confondre applications et principes, nous nous essoufflons à essayer de suivre ce que l'intense commu­nication médiatique veut nous démontrer comme avancées significatives. Il serait vain de chercher à travers les réalisa­tions de la science un nouvel humanise ou penser que le tra­vail expérimental peut rempla­cer la voie spirituelle. Nos loges ne sont pas le lieu d'une syn­thèse artificielle entre science et tradition tenter d'aborder celle-ci avec les moyens de la science ou d'aborder la science avec les moyens de la tradition conduit à une construction bâtarde. Certes. on peut tou­jours déduire une loi à partir de phénomènes observés conver­tis en hypothèses, elles-mêmes converties en théories et. de là, en lois.

Mais l'initiation du Rite nous suggère que derrière chaque phénomène, se cache une Essence. Aucune analyse ne peut expliquer le monde car le monde c'est la vie synthétisée dans une conscience, dans une durée ou dans une éternité, une somme dont les éléments diversifiables à l'infini sont rebelles aux approximations les plus fines. "Le monde est un mystère dont la science peut parcourir les avenues exté­rieures mais pour en saisir la poignante unité, il faut gravir le Thabor qui domine la plaine phénoménale... or la montagne de la transfiguration, c'est l'Esprit, d'essence divine dont la tradition nous livre les lois constitutives, dans la mesure humaine, selon la norme de notre intellectualité".

Constant Chevillon, Passé Grand Maître Général du Rite Ancien et Primitif de Memphis­Misraïm, poursuivait en rappe­lant que le "le secret de la maçonnerie, puisqu'il est le fond même de la gnose, ne s'expose pas du haut d'une chaire doctri­nale, il se trouve dans les opé­rations de laboratoire et ce laboratoire c'est la conscience et la volonté' (3). C'est donc bien dans le premier temple, l'homme, que l'expérience de la non dualité de la conscience et du monde doit naître : Alchimie des corps, alchimie des âmes et des esprits favorisés par la déci­sive ouverture à l'intuition.
Celui qui a su se dépouiller et créer en lui l'état de silence, accède en esprit à un état de conscience éveillée où il peut comprendre penser agir entrer en symbiose (amoureuse 7) avec le rythme essentiel du monde extérieur : celui-là est complètement humain.

Entre phénoménologie et métaphysique, la gnose primi­tive est un défi pour la pensée conditionnée. Le gnostique est celui qui connaît, qui a accès et à qui est donné une telle expé­rience de l'absolu (pris comme expérience première et der­nière) et qui peut la transmettre, en rendre compte et la faire partager.

La différence de l'expé­rience mystique qui le plus sou­vent s'impose à celui qui la reçoit, et se donne sous ie signe de la pure passivité, l'ex­périence gnostique implique un travail, un exercice, une pra­tique méthodique.
L'étude (et l'assimilation en soi) des lois de l'univers ne relève d'aucune religion parti­culière, elle constitue la source de toutes les traditions, elle éta­blit un centre de vision globale qui permet de comprendre les différences et la diversité et d'atteindre ce sentiment d'unité qui est la vraie attitude initia­tique. C'est une affaire d'ac­complissement vécu et non enseigné, bien que guidé. Quelles que soient les aides acceptées — et le travail en loge maçonnique en fait partie —, arrive un moment où tout cher­chant se trouve confronté à lui- même : devoir dépasser les ressources intellectuelles clas­siques, rechercher au-delà de sa conscience propre pour accéder à cet état de Connais­sance directe, vécue de réalités supérieures, que les théologies simplificatrices ont nié.

Ce déni a eu pour effet de laisser en définitive le domaine "scientifique" déterminer par défaut le champ de la liberté de l'homme à travers le vertige de vouloir -contraindre" le monde physique à sa mesure, tandis que la tradition, en tant qu'aven­ture spirituelle de l'humanité tend à rétablir la synchronisa­tion du corps, de l'âme et de l'esprit dans le concert univer­sel. Options différentes. Les conséquences de la première, celle du vertige, furent et demeurent immenses aux plans politiques, sociaux, philoso­phiques et ... écologiques. Tous les sommets de Copenhague contenteront-ils Bernard de Fontaine qui disait volontiers qu'il avait plus appris des arbres et des pierres que dans les livres ?

Sabine Doumens,
Président du Souverain Sanctuaire Mixte pour la France et les pays associés


(1) Le Tao de la physique. 1984, éditions Sand.
(2) Article paru dans le New York Times Magazine date du 9 Novembre 1930.
(3) Du Néant à l’être, in La gnose de Constant Chevillon 1982. Editions Traditionnelles.
(4) Oiseaux, éditions du Seuil 1998

Publié dans le Khalam - Bulletin N° 30 - Février 2010

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