GLDF | Revue : Points de Vue Initiatiques | 1T/1971 |
La Franc-Maçonnerie Écossaise Dans l’Ordre Français divisé (1772-1789) Organisation de la RésistanceIl
ne faut pas
perdre de vue que, pendant que se construisaient dans
l'atmosphère relativement
discrète des réunions maçonniques, de
nouvelles colonnes de l'Ordre (1), des
troubles graves avaient éclaté dans le royaume,
auxquels ne manquaient pas de
participer certains Francs- Maçons et non des moindres,
comme le comte de
Clermont lui-même, Grand Maître de la Grande Loge
de France, particulièrement
hostile à la réforme judiciaire. Ce n'est
qu'après sa mort et une fois le calme
à peu près rétabli, soit vers la fin
du règne de Louis XV, que les Ateliers
purent se regrouper sous l'autorité toute
théorique du duc de Chartres,
ci-devant duc de Montpensier (depuis 1752), et futur duc
d'Orléans (à partir de
1785). Aussitôt
après le
26 juin 1773 et la Constitution du Grand Orient qui se dit «
la seul et
légitime Grande Loge », les Maîtres des
Loges de Paris soutiennent qu'il n'est
qu'une « obédience schismatique »,
créée par une assemblée «
illégale,
subreptice et irrégulière ». Ils
proclament leur propre assemblée « Grande Loge
de Clermont » et « authentique Grand Orient
». La
première
Obédience, qui s'installe en face de Saint-Sulpice, au coin
de la rue du
Pot-de-Fer et de la rue de Mézières, et la
seconde bientôt implantée rue de la
Pelleterie, en face du Palais de Justice, se contestent
réciproquement toute
filiation avec la première Grande Loge de France et toute
« régularité ». Il y
a donc dorénavant « deux obédiences,
tantôt rivales, tantôt alliées, qui
prétendent détenir en exclusivité
cette régularité... C'est pour interdire aux
Maçons de la Grande Loge de pouvoir assister aux
tenues des loges qu'il
reconnaît que le Grand Orient institue le 23 octobre 1773 le
mot secret qui
sera exigé à l'entrée des temples
» (2). Que
l'on considère
que la Grande Loge de Clermont est la continuation de celle
qui existait avant
1773 ou qu'elle est vraiment une deuxième Grande Loge de
France, elle n'en
apparaît pas moins comme beaucoup plus importante qu'on ne
l'a cru jusqu'ici,
par suite d'une sorte de conspiration du silence. Des travaux
importants sont
attendus qui la montreront sous un jour nouveau (3) et
déjà des documents
comme la circulaire que nous avons reproduite témoignent de
sa vigueur en face
de la puissance rivale (4). Mais,
le duc de
Montmorency-Luxembourg, Substitut d'un Grand Maître
non encore installé,
n'allait pas laisser utiliser contre l'organe administratif
qu'il avait
suscité les timbres conservés par leur ancien
détenteur, le Garde des Sceaux
DURET. S'est-il
adressé au
pouvoir pour les faire restituer ? On peut le croire en voyant que les
trois
signataires DURET, BOURGEOIS et LABADIE sont mentionnés au
registre d'écrou du
Châtelet comme ayant été
incarcérés le 9 octobre 1773 pour «
affaire de
Franc-Maçonnerie ». Ils seront remis en
liberté le 17 octobre sans doute après
retrait de toute plainte. Notons
que si les
sceaux furent effectivement rendus au Substitut, les archives
restèrent aux
mains des Officiers de la Grande Loge et une partie d'entre elles
constituent
le fond Chapelle à la Bibliothèque
Nationale. C'est
le vendredi
22 octobre seulement que le Grand Maître put être
installé solennellement par
le Substitut, le Grand Orateur Bacon de la Chevalerie, le Grand
Secrétaire
Baron de Toussainct et le Hérault d'Armes Méry
d'Arcy (5). Dans
sa harangue au
Grand Maître, le Substitut prend grand soin de fixer les
dimensions de son
propre rôle : « Flatté de vous avoir
initié dans le mystère, il m'était
dû de
vous inaugurer et de vous installer parmi nous. Dirigez nos travaux,
soyez-en
le protecteur et daignez ne jamais oublier l'hommage tendre et
sincère que je
vous consacre dans ce moment au nom du Peuple Maçon, et que
mon cœur répète avec
le plus grand plaisir ». De
son côté, le Duc
de Chartres confirme les nominations, et fait porter au bas des statuts
la
mention suivante qu'il paraphe : « Nous confirmons
et approuvons les
présents statuts et règlements pour
être exécutés par toutes les Loges dans
toute l'étendue du globe français
maçon, le 22 octobre 1773 ». (Frère Louis-Philippe-Joseph) Des
deux premiers
articles ainsi approuvés, le premier portait que le Grand
Maître pourrait « se
présenter et présider à toutes les
Assemblées de l'Ordre » ; le second que
«
ne pouvant se livrer aux détails de l'administration
», il réfèrerait à
l'Administrateur Général les mémoires
ou demandes à lui adressés, relativement
à l'Ordre ». Ces
dispositions,
logiques et modestes en apparence, expliquent le rôle
considérable joué dès
lors par le substitut Montmorency-Luxembourg. Il
avait déjà pris
l'initiative de prier les loges de faire confirmer ou renouveler leur
Constitution dans un délai de deux ans. C'est
cependant le 15 janvier 1777
seulement que le Grand Orient déclare considérer
comme irrégulières toutes les
Constitutions qui n'avaient pas fait l'objet d'une demande de
renouvellement
(7). La
même année, la
Grande Loge qui s'intitulait, nous l'avons dit, « seul et
unique Grand Orient
de France » procédait à une refonte de
ses statuts et règlements et les
nouvelles dispositions portaient également la
délivrance d'une patente de
constitution aux loges qui en feraient la demande : « Les
Frères Surveillants
et Orateurs qui désireront obtenir des constitutions feront
présenter à la Très
Respectable Grande Loge une requête au nom et par le
Vénérable Maître sous
lequel ils auront tenu le maillet. Le certificat du Grand Orient sera
annexé à
la requête. Il leur sera défendu pendant tout le
temps de leur instance de
s'assembler en loge pour y faire des réceptions si dans ces
travaux ils ne sont
assistés d'un Vénérable
Député de la Très Respectable Grande
Loge. Aussitôt
qu'une
loge régulière connaîtra une autre loge
non comprise sur le Tableau envoyé par
le Grand Orient, ou dont elle doutera des constitutions, elle donnera
avis à la
Très Respectable Grande Loge avec tous les renseignements
possibles ». Le
Frère Gouillard,
docteur régent de la Faculté de Droit de Paris,
Grand Orateur de la Grande Loge
de Clermont, exprime fort habilement le point de vue de son
obédience dans des
épîtres présentées comme
« lettres critiques sur la Franc-Maçonnerie
d'Angleterre », dont il dit que « la guerre est
allumée plus vivement que
jamais entre les Frères ». Il
y a en tout six
lettres, publiées en deux brochures parues au
printemps de 1774. Trois lettres
sont censées émaner du Très Illustre
Grand Orateur de la Grande Loge de Londres
(lire évidemment du Grand Orient de France) qui
présente et tente de défendre
la « réforme » ; deux du Très
Puissant Orateur de la Grande Loge de Dublin
(lire de Clermont...) qui l'attaque vigoureusement ; la
sixième faisant appel à
la sagesse, comme émanant du prétendu
traducteur qui se serait adressé « à
tous les francs-maçons répandus sur la surface de
la Terre ». On
y lit de
malicieuses satires contre un frère Mylord Taterd
serrurier de la Cité (en
réalité Testard, Vénérable
de la Loge « la Victoire »), contre le
Frère Doct.
Méd. G., créateur d'une Université
maçonnique (Gerbier de Werchamp, médecin du
Comte de Provence, le futur Louis XVIII, et Maître de la
Parfaite Unité),
contre les « mots du guet », etc. Mais
il critique
surtout l'organisation nouvelle avec le corps des Grands Officiers qui
font
presque tous partie de la Loge de Montmorency-Luxembourg et
l'Assemblée
Générale qui s'appellera bientôt le
Convent. «
La Grande Loge
ne pourra être mieux comparée qu'à
notre Parlement de la Grande-Bretagne. Elle
sera composée de la Chambre des Pairs et de la Chambre des
Communes. Les Pairs
présideront à ce Conseil souverain ; et, comme la
dignité ne meurt pas, ils
conserveront leur place tant qu'il leur plaira de la garder. La Chambre
des
Communes sera composée de quelques Maîtres de
Londres (Paris) et d'un bon
nombre de Députés de province qui changeront tous
les ans, s'ils ne sont continués
par une nouvelle élection... » Suivait
un appel à la « quotité » et
à la «
souscription », l'argent étant « le nerf
de la République ». Dans
les lettres
suivantes l'auteur critique, à la manière du
temps, l'organisation nouvelle : « En vain ai-je
représenté que le nouveau Régime
rétablissait l'égalité par
tête qui fut toujours regardée comme la base de
notre Constitution... On
soutint au contraire que, loin qu'on trouve cette
égalité parfaite dans le
nouveau plan d'administration, on n'y voit, au contraire, que le
despotisme le
mieux caractérisé, tout le pouvoir
résidant en fait dans la seule Chambre
d'administration ». Suivait
une défense
de l'inamovibilité des Vénérables car
« par le nouveau règlement, on a
ôté aux
Maîtres leur Constitution personnelle et on a
transporté leur droit à la loge
où ils présidaient. » Il
s'agit, au fond,
d'une opposition qui se situe, au plan de la bourgeoisie
libérale comme celle
des Grands de l'époque par rapport à la monarchie
absolue. L'ironie du ton
rappelle toujours celle d'un Montesquieu, d'un Jean-Jacques
Rousseau ou d'un
Voltaire : « Comment imaginer qu'un Lord ou qu'un Chevalier
baronnet prenne
séance à côté d'un vil
mercenaire qui n'a d'autre recommandation que sa probité
? On a trouvé que vous aviez très bien fait de
secouer ces vieux préjugés et de
rapprocher un peu la Maçonnerie de notre
siècle ». En
revanche,
l'auteur souligne l'incohérence démagogique qu'il
voit dans l'association
constituée par dessus la bourgeoisie parisienne entre les
représentants de la
haute noblesse et ceux du peuple, entre les hobereaux
chevronnés et de tout
jeunes gens « qui sont à peine initiés
dans nos mystères ». Vous
mettez parmi
vos officiers des Frères dont nous ne rougirions pas, nous
autres petites gens,
mais qui ne répondent guère à la bonne
opinion que vous voulez qu'on prenne de
votre administration... Vous mettez à la tête de
vos bureaux le député d'une
très petite loge d'un petit canton d'une petite province,
laquelle est présidée
par un tailleur. Un autre de vos députés
représente un perruquier ; un autre
est porteur de la procuration d'un serrurier. Et ce sont ces
députés que vous
nous représentez comme l'élite de la
Maçonnerie. En vérité, ce
n'était pas la
peine de dépouiller nos bons bourgeois de Londres des
charges qu'ils avaient à
la Grand Loge pour leur substituer de pareils
représentants... » Puis
la diatribe
porte sur la question financière et sur la
nécessité de se soumettre à toutes
sortes de formalités désagréables,
pour finalement consentir, à seule fin
d'être « régularisé
» un impôt appelé par ironie «
don gratuit ». «
Vous avez été
visiter les travaux de vos anciens Maîtres, vous les avez
installés de nouveau
et vous avez déclaré que ce n'était
que de ce moment qu'ils étaient
véritablement enfants de la lumière
»... mais « qu'est-ce qu'un Maçon
régulier
et cesse-t-on d'être un Maçon régulier
parce qu'on n'appartient plus à une
obédience qui s'érige en gardienne de
l'orthodoxie maçonnique ? ». Et il pose
l'ultime question : « Si nous ne sommes pas
réguliers, nous qui vous avons
constitués, de qui tenez- vous vos pouvoirs, et de quel
droit prétendez-vous
donner la vie à ceux de qui vous l'avez reçue ?
» Tout
naturellement,
la série se termine en mai 1774 par une
déclaration de principes de la
(deuxième) Grande Loge de France : « Pour
nous, suivant pas à pas les routes
que nous ont tracées nos ancêtres, nous nous
contenterons d'une honnête
médiocrité. Fuyant avec soin le luxe... loin
d'être à charge aux loges qui
communiqueront avec vous par des impôts masqués
sous d'autres dénominations,
nous les secourerons de tout notre pouvoir. Nous serons
toujours assez riches
si nous conservons la paix et l'union qui sont les seuls biens
après lesquels
nous aspirons, et que nous espérons maintenir parmi nos
Frères, malgré les
efforts que vous ferez pour les détruire
». En
attendant une
étude exhaustive qui enrichira certainement et modifiera
sans doute les
connaissances acquises sur ce que nous avons appelé la
deuxième Grande Loge de
France, qui fut au moins la gardienne d'une tradition, mentionnons un
tableau
tiré des archives de la loge Saint- François du
Parfait Contentement. Il y
apparaît pour Paris en 1777 le chiffre de 129
Vénérables, et pour la province
celui de 247, soit un total de 376, chiffre souvent cité (8). De
son côté et vers
le même temps, le Grand Orient accuse les chiffres
de 623 loges en activité :
63 à Paris, 442 dans les provinces, 38 aux colonies, 69
attachées à des corps
militaires, 17 en pays étrangers (9). La
comparaison avec
une statistique de la Grande Loge de 1771 (la première) est
particulièrement
édifiante : total des loges à cette date, 164,
soit à Paris 71, 85 en province,
5 aux colonies, 1 à l'étranger, 2 «
ambulantes » (10). On
est en droit de
penser que, par une sorte d'émulation dans le recrutement et
d'attrait
rayonnent dans le monde profane, la dualité des
obédiences n'a nullement
paralysé la vie maçonnique et l'a même
longtemps animée. Le
Grand Orient
et la Franc-Maçonnerie Ecossaise Cette
dualité qui
règne de 1733 à 1789 dans les loges bleues se
retrouve dans la Maçonnerie
Ecossaise. Dès
le mois de
décembre 1733, le Grand Orient invite ses loges à
ne plus travailler qu'aux
trois premiers degrés, et nomme une Commission pour
élaborer un règlement des
grades supérieurs. Cette
décision est
jugée abusive par nombre d'ateliers de régime
écossais, malgré le privilège qui
leur était offert d'avoir à leur tête
un seigneur aussi puissant que le duc
Philippe. Mais elle suscite également des
protestations à la « base », et
notamment celles du frère Guillotin. C'est
sur les
Directoires écossais de la Stricte Observance,
créés par le baron de
Hund quelques années auparavant que portèrent les
premiers efforts du Grand
Orient. Ceux de Bacon de la Chevalerie, membre du Directoire de Lyon et
Grand
Orateur du Grand Orient, aboutirent à un traité
signé en 1776, après plus de
deux ans de pourparlers, entre les deux puissances qui comptaient des
membres
de rang social comparable. Les pouvoirs sont alors partagés
et l'unité amorcée
(11). Les
alliances
réalisées n'allèrent pas sans
difficultés et ne furent pas toujours respectées,
quand elles purent être nouées, ce qui fut
parfois dramatique, comme avec la
Mère Loge Ecossaise de France (12). Deux
historiens
taxés en leur temps d'un honnête parti pris, les
frères Albert Lantoine et
Gaston Martin tombent à peu près d'accord dans
leurs conclusions sur ce point. Pour
Albert
Lantoine (13), la tolérance du Grand Orient «
masque son adroite politique
d'accaparement. Sa fondation a été
basée surtout sur le besoin d'unité qui
s'imposait dans la Maçonnerie française, sur une
concentration des pouvoirs
réels et des forces morales empêchant
l'éparpillement des efforts et la
rivalité des petites ambitions personnelles. Quand
le XVIlle
siècle s'achève, le Grand Orient se dit
« seul et unique Grand Orient de
France »... Il a presque raison. De petits foyers
intransigeants demeurent
encore, mais d'une ardeur peu communicative. Il
a pris dans ses
filets et l'ancienne Grande Loge de France avec tout son
passé, et l'Ecossisme
avec ses Mères-Loges si férues de leurs
prérogatives. Il a bien laissé à ce
dernier son plumage doré et ses cages aux
étiquettes resplendissantes, mais il
s'est réservé le droit de lui rogner les
ailes ». Les réfractaires et la survivance d'un esprit écossaisGaston
Martin est
certes moins généreux à
l'égard de sa propre obédience. Pour lui
(14) « les
petites Puissances ne sont pas insensibles à ce que
représente pour elles la
force chaque jour accrue du Grand Orient. Elles
ne résistent
que faiblement à l'attraction de la masse. Elles sont
constituées, d'abord, de
Maçons réguliers... Tous (les) concordats sont
établis sur les trois mêmes
principes : suprématie dogmatique du Grand Orient,
soumission
de toutes les loges bleues à son obédience,
autonomie administrative des
Hauts-Grades de l'Obédience associée. En 1787, le
Grand Orient, malgré
l'existence continue d'un certain nombre de petites puissance
dissidentes,
crée le Souverain Chapitre Général
Métropolitain, chargé de la collation
des
Grades de 18 à 25, et section permanente du Grand Orient. Il
reste encore en
ce moment beaucoup de sectes irréductibles, qui tiendront en
vue d'une
improbable unité de nombreux convents entre 1780 et 1788. Le
plus illustre de
ceux-ci est celui de Wilhelmsbad. Le Grand Orient n'y fut pas
convoqué. Mais sa
situation très forte ne fut nullement
ébranlée par l'ostracisme où le
tinrent
ces sectes confidentielles, et pour la plupart
étrangères. » Ce
commentaire
manque de courtoisie fraternelle. Le ton serait sans doute assez
différent
aujourd'hui, et depuis que des érudits étudient
les archives trop négligées de
la Mère Loge du Rite Ecossais philosophique, Mère
Loge Ecossaise,
ou encore Saint-Jean d'Ecosse du Contrat Social et celles des loges
constituées
ou reconstituées par elle au rite écos‑ sais
(15). Cette
puissance était propriétaire de son
hôtel, rue du Coq- Héron, où se situe
aujourd'hui la Caisse d'Epargne, alors que le Grand Orient et la Grande
Loge de
Clermont étaient seulement locataires des leurs.
Et nous ne
devons pas compter pour négligeable l'Académie
des Sublimes Maîtres de l'Anneau
lumineux dont un des grades est celui d'Elu de la Voûte
sacrée de Jacques VI
(16). Ces
Puissances ne
perdent pas une occasion de manifester leur
individualité et de revendiquer
leur indépendance. C'est ainsi que des loges du
Grand Orient
ayant vers 1780 projeté d'armer des vaisseaux à
leurs frais pour la guerre d'Amérique,
la Mère-Loge du Rit Ecossais mit la question à
l'étude et rejeta la proposition
comme enfreignant les principes de l'Institution
maçonnique. Puissance
spirituelle, la Franc-Maçonnerie n'avait pas
à intervenir dans cette guerre et
devait respecter la neutralité traditionnelle de l'Ordre
(17). Notons
cependant
qu'en dépit des divergences entre les autorités
les frères devaient avoir des
rapports moins tendus que leurs chefs. On rencontre même des
cas non douteux de
double appartenance (18). Loges militaires et loges d'AdoptionOn
s'étonnerait si
nous ne parlions pas des maçonneries originales ou
parallèles que constituent
les loges militaires et les loges féminines. Des
ateliers
existaient dès avant 1773 dans divers régiments.
On attribue à plusieurs
d'entre elles l'introduction de la Maçonnerie en France,
mais elles paraissent
bien mythiques. Par
contre, nous
avons trouvé dans le tableau de 1771 de la Grande Loge de
France deux loges «
ambulantes » qui ne pouvaient guère être
que régimentaires. On parle à Metz
d'une loge de La Parfaite Union ou des Chasseurs
de Berchény (1775).
Existent aussi une loge au titre distinctif La Militaire dite
La Royale
fondée avant 1765 à l'Orient du Corps Royal
d'Artillerie, et une loge au corps
des Grenadiers de France, Les Enfants de la Gloire
(19). Le
nombre et
l'importance de ces ateliers s'accroît
singulièrement entre 1773 et 1789. Ils
se multiplient au point qu'un régiment sur trois compte un
atelier parfois
doublé d'un chapitre (20). Certaines
ne sont
cependant pas souchées sur les tableaux du Grand Orient,
comme la loge de Bourbon
Infanterie qui figure au tableau de la Grande Loge en 1778
(Vénérable de
Fréval) ou celle de Beaufremont-Dragons
(Vénérable de Varennes). Mais
c'est au cours
des guerres de l'Empire que cette forme de Maçonnerie se
développera dans
l'armée et dans la marine d'une façon
extraordinaire, essaimant en pays
étranger au point que des dizaines de loges portent encore
les noms français
qui leur ont été donnés alors. Quant
aux Loges
d'Adoption », ce qu'en disaient Antonio Coen et
Michel Dumesnil de Gramont
reste valable (21). «
Le duc de
Luxembourg, pour affermir son oeuvre, eut une idée
heureuse. Depuis la
création de la Franc-Maçonnerie, les femmes y
étaient considérées comme
indésirables. C'était un Landmark
(borne ou loi) fixé par le Livre
des Constitutions (22) et observé par
l'universalité des francs-maçons, qui
ne pouvait être transgressé sans susciter de la
part de l'étranger des
représentations dangereuses et la mise à l'index
de l'Institution française. Seulement,
en
France, le beau sexe a toujours eu une influence
considérable ; sa prospection
ne manquait pas de susciter des propos malveillants et des
protestations
intéressées. D'autres
sociétés
s'étaient unies à l'instar de la
Franc-Maçonnerie, qui admettaient les femmes
et qui risquaient de compromettre le bon renom de celles-ci, d'autant
plus que
leurs jeux n'étaient pas toujours de la plus parfaite
innocence. Le Grand
Orient résolut de remédier à cet
état de choses en fondant un organisme à part
qui, faisant tout de même collaborer les dames au labeur
maçonnique, leur
donnait satisfaction sans attenter aux règles de l'Ordre. C'est
ainsi que
furent créées les Loges d'Adoption qui,
« souchées » sur un atelier masculin,
avaient pour mission de réaliser des oeuvres de bienfaisance
qui constituaient
une des branches de l'activité
maçonnique. Les sœurs avaient un rituel
(23),
des signes et des mots de reconnaissance particuliers, et comme les
frères
pouvaient assister à leurs réunions —
alors que la réciproque n'existait pas —
le principe était sauf. Sous
leur
impulsion, des fêtes, des « tenues blanches
»
s'organisèrent où la
Société —
on dirait le monde aujourd'hui — prenait un
agrément
délicieux. Nous précisons
« la Société » parce que les
familles de la
grande noblesse se trouvaient
représentées dans cette
franc-maçonnerie
d'adoption, à laquelle le Grand
Maître, le duc de Chartres, avait initié sa femme
et sa
sœur, la duchesse de
Bourbon, qui en devint la Grande Maîtresse (24). Prochain article
: L'ordre sous la
Révolution (1789-1799) (1) Voir Points de Vue Initiatiques », n°' 15-16, pp. 15-19, n' 17, pp. 12-14, n° 18-19, pp. 13-14, n' 20, pp. 7-14. (2) J.A. FAUCHER et A. RICKER : « Histoire de la franc-maçonnerie en France », p. 122. (3) De Pierre CHEVALLIER : « Une Histoire de la franc-maçonnerie en France », à paraître chez Fayard et d'Alain LE BIHAN, un troisième volume de la collection « Mémoires et documents » (Bibliothèque Nationale). (4) Voir « Points de Vue Initiatiques » du n° 20, pp. 11 et 12. (5) Ce chapitre doit beaucoup aux bonnes feuilles de l'ouvrage de Pierre CHEVALLIER dont nous venons de parler ci-dessus et à l'amabilité d'Alain LE BIHAN. (8) Voir dans A. Le Bihan Loges et Chapitres..., pp. XVI-XVIII, la liste des tableaux connus de la Grande Loge de France (1765, 1766, 1769, 1778, 1787, 1799). Il n'y est pas fait mention des chiffres de 1771 donnés par Faucher et Ricker. (9) Gaston Martin, Manuel... p. 113. (10) Faucher et Ricker, Histoire... p. 109. (11) Voir le texte du traité dans Gaston Martin, Manuel... pp. 109-110. (12) Qui pouvait se sentir forte d'avoir à sa tête un personnage comme le marquis de la Rochefoucault-Gayers et de posséder un très bel hôtel (voir ci-dessous). (13) A. Lantoine - Histoire de la franc-maçonnerie chez elle », p. 224. (14) Gaston Martin, Manuel, pp. 99-109. (15) A. Le Bihan, Loges et Chapitres, p. 20. (16) Annales Historiques de la Révolution Française », n° 197, juillet- Voir aussi les Règlements généraux de la Maçonnerie Ecossaise publiés par cette Académie (Douai 1784, B.N. imprimés 16-H 626). (17) La Mère-Loge de Rit Ecossais était restée volontairement à l'écart malgré les tractations avec le Grand Orient de son Vénérable, le Comte de La Galissonnière. Si elle accepte da solliciter son intégration comme Loge, elle proclame son indépendance comme Atelier supérieur écossais. Les pourparlers ayant échoué, elle continue à créer des Loges en France et à l'étranger jusqu'au traité de 1781 par lequel elle est régularisée, ainsi que les loges qu'elle avait créées. Elle renonce alors à en constituer de nouvelles, mais se réserve le droit d'établir des Ateliers supérieurs. Cf. Pierre Chevallier, Histoire... Voir aussi dans Albert Lantoine, loc. cit., p. 210, l'implantation d'un autre (?) rite écossais philosophique à Douai, à Puylaurens, à Toulouse, à Angers, à Dunkerque, à Anvers, à Bruxelles. (18) Le frère Gouillard que nous avons vu rompant des lances contre le Grand Orient naissant figurera comme Officier et Député du Grand Orient. (19) A. Le Bihan, Loges et Chapitres, p. 371. On trouvera d'autres exemples dans le livre actuellement sous presse d'A. Le Bihan : Francs-Maçons et ateliers parisiens de la Grande Loge de France au XVIII' siècle. (20) Cf. Gaston Martin, Manuel, pp. 116-118, d'après Henri Marcy, Essai, (21) Brochure citée, pp. 22-23. (22) Cf. les Constitutions d'Anderson, art. III : « Les personnes admises à faire partie d'une Loge doivent être des hommes bons, sincères, nés libres, d'âge mûr et prudent, et de bonne réputation. Elles ne doivent être ni serfs (Bondmen), ni femmes, ni hommes immoraux ou mal famés. » (23) Voir dans Gaston Martin, loc. cit., pp. 121-123 le rituel d'une « cérémonie d'apprentisse » dans une loge d'adoption. (24) Voir aussi dans Jean Palou, La Franc-Maçonnerie (Payot) le tableau de la Loge d'Adoption La Candeur. On notera que la duchesse de Bourbon était la mère du jeune duc d'Enghien (1772-1804). |
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