GLDF | Revue : Points de Vue Initiatiques | 1T/1972 |
Esquisse Historique de la Franc-Maçonnerie en général et de l’Ecossisme en particulier INTRODUCTIONQuelques années
avant la guerre de 1939-1945, la Grande Loge de France publiait, sous le titre
« La Franc-Maçonnerie écossaise » une brochure destinée à la plus large
diffusion. Largement inspiré
des travaux du Frère Albert LANTOINE, ce travail était signé par deux autres
Maçons éminents, Michel DUMESNIL de GRAMONT, alors Grand Maître, et Antonio
COEN, futur Grand Maître. Cette brochure
avait pour objet « de renseigner brièvement les lecteurs de bonne foi sur les
origines, l'histoire, les principes et l'activité réelle d'une institution en
butte depuis si longtemps à des calomnies qui, pour être d'une absurdité
parfois criante, n'en troublaient pas moins beaucoup d'honnêtes gens. » L'étude solide et
claire, aujourd'hui épuisée, comportait trois titres : La Franc-Maçonnerie
au XVIII° siècle, La Franc-Maçonnerie
au XIXe siècle, La Franc-Maçonnerie
et l'heure présente. Elle fut rééditée
en 1952, et complétée par un appendice qui reprenait le discours prononcé le 15
avril 1945 par le Grand Maître Dumesnil de Gramont, parlant, au nom du Comité
de Réorganisation de l'Obédience écossaise, devant les Délégués des Ateliers
alors reconstitués un à un, après de sérieuses enquêtes. Un quart de siècle
et plus après ce long et beau discours, la Grande Loge de France a le droit et
le devoir de procéder à un nouvel examen de la situation, d'établir un nouveau
bilan, de refaire le point. Elle a chargé de
cette tâche sa Commission d'Histoire et de Documentation, créée précisément
l'année où paraissait la dernière édition de la brochure de base que nous ont
léguée deux de nos Grands Maîtres les plus prestigieux. Il est possible,
maintenant, de bénéficier d'une documentation précieuse, de reculer les limites
qui séparent la certitude de l'hypothèse, et celle-ci de la fabulation. En
d'autres termes, l'ouvrier de bonne foi peut dessiner en traits pleins les
grandes lignes de l'histoire, les compléter par un pointillé plus ou moins
serré et même marquer des repères possibles pour orienter les recherches ultérieures. S'il reste toujours
des terres inconnues, elles méritent de tenter de plus en plus de découvreurs
dignes de ce nom, historiens de profession ou amateurs éclairés, pour le plus
grand profit intellectuel des hommes de bonne volonté. C'est à eux tous
que nous dédions ce nouvel essai inspiré des travaux les plus récents et
entrepris en toute bonne foi. LES ORIGINES DE L'ORDRE MAÇONNIQUE Une date importante
dans l'histoire de la Maçonnerie universelle : le 24 juin 1717, jour de la
Saint-Jean-Baptiste, quatre loges de Londres décidaient de se fédérer en Grande
Loge, et élisaient comme Grand Maître un gentilhomme et comme Grands
Surveillants un charpentier et un militaire. L'Ordre maçonnique
était donné comme une « très ancienne et
très vénérable Confrérie », dont les
obligations, règles, etc. (on disait charges,
régulations, etc.) devaient être
refondues. Il était, notamment,
question des vieilles Constitutions gothiques (Old Gothic Constitutions). Pour Anderson
lui-même, chargé, avec quatorze frères érudits, de la rédaction ne varietur
des Constitutions à observer par toutes les loges (for the Use of the Lodges),
les origines en remontaient à Adam, et, plus précisément, à l'an 4003 avant
l'ère chrétienne. La franc-maçonnerie
moderne se reconnaît dans de nombreuses sociétés, confréries ou fraternités
anciennes, constituées par des constructeurs de métier, groupés très tôt en
organisations qui pouvaient compter des frères ouvriers « opératifs » et des
frères membres honoraires dits « spéculatifs ». Mais elle revendique au même
titre une autre tradition qui remonte à la plus haute antiquité. On peut dire
sans risque d'erreur grave que la Franc-Maçonnerie, présentée dans la
Constitution de la Grande Loge de France comme « un ordre
initiatique traditionnel et universel fondé sur la Fraternité », continue à la
fois des sociétés de pensée et des sociétés d'action, dont l'histoire est
rendue difficile par le secret qui consacrait, dans un monde souvent hostile,
leur cohésion et leur fraternité, et constituait leur « ressort principal ». Sans négliger les
multiples légendes qui ont pu inspirer à la fois et la pensée et l'action et desquelles
l'histoire approfondie se rapproche souvent, nous mentionnerons quelques faits
solidement établis qui permettent à notre construction de ne pas être un
château de cartes. Le savant Elias
Ashmole écrit dans ses mémoires : « le 26 octobre 1646 à 4 heures de
relevée, j'ai été créé franc-maçon à Warrington, dans le Lancashire, avec le
Colonel Henri Mainwaring de Karincham, dans le Cheshire. » En remontant dans
le temps, et malgré la malencontreuse destruction par le feu des documents
utilisés par Anderson, destruction décidée « pour éviter qu'ils ne tombent
entre des mains étrangères », quelques lueurs apparaissent et jalonnent notre
route. Mentionnons les statuts des associations de tailleurs de pierre réunis
à Klagenfurth en 1628 et, antérieurement déjà à Edimbourg (loge de l'église
Sainte-Marie) en 1598, à Cologne en 1535, à Londres (?) en 1492 (Polykronikon)
, à Ratisbonne (Regensburg) en 1459, en Angleterre vers 1430 (manuscrit Cooke)
, en Ecosse vers 1390 (manuscrit Regius) , à York en 1352, à Strasbourg vers
1330. Nous pouvons
retenir aussi des condamnations prononcées, avant celle du pape Clément XII en
1738. En particulier, le Concile d'Avignon en 1326 fulmine l'excommunication
contre les confréries qui sont désignées comme implantées dans les provinces,
groupant des nobles et des roturiers, se réunissant chaque année, élisant leurs
dirigeants, et dont les membres qui se disent « frères » portent des décors
vestimentaires particuliers, se font des signes de reconnaissance, s'engagent
par serment à s'entraider mutuellement, etc. Après la
constitution de la Grande Loge de Londres, qui devient vers 1730 la Grande Loge
d'Angleterre, l'ordre maçonnique va se développer dans le monde, couvert par un
secret devenu moins opaque et, chose très importante, avec une relative
tolérance de fait, les Old Charges n'ayant pas repris la rédaction
traditionnelle qui, d'après le manuscrit Cooke, imposait « d'abord et surtout
d'aimer Dieu, la Sainte Eglise et tous les Saints » et, d'après Anderson lui-
même, obligeait les maçons à pratiquer la religion du pays où ils
travaillaient. Cet assouplissement permettait aux frères anglais d'éviter dans
leurs loges ce que nous appellerions une « chasse aux sorcières ». Mais il
risquait d'opposer aux frères protestants les tenants des « devoirs » laissés
dans l'ombre, et cela surtout après la condamnation pontificale. En effet il se
produira en 1753 une division déchirante entre les « modernes » andersoniens
et les « anciens » conservateurs, scission qui ne trouvera de dénouement pacifique
qu'à la faveur de la guerre contre Napoléon (1813). LA FRANC-MAÇONNERIE FRANÇAISE
DANS LA PREMIERE MOITIE DU XVIIIe SIECLE La première loge
française bien connue est le Louis d'Argent qui reçut patente de la Grande Loge
de Londres le 3 avril 1732. Elle avait très probablement été fondée en juin
1726 par des officiers irlandais au service du Roi de France et prit plus tard
le titre distinctif de Saint Thomas. Si le comte de
Darwentwater, élu le 27 décembre 1736, a été considéré, vers 1910 et depuis,
comme le premier Grand Maître de la Grande Loge de France, des documents
découverts récemment parlent de deux prédécesseurs, le baronnet écossais James
Hector Mac Leane, et peut-être, avant celui-ci, le duc Philippe de Wharton qui,
après avoir été Grand Maître de la Grande Loge de Londres en 1722-23, vécut à
Paris en 1728-1729. Ce qu'il convient
de remarquer, c'est que les obligations fixées à leurs membres par les diverses
Grandes Loges étaient sensiblement les mêmes, sans qu'on puisse déceler la
moindre trace de pression dogmatique. Le Grand Maître Mac Leane est connu, par
exemple, pour avoir promulgué en France les Constitutions collationnées pour
la Grande Loge de Londres par le pasteur Anderson entre 1721 et 1723. Mais
celles-ci devaient être rééditées, avec quelques changements, à Londres même. Le New Book of
Constitutions présenté en 1738 par Anderson apporte deux précisions importantes
: — la première, c'est que la Maçonnerie
universelle compte alors cinq obédiences indépendantes de Londres et saluées
comme telles, à savoir celles d'York, d'Ecosse, d'Irlande, de France et
d'Italie ; — la deuxième, c'est que les obligations
portent la nécessité pour le maçon d'être un vrai noachide, rétablissant ainsi
un devoir traité en 1723 par prétérition, ce qui permit, nonobstant le titre
Concerning God and Religion et le toast rituel God bless the Craft, de parler
de liberté absolue de conscience et de sous-entendre la négation de Dieu, ce
qui est, pour l'époque du moins, un fâcheux contresens historique. Quoi qu'il en soit,
vingt ans après la maçonnerie londonienne, c'est en 1737 que la maçonnerie
parisienne sort vraiment de l'ombre. C'est l'année du célèbre discours de
Ramsay, homme de lettres écossais converti par Fénelon, de la présence en loges
de divers grands personnages comme le duc de Villeroy, le duc d'Antin, le comte
de Tressan, le moment aussi où les rapports de police commencèrent à parler de
l'Ordre, ainsi que diverses correspondances privées. Le cardinal Fleury modère
le zèle de Ramsay. Les premières interdictions sont promulguées, mais
appliquées avec plus ou moins de rigueur suivant le rang social. C'est aussi
vers ce temps que vont se faire jour des tendances nouvelles, peut-être, comme
le pense Lindsay, pour se prémunir contre la condamnation que le pape Clément
XII va fulminer en 1738. NAISSANCE DE L'ECOSSISMELe grade de Maître
Ecossais existait en Angleterre depuis 1730 environ. Il y avait des Scotch
Mason's Lodges dès 1733 à Londres, dès 1735 à Bath. Anderson et d'autres
avaient souligné le rôle joué par l'Ecosse dans
la « conservation des anciens mystères » et il subsistait une tradition diffuse
en Grande-Bretagne. Ce n'est guère que
vers 1740 que le « grade excellent » apparaît en France. Les « Ordonnances
générales » votées par la Grande Loge après l'élection du nouveau Grand Maître
le Comte de Clermont (27 décembre 1743) , soumettent ces maîtres au niveau de
l'égalité commune pour « cimenter l'union et l'harmonie qui doivent régner dans
la Franc-Maçonnerie ». Une loge écossaise
existe à Bordeaux en 1745. Une autre est signalée à Paris dans un rapport de
police en mars 1746. On les appellera bientôt des « loges rouges », l'épithète
de « bleues » étant réservée aux loges symboliques, d'après la couleur de
l'écharpe ou du sautoir porté par leurs membres. Il est possible que
cette maçonnerie brillante ait été diffusée, au moins partiellement, par des
partisans des Stuarts. C'est cependant à Bordeaux, liée à l'Angleterre par des
raisons de « sols et de deniers », qu'elle va se développer. La loge écossaise
fondée dans cet Orient par Etienne Morin s'érigeant en Mère-loge donne
naissance à diverses filles, notamment, le Zef mars 1749, à une loge de Maîtres
Ecossais établie au Cap Français dans l'île de Saint-Domingue. La patente qui
constitue cette loge utilise des titres et formules qui rappellent d'une part
ceux qu'emploie Anderson en 1721 et aussi ceux qui figurent dans les loges de
Scots Masters Masons comme celle de Bath. Ajoutons que si les divulgations de
Pritchard dans sa Masonry dissected (1730) se limitent à faire allusion à la
construction du premier temple de Jérusalem par l'architecte Hiram, la
maçonnerie écossaise, telle qu'elle apparaît dans le premier ouvrage qui cite
comme un quatrième grade celui de Maître Ecossais (1745), rapporte cette
maçonnerie nouvelle à la reconstruction du temple par Zorobabel au retour de
Babylone. Mais il s'y ramifie très vite une excroissance d'assertions dont
Lantoine a réduit à rien l'historicité, mais qui a fourni, en leurs temps et
lieu, les matériaux d'une rutilante édification devant laquelle le Rit sera
obligé de prendre des mesures de protection. Ainsi l'écossisme
qui était apparu en Angleterre vers 1730 et s'était implanté en France dans la
décennie suivante y avait trouvé un terrain éminemment favorable. Il constitua,
en partant d'une maçonnerie bleue jugée trop plébéienne ou terre à terre, comme
une chevalerie nouvelle, une chevalerie de l'épée. De son côté, dès 1755, la
Grande Loge des Maîtres Réguliers de Paris dite de France, pour employer son
titre officiel, faisant contre mauvaise fortune bon cœur, reconnaît et entérine
l'écossisme. Par exemple, elle entretient des relations fraternelles avec la
Mère Loge de Bordeaux. Elle l'appellera même, en 1762, la Grande Loge Ecossaise. Au moment où le
fondateur de celle-ci, Etienne Morin, part pour les Iles, la Grande Loge de
France le constitue Inspecteur de toutes les Loges d'Amérique sous domination
française (27 août 1761) . Cette patente, dont divers documents conservés à la
Bibliothèque nationale confirment indubitablement l'existence, émane concurremment
de la Grande Loge de France et d'un Grand Conseil établi auprès d'elle et
régentant les « grades éminents ». Notons que ce Grand Conseil est présidé par
Chaillon de Jonville, déjà substitut général du Grand Maître Comte de Clermont
et qui le restera jusqu'à la mort rie celui-ci en 1771. Ce qu'il faut souligner
également, c'est que Morin, tombé en 1762, soit en pleine guerre de Sept Ans,
aux mains des Anglais se voit confirmer son pouvoir par le comte Ferrers, Grand
Maître de la Grande Loge d'Angleterre andersonienne. S'il en était besoin,
l'abrogation ses pouvoirs le 17 octoble 1766 par la Grande Loge, dont le
Collège des Grands Officiers avait été renouvelé dans l'intervalle, en
prouverait à elle seule l'existence, dont il est curieux qu'on ait longtemps et
souvent cherché à la nier. L'écossisme, dont
les grades se sont multipliés au point que le Frère Moêt, secrétaire du comte
de Saint-Florentin, n'en possède pas moins de 60, connaît en France une période
de stagnation au cours de laquelle il se développe en Allemagne de façon
extraordinaire sous couleur de « rectification ». C'est alors qu'apparaissent
deux grades terminaux et en quelque sorte parallèles, celui de Kadosch et celui
d'Ecossais de Saint-André (1761-1765). Une Grande Loge
Ecossaise apparaît également à Lyon, auréolée d'une Souveraine Loge des
Chevaliers de l'Orient et d'un Conseil des Chevaliers de l'Aigle Noir. J.-B.
Willermoz en est l'âme. Sous l'autorité du
Substitut général Chaillon de Jonville, la Grande Loge avait connu une période
brillante, en dépit d'un conflit de personnes entre Pény, maître de la loge
Saint-Martin et Lacorne, maître de la loge de la Trinité et nommé par le comte
de Clermont substitut particulier. Mais d'autres
rivalités se firent jour après la mort de Lacorne (1762) et comme d'autre part
le comte de Clermont était assez mal en cour pour des raisons politiques, il ne
faut pas s'étonner de voir une douzaine de maîtres parisiens exclus de la
fraternité et les assemblées interdites par mesure de police au printemps 1767. Réunis chez le
doyen Puisieux à la mort du comte de Clermont (16 juin 1771) , les maîtres de
Paris, y compris ceux qui avaient été exclus, cherchent un moyen de redonner à
l'Ordre la force et la vigueur perdues. Ils parviennent à faire accepter la
Grande Maîtrise au duc de Chartres, futur duc d'Orléans, avec le duc de Montmorency-Luxembourg
comme administrateur général. Mais en 1773 celui-ci irrité de la prépondérance
que les Statuts de la Grande Loge de France accordaient aux Maîtres de loge
parisiens, érigea en Grande Loge Nationale une Assemblée principalement
composée de députés des Loges de province et des Loges militaires, venus à
Paris pour assister à l'installation du Grand Maître. Entre le 5 mars et le 24
mai 1773 se tinrent huit séances solennelles qui aboutirent à la constitution,
sous le nom de Grand Orient de France, d'une puissance maçonnique solidement
structurée, et suffisamment garantie par le prestige de ses chefs, aussi bien
du duc de Chartres, fait Sérénissime Grand Maître, que du duc de Montmorency-Luxembourg,
son très illustre Administrateur général. Bien qu'on le nommât parfois encore
substitut, il ne s'agit plus d'un Grand Maître Adjoint, mais d'un véritable
Président de fait, d'autant que de nombreux Grands Officiers et Officiers
d'Honneur appartenaient à sa propre loge, laquelle portait le titre distinctif
et significatif de Saint Jean de Montmorency-Luxembourg. LA DUALITE DES OBEDIENCESLe Grand Orient de
France se dit « la seule et légitime Grande Loge ». Mais en face de lui la
plupart des maîtres de Paris prétendent se maintenir en Grande Loge de France
(ou de Clermont) et contre ce qu'ils appellent un « schisme ». Mais s'ils ont
raison en droit, leur position n'est pas matériellement très solide, car on
peut leur reprocher d'avoir surtout voulu défendre l'inamovibilité des maîtres
de loges ; et d'autre part elle ne l'est pas politiquement beaucoup plus, étant
donné la personnalité des dirigeants du Grand Orient. Fait significatif :
plusieurs des signataires de la circulaire de protestation, et notamment le
Garde des Sceaux Duret, furent incarcérés au Châtelet pendant une dizaine de
jours-pour « affaire de franc-maçonnerie », peut-être, comme l'affirme le frère
Feuillette, historien du Grand Orient, à la suite d'une lettre de cachet. Le
même auteur assure que la création du Grand Orient fut particulièrement
favorable au développement des doctrines démocratiques. Mais les réfractaires,
par la plume du Grand Orateur Gouillard, y voyaient au contraire le «
despotisme le mieux caractérisé, tous les pouvoirs résidant en fait dans la
seule Chambre d'Administration ». Ils protestaient aussi et contre l'obligation
pour les loges constituées de se faire intégrer moyennant paiement d'un droit
de 120 livres et contre le « mot du guet » institué pour empêcher les
réfractaires d'assister aux réunions des loges intégrées (mot de semestre) . Il ne semble pas
que la dualité des obédiences ait nui au développement de l'Ordre entre 1773
et 1789. Compte tenu de la santé fragile d'un certain nombre de loges, on peut
accorder un certain crédit aux chiffres fournis par diverses sources qui
confluent dans l'ensemble. En 1771 le nombre des loges était de 164, soit 71 à
Paris, 85 en Province, 5 aux colonies, 1 à l'étranger et 2 ambulantes. A la
veille de la Révolution, le Grand Orient accuse le chiffre de 629 : 63 pour
Paris, 442 pour la Province, 38 pour les colonies, 69 militaires et 17 à
l'étranger. Quant à la Grande Loge, elle comptait 376 loges, dont 129 à Paris
et 247 en province. La dualité des
obédiences ne nuisit pas davantage au développement de l'Ecossisme jusqu'à la
veille de la Révolution. Ni la Grande Loge de Clermont, ni jusqu'en 1787 le
Grand Orient de France ne prétendirent en effet régenter les Hauts Grades.
Nombre de loges de l'un et l'autre bord se coiffèrent librement d'un Chapitre.
Le Grand Orient conclut des Concordats en 1776 avec les Directoires Ecossais
du Régime rectifié, en 1781 avec la loge parisienne du Contrat social, Mère
Loge Ecossaise de France, en reconnaissant à celle-ci « la faculté d'affilier
aux Grades dont elle [était] en possession les Loges régulières de la
constitution du Grand Orient ». L'Ordre des Philalèthes de Savalète de Lange,
le Rit Primitif de Narbonne du Marquis de Chefdebien, et tant d'autres, purent
se développer librement. En 1787 seulement, après que l'Ordre Royal d'Ecosse
établi en 1763 à Edimbourg eut patenté un Chapitre à Rouen, le Grand Orient
entreprit de régenter les Hauts Grades et institua un Rit français, ou Rit
moderne en sept degrés ; mais il ne prit pas alors de mesures de coercition
pour l'imposer. Mais on voit
apparaître aussi une tendance très nette à l'action dans le « monde profane »,
qui ne se traduit guère en France que dans le choix de titres évocateurs comme
ceux de Contrat social, de Démocratie, d'Egalité, de Fraternité et de Liberté.
C'est en Allemagne qu'on a pu situer le point de départ d'une « déviation ».
Nous dirions plutôt un gauchissement vers une action politique et vers une
pensée mystique, qui s'accompagnait, et sans doute par souci d'efficacité, d'un
renforcement du secret, l'occulte se superposant à l'occultisme. Mais ni
l'Illuminisme de Weishaupt, ni les doctrines de Swedenborg ne prirent racines
en France où, en revanche, s'implantèrent mieux qu'ailleurs les « loges
militaires » et les « loges d'adoption ». LOGES MILITAIRESLa première loge
militaire dont l'existence soit certaine remonte à 1732 et se rencontre en
Irlande. En France, cinq Loges régimentaires figurent, dès 1744, au Tableau de
la Grande Loge. Ces loges sont
généralement créées à partir d'une patente personnelle et elles portent le
plus souvent soit le nom de la « loge mère » de leur fondateur, soit celui de
leur unité. Leur nombre
s'accroît très rapidement après la constitution du Grand Orient au point qu'on
en rencontre dans ses « états » environ une pour trois unités. Mais il s'en
trouve également qui restent indépendantes. Il arrive, comme à
Châteaudun, qu'une loge militaire crée dans sa garnison une loge bourgeoise qui
subsiste après le départ des militaires. Mais l'inverse peut également se
produire. Et dans certains cas, comme à Carcassonne, il y a fusion entre la
loge militaire et la loge civile, ce qui est possible dans les cas de recrutement
militaire local. L'ouvrage récent
d'A. Le Bihan donne une liste de 99 loges militaires constituées ou
reconstituées par le Grand Orient avant 1789, dont 4 pour Paris, et il en cite
25 qui n'entrèrent pas en relation avec lui, notamment la loge de Beauffremont
Dragons dont le vénérable était le capitaine de Varennes et la Militaire de
Saint- Jean sous le marquis de Maupeou. On n'est pas peu
surpris de voir se constituer en 1793 même, à l'Orient de la Légion Franche
Etrangère, un atelier au titre distinctif de Liberté, Egalité, Fraternité,
inspiré peut-être des idées que nous allons voir diffusées par des Maçons
écossais et véhiculées hors de nos frontières. Mais c'est le premier Empire qui
constituera l'Age d'or des loges militaires. Il s'en constitua même, sur les
pontons anglais, parmi les soldats et marins prisonniers de guerre, comme le
futur Grand Commandeur Jean-Pons Viennet. LOGES D'ADOPTIONLa Constitution
d'Anderson n'admet pas les femmes dans l'Ordre maçonnique. Assez vite
cependant, celui-ci excite la curiosité féminine, et c'est par une femme, la
célèbre Carton, de l'Opéra, que le Lieutenant de Police Hérault put connaître
et divulguer en décembre 1737 le « Secret des Freys-Maçons ». Des sociétés
féminines ou mixtes parfois fort fantaisistes se constituèrent comme l'Ordre de
la Félicité, ou ceux de la Mouche à miel, des Fendeurs et des Tendeuses, des
Chevaliers et des Chevalières de l'Ancre ou de la Rose. Il était impossible, au
siècle des salons, de résister au courant. Comme il arrive souvent, c'est par
des rapports de police qu'au moins depuis 1744 nous trouvons trace des «
frimaçonnes », avec des détails assez peu édifiants. A. Lantoine en parle comme
de « jeux innocents ».
Certaines loges masculines, comme la Candeur, les Neuf Sœurs, le Contrat social
s'agrégèrent sous le nom de « loges d'adoption
» des loges de femmes, avec rituel spécial dont quelques-uns nous sont
parvenus. En 1774, le Grand Orient légalisait l'institution. L'essentiel de
l'activité de ces loges est constitué par des œuvres d'assistance. Mais il est
vraisemblable qu'au cours des travaux et des divertissements en apparence
futiles, des idées comme celles de Rousseau, de Voltaire ou de Beaumarchais
faisaient leur chemin, ce que Louis XVI appelait, et en cela il était assez
clairvoyant, une « folie intellectuelle ». La reine elle-même semble s'y être
intéressée d'assez près. Mme Helvétius tint
le maillet dans la loge Les Neuf Soeurs et, dans les années qui précédèrent la
Révolution, la duchesse de Bourbon doublement sœur du duc d'Orléans, et mère
du duc d'Enghien, était Grande Maîtresse de la Maçonnerie d'adoption. L'ORDRE SOUS LA REVOLUTIONLa Franc-Maçonnerie
française, divisée d'abord par des questions de personnes, ensuite par
l'existence de deux puissances en compétition plus ou moins ouverte, a subi
dans son ensemble et dans ses différents membres des épreuves égales et rudes.
Si les maçons n'avaient pas eu, au siècle des Lumières, de doctrine commune en
matière de politique, mais seulement une tendance humaniste, libérale et
jusqu'à un certain point contestataire (cf. par exemple le comte de Clermont
et le duc d'Orléans), ils se rencontraient, le plus souvent, dans une
opposition à peu près constante à la monarchie absolue. Ils ne tarderont pas à
se trouver en conflit d'idéologie dès l'ouverture des Etats Généraux. C'est
ainsi que le Grand Maître duc d'Orléans soutient le vote par tête et son
administrateur général le duc de Montmorency-Luxembourg le vote par ordre. Même opposition
entre les frères « aristocrates » et les frères « sans-culotte ». On en
rencontre beaucoup d'exemples. Un grand nombre des émigrés avaient fait partie
des loges, tant à Paris qu'en province. D'autres frères étaient d'ardents
révolutionnaires. Comme dans les
guerres civiles de Grande-Bretagne, on trouve donc des frères aussi bien dans
le camp des montagnards que dans celui des royalistes. Mais le trait le plus
commun qu'il soit possible de discerner en eux est le courage civique et le
courage tout court. Si l'attitude du Grand Maître sous la Convention lui valut
d'être répudié par les Frères dont il s'était désolidarisé, il faut convenir
que le danger qui le menaçait était bien susceptible de lui inspirer une résolution
désespérée, et que son courage devant la guillotine peut encore lui valoir une
sympathie rétrospective. La mère loge de
rite écossais philosophique Le Contrat Social, dont, comme nous l'avons dit, le
nom était déjà un programme, diffuse dès le début de 1791 plusieurs
circulaires dans lesquelles on trouve réunis pour la première fois les mots de
liberté, d'égalité et de fraternité qu'elle qualifie de « devoirs civiques »,
et elle met les Frères en garde contre la violence d'où qu'elle vienne, qui n'a
plus rien de maçonnique. Une de ces circulaires fut traduite en allemand par
le frère Dietrich, maire de Strasbourg, et diffusée par le frère Lemaire,
capitaine à l'armée du Rhin, avec l'aide d'autres frères appartenant à des
loges militaires. Les travaux des
loges subissent évidemment des perturbations graves sous la Convention.
Beaucoup d'entre elles pratiquent cependant, comme il est souvent arrivé par
la suite dans l'histoire, une Maçonnerie de la pénombre et du silence qui garde
le feu sous la cendre. Ainsi à Toulouse où on signale l'initiation « d'une
partie de 1'Etat-Major », à Marseille où, dans la loge La Parfaite Sincérité,
le frère Joseph Clary présente son futur gendre Joseph Bonaparte et l'ami de
celui-ci, Antoine Saliceti, Commissaire aux Armées ; à Lyon où la plupart
des Ecossais de rit rectifié, après avoir pris parti contre l'Eglise romaine,
mais aussi contre le clergé constitutionnel, trouvent la mort comme Antoine
Willermoz ou doivent s'exiler comme son frère Jean-Baptiste ; à Paris enfin.
Ici, l'activité maçonnique est interdite pour « modérantisme », mais elle se
poursuit cependant au sein de la loge des Amis de Sully devenue La Montagne,
par exemple, mais surtout au Centre des Amis autour du vénérable Alexandre
Roëttiers de Montaleau qui sut maintenir le flambeau dans les pires
circonstances. LE REVEIL : CONCORDAT DE 1799Après la Terreur,
les deux obédiences françaises regroupent les éléments qui peuvent reprendre
quelque activité. Un Concordat est conclu le 21 mai 1799, sanctionné par le
Grand Orient le 23 mai et par la Grande Loge le 3 juin. Il prévoit la fusion
des deux Obédiences sous le titre de Grand Orient de France, la suppression de
l'inamovibilité, mais la possibilité pour les Vénérables qui en avaient été
investis par leur loge de garder leurs fonctions pendant 9 ans encore. Le frère
Roëttiers, élu Grand Vénérable et non Grand Maître, appartient à l'Ecossisme
comme membre des Philalèthes qui se réunissent à leur tour ainsi que le
Chapitre d'Arras resté jusque-là indépendant et le Grand Orient peut déclarer «
irréguliers » tous les autres corps et se proclamer « seul et unique délégué
en France de la Grande Loge d'Angleterre ». Il s'agit évidemment, de la Grande
Loge des « Modernes ». Restaient cependant à l'écart encore le Rite d'Hérédom
(H.R.M.) de Kilwinning avec son Grand Chapitre de Rouen et divers Ateliers ou
groupes d'Ateliers dispersés. Mais c'est par le « pont américain » que vont
revenir des frères séparés qu'on ne reconnaîtra pas sans quelque gêne dans la
grande famille. L'ORGANISATION DU RIT ECOSSAIS EN AMERIQUE Le vieil écossisme
avait été porté de bonne heure en Amérique et peut-être, si l'on en croit
Reghellini et Thory, par des Ecossais eux-mêmes. Il y avait été, par la suite,
organisé ou réorganisé par Etienne Morin, porteur d'une patente de la Grande
Loge de France et de son Grand Conseil présidé, comme elle en fait, par
Chaillon de Jonville. Morin avait reçu d'autre part à Londres où il avait été
conduit en captivité pendant la Guerre de Sept Ans, une commission analogue du
comte Ferrers, Grand Maître de la Grande Loge d'Angleterre. Resté en relations
constantes avec la Grande Loge de France, il visite une quinzaine d'Orients où
il délivre des certificats, reçoit et transmet des requêtes et au besoin
établit des ateliers. Il fait de même en territoire anglais, comme nous allons
le voir. Nous avons déjà vu qu'à la faveur des désordres qui devaient aboutir à
une suspension de plusieurs années, la Grande Loge avait relevé Morin de ses
prérogatives, confiées à un certain frère Martin, ci- devant huissier rue
Quincampoix, qui partait pour les Iles. Mais celui-ci semble s'être borné à
créer une loge de la Vérité au Cap Français, loge que la Grande Loge,
d'ailleurs, refusa d'abord d'intégrer. C'est Etienne Morin qui continua
d'exercer les fonctions de Député de la Grande Loge et de Grand Inspecteur
Général pour l'Amérique. Pendant qu'en France la prolifération des degrés «
supérieurs » aboutissait au chaos, il dotait l'Ordre maçonnique d'Amérique
d'une organisation de Hauts Grades articulée sur la Maçonnerie bleue par une
habile superposition de loges symboliques, de loges écossaises ou de
perfection, de chapitres de Chevaliers d'Orient et de Conseils de Princes du
Royal Secret, grade qui constituait vers 1770 le dernier degré de l'Ordre maçonnique
et qu'on peut assimiler comme tel à celui de Chevalier Kadosch institué en
France et inconnu outre-Atlantique. Mais, en même temps
qu'à Paris la Révolution, avait éclaté ici la révolte des esclaves qui avait
chassé les colons. Toute trace d'activité de Morin avait cessé sans que nous
puissions savoir à la suite de quels événements, mais il avait préparé sa
succession et l'avenir de l'Ordre. C'est ainsi que le comte de Grasse, marquis
de Tilly, fils de l'Amiral de Yorktown et son beau-père Jean-Baptiste Marie de
la Hogue ou Delahogue, propriétaire à Saint-Domingue, avaient tous deux été
investis « à tous grades ». Ils trouvèrent refuge en 1796 à Charleston, en
Caroline du Sud. D'autre part, en vertu de la patente qu'il tenait du Grand
Maître Ferrers, Etienne Morin avait nommé en 1766 le Frère Henry Andrew
Francken « Deputy Inspector General pour les possessions anglaises », avec
pouvoir d'en constituer d'autres partout où ce serait nécessaire. Francken
créait en 1767 une loge de perfection à Albany, dans la colonie de New York et
nommait à son tour Inspecteurs Généraux adjoints les Frères Moses M. Hays et
Hyman I. Long. A Charleston, celui-ci à son tour conférait ces titres aux
Frères de Grasse et Delahogue. D'autres nominations avaient été prononcées dans
l'intervalle, puisque, dès le 25 juin 1781, huit Inspecteurs Généraux adjoints
créés par le jeu des cooptations pouvaient tenir un premier Chapitre Général à
Philadelphie en Pennsylvanie. A l'aube du XIXe
siècle, le colonel John Mitchell et Frédéric Dalcho, autre citoyen de
l'Amérique indépendante, jetaient les bases d'un Suprême Conseil des
Etats-Unis. Celui-ci, ouvert solennellement le 31 mai 1801, annonçait par
circulaire du 4 décembre 1802 « aux Deux-Hémisphères » son existence
officielle. C'est ce Suprême Conseil père qui nomma de Grasse-Tilly Grand
Commandeur et Delahogue Lieutenant Grand Commandeur pour les Indes occidentales
françaises. Il y avait, en Caroline du Sud comme en Angleterre, deux Grandes
Loges rivales, la Grande Loge des Anciens Maçons qui suivaient la tradition
d'York, et la Grande Loge qui avait adopté la tradition anglaise et se nommait
Grande Loge des Francs et Acceptés Maçons. Le Suprême Conseil intitula son rite
Ancien Accepté, passant la truelle sur les différends, et on peut remarquer que
si l'expression de Maçons anciens et acceptés fait penser surtout à cette
dernière qualité, la suppression de la conjonction dans rite Ancien Accepté
fait porter l'accent sur l'ancienneté, ce qui aura en France une importance
certaine. Il s'agira moins de « l'acceptation » des non-opératifs par les
manuels que de leur ancienneté honorable en face d'une obédience qui ne datait
que de trente ans : le Grand Orient. C'était déjà en
vertu d'un principe analogue que le frère da Costa ou d'Acosta, fait par Morin
(?)Inspecteur Général adjoint et réorganisateur au Cap Français de la loge au
titre distinctif La Vérité, était entré en correspondance avec le Grand Maître
du Grand Orient de France en vue d'établir des relations tant de la part de
cette loge que d'un « Grand Conseil des Hauts Grades ». Il en reçut une
réponse d'attente très fraternelle : mais c'était en 1788... C'est dans le même
esprit que le comte de Grasse, revenu à Saint-Domingue au moment de la campagne
du général Leclerc entreprit une démarche analogue en 1802. Mais c'est comme
prisonnier de guerre et en Jamaïque qu'il fonda en 1803 le Suprême Conseil
pour les Iles anglaises de l'Amérique. REORGANISATION DE L'ECOSSISME EN FRANCE Sous le Consulat,
le Grand Orient allait changer de politique. Jusque-là, il n'avait prétendu
régir que les trois degrés symboliques. Laissant les Ateliers de sa juridiction
pratiquer librement les Hauts Grades de leur choix, il traitait avec les
Directoires, les Mères Loges Ecossaises, les Chapitres ou autres organismes
dits « supérieurs » comme Puissance indépendante, mais d'égal à égal. En 1802,
devenu, en quelque sorte, impérialiste avant l'Empire, il considère maintenant
comme « irréguliers » et bannit de sa correspondance les « Ateliers qui
donneraient asile aux loges (sic) professant des rits étrangers à ceux reconnus
par lui ». Cette mesure était peut-être dirigée contre le Rite Egyptien de
Misraïm fondé par les frères Michel, Marc et Joseph Bédarride, mais ce ne fut
pas précisé et la Loge de la Réunion des Etrangers, ayant protesté contre cette
circulaire qu'elle considérait comme menaçant les grades écossais, fut rayée
de la correspondance du Grand Orient. La réaction partit de la loge
Saint-Alexandre d'Ecosse, loge très ancienne puisqu'elle avait été fondée en
1777 par la Grande Loge (de Clermont) sous le titre de Saint-Charles du
Triomphe de la Parfaite Harmonie et avait reçu en 1783 du Grand Orient
confirmation de sa patente. Reprenant ses
travaux le 22 août 1804 sous le maillet de son ex-Vénérable Louvain de
Pescheloche, qui allait tomber au champ d'honneur â Austerlitz, cette loge
entendit un exposé de son doyen, l'abbé d'Alès d'Anduze qui déclara : «
Napoléon Bonaparte est maçon écossais. Notre rit a donc un droit certain à la
protection qui émane du trône. » La loge élut, pour remplacer Pescheloche,
Godefroi de la Tour d'Auvergne, considéré comme « digne descendant de Godefroi
de Bouillon » et prit le titre de Mère Loge Ecossaise du rite d'Avignon,
laissé vacant par le sommeil de sa « sœur aînée », la loge du Contrat Social. C'est à ce moment
que le comte de Grasse revenait à Paris. Il avait été initié au Contrat social
et Saint-Alexandre le reçut avec enthousiasme. Dans ce climat écossais, il
exposa dans leurs grandes lignes les structures de l'écossisme américain,
conféra le 33e degré à l'abbé d'Anduze et à plusieurs autres Frères et
constitua ainsi le Suprême Conseil de France dont il fut fait Grand Commandeur.
C'était le 22 septembre 1804. La R\M\L\E\
(Respectable Mère Loge Ecossaise) Saint Alexandre d'Ecosse adressa à ce Suprême
Conseil une supplique à l'effet d'être considérée comme « le cœur représentatif
de la Maçonnerie Ecossaise en France », et avec son accord convia les députés
des loges écossaises à ériger à Paris une Grande Loge Ecossaise. Celle-ci
appela à sa tête comme Grand Maître le prince Louis Bonaparte et comme l'avait
fait le Suprême Conseil de Charleston, elle apprit la bonne nouvelle au «
peuple maçon répandu sur les deux Hémisphères », par circulaire du Zef novembre
1804. L'unité de la franc-maçonnerie française était de nouveau rompue. Les principaux
Grands Officiers de la Grande Loge Générale Ecossaise étaient, avec le Grand
Maître ad vitam Prince Louis Bonaparte, connétable d'Empire : le maréchal Masséna, le comte Marescalchi, ministre des Affaires Etrangères du royaume d'Italie ; les Grands Conservateurs : le général de division de TimburneThiembronne, comte de Valence, le comte de Lacépède, membre de l'Institut, le maréchal Lefebvre ; les Grands Surveillants le maréchal Sérurier, et l'ancien notaire Germain Hacquet, propriétaire à Saint-Domingue, le Grand Secrétaire le frère Pyron, etc. Coup sur coup, la
Grande Loge Générale Ecossaise se réunit six fois entre le 27 octobre et le 5
décembre 1804. Elle put ajouter à
son titre celui de « Rit ancien », car elle était, par sa composition, vraiment
représentative de « l'ancienne Maçonnerie », par opposition au Rit moderne du
Grand Orient. Mais, contrairement
à l'attente des Ecossais, Napoléon n'allait pas autoriser ce qui lui
apparaissait comme un schisme. Il ordonna à la G.L.G.E. de fusionner avec le
Grand Orient. Il demandait, en outre, un mémoire détaillé sur la question. Il
fallait donc discuter pour établir un modus vivendi. Les négociations furent
conduites, pour le Grand Orient par Roettiers de Montaleau, Challan et Bacon de
la Chevalerie, pour la Grande Loge Ecossaise par de Grasse, Kellermann et
Pyron. Elles furent menées rapidement entre le 28 novembre et le 3 décembre,
elles donnèrent lieu à un « Procès-Verbal d'adoption de l'Acte d'Union entre
les deux rites et du Concordat qui y fait suite ». Les deux instances
ratifièrent ces documents dans les jours qui suivirent et leurs dispositions,
présentées à l'Empereur par Kellermanna et Cambacérès, furent acceptées sans
changement. La Grandi Loge Générale Ecossaise était absorbée par le Grand
Orient. LES DIFFICULTES D'APPLICATION DU CONCORDAT DE 1804La volonté
d'aboutir rapidement avait fait réserver les mesures de
détail qui devaient
être réglées en « assemblée
générale des commissaires ». Mais la
rédaction
définitive allait se révéler labo rieuse. Les
Ecossais avaient obtenu des
dispositions très avantageuses : les chapitres
écossais étaient intégrés de plein droit, sauf à faire viser leurs constitutions
par un Grand Chapitre général institué auprès du Grand Orient ; les chapitres
antérieurement constitués devaient tous adopter leur rit et leur régime. Le
Suprême Conseil se voyait accorder le droit de révoquer les officiers du Grand
Orient « à lui dénoncés par les loges », de réformer les décisions du Gran0
Chapitre général, etc. Mais au sein de la
Commission des difficultés s'élevèrent vite, notamment en ce qui concernait le
Grand Chapitre général et la possibilité de destituer les Grands Officiers. Un
« état » du Grand Orient de France ayant diffusé des dispositions contraires au
Concordat, les représentants du Suprême Conseil firent des observations et
Roëttiers de Montaleau prit sur lui de faire publier un erratum. Cependant, dès
le milieu de Ventôse An XIII (début mars 1804) la Commission renonçait à
poursuivre ses travaux. Les mêmes problèmes
se posaient au sein du Grand Chapitre général et dès le 11 juillet 1804
l'assemblée générale du Grand Orient décidait d'instituer un Directoire des Rites,
avec autant de sections que de degrés, ce qui était, une fois de plus, en
contradiction absolue avec le Concordat. Des loges
écossaises de Paris décident alors de dénoncer le Concordat « si le Grand
Orient ne rétablissait pas dans les dix jours les dispositions du Concordat,
sauf au surplus à apporter à celles-ci les changements qui paraîtraient
nécessaires et n'en détruiraient pas les bases fondamentales ». Grâce aux bons
offices de Kellermann, une convention en cinq articles fut élaborée, suivant laquelle
les attributions étaient équitablement réparties entre le Grand Orient pour
les degrés du 1er au 18e inclus, et le Suprême Conseil du 18e exclu au 33e. L'année suivante,
de Grasse-Tilly, qui reprenait du service aux armées donnait sa démission de
Grand Commandeur pour la France et le Suprême Conseil le remplaçait par
Cambacérès, Grand Maître adjoint du Grand Orient de France, coopté avec de
nouveaux membres comme le Sénateur Clément de Ris, le Général de Beurnonville
et le comte Muraire, premier Président de la Cour de cassation. En 1811 seront
également appelés à leur tour, le maréchal Lefebvre, les généraux Rampon et
Rouyer, le sénateur Chasset, le comte de Ségur, l'avocat de Joly et R061-fiers
de Montaleau fils. Sept membres du
Suprême Conseil pour l'Amérique, fondé par de Grasse, sollicitèrent leur
admission au Suprême Conseil de France. Par un arrêté pris le 30 janvier 1813,
leur demande fut poliment repoussée, leur juridiction se limitant aux Iles.
Mais un certain nombre d'entre eux furent cependant admis comme membres
honoraires, et les relations entre les deux corps restèrent très fraternelles. D'autres rites
écossais vont, à leur tour, se réveiller. Cambacérès accepte la Grande
Maîtrise effective de la plupart d'entre eux, consacrant ainsi « en daignant
permettre de les protéger, la liberté du culte et des rites maçonniques ». Parmi ceux-ci, le
rite écossais philosophique, celui de la mère loge du Contrat Social réveillée
en 1805 est bientôt fondue avec Saint-Alexandre d'Ecosse. Cette puissance qui
comptait une trentaine de loges à la fin de l'Empire devait disparaître en
1826. Cambacérès accepte
également la Grande Maîtrise d'honneur des Chapitres français de l'ordre royal
d'Ecosse (1806), la Grande Maîtrise effective des Directoires écossais du rit
rectifié (1808) et, l'année suivante celle du rite primitif de Narbonne. Ces
puissances ne connurent qu'une vie éphémère. Lui restaient
étrangers pourtant, le rite de Misraïm à 90 degrés (33 + 33 + 11 + 13) et les
ordres prétendus Templiers des frères de Chevillon et Fabré-Palaprat. LE TOURNANT DES CENT-JOURS ET DE LA RESTAURATIONLa chute de
Napoléon ne provoqua au sein de la franc-maçonnerie aucune perturbation grave.
Il y eut bien quelques revirements accompagnés de destruction d'archives, mais
pas de raz de marée. Le prince Joseph Napoléon, Grand Maître du Grand Orient,
fut remplacé dans ses fonctions par un Conseil de trois Grands Conservateurs,
le maréchal Macdonald, duc de Tarente, le général marquis de Beurnonville et le
comte de Valence, membre du Suprême Conseil. Roêttiers de Montaleau gardait
l'office de représentant dans lequel il avait succédé à son père. Le tableau des «
Membres actifs et délibérans » du Suprême Conseil du Rite Ecossais ne subit pas
de modifications. Il comprenait : 1° le Très Puissant
Souverain Grand Commandeur Cambacérès, duc 2° le Très Illustre
Inspecteur Lieutenant Grand Commandeur Cyrus de Timburne-Thiembronne, comte de
Valence, général de division ; 3° le Trésorier du
Saint-Empire Claude Antoine Thory, propriétaire ; 4° le Secrétaire du
Saint-Empire Jean-Baptiste Julien Pyron, ancien avocat, ancien Intendant des
domaines du Comte d'Artois ; 5° le Grand Maître
des Cérémonies Germain Hacquet, ex-notaire et -propriétaire à Saint-Domingue,
et 24 Grands Inspecteurs Généraux dont Kellermann, Lacépède, l'abbé d'Alez,
Masséna, Beurnonville, Muraire, le maréchal Lefebvre. Après Waterloo, les
choses allaient changer rapidement. Le Grand Orient avait, dès le 5 mai 1814,
proposé la « centralisation des rites en vue de l'unité » au Suprême Conseil. Celui-ci, qui
préfère envisager une organisation à l'américaine réserve d'abord sa réponse,
puis entame des négociations pour éviter le retour des difficultés de l'année
1804-1805. Mais brusquement, le Grand Orient, sous la pression, semble-t-il,
des frères titulaires de divers degrés supérieurs français et revendiquant des
« équivalences » déclare, à la fin de 1814, « reprendre l'exercice de tous les
droits qui lui appartiennent sur tous les rites ». Le Suprême Conseil ayant
alors repoussé la demande de « centralisation » le Grand Orient crée, sous la
présidence d'un transfuge du Suprême Conseil, le notaire Germain Hacquet, un
Suprême Conseil des Rites qui supposait l'intégration des 33 degrés, et non
plus des 18 premiers seulement. Le coup était rude
pour le « Suprême Conseil du 33» degré pour la France », celui qu'avait créé le
comte de Grasse-Tilly en 1804 et qui était, depuis 1806, présidé par
Cambacérès. Comme un malheur n'arrive jamais seul, ce Suprême Conseil allait,
en 1815, se trouver décapité par l'exil de son Grand Commandeur et par la
réaction qui suivit les Cent Jours. Il y eut alors une
éclipse dans l'activité de cet organisme de haut grade et les dirigeants du
Grand Orient de France, devenus ardemment bourboniens, triomphèrent et
célébrèrent l'unification sous leur houlette. Leurs relations avec le nouveau
pouvoir politique étaient si bonnes qu'ils obtinrent du Gouvernement la
réouverture de loges fermées et une circulaire déclarant que « Sa Majesté
tolérait les Loges soumises au Grand Orient et ne les considérait pas comme
sociétés secrètes. » En août 1818 ils
répudièrent « toute solidarité entre les actes du Grand Orient et ceux du
Suprême Conseil » (Feuillette) . Mais le comte de
Grasse, Grand Commandeur honoraire du Suprême Conseil qu'il avait fondé, était
resté Grand Commandeur en exercice du Suprême Conseil du 33» degré pour les
lies françaises de l'Amérique au Vent et sous le Vent, exilé à Paris. il donna alors une
vive impulsion audit Conseil qui devint dès lors le point de ralliement des
ateliers écossais de la métropole, réfractaires au Grand Orient, en attendant
que le Suprême Conseil de France reprit force et vigueur. Entre-temps et pour
le plus grand profit de l'Ordre, de Grasse allait, le 8 septembre 1818,
renouveler le geste qu'il avait accompli en 1806 en faveur de Cambacérès : il
abandonna sa charge de Grand Commandeur du Suprême Conseil d'Amérique pour permettre
l'élection du frère Elie Decazes qui allait être fait duc et devenir, en
janvier 1819, ministre de l'Intérieur et en novembre Président du Conseil. En dépit des
attaques d'une partie de ses collègues hostiles au Suprême Conseil de France,
et qui créèrent un troisième Suprême Conseil dit du Prado, du nom de son local,
sous la direction du vice- amiral Allemand, de Grasse tint bon, ainsi que
Decazes et le Suprême Conseil d'Amérique, désormais dit de Pompéi. Ce Suprême Conseil
assura alors le relais, et il sera pendant trois ans le point de ralliement des
ateliers écossais réfractaires à la domination du Grand Orient. Enfin, sortant de
son sommeil, le Suprême Conseil de France, Cambacérès auquel il était fidèle
étant revenu d'exil mais renonçant à ses fonctions, reprenait ses activités
sous la direction du comte de Valence. Il admettait dans
son sein des membres du Suprême Conseil d'Amérique, dont Decazes, reconnaissait
de même la plupart des promotions attribuées par lui comme il en intégrera
bientôt les loges. Il enregistrait aussi les démissions des frères Hacquet,
Joly et Roêttiers de Montaleau. Le 7 mai 1821, il
déclara solennellement « réunis à lui tous les Maçons réguliers de Rit
Ecossais Ancien Accepté dont il est et demeure le seul chef ». Il complétait
son effectif par une série de nominations. Le Suprême Conseil dit d'Amérique
cessait d'exister. Son Grand Commandeur prendra, de 1838 à 1860, la direction
du rite. Pour l'instant, le
comte de Valence étant décédé, les fonctions de Grand Commandeur furent
dévolues au comte de Ségur, académicien, ex-ambassadeur à Saint-Pétersbourg,
écrivain et membre de l'Académie française (février 1822). Il choisit comme
Lieutenant Grand Commandeur le duc de Choiseul. Le temple était relevé et
avait retrouvé sa couverture. Le Concordat
dénoncé, le Suprême Conseil décidait en mars 1821 de créer une Loge de la
Grande Commanderie. C'était « la première cellule », celle où tous les
Ecossais, ne faisant pas partie du pouvoir directeur, pouvaient se réunir sous
son égide et travailler efficacement au développement du Rite ». D'autres loges
vinrent rapidement se joindre à la cellule centrale qu'était la loge de la
Grande Commanderie soit par création, soit par intégration : n° 3 les Chevaliers bienfaisants de l'Olivier Ecossais qui deviendra les Trinitaires, n° 4 les Chevaliers de Palestine, n° 5 les Hospitaliers Français, n° 6 le Mont Sinaï, toutes à l'Orient de Paris, et n° 7 l'Ecole de la Sagesse à l'Orient de Metz. Et, le 12 juillet
1822, la Grande Commanderie sera érigée en Grande Loge Centrale, divisée en
trois sections : la première, celle des degrés symboliques jusqu'au 18e inclus
; la deuxième, celle des degrés supérieurs, depuis le 19' jusqu'au 32e inclus ;
la troisième était une section administrative. Au-dessus de ces sections
planait le Suprême Conseil qui contrôlait ou légalisait les opérations des
sections. Son pouvoir était absolu et il l'est demeuré sur toutes les loges
écossaises du 1er au 32° degré jusqu'à ce que les loges bleues du Rite Ecossais
aient obtenu en 1894 leur autonomie. Il ne l'exerce plus aujourd'hui que sur
les loges travaillant du 4e au 32° degré. Quand, le mois,
suivant, une Fête de l'Ordre rassemble tous les Ecossais réunis en un même corps,
c'est un chant d'allégresse et d'espoir qu'entonne le secrétaire du
Saint-Empire, l'Illustre Frère comte Muraire, membre de l'assemblée législative
et Président honoraire de la Cour de cassation, dont il convient de saluer la
mémoire comme celle de l'artisan véritable de la cohésion du Suprême Conseil,
en quelque sorte le Roêttiers de Montaleau du Rite Ecossais. Voici les paroles
prophétiques qu'il prononça à cette occasion : « Ce n'est
pas seulement la Fête annuelle de l'Ordre qui nous rassemble, c'est la
réorganisation et l'inauguration du Suprême Conseil du 33e degré pour la France
que nous venons célébrer ; c'est la reprise de ses travaux et de sa
correspondance que nous venons annoncer à tout le Rite Ecossais et, par-là,
donner à ce Rite une nouvelle impulsion, j'ai presque dit une nouvelle vie, et
lui rendre le mouvement et l'activité ; c'est la réunion loyale et touchante
qui s'y est opérée et qui, par l'unité qu'elle y établit et l'harmonie qu'elle
y ramène, en assure désormais la constante et inaltérable prospérité que nous
venons proclamer ». On intronise ce
jour-là, comme Très Puissant Souverain Grand Commandeur, le Très Illustre frère
Général comte de Valence ; on accueille avec transport le duc de Choiseul. LA FRANC-MAÇONNERIE SOUS LA MONARCHIE CONSTITUTIONNELLE La suite de cet
essai devra beaucoup aux travaux que nous citions en avant-propos. Nos éminents
frères Albert Lantoine, Antonio Coen et Michel Dumesnil de Gramont ont utilisé
des documents dont une partie a disparu depuis et, sauf sur certains points
que nous n'éluderons pas, les études plus récentes n'ont pas modifié
foncièrement leurs conclusions, ce qui n'était pas toujours le cas pour la
période antérieure à 1820. Les Bourbons,
revenus au pouvoir, ne songent guère à inquiéter une Franc-Maçonnerie qui ne
les inquiète pas. Elle leur apparaît toujours sous son aspect véritable de
bonnes gens qui se réunissent pour échanger des propos sans méchanceté et,
dans des « agapes innocentes », célébrer les joies de la fraternité par des cantiques
d'une médiocrité ingénue. Quand, dans son
réquisitoire contre les Quatre Sergents de La Rochelle, le procureur général
fera allusion à la qualité maçonnique de deux d'entre eux, il refusera — assez
dédaigneusement — d'y voir une aggravation de leur culpabilité. Pourtant la
Franc-Maçonnerie, par la force des choses, va se trouver amenée à seconder
l'action profane des libéraux. Il nous faut tenter d'expliquer pourquoi, alors
que son influence sur la Révolution française est, nous l'avons vu, toute
relative, elle participera au mouvement insurrectionnel de 1830. L'Empereur
Napoléon, par le Concordat avec le Pape, avait paru circonscrire d'une façon
humiliante le pouvoir de celui-ci ; en réalité — la France s'en est aperçue
jusqu'au vote de la Séparation de l'Eglise et de l'Etat — le Vatican y avait
gagné de n'être plus inquiété dans le domaine même où on le reléguait : le
domaine spirituel. Depuis longtemps, toute intrusion dans le temporel lui était
interdite, malgré ses discrètes et indiscrètes tentatives, et il ne perdait
pas grand chose en fait — sinon en prestige — à voir cette interdiction
codifiée. Devenir le chef incontesté de l'Eglise catholique donnait au Pape le
droit absolu de régir la spiritualité de ses ministres et de ses fidèles. Les
parlements, au XVIII' siècle, avaient limité ce droit en en soumettant les
manifestations à leur examen critique ou au bon vouloir du monarque. Leur refus
d'entériner les bulles contre les francs-maçons en est un exemple typique.
Après la signature du Concordat, au contraire, toute la Catholicité retournait
sous la houlette du Saint-Père et les excommunications pontificales se
trouvaient reprendre, pour employer une expression maçonnique, « force et
vigueur ». Résultat, abandon des loges par les ecclésiastiques et hostilités
des dévots contre les francs- maçons, hostilité entretenue par des racontars de
curés sans culture et, déjà, par des feuilles publiques spéculant sur la
crédulité de leur clientèle. On sent dans leurs propos, comme un relent des calomnies
de l'abbé Barruel. La haine de ces
apostoliques fait, par réaction, l'objet des discussions maçonniques. Comment
en serait-il autrement ? Elle risque, en effet, de compromettre l'existence de
l'Ordre si les conseillers écoutés de Charles X, qui sont à la tête de ce
qu'on appelle alors « le parti prêtre », arrivent à triompher de la sourde
irritation des Français auxquels la Charte de 1814, leur rendant l'appellation
offensante de « sujets », avait confisqué les conquêtes civiques de la
Révolution. Aussi est-il indiscutable que si elles ne préparèrent pas la chute
du régime dans le mystère de leurs travaux, les loges collaborèrent de toute
leur foi, et par l'activité belliqueuse des frères, à l'explosion de colère qui
balaya le trône des Bourbons. C'est là un fait
capital dans l'histoire de la Franc-Maçonnerie. Jusqu'alors, on
peut dire qu'elle était simplement demeurée spectatrice des événements. Le fait
que certains de ses membres s'étaient trouvés mêlés comme acteurs à ces
événements ne constitue pas une contradiction, toute liberté d'action et de
pensée leur étant, comme de nos jours, constitutionnellement et effectivement
laissée. Mais après les Trois Glorieuses, nous la verrons se vanter — pour la
première fois — d'avoir aidé à l'instauration d'une ère moins rétrograde. Nous
ne disons pas une ère libérale parce que le roi citoyen aura vite fait de
décevoir les espérances de ses premiers partisans. La fête qu'elle offre au
général La Fayette, à l'Hôtel de Ville de Paris, l'exaltation de ses héros
morts pour la « cause sacrée », ses chants et ses discours témoignent nettement
de ses soucis politiques. Le Rite Ecossais, certes, participe à la joie générale,
puisque c'est son Grand Commandeur, le duc de Choiseul, qui préside la
cérémonie en l'honneur du « libérateur des deux mondes », mais on sent
néanmoins qu'il ne voulait pas que cette attitude de l'Ordre, bien que
justifiée par un sûr instinct de défense, déterminât une orientation contraire
à ses principes. La preuve en est que, lorsque des combattants de juillet 1830,
francs-maçons, voudront, sous les auspices de La Fayette lui-même, qui accepte
d'être leur Vénérable d'honneur, créer une loge nouvelle sous le titre Les
Trois Jours, ils échoueront en dépit ou à cause de leur programme d'action. On vient d'étudier
la brève histoire de cet atelier au titre doublement symbolique. Son
état-major comprenait les Maçons les plus éminents, outre La Fayette, le député
Alexandre de Laborde, le banquier Laffitte, Vénérable, le Maire du 4e
arrondissement, Ch. Cadet de Gassicourt, le docteur de Laborde, le futur
ministre Odilon Barrot, et l'explorateur Crampel. Mais lors de son
installation, le général Ch. Jubé, Grand Secrétaire Général du Suprême
Conseil, lui retira sa patente, compte tenu du fait qu'avant même l'intégration
la loge avait suivi, bannière déployée, le convoi funèbre du général Lamarque
et qu'elle prétendait, le jour de son installation même, procéder à l'admission
d'un réfugié polonais. L'appel interjeté, soutenu mollement ou pas du tout par
les fondateurs qui appartenaient au Suprême Conseil fut vain et, en application
du règlement, cette loge disparut. Louis-Philippe,
dont on escomptait la reconnaissante bienveillance et qui, espérait-on,
placerait ou laisserait placer son fils à la tête de l'Ordre, se montrait du
reste déjà sournoisement hostile aux institutions comme aux hommes qui
l'avaient porté au pouvoir. De son côté, la
Franc-Maçonnerie témoignait d'une prudente discrétion et se repliait sur sa
véritable tradition. Elle venait de sortir
de sa tour d'ivoire. Précédent dangereux. A raisonner dans l'absolu, on lui a
parfois donné tort. Mais il est des circonstances dans la vie des peuples qui
dépassent la volonté des individus et qui prouvent la faillibilité de leurs
lois. Tolstoï l'a montré d'une façon prophétique dans La Guerre et la Paix. Et
nous l'avons constaté nous-mêmes lorsqu'au moment d'une affaire fameuse, des
savants jusqu'alors réputés pour leur dédain des contingences, des écrivains
d'un scepticisme presque ostentatoire, voire des Sociétés scientifiques, se
mêlèrent au conflit d'ordre idéologique qui divisait le pays en deux camps
résolument adverses. Le danger de tels gestes est qu'on retrouve difficilement
la. sérénité perdue. LA FRANC-MAÇONNERIE SOUS LA IIe REPUBLIQUEAprès la chute de
Louis-Philippe, d'autres frères aux tendances politiques « opératives » eurent
l'idée de fonder une obédience nouvelle qui, s'appuyant sur les principes de
1848 ne se désintéresserait point de la chose publique. Cet engagement
politique, qui commença par une réunion à l'Hôtel de Ville et une manifestation
en faveur du Gouvernement Provisoire de la République aboutit d'une part à provoquer
une harangue de Lamartine, et d'autre part à créer une Grande Loge Nationale de
France. Convaincus d'être dans la Vérité maçonnique, et d'accomplir la volonté
du Grand Architecte de l'Univers ses fondateurs commencèrent par décréter
l'abolition des Hauts Grades et de l'inamovibilité des fonctions. Cette obédience
comptait au départ sept loges dont cinq transfuges du Suprême Conseil, les
Trinitaires (n° 3) , les Commandeurs du Mont Liban (16) , les Patriotes (38) ,
les Invisibles Ecossais (65) , l'Etoile de Bethléem (90) . Mais les dissidents
restaient encore fidèles aux traditions du rite, ce qui n'arrangeait rien. Ils
avaient mis à leur tête le docteur du Planty, maire de Saint-Ouen, et créé une
loge La Fraternité à l'Orient de Montmartre. Face à ce schisme
qui pouvait être inquiétant, l'obédience écossaise se contenta de parler de
manifestations soi-disant maçonniques et de prendre au coup par coup des
mesures feutrées qui allèrent pourtant jusqu'à l'exclusion sans éclat de loges
ou de frères, pendant qu'on pouvait faire état des « frères restés fidèles à
leur serment ». De son côté, le
Grand Orient ne perdait pas de temps. Dans son convent de 1849, se refusant à
faire la part du feu, il jugea nécessaire de définir ses principes et
d'affermir sa régularité en précisant une obligation jusque-là restée vague. Après rapport,
débat et vote, l'Assemblée générale vote un article ter de la Constitution du
Grand Orient de France qui précise que « La Franc-Maçonnerie a pour principe
l'existence de Dieu et l'immortalité de l'âme. » Malgré un correctif sur la
liberté de conscience, cette affirmation dont le moins qu'on puisse dire est
qu'elle est dogmatique paraît, avec le temps, assez peu adéquate. Mais elle
permettait, alors, d'espérer l'audience d'une clientèle assez large, car elle
intéressait un secteur d'opinion hostile au « Roi Citoyen », mais « voltairien
». Ce secteur allait jusqu'aux curés bénisseurs d'arbres de la liberté et on
pourrait, rien que d'après Balzac, en faire une étude instructive. Pour en revenir à
la Grande Loge Nationale, elle provoqua le 30 octobre 1850 l'envoi par le
Ministre de l'Intérieur d'une circulaire aux Préfets dans laquelle il dit : ...
L'Administration ne reconnaît une existence régulière qu'aux loges « qui
sont placées sous l'obédience du rite français et écossais et du Suprême
Conseil. Toute société
maçonnique qui ne se rattacherait pas directement à l'une ou l'autre de ces
deux branches de la franc-maçonnerie, devra être assimilée aux sociétés
secrètes ordinaires... » Trois mois plus
tard, le Préfet de Police de Paris, fonctionnaire de la 2e République,
interdisait une obédience qui avait le défaut d'être républicaine et aussi de
prétendre « qu'il ne soit rien fait sans qu'on ait à compter sur elle. » LA FRANC-MAÇONNERIE SOUS LE SECOND EMPIRELes deux
organisations qui se trouvent ainsi régularisées par un ukase officiel ont-elles
tenu à justifier cette confiance en revenant à la pure tradition maçonnique ?
On est obligé de le croire car enfin — et cette constatation doit bien gêner
les anti-maçons qui, au cours de l'histoire, s'obstinent à classer toujours
l'Ordre parmi les groupements d'avant-garde — on ne la voit guère se manifester
lors du Coup d'Etat de décembre 1852. Une adresse du Grand Orient deux mois
auparavant le montre même, cette fois encore, impérialiste avant l'Empire. Les travaux de
cette obédience ne prêtent guère à suspicion. Malheureusement des rivalités
d'ordre intérieur et assez vives, au sujet de la Grande Maîtrise que se
disputent un moment le prince Murat et Jérôme Napoléon, provoquent
l'intervention de Napoléon Ill. La tactique de l'oncle inspire le neveu. Et
alors paraît sa décisions dans I' « Officiel » du 2 janvier 1862 : « Napoléon,
vu les articles, etc., etc., considérant, etc., avons décrété et décrétons ce
qui suit... S. Exc. le Maréchal Magnan est nommé Grand Maître du Grand Orient
de France ». Magnan n'était même pas maçon. Le coup est
rude ; non pas qu'a priori le maréchal Magnan déplaise, mais le procédé
choque. Certes ce n'était pas la première fois que I'Etat imposait son favori,
mais en sauvant la Forme ; le vote des frères entérinait. D'ailleurs, souvent
l'Ordre lui-même, pour témoigner de son loyalisme, avait demandé au pouvoir de
lui désigner un chef. En 1862, c'est la carte forcée, contre laquelle on ne
peut rien, sinon se montrer assez souple pour — et c'est ce qui arrivera —
reconquérir le droit d'élection. Et les bulletins alors consacreront le choix
de l'Empereur en maintenant à son poste de Grand Maître le maréchal Magnan. Celui-ci, pour
ajouter à son prestige et satisfaire à la volonté évidente de l'Empereur, veut
obliger le Suprême Conseil à fusionner avec le Grand Orient. Ainsi se
trouverait justifié ce titre qu'il arbore orgueilleusement, mais inexactement :
Grand Maître de l'Ordre maçonnique en France. Le Rite Ecossais renâcle. En
somme c'est son suicide qu'on lui demande. Déjà, depuis sa naissance, les
offres les plus tentatrices lui avaient été faites pour une absorption sans
douleur. Cette fois la
situation est grave, car — fait encore unique dans l'histoire de
l'Institution
— le Pouvoir jette son glaive dans la balance. Résister
à la volonté de
l'empereur eût été impossible si le Suprême
Conseil n'avait eu à sa tête un
assez mauvais coucheur, l'écrivain et homme politique Viennet.
Il a pour lui le
bénéfice de son rang social — il est membre de
l'Académie française — et le
bénéfice de son grand âge. Il est royaliste. Il a
fait partie de cette cohorte
de collaborateurs du Constitutionnel que l'on appelait les «
Voltairiens de la
droite » ou « les hérésiarques de la
légitimité » — et il est demeuré
fidèle à
ses convictions monarchistes. Raison de plus pour le réduire ?
Non. Tout
gouvernement pactise avec ses adversaires. C'est son
intérêt, surtout pour des
affaires d'une importance bien secondaire. Viennet refuse de
se soumettre au désir impératif du maréchal Magnan ; ses missives témoignent
de l'orgueil de son Rite. Magnan insiste, pis, il menace. Viennet va trouver
l'empereur. L'empereur n'est pas méchant. Il compatit au fond à la révolte
sentimentale de ce vieillard qui ne veut pas se rendre. On l'imagine calmant
l'impatience du maréchal : « Laissons-le tranquille... Il a quatre-vingt- huit
ans... Quand il ne sera plus là... ». D'autre part, il sait bien que le Rite
Ecossais est peut-être royaliste, mais que son caractère initiatique peu enclin
aux aventures, ne le rend guère inquiétant pour le régime. Le Suprême Conseil
est surtout préoccupé d'internationalisme, non dans l'acception
antipatriotique que des malveillants pourraient donner à ce mot, mais pour un
apostolat de fraternité. D'autres Suprêmes Conseils se sont créés dans maintes
nations par des statuts précis où sont affirmés la croyance en Dieu et le
respect des lois et, par leur confédération, ils aident à l'interpénétration
des esprits et conséquemment au rapprochement des peuples. Quand Viennet
meurt, après Magnan, l'attention gouvernementale est accaparée par bien
d'autres soucis. La Franc-Maçonnerie d'ailleurs ne fait guère parler d'elle ;
un de ses membres, le docteur Buchtold-Beaupré, dans son livre Isis ou
l'Initiation maçonnique, va même jusqu'à lui reprocher « son abstention ou sa
réserve dans les grandes luttes politiques et religieuses du jour ».
L'Institution est vraiment fidèle à sa doctrine première qui ne prescrivait
aucune foi, mais il n'y a guère d'exemple qu'à cette époque un rite accueillît
un seul néophyte se proclamant nettement athée. Même, en 1875, au Rite Ecossais
(nous anticipons un peu sur les événements mais ce détail trouve ici sa place
et son considérable intérêt), la loge des Coeurs Unis refuse un candidat qui
n'avait pas voulu reconnaître l'existence du Grand Architecte, « ce qui, disait
le rapport envoyé au Pouvoir Central, est contraire à nos Règlements ». La
Franc-Maçonnerie, sous le Second Empire, y gagne du moins d'être bien vue et à
la Cour, et à la Ville. Quand la Société de Saint- Vincent-de-Paul qui, assez
inquiétante par ses menées politiques, refusa la reconnaissance publique qu'on
lui avait offerte, le minitre, M. de Persigny, opposa officiellement
(circulaire du 16 octobre 1861) le bon esprit de la Franc-Maçonnerie à l'attitude
méfiante de la Société. Cela devait susciter de la part de Mgr Dupanloup une
protestation enflammée. L'influence du maréchal Magnan aidait à cette heureuse
réputation. En effet, tout
système, aussi fâcheux soit-il, ne va pas sans quelques avantages compensateurs
: ces grands Maîtres toujours choisis parmi les personnages haut placés non
seulement protègent l'Ordre, mais celui-ci profite moralement de leur situation
dans le monde profane. Cela ne fut pas seulement au XVllle siècle, mais pendant
tout le XIXe siècle jusqu'en 1871. Les francs-maçons jouirent jusqu'à
l'avènement de la troisième République d'une considération évidente parmi
toutes les classes de la société. Ils avaient des ennemis parmi les
catholiques, certes, mais des ennemis qui n'étaient jamais parvenus à les salir
dans l'opinion de leurs contemporains. Ils gardaient le prestige d'avoir eu
dans leurs rangs des hommes célèbres par leur talent, leurs mérites, et même
par leur naissance. Lorsque ceux qu'on
appelait les libres-penseurs étaient malmenés par leurs adversaires dans les
assemblées représentatives, on évitait de les confondre avec les francs-maçons.
Combien cette remarque est révélatrice d'un état d'esprit qui nous étonne
aujourd'hui ! Pour ceux qui la pourraient trouver insuffisamment fondée, nous
citerons ce fragment du discours que Sainte-Beuve prononça au Sénat, en 1868,
au sujet des « tendances matérialistes de l'enseignement ». Nous le relevons
dans le Moniteur Universel du mercredi 20 mai 1868 : « ... Est-ce parce que
les esprits faisant partie de cette classe ne sont pas associés, affiliés entre
eux, comme cela a lieu pour les sectes et communions religieuses ? Je serais
presque tenté de le croire, car du moment qu'il y a un lien d'association comme
dans l'Ordre de la Franc-Maçonnerie par exemple, oh ! alors on cesse d'être
injurié, répudié, maudit — je ne dis pas dans les chaires sacrées, c'est leur
droit — mais dans les assemblées publiques et politiques. Si l'on parlait ici
dans le Sénat des francs-maçons comme on y parle habituellement des
libres-penseurs, on trouverait assurément quelqu'un de haut placé °pour
répondre. » (Sourires, les regards se portent sur le général Mellinet qui prend
part lui-même à l'hilarité). (Le général Mellinet était alors Grand Maître du
Grand Orient, mais à la différence du maréchal Magnan, il était maçon depuis de
longues années) . LA FRANC-MAÇONNERIE SOUS LA IIIé REPUBLIQUEUne grande partie
de la Maçonnerie, et notamment certains de ses dirigeants les plus importants,
allait changer de cap. Bonapartistes sous l'Empire, ils allaient être, sous la
Ille République, républicains avancés. La décennie
1871-1881 fut une nouvelle période tournante. Si, aux témoignages tardifs de
Léo Taxil ou de partisans à oeillères, la Commune de Paris fut une oeuvre
maçonnique, les contemporains comme Louise Michel, Maxime du Camp ou un des
principaux acteurs, le frère Thirifocq, montrent bien qu'il y eut, comme sous
la Révolution française, des partisans dans les deux camps. Comme l'obédience
écossaise était mieux implantée à Paris que ne l'était le Grand Orient et
qu'elle comptait de nombreux fédérés ou sympathisants, le frère Malapert,
Grand Orateur du Suprême Conseil et son représentant à Paris se borna à inviter
les membres de celui-ci à ne pas engager l'Ordre dans son ensemble. Mais le
Préfet Babeau Laribière, Grand Maître du Grand Orient et plusieurs de ses
Grands Officiers stigmatisèrent les partisans de la Commune, même dans leur
action comme libres citoyens. Il avait l’excuse d’être un haut fonctionnaire de
province et sans doute assez mal informé de l'esprit des Parisiens, ce qui
s'explique aisément, étant donné les circonstances dans leur ensemble. La République
instituée, puis passée aux mains des républicains, comment expliquer le
revirement qui s'est produit dans l'esprit d'une certaine élite sociale et,
avouons-le, dans l'opinion publique, touchant la renommée de la
Franc-Maçonnerie ? Elle le doit certainement à la campagne menée par les
cléricaux, mais aussi à ses propres fautes. L'avènement de la République porta
au pouvoir plusieurs de ses membres qui avaient appris à penser à l'intérieur
de ses temples et qui se trouvèrent devoir mettre en pratique le libéralisme de
son enseignement. Il devient alors de
plus en plus difficile à l'Ordre de se tenir à l'écart des événements profanes
— et ce d'autant plus que la République assez mal assise va encore avoir à se
débarrasser de certaines erreurs qui nuisent à son épanouissement. On discute
la loi Falloux. L'ecclésiastique a encore une influence considérable dans les
rouages de l'Etat... Le succès grise.
Les jeunes francs-maçons voudraient « extérioriser » la Franc-Maçonnerie.
Certains d'entre eux, comme Gambetta, Jules Ferry, Brisson, Floquet, Camille
Pelletan, Georges Perin, Edouard Lokroy, Wyrouboff, Millet le sculpteur, le
docteur Lannelongue, etc., dont beaucoup, comme les neuf derniers, appartiennent
à des loges écossaises, voudraient pousser le Suprême Conseil à sortir de sa
réserve. Ils proposent des innovations dans la constitution que désapprouvent
les Grands Commandeurs — même des chefs comme Adolphe Crémieux dont le
républicanisme n'est pourtant pas suspect. On voudrait jeter par-dessus bord
le Grand Architecte de l'Univers. Le Grand Orient le fait en 1877 en rejetant
de sa « Déclaration de principes » la croyance en Dieu et à l'immortalité de
l'âme. Pourquoi le Rite Ecossais n'imiterait-il pas un exemple aussi méritoire
? Le Suprême Conseil tergiverse, élude, accorde des concessions qui ne touchent
pas au point névralgique du débat, c'est-à-dire à son propre pouvoir
dictatorial qui semble aux révolutionnaires un anachronisme inadmissible. Et
cela dure jusqu'au jour où des loges intransigeantes se séparent de lui — en
1880 — pour fonder une obédience aux tendances nettement politiques : La Grande
Loge Symbolique Ecossaise. Douze Loges font ainsi dissidence. Le Suprême Conseil,
cédant à la force des choses, accordera à ses Loges Bleues (du le' au 3e degré)
de tels avantages, que la Grande Loge Symbolique Ecossaise ralliera le bercail
pour fonder avec les ateliers demeurés fidèles l'organisme qui existe de nos
jours sous le titre de Grande Loge de France (1894). En 1905, ces avantages
iront même jusqu'à une complète autonomie, de sorte que le Rite se trouve
actuellement scindé en deux parties qui constituent néanmoins l'unité
écossaise : le Suprême Conseil qui continue d'administrer autocratiquement les
ateliers du 4e au 33e degré, et la Grande Loge de France qui est une
organisation à forme démocratique, sous la juridiction de laquelle travaillent
les ateliers du 1" au 36 degré. CONCLUSIONDans la mesure où
ils peuvent être connus et étudiés pour la période plus proche de nous, les
grands événements du XXe siècle feront l'objet d'une publication plus complète
dans les numéros à venir des Points de Vue Initiatiques. Ce qu'il nous faut
retenir en terminant cette esquisse dont nous espérons qu'elle n'est ni trop
ardue, ni trop absconde, même pour le moins averti de nos amis, c'est que
depuis le Convent auquel furent conviés, par le Suprême Conseil de Suisse, à
Lausanne en 1875 tous les Suprêmes Conseils existant alors, le Suprême Conseil
de France, puis la Grande Loge de France s'efforcèrent, par d'incessants
retours aux sources, d'être les conservateurs éclairés des plus pures traditions
de la franc- maçonnerie universelle, sans se laisser influencer ni par les gauchissements
possibles des uns ou des autres, ni par les querelles de doctrine provoquées
par les circonstances et les fluctuations d'un moment, l'Ordre Maçonnique se
devant, d'une part, de favoriser dans un véritable humanisme le rôle
individuel de chacun de ses membres, d'autre part de rester, quant à lui,
sereinement hors du temps et des querelles. Cette conception de
l'ordre était rigoureusement conforme aux principes de la Franc-Maçonnerie
Universelle, tels que la Grande Loge de France devait les formuler en 1966 : Elle constitue une alliance d'hommes libres et de bonnes mœurs, de toutes races, de toutes nationalités et de toutes croyances. La Franc-Maçonnerie a pour but le perfectionnement moral de l'humanité. A cet effet, les Francs-Maçons travaillent à l'amélioration constante de la condition humaine, tant sur le plan spirituel que sur le plan du bien-être matériel. Les Francs-Maçons se reconnaissent comme Frères et se doivent aide et assistance, même au péril de leur vie. Ils doivent, de même, porter secours à toute personne en danger. Dans la recherche constante de la vérité et de la justice, les Francs-Maçons n'acceptent aucune entrave et ne s'assignent aucune limite. Ils respectent la pensée d'autrui et sa libre expression. Ils recherchent la conciliation des contraires et veulent unir les hommes dans la pratique d'une morale universelle et dans le respect de la personnalité de chacun. Ils considèrent le travail comme un devoir et un droit. Les Francs-Maçons doivent respecter les lois et l'autorité légitime du pays dans lequel ils vivent et se réunissent librement. Ils sont des citoyens éclairés et disciplinés et conforment leur existence aux impératifs de leur conscience. Dans la pratique de l'Art, ils veillent au respect des règles traditionnelles, us et coutumes de l'Ordre. Les Francs-Maçons, dans la poursuite commune d'un même idéal, se reconnaissent entre eux par des mots, signes et attouchements qu'ils se communiquent traditionnellement en Loge au cours des cérémonies initiatiques. Ces mots, signes et attouchements, de même que les rites et les symboles font l'objet d'un secret inviolable et ne peuvent être communiqués à quiconque n'a pas qualité pour les connaître. Chaque Franc-Maçon est libre de faire ou de ne pas faire état de sa qualité, mais il ne peut dévoiler celle d'un Frère. Les Francs-Maçons s'associent entre eux pour constituer, conformément à la tradition maçonnique, des collectivités autonomes qui prennent le nom de Loges. Toute Loge se gouverne conformément aux décisions prises par la majorité des Maîtres-Maçons réunis en Tenue d'Obligation, mais elle ne peut s'écarter des principes généraux de la Franc- Maçonnerie ni des lois de l'Obédience à laquelle elle appartient. Les Loges se groupent en Grandes Loges, Puissances nationales et indépendantes, gardiennes de la Tradition, exerçant juridiction exclusive et sans partage sur les trois grades de la Franc- Maçonnerie symbolique : Apprenti, Compagnon et Maître-Maçon. Les Grandes Loges se gouvernent conformément aux principes traditionnels de l'Ordre Universel, à leurs propres constitutions et aux lois qu'elles se sont régulièrement données. Elles respectent la souveraineté et l'indépendance des autres Puissances maçonniques et s'interdisent toute ingérence dans leurs affaires intérieures. Elles entretiennent entre elles des relations nécessaires à la cohésion de l'Ordre Universel. Elles s'abstiennent de délivrer patente à des Loges hors de leur territoire national, sauf dans les pays où il n'existe pas de Puissance Maçonnique régulièrement constituée. Elles concluent librement des traités et des alliances fraternelles entre elles, mais ne reconnaissent aucune autorité maçon‑ nique nationale ou internationale supérieure à la leur. Elles arrêtent souverainement leur réglementation et assurent seules leur administration, leur justice et leur discipline intérieure. Ainsi est maintenu le caractère universel de l'Ordre Maçonnique dans le respect de la personnalité de chaque corps maçonnique national, dans celui de l'autonomie de chaque loge et dans celui de la liberté individuelle de chaque Frère afin qu'entre tous les Francs- Maçons règnent l'Amour, l'Harmonie et la Concorde. » *
* * DECLARATION DE PRINCIPES DE LA GRANDE LOGE DE FRANCE I. — La Grande Loge
de France travaille à la Gloire du Grand Architecte de l'Univers. II. — Conformément
aux traditions de l'Ordre, Trois Grandes Lumières sont placées sur l'autel des
Loges : l'Equerre, le Compas et un Livre de la Loi sacrée. Les obligations des
Maçons sont prêtées sur ces trois Lumières. III. — La Grande
Loge de France proclame son indéfectible fidélité et son total dévouement à la
Patrie. IV. — La Grande
Loge de France ni ses Loges ne s'immiscent dans aucune controverse touchant à
des questions politiques ou confessionnelles. Pour l'instruction des Frères,
des exposés sur ces questions, suivis d'échange de vues, sont autorisés.
Toutefois, les débats sur ces sujets ne doivent jamais donner lieu à un vote,
ni à l'adoption de résolutions, lesquels seraient susceptibles de contraindre
les opinions ou les sentiments de certains Frères. V. — En ce qui
concerne les principes autres que ceux définis ci-dessus, la Grande Loge de
France se réfère aux » Anciens Devoirs », notamment quant au respect des
traditions de la Franc- Maçonnerie et quant à la pratique scrupuleuse et
sérieuse du Rituel et du Symbolisme en tant que moyens d'accès au contenu
initiatique de l'Ordre. |
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