GLDF | Revue : Points de Vue Initiatiques | 1T/1974 |
Avant-Dernière Volontés Question : Mon cher Frère et
Ami, vous venez de publier, aux Editions Vitiano, à Paris, un ouvrage intitulé
« Avant-dernières Volontés ». Vous l'avez dédié à vos «
Compagnons de route ». Dès votre introduction, vous dites que ce n'est pas un
testament que vous vous êtes proposé d'écrire. Pouvez-vous nous dire, d'abord,
ce que vous avez voulu faire ? Réponse : Volontiers. En ce
début de mon troisième âge, je me suis trouvé devant la tentation de faire état
de ce que la vie a pu m'enseigner — comme si les leçons que j'avais apprises
étaient valables aussi pour beaucoup d'autres gens. Or, j'ai compris d'emblée
que je n'avais le droit de donner de leçons à personne — que je pouvais, tout
au plus, inviter mes amis à procéder à une espèce de confrontation — afin
qu'ils sachent, eux aussi et chacun pour soi, quel bilan établir de l'actif et
du passif de leur existence. D'autre part, je ne tiens nullement à considérer
ma vie comme finie, terminée, achevée — il est ainsi trop tôt — du moins je
l'espère — pour parler de « dernières volontés de testament ». J'ai
donc choisi un moyen terme : prendre ce que j'ai acquis, me demander comment
je pourrais encore l'employer utilement, en discuter avec mes compagnons de
route. A notre profit mutuel, il va de soi. Question : Cela explique que
vous vous penchiez sur de nombreux problèmes de fond. Le matériel y a sa place,
le spirituel aussi. Comment concevez-vous le spirituel ? Réponse : Ne soyez point
choqué : je ne crois pas à ce qu'on appelle l'âme. NI à l'esprit. Mais je
constate qu'en tant qu'être humain, j'ai conscience de moi, de ce que je suis,
je pense, je veux. C'en est assez pour me distinguer des autres ordres de la
nature. Appelez cela le spirituel peu importe le vocable. Quand je n'aurai plus
cette conscience, quand je serai mort, ma vocation humaine aura pris fin. Je ne
puis concevoir qu'elle se continue comme si j'étais un demi- solde. Je préfère
me savoir dissous dans l'univers. Même le souvenir que mes amis auront gardé de
moi disparaîtra inexorablement. Question : Donc, vous ne
croyez pas en Dieu, au sens habituel du terme. N'est-ce pas inquiétant pour
vous ? Ne ressentez-vous aucune angoisse métaphysique ? Réponse : Jamais, je n'ai pu
me résoudre à proclamer : « Dieu n'existe pas » ni « Il ne
saurait y avoir de Dieu ! » Non par suite de quelque superstition
atavique, mais parce que je conçois bel et bien que notre monde est nourri de
quelque chose de divin, de quelque chose qui dépasse, du moins aujourd'hui,
notre entendement, de quelque chose qui fait que le monde est ce qu'il est. Peu
importe le nom que nous donnons, vous et moi, à ce dépassement : vous avez le
droit de l'appeler Dieu, et je revendique le privilège de l'appeler le divin,
sans majuscule, et de le respecter profondément. Question : C'est en quoi, je
suppose, vous voyez aussi la différence entre l'homme et l'animal ? Réponse : Effectivement.
L'animal n'en a pas conscience et ne saurait donc en tirer aucune inspiration.
Il n'en possède pas les organes et n'en éprouve pas le besoin. Je me reconnais
une certaine responsabilité, et j'essaie d'y faire face. Le pourquoi de cet
état de choses dans la nature me laisse indifférent. Je n'en tire ni gloire, ni
fierté. J'accepte. Un croyant peut-il faire plus ? Question : Vous admettez,
néanmoins, qu'il existe un certain ordre dans l'univers : comment le
concevez-vous ? comment l'homme peut-il s'y insérer pleinement ? Réponse : Même cet ordre
n'est pas immuable, à mes yeux. Et tant qu'hommes, nous avons même la
prétention de le modifier — le croyant par la prière, l'incroyant par son
action personnelle. Quand la pomme aura cessé de tomber de l'arbre vers le sol,
quand les êtres adultes iront en rajeunissant au lieu de vieillir, quand nous
aurons appris à faire des miracles, il y aura un ordre différent. En attendant,
pourtant, nous apprenons à vivre en état d'apesanteur — nous parvenons à créer
de nouveaux équilibres biologiques — nous réalisons ce que dans un passé
récent, nous avons encore considéré comme impossible : j'en conclus que nous
vivons dans un certain ordre, mais que nous évoluons avec lui et lui avec nous. Question : Pensez-vous que
l'homme de notre époque puisse être sauvé des dangers qui le menacent ? Réponse : Pour autant que ces
dangers sont le fait d'autres hommes, certainement. A une condition, pourtant :
que nous prenions conscience aussi bien de ces dangers que de notre faculté de
les surmonter. Certains animaux y ont réussi — l'homme échouerait-il dans cette
tâche fondamentalement naturelle ? Question : Vous êtes donc
optimiste ? Réponse : Dans l'ensemble et
globalement, oui. Mais je n'oublie pas que des civilisations hautement
développées ont disparu, que demain un accident, une bombe, un virus peuvent
mettre un terme à notre existence collective — c'est encore une loi de la
nature :.elle sacrifie le grand nombre tout en laissant se perfectionner ce
qui est assez fort pour subsister. Je ne porte pas la responsabilité de cette
loi — seulement la responsabilité d'en faire le meilleur usage, sous peine d’en tomber
victime. Question : C'est sans doute
pour cette raison que vous ne voulez pas vous enfermer dans un carcan rigide,
que vous vous réservez de changer votre itinéraire dans la vie, et que vous
refusez de dicter leur conduite aux autres ? Réponse : Vous m'avez bien compris. Question : Vous semblez
n'avoir pas confiance aux vertus des révolutions, pensant qu'elles ne servent
qu'à échanger un carcan pour un autre. Comment dès lors améliorer la situation
de l'homme contemporain, comment améliorer la société elle-même ? Réponse : J'ai horreur de
l'idée que je risquerais de remplacer un ordre trop rigide par un autre,
peut-être plus rigide encore — donc encore moins acceptable pour l'homme. C'est
cette rigidité que je considère comme mon ennemie ; je voudrais la remplacer
par quelque chose de souple, de malléable, de perfectible. Tenez : la rigidité,
le sort impitoyable, la condamnation au malheur, c'est Satan, pour moi — plutôt
: le satanique. Je le combats à tout instant, sans violence, presque par
instinct. Je réussis plus ou moins bien, parfois pas du tout. Saurez- vous
faire mieux — notamment en faisant la révolution ? La guerre peut-être ? La
contrainte sans pitié ? Question : Vous écrivez "Mon violon d'Ingres, c'est la Paix !" Je commence à comprendre pourquoi
vous y êtes si passionnément attaché. Mais croyez-vous réellement et sans
réserves qu'elle puisse régner entre les hommes ? Réponse : Que d'elle-même et
par ses vertus propres, la paix puisse, comme une souveraine, régner sur la
terre, je ne le crois pas ; mais que nous puissions faire en sorte que la paix
règne parmi les hommes, alors là, oui, je suis persuadé que c'est possible. La
paix sera le fruit de nos efforts, ou elle ne sera pas. Quels efforts ? La lutte
contre tous les déséquilibres, toutes les lacunes, toutes les souffrances,
toutes les injustices, toutes les haines. Nous avons du pain sur la planche Question : Comment, selon
vous, les hommes peuvent-ils s'y prendre ? Réponse: Tout commence par
la lucidité : il importe de voir les hommes et les choses telles qu'elles sont
et en même temps telles qu'elles se transforment. La paix n'est pas un simple
contrat valable à tout jamais entre des partenaires qui restent éternellement
ce qu'ils sont aujourd'hui. Au contraire, toute la matière bouge, vit, se
transforme. Il importe de discerner toutes les détériorations afin de les
arrêter et toutes les améliorations pour les consolider. Encore faut-il savoir
s'y prendre. D'autres l'ont dit avant moi : la paix dans la société, c'est
comme la santé de l'individu. Il convient de la protéger, de la rendre solide
et durable, d'en faire la condition première de ce que nous entreprenons par
ailleurs. J'ai des enfants, j'ai des petits-enfants : je considère comme de ma
responsabilité de faire en sorte que la guerre ne vienne pas les frapper dans
leur existence et dans leur bonheur. J'ai vu deux guerres mondiales, de
nombreuses catastrophes, des sacrifices inutiles à ne pas savoir les compter:
ne croyez-vous pas qu'il vaille la peine d'en diminuer les chances et de nous
prémunir contre les risques que nous courons ? Question : Les résultats
atteints jusqu'ici ne vous découragent-ils pas ? Réponse : En tant que
Francs-Maçons, formulons cette question autrement : les hommes ont-ils fait
tout ce qu'il fallait pour obtenir la paix ? A mes amis catholiques romains, je
tiens encore un autre langage : si l'encyclique de Jean XXIII Pacem in terris
avait été promulguée un demi-siècle plus tôt, les deux grandes guerres
mondiales auraient-elles eu lieu ? Question : Selon vous, les
Francs-Maçons ont-ils une tâche particulière à remplir, en ce domaine ? Réponse : Distinguons bien :
la paix que nous voulons est la même que celle à laquelle tous les hommes
dignes de ce nom aspirent ; mais notre façon de nous y prendre peut être
particulière. Ce n'est pas un hasard si le travail pour la paix figure en très
bonne place parmi mes a avant-dernières volontés : je me sentirais responsable
de tout relâchement des efforts tendus vers une meilleure harmonie entre les
hommes, et je veux en conséquence continuer à déployer une activité
systématique sur ce plan. Le Franc-Maçon n'entend pas seulement poser les
jalons d'une Terre sans guerre, il entreprend sa propre adaptation au monde qui
pourrait être celui de demain. Question : Vous ne faites
aucune prédiction de ce que sera ou pourrait être ce monde de demain. Vous
semblez pourtant qualifié pour le faire, avec tout ce que vous avez déjà
esquissé dans cet ordre d'idées... Réponse : Là
encore, là
surtout, entendons-nous bien ! II se peut que j'aie réussi,
à force de
réflexion, d'expérience et de volonté, à
pénétrer dans le fonds de l'action
maçonnique. Cette pénétration, c'est pour moi le
sens même qu'on doit donner au
terme d' « initiation ». Je ne prétends
aucunement être ce qu'on
appelle un Initié un homme qui aurait acquis le Savoir, la
Connaissance,
l'Identité avec toutes choses. Loin de là I Je m'en tiens
au terme de «
pénétration » — j'ai entrepris la marche
dans la direction de l'intérieur,
de l'essence de ce qui fait la Vie. Résultat : je ne me sens pas
un étranger
dans le monde, ni dans celui d'aujourd'hui ni dans celui d'hier ou de
demain.
C'est comme si j'en faisais partie intégrante — de
même qu'on appartient à une
famille : la clairvoyance n'empêche pas l'amour, le sentiment
n'exclut pas
l'action, des tragédies inévitables renforcent
encore la cohésion interne. Je
le répète, je ne veux pas être
considéré comme un « Initié »
porteur de
quelque secret incommunicable qui le distinguerait de ses
semblables, mais au
contraire comme quelqu'un qui essaie de s'approcher au plus près
possible des
autres hommes, de leur milieu, de leur comportement, en les comprenant
et en se
faisant comprendre d'eux... Question : Pensez-vous que
dans notre monde — en proie à la peur, à l'angoisse, au malheur — les
sociétés initiatiques, et en particulier la Franc-Maçonnerie, puissent apporter
un secours efficace à l'homme d'aujourd'hui ? Réponse : Les hommes sont de
nature trop diverse pour qu'on puisse dire que tous pourraient recevoir une
assistance efficace en provenance des sociétés initiatiques. Au surplus, nos
sociétés s'adressent aux individualités et non aux masses. Il faudrait trouver
le moyen de rendre les structures de masse perméables aux courants porteurs de
messages individualisés — exactement comme on réussit aujourd'hui à faire
passer des milliers de communications à travers un seul câble de transmission.
Dans mes « Avant-dernières Volontés », il est bien question de ce problème des
communications d'homme 'à homme, d'organisation à homme, d'homme à
organisation. Je suis convaincu que la Franc- Maçonnerie, tout comme les autres
sociétés initiatiques, trouvera dans un avenir proche une méthode qui lui
permette de vaincre enfin ce problème angoissant du blocage de la compréhension
mutuelle. Mais ce résultat ne s'obtiendra pas gratuitement ; il faudra en
payer le prix... Question : Quel prix, et
comment ? Réponse : Nous ne réussirons
pas si nous ne mettons pas le meilleur de nous-mêmes Sans les efforts à
consentir si nous n'acceptons pas de réexaminer les convictions et les idées
qui nous sont les plus chères ; et si nous n'apprenons pas à mieux nous faire
comprendre. les sociétés initiatiques, malgré les valeurs durables qu'elles
maintiennent vivantes, ne sont pas à l'abri des changements. Elles auront à
démontrer que l'initiation n'est pas une victoire acquise à jamais mais une
marche en avant, une pénétration toujours plus profonde dans les mystères de
notre monde, et une jouissance accrue des joies qui en découlent pour l'homme
qui s'y consacre. Question : Mon cher Frère et
Ami, me permettrez-vous de dire, en conclusion de cet entretien, que vous avez
certainement voulu, en écrivant les a Avant-dernières Volontés », apporter
votre pierre à l'édifice d'une humanité nouvelle en voie de construction ? Réponse : Je serais très
heureux si tel était le cas : à mes compagnons de route d'en apporter la
preuve ! Note «
Avant-dernières Volontés », par Théodore C. Pontzen, prix 15 F, peut être
commandé par toute librairie ou directement aux Editions Jean Vitiano, 20, rue
Chauchat, 75009 Paris. OCTOBRE 1973 |
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