GLDF | Revue : Points de Vue Initiatiques | 1T/1974 |
La Franc-maçonnerie
La Maçonnerie
symbolique avec son rituel a-t-elle sa place dans la nouvelle société du XX°
siècle, que l'on appelle la société industrielle ?face à la Société Industrielle du XXéme siècle Il convient pour répondre à la question d'examiner quelques traits caractéristiques de notre époque. *
Il est exact, comme
l'avait constaté Karl MARX, qu'il existe un lien étroit, entre le caractère
structural d'une société et son évolution économique.* * Nombreux sont, cependant, ceux qui ne se sont pas rendu compte des mutations de la société. Ils continuent à voir, avec des yeux de libéraux des siècles passés, un monde qui a subi des métamorphoses extraordinaires. Une ère nouvelle est née qui leur échappe totalement. Mais d'aucuns plus malins, ont appris à manipuler les hommes, qui deviennent entre leurs mains de simples marionnettes. Nous devons tout d'abord, constater le déclin de la liberté dans une société devenue de plus en plus policière. Nous ne parlons
pas, bien entendu, des pays soumis à la dictature où la liberté est bannie
purement et simplement, aussi bien d'ailleurs que les Obédiences Maçonniques.
Notre propos s'adresse essentiellement aux pays où la liberté de l'homme est
garantie par les Constitutions et les Lois, où pour reprendre un exemple
classique, si l'on sonne à votre porte à quatre heures du matin, ce n'est pas
le policier, mais le laitier ! La caractéristique
de notre société est la surveillance de l'homme par l'homme, la mise en carte
dans les ordinateurs de citoyens devenus de simples numéros matricules,
l'intimidation perpétuelle grâce au chantage. Citons quelques
exemples de pratiques, hélas trop connues : les tables d'écoutes — les
télévisions intérieures permettant aux employeurs de surveiller leurs employés
— les tests destinés à déceler les secrets les plus intimes de l'homme. Cette liberté de
l'homme est encore plus limitée par l'importance de la publicité et de
l'audiovisuel. Vance PACKARD a
calculé que le consommateur moyen recevait quotidiennement aux U.S.A. plus de
1 500 messages publicitaires. Cette publicité,
non seulement conditionne l'homme, mais l'incite à des dépenses injustifiées et
souvent ridicules. L'Amérique consomme
plus en carte de vœux qu'en recherches médicales. On gaspille les matières
premières et on ne sait plus comment se débarrasser des déchets. Le gaspillage est
d'autant plus criminel que les ressources en matières premières sont limitées,
et qu'il existe encore de véritables famines dans le Tiers-Monde. Des milliers, pour ne
pas dire des centaines de milliers d'hommes, meurent en Ethiopie ou en Inde,
tandis que les automobilistes se lamentent parce que les restrictions d'essence
peuvent leur âtre imposées ou les vitesses limitées sur les autoroutes. Certes les
problèmes démographiques n'ont pas atteint dans les pays occidentaux l'ampleur
tragique des pays en voie de développement, mais on continue à contester le
bien fondé du contrôle des naissances sans se rendre compte qu'il est difficile
d'imposer aux autres ce que l'on refuse d'admettre pour soi. *
* * A côté de ces
ombres de notre monde, il existe heureusement des aspects beaucoup plus
positifs et notamment le développement constant des loisirs, phénomène du XX°
siècle. L'homme devra
vivre, nous dit Jean FOURASTIE, quatre-vingts ans de moyenne, travailler en
principe 40 000 heures. Or il disposera de 100
000 heures. Malheureusement,
l'homme du XX° siècle ne sait pas utiliser ses loisirs, il est prisonnier des
sortilèges qui lui dissimulent la réalité comme les écrans de télévision ou les
viseurs des caméras. On comprend que
face à ces phénomènes, il existe un véritable désarroi des jeunes encore
accentué par une certaine carence de l'Education Nationale en matière de
formation civique. *
* * Les jeunes
deviennent des êtres sans idéal, préoccupés trop souvent d'avantages matériels.
Comment en serait-il autrement ? Ils ne trouvent
dans leurs foyers, ni discipline, ni principes moraux. Les pressions
extérieures, comme nous l'avons vu, ne tendent qu'à accentuer le besoin de
désirs matériels. Notre Siècle a pu
devenir pour eux celui où n'existait plus de normes, le temps de l'ANOMIE pour
reprendre l'expression chère à DURKHEIM. Il ne faut pas exagérer. De nombreux
jeunes se refusent à accepter une telle situation, ils aspirent à la pureté et
créent à l'extérieur des villes polluées des communautés ressemblant à celles
des Esséniens. Dans un monde sans
idéal ni foi, s'est produit une énorme mutation due à l'accélération de
l'Histoire. La Franc-Maçonnerie
Ecossaise peut-elle apporter une solution à tous ces problèmes ? C'est ce que
nous allons essayer d'examiner maintenant. *
* * Tout d'abord, nous
voulons apporter à l'initié un certain ordre, ordo ab chao est la devise de
l'Ordre Ecossais. Le Rite, acte
traditionnel efficace et l'ascèse initiatique permettent essentiellement à
l'homme de se libérer. Konrad LORENZ a pu
montrer que le Rite permet à l'homme de lutter contre l'agressivité et
d'échapper ainsi aux contraintes du monde extérieur à se libérer, comme nous
disons en Loge, de Métaux. Nous ne prétendons
pas avoir inventé de nouveaux Rites. Ce qui frappe au contraire, c est leur
extraordinaire constance. Leurs formes
fondamentales semblent échapper au temps. L'initiation ne s'adresse pas aux
facultés rationnelles des hommes, mais aux racines lointaines de son être
vivant. Nous voulons donc
apprendre à l'homme à acquérir la seigneurie de soi-même, comme le disait notre
Frère GOETHE, car seul mérite la liberté, celui qui travaille chaque jour à
la conquérir. Nous pensons qu'il
faut développer la qualité de vie et ne pas se soucier de l'aspect quantitatif
de la vie économique. Nous estimons qu'il
faut tendre, grâce à l'ascèse initiatique au perfectionnement de l'homme, au
lieu d'engendrer son insatisfaction. *
* * Les différents
Ateliers de la Grande Loge de France devaient l'an dernier définir la qualité
de la vie, ils s'efforcent de donner dans la conjoncture actuelle un sens à la
vie. Nous ne voulons pas
faire des loisirs un simple délassement, ou un divertissement sans
prolongement, mais un développement qui permet à l'homme de se réaliser. Nous souhaitons
donner le maximum de culture aux hommes. Au Siècle de la galaxie, de
l'audiovisuel, nous voulons faire de la Loge une école permanente, un
laboratoire vivant où chacun apporte son savoir et où tout est remis
constamment en cause. L'honnête homme du XVIII' siècle qui savait tout n'existe
plus. La Loge où chacun apporte sa pierre, si modeste soit-elle, est notre technostructure. Nous voulons faire
de nos membres des hommes à part entière qui ne soient pas de simples
spectateurs passifs, mais des Acteurs qui participent. Aussi convient-il
de développer l'esprit sportif véritable, le désintéressement, le goût de la
règle du jeu. *
* * Il n'y a pas de
problème pour le Franc-Maçon retraité, il reste un militant perpétuel, tant
dans sa Loge que dans le monde extérieur. Les hommes doivent
se dégager de leurs milieux, d'une société en miettes où se recréent de
nouvelles castes. La Loge doit être à
l'image de celle de R. KIPLING, sans distinction de religion, croyance ou race
et je vous rappelle ce magnifique poème de notre Frère KIPLING : LA LOGE MEREll y avait Rundle,
le chef de station,
Beaseley, des voies et travaux, Ackman, de l'Intendance, Donkin, de la prison, Et Blacke, le sergent instructeur, qui fut deux fois notre vénérable, Et aussi le vieux Franjee Eduljee qui tenait le magasin « Aux Denrées Européenne ». Dehors, on se disait : « Sergent, Monsieur, Salut, Salam ». Dedans, c'était : « Mon frère », et c'était très bien ainsi. Nous nous rencontrions sur le niveau et nous quittions sur l'Equerre. Moi, j'étais second diacre, là-bas ! Dans ma Loge-mère. Il y avait encore Bola Nath, le comptable, Saül, le juif d'Aden, Din Mohamed, du bureau du cadastre, le sieur Chuckerbutty, Amir Singh, le Sick, Et Castro, des ateliers de réparation, lequel était catholique romain. Nos décors n'étaient pas riches, Notre temple était vieux et dénudé, Mais nous connaissions les anciens Landmarks Et les observions scrupuleusement. Quand je jette un regard en arrière, Cette pensée me vient souvent à l'esprit : « Au fond il n'y a pas d'incroyants SI ce n'est, peut-être, nous-mêmes ! » Car, tous les mois, après la tenue, Nous nous réunissions pour fumer, Nous n'osions pas faire de banquets (de peur d'enfreindre la règle de caste de certains frères) Et nous causions à cœur ouvert de religions et d'autres choses, Chacun de nous se rapportant Au Dieu qu'il connaissait le mieux. L'un après l'autre, les frères prenaient la parole Et aucun ne s'agitait. On se séparait à l'aurore, quand s'éveillaient les perroquets et le maudit oiseau porte-fièvre ; Comme après tant de paroles Nous nous en revenions à cheval, Mahomet, Dieu et Shiva jouaient étrangement à cache-cache dans nos têtes. Bien souvent, depuis lors, Mes pas, errants au service du gouvernement, Ont porté le salut fraternel De l'Orient à l'Occident, Comme cela nous est recommandé, De Kohel à Singapour. Ceux de ma Loge-mère, là-bas ! Comme je voudrais les revoir, Mes frères noirs ou bruns, Et sentir le parfum des cigares indigènes Pendant que circule l'allumeur, Et que le vieux limonadier Ronfle sur le plancher de l'office. Et me retrouver parfait maçon Une fois encore, dans ma loge d'autrefois. Dehors, on se disait : « Sergent, Monsieur, Salut, Salam ». Dedans c'était : « Mon frère et c'était très bien ainsi. Nous nous rencontrions sur le niveau et nous quittions sur l'Equerre. Moi, j'étais second diacre, là-bas ! Dans ma Loge-mère. Mais avant tout,
l'homme ne doit pas se sentir isolé dans la foule solitaire. La Loge doit être
la structure d'accueil où chaque homme retrouve la chaleur humaine qui lui
manque. Il ne s'agit pas
pour les Francs-Maçons de se retirer dans le passé. Le Sérénissime
Grand Maître PIERRE-SIMON le disait il y a quelques jours, de même que
les Francs-Maçons opératifs ont construit les cathédrales du Moyen Age, nous
devons construire la cathédrale du savoir au XXe siècle. *
* * Vous voyez donc,
pour répondre à la question que nous posions au début de ce propos, que notre
Obédience a sa place, plus que jamais, dans le monde d'aujourd'hui, car elle
est le lien de rassemblement par excellence des hommes de bonne volonté de tous
ceux qui veulent venir témoigner au procès de l'homme engagé dans l'Histoire. AVRIL 1974 |
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