Qu'est-ce
qu'un initié
Qu'est-ce
donc
qu'un Initié ?
Grands
initiés,
mots très magiques.
Par
eux tout
s'explique. La grâce et le génie, l'histoire et la
science ne dépendent plus
d'une providence divine ni de la volonté des hommes. Le
levier qui soulève le
monde ne serait même pas le trop fameux «
supplément d'âme ., mais une
puissance ajoutée à des êtres qui ne
réussissent qu'en perdant le meilleur
d'eux-mêmes.
Grands
initiés,
surhommes ? Sous-hommes plutôt, robots. Voilà ce
qu'il yen coûte à refuser que
l'homme se réalise tel qu'en lui-même enfin
l'éternité le change.
Grands
initiés,
mots très magiques. Mais initié, mot magique. Il
indult les rêves de puissance
à dormir debout, et qui compensent, chez les grands
initiés au petit pied. Mais
les mots magiques sont à double face. Comme la magie. Comme
tout, sauf l'Absolu
qui, lui, n'a ni mot ni face. La magie tantôt
poésie, et tantôt mécanique.
La
haute magie
éveille le réel. L'autre, en technicienne, ne
produit que des ombres.
Il
faut exorciser
les fantômes.
La
magie de
l'initiation n'est pas celle _qu'on lui prête et qui fait
d'initié un mot
magique. Parce que la magie n'est pas ce qu'on croit. Ni dans les mots
ni dans
les choses, ni dans les hommes.
Sciences
occultes,
piège à bigots, à cancres et
à scientistes.
De
la fausse magie,
l'initié, au sens magique, possède les traits. Ce
sont ceux du technicien. Le
technicien est aujourd'hui l'avatar du mage noir. Le faux
initié se forme sur
son modèle. L'initiation serait donc automatique ; elle
habiliterait des
experts. Ses dons conféreraient un pouvoir sur
l'entourage, avec qui les
rapports s'exprimeraient en termes de force.
Fausse
magie,
dis-je ; magie noire. Industrie.
Savoir
abstrait qui
mortifie quand il s'applique, et convoité, au bout du
compte, à cause de ses
applications.
Mais
tout ce qui
est profond est simple. Tout ce qui est intérieur,
autrement dit ésotérique,
est profond et simple, à l'image de la
vérité qui est profonde, simple,
intérieure. Esotérique. La
vérité est la vie. La vie est la voie.
Esotérique,
par construction.
De
le comprendre
achemine vers l'initiation, au sens vrai. C'est s'initier à
s'initier. Reste à
vivre, et c'est l'initiation.
Caricaturer
l'initiation, manière de la récupérer,
convient à une civilisation qui,
officiellement, l'abolit et cultive des valeurs contradictoires des
valeurs que
l'initiation découvre et favorise.
Mais
comment abolir
le besoin de ces valeurs ? le besoin, la nostalgie de l'initiation ?
Elles sont
vitales, elles disparaissent quand la mort avance. Seule sa victoire en
remplirait le vide.
Parce
qu'une
civilisation se détermine et doit donc se définir
par ses valeurs axiales, le
problème de notre société —
l'ignorance et l'angoisse —, le problème de toute
société n'est pas d'abord un problème
d'institutions, mais un problème de
mentalité.
Les
sciences
humaines étudient l'initiation. Tant qu'on demeure au niveau
de l'étude, elles
en ont capté l'idée et gelé la
réalité. C'est un peu comme procèdent
les
sciences occultes, à leur façon. Mais la
récupération peut aussi s'exercer sur
les sciences humaines, et sur les sciences occultes, pour l'initiation.
Au
point où nous en
sommes, le premier pas consiste à comprendre, et,
préalablement, à expliquer.
Expliquer les faits.
Le
fait de
l'initiation confirme d'abord que celle-ci est universelle,
à travers le temps
et l'espace. Aussi, que son arbre a porté de bons fruits.
Le
même fait,
général et bénéfique,
s'avère non pas une démarche tout intellectuelle,
voire
scientifique, mais une expérience
plénière dont les motifs sont eux aussi
constants : l'ordre du monde ; la sexualité ; la
société ; la mort.
Mais
« ordre du
monde » résume tout. En le connaissant,
en l'éprouvant, en refusant d'y
échapper, l'homme trouve son ordre, l'ordre de sa personne,
et sa paix, son
bonheur et sa liberté.
De
pareils thèmes,
qui oserait prétendre qu'au-delà de formulations
parfois exotiques, parfois
archaïques, ils ne réfèrent à
des soucis, à des problèmes actuels,
actuellement urgents ?
L'initiation
signifie à l'homme d'Occident, en 1974, ceci : On ne peut
changer le monde sans
s'être changé soi-même. Le rapport
à l'autre donne la clef.
L'autre
est les
autres hommes avec qui établir et maintenir en
affirmation du lien naturel,
non pas des relations de force inspirées par la
compétition et l'agressivité,
mais des relations de sympathie, de symbiose, de fraternité.
Rapport
aussi à la
nature, envers laquelle l'homme ne peut non plus, sans la
détruire, sans se
détruire, tenir le rôle d'un tyran. Opposer la
culture et la nature est une
invention moderniste. Et catastrophique. Regardez autour de vous.
Après la
civilisation rurale, la civilisation urbaine succombe.
Dans
toute société,
sauf la nôtre, la culture vise à comprendre la
nature, à comprendre que la
nature nous comprend. Il advient qu'aujourd'hui et ici, la culture est
anti-naturelle ; notre culture est une contre-nature. C'est pourquoi le
passage
de la nature à la culture, ainsi que les
spécialistes des sciences humaines
décrivent l'initiation, prend un nouveau sens. S'initier
signifie maintenant
revenir à la nature.
Rapport
enfin, dans
l'initiation, de l'homme à lui-même, à
son principe, qui est le principe de
l'humanité et celui du monde — leur lieu de
même qu'ils sont le sien : le Grand
Architecte de l'Univers.
Ces
rapports de
trois sortes ne font qu'un. Ils composent une même
mentalité, une même
attitude. L'attitude, la mentalité qui tiennent pour valeur
essentielle
l'harmonie. Et de l'harmonie, la profondeur,
l'intériorité, la simplicité
sont
alors valeurs corrélatives, dans la vie.
Il
n'est jusqu'à la
sexualité et la mort sur quoi l'absence angoissante d'un
savoir concret ne se
dissimule derrière le masque de la désinvolture.
On s'acharne à désacraliser le
sexe et le passage à l'éternité. Et ce
sont les moyens de cette désacralisation
qui deviennent l'objet d'une si grande révérence
qu'ils se trouvent sacrés à
leur tour. Et terroristes de surcroît. Car c'est un faux
sacré, de la fausse
magie, de fausses initiations.
S'initier,
c'est
apprendre que la sexualité n'est ni à
mépriser ni à Idolâtrer. Car,
selon que
l'écrivait le docteur Pierre-Simon dans son Rapport
sur le comportement
sexuel des Français, « Est-il un plus
bel hymne à l'architecture de
l'univers qu'une sexualité bien entendue
? »
Quant
à la mort, on
en rit plus qu'on en parle. L'initiation, deuxième naissance
entre le moment où
nous vîmes le jour, première naissance, et la
troisième naissance quand les
yeux se ferment, l'initiation prépare à la mort.
Cette
mentalité,
cette attitude, qui sont le propre de l'initiation, de quelle
façon les
acquérir ?
On
ne s'initie
jamais que soi-même, proclame-t-on un peu à tout
bout de champ. La phrase est
ambiguë.
N'excluons
pas ce
qui pourrait s'appeler l'initiation de désir, de pur
désir où, seul, un homme
tâche à s'accorder, à se mettre en
mesure.
Mais
II n'est pas
davantage question que ce désir soit jamais exclu,
à aucun stade. Ou bien
revoici le piège de l'initiation, mot magique, le
fantôme des grands initiés.
Sur
la voie, le
couloir normal passe par la réception de symboles au sein
d'un groupe
fraternel.
De
symboles parce
que ces signes, outils de liberté, sont instruments de
médiation avec les
réalités supérieures qu'ils sont leur
langage. Réalités supérieures,
c'est-à-dire réalités
intérieures. Ce qui est en haut est comme ce qui est en
bas et le plus élevé est le plus profond.
Et
ces symboles on
les reçoit normalement au sein d'un groupe, car il ne serait
pas facile, le
plus souvent il serait même impossible, de les
réinventer dans l'isolement.
On
les reçoit au
sein d'un groupe que l'usage même des symboles, engendrant
l'harmonie qu'ils
manifestent, a rendu fraternel. Il serait encore plus difficile, et
plus
fréquemment encore impossible, de le constituer autour de
soi. Or, le petit
milieu fraternel est indispensable à l'homme qui veut
apprendre à vivre dans le
dialogue afin d'étendre ce dialogue, par contagion, par
contamination, à
l'humanité.
La
tradition, c'est
précisément la communication de ces symboles
conservés, avec leur mode
d'emploi, dans le groupe fraternel. Et parmi ces symboles, les rites
font
répéter comme on répète au
théâtre et déposent un germe,
à faire
fructifier par
le désir.
Aujourd'hui,
en
Occident, il n'existe qu'une seule école d'initiation vraie
: la
Franc-Maçonnerie.
La
Franc-Maçonnerie
n'est pas une organisation politique ni qui ait droit de s'occuper de
politique. Son travail ne s'opère pas au plan des
institutions mais au plan des
mentalités ; ce en quoi elle est
société initiatique. La
Franc-Maçonnerie n'a
pas à intervenir en corps, dans le jeu d'un
système. Quand elle verse dans
l'action politique, elle fait fausse route.
La
Franc-Maçonnerie
est une école de spiritualité. Et c'est aussi, et
c'est en même temps l'école
de la contestation.
«
Nous sommes les
vrais contestataires », déclarait le
passé Grand Maître de la Grande Loge
de France Richard Dupuy, auquel a succédé le
docteur Pierre-Simon.
La
vraie
contestation, c'est la spiritualité. La vraie
spiritualité prend aujourd'hui le
visage de la contestation. Parce qu'elle s'inscrit contre la culture
ambiante.
En s'enracinant dans la tradition spirituelle, la
Franc-Maçonnerie s'alimente à
la source du progrès.
Spiritualité,
tradition, contestation sont synonymes en Franc-Maçonnerie
parce qu'elles
définissent l'initiation et que la
Franc-Maçonnerie, c'est l'initiation.
MARS
1974