GLDF Revue : Points de Vue Initiatiques 1T/1974

Qu'est-ce qu'un initié

Qu'est-ce donc qu'un Initié ?

Grands initiés, mots très magiques.

Par eux tout s'explique. La grâce et le génie, l'histoire et la science ne dépendent plus d'une providence divine ni de la volonté des hommes. Le levier qui soulève le monde ne serait même pas le trop fameux « supplément d'âme ., mais une puissance ajoutée à des êtres qui ne réussissent qu'en perdant le meilleur d'eux-mêmes.

Grands initiés, surhommes ? Sous-hommes plutôt, robots. Voilà ce qu'il yen coûte à refuser que l'homme se réalise tel qu'en lui-même enfin l'éternité le change.

Grands initiés, mots très magiques. Mais initié, mot magique. Il indult les rêves de puissance à dormir debout, et qui compensent, chez les grands initiés au petit pied. Mais les mots magiques sont à double face. Comme la magie. Comme tout, sauf l'Absolu qui, lui, n'a ni mot ni face. La magie tantôt poésie, et tantôt mécanique.

La haute magie éveille le réel. L'autre, en technicienne, ne produit que des ombres.

Il faut exorciser les fantômes.

La magie de l'initiation n'est pas celle _qu'on lui prête et qui fait d'initié un mot magique. Parce que la magie n'est pas ce qu'on croit. Ni dans les mots ni dans les choses, ni dans les hommes.

Sciences occultes, piège à bigots, à cancres et à scientistes.

De la fausse magie, l'initié, au sens magique, possède les traits. Ce sont ceux du technicien. Le technicien est aujourd'hui l'avatar du mage noir. Le faux initié se forme sur son modèle. L'initiation serait donc automatique ; elle habiliterait des experts. Ses dons conféreraient un pouvoir sur l'entou­rage, avec qui les rapports s'exprimeraient en termes de force.

Fausse magie, dis-je ; magie noire. Industrie.

Savoir abstrait qui mortifie quand il s'applique, et convoité, au bout du compte, à cause de ses applications.

Mais tout ce qui est profond est simple. Tout ce qui est intérieur, autre­ment dit ésotérique, est profond et simple, à l'image de la vérité qui est profonde, simple, intérieure. Esotérique. La vérité est la vie. La vie est la voie. Esotérique, par construction.

De le comprendre achemine vers l'initiation, au sens vrai. C'est s'initier à s'initier. Reste à vivre, et c'est l'initiation.

Caricaturer l'initiation, manière de la récupérer, convient à une civilisa­tion qui, officiellement, l'abolit et cultive des valeurs contradictoires des valeurs que l'initiation découvre et favorise.

Mais comment abolir le besoin de ces valeurs ? le besoin, la nostalgie de l'initiation ? Elles sont vitales, elles disparaissent quand la mort avance. Seule sa victoire en remplirait le vide.

Parce qu'une civilisation se détermine et doit donc se définir par ses valeurs axiales, le problème de notre société — l'ignorance et l'angoisse —, le problème de toute société n'est pas d'abord un problème d'institutions, mais un problème de mentalité.

Les sciences humaines étudient l'initiation. Tant qu'on demeure au niveau de l'étude, elles en ont capté l'idée et gelé la réalité. C'est un peu comme procèdent les sciences occultes, à leur façon. Mais la récupération peut aussi s'exercer sur les sciences humaines, et sur les sciences occultes, pour l'initiation.

Au point où nous en sommes, le premier pas consiste à comprendre, et, préalablement, à expliquer. Expliquer les faits.

Le fait de l'initiation confirme d'abord que celle-ci est universelle, à travers le temps et l'espace. Aussi, que son arbre a porté de bons fruits.

Le même fait, général et bénéfique, s'avère non pas une démarche tout intellectuelle, voire scientifique, mais une expérience plénière dont les motifs sont eux aussi constants : l'ordre du monde ; la sexualité ; la société ; la mort.

Mais « ordre du monde » résume tout. En le connaissant, en l'éprouvant, en refusant d'y échapper, l'homme trouve son ordre, l'ordre de sa personne, et sa paix, son bonheur et sa liberté.

De pareils thèmes, qui oserait prétendre qu'au-delà de formulations par­fois exotiques, parfois archaïques, ils ne réfèrent à des soucis, à des pro­blèmes actuels, actuellement urgents ?

L'initiation signifie à l'homme d'Occident, en 1974, ceci : On ne peut changer le monde sans s'être changé soi-même. Le rapport à l'autre donne la clef.

L'autre est les autres hommes avec qui établir et maintenir en affirma­tion du lien naturel, non pas des relations de force inspirées par la compé­tition et l'agressivité, mais des relations de sympathie, de symbiose, de fraternité.

Rapport aussi à la nature, envers laquelle l'homme ne peut non plus, sans la détruire, sans se détruire, tenir le rôle d'un tyran. Opposer la culture et la nature est une invention moderniste. Et catastrophique. Regardez autour de vous. Après la civilisation rurale, la civilisation urbaine succombe.

Dans toute société, sauf la nôtre, la culture vise à comprendre la nature, à comprendre que la nature nous comprend. Il advient qu'aujourd'hui et ici, la culture est anti-naturelle ; notre culture est une contre-nature. C'est pourquoi le passage de la nature à la culture, ainsi que les spécialistes des sciences humaines décrivent l'initiation, prend un nouveau sens. S'initier signi­fie maintenant revenir à la nature.

Rapport enfin, dans l'initiation, de l'homme à lui-même, à son principe, qui est le principe de l'humanité et celui du monde — leur lieu de même qu'ils sont le sien : le Grand Architecte de l'Univers.

Ces rapports de trois sortes ne font qu'un. Ils composent une même mentalité, une même attitude. L'attitude, la mentalité qui tiennent pour valeur essentielle l'harmonie. Et de l'harmonie, la profondeur, l'intériorité, la sim­plicité sont alors valeurs corrélatives, dans la vie.

Il n'est jusqu'à la sexualité et la mort sur quoi l'absence angoissante d'un savoir concret ne se dissimule derrière le masque de la désinvolture. On s'acharne à désacraliser le sexe et le passage à l'éternité. Et ce sont les moyens de cette désacralisation qui deviennent l'objet d'une si grande révérence qu'ils se trouvent sacrés à leur tour. Et terroristes de surcroît. Car c'est un faux sacré, de la fausse magie, de fausses initiations.

S'initier, c'est apprendre que la sexualité n'est ni à mépriser ni à Ido­lâtrer. Car, selon que l'écrivait le docteur Pierre-Simon dans son Rapport sur le comportement sexuel des Français, « Est-il un plus bel hymne à l'architecture de l'univers qu'une sexualité bien entendue ? »

Quant à la mort, on en rit plus qu'on en parle. L'initiation, deuxième naissance entre le moment où nous vîmes le jour, première naissance, et la troisième naissance quand les yeux se ferment, l'initiation prépare à la mort.

Cette mentalité, cette attitude, qui sont le propre de l'initiation, de quelle façon les acquérir ?

On ne s'initie jamais que soi-même, proclame-t-on un peu à tout bout de champ. La phrase est ambiguë.

N'excluons pas ce qui pourrait s'appeler l'initiation de désir, de pur désir où, seul, un homme tâche à s'accorder, à se mettre en mesure.

Mais II n'est pas davantage question que ce désir soit jamais exclu, à aucun stade. Ou bien revoici le piège de l'initiation, mot magique, le fan­tôme des grands initiés.

Sur la voie, le couloir normal passe par la réception de symboles au sein d'un groupe fraternel.

De symboles parce que ces signes, outils de liberté, sont instruments de médiation avec les réalités supérieures qu'ils sont leur langage. Réalités supérieures, c'est-à-dire réalités intérieures. Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas et le plus élevé est le plus profond.

Et ces symboles on les reçoit normalement au sein d'un groupe, car il ne serait pas facile, le plus souvent il serait même impossible, de les réin­venter dans l'isolement.

On les reçoit au sein d'un groupe que l'usage même des symboles, engendrant l'harmonie qu'ils manifestent, a rendu fraternel. Il serait encore plus difficile, et plus fréquemment encore impossible, de le constituer autour de soi. Or, le petit milieu fraternel est indispensable à l'homme qui veut apprendre à vivre dans le dialogue afin d'étendre ce dialogue, par contagion, par contamination, à l'humanité.

La tradition, c'est précisément la communication de ces symboles conser­vés, avec leur mode d'emploi, dans le groupe fraternel. Et parmi ces symboles, les rites font répéter comme on répète au théâtre et déposent un germe, à faire fructifier par le désir.

Aujourd'hui, en Occident, il n'existe qu'une seule école d'initiation vraie : la Franc-Maçonnerie.

La Franc-Maçonnerie n'est pas une organisation politique ni qui ait droit de s'occuper de politique. Son travail ne s'opère pas au plan des institutions mais au plan des mentalités ; ce en quoi elle est société initiatique. La Franc-Maçonnerie n'a pas à intervenir en corps, dans le jeu d'un système. Quand elle verse dans l'action politique, elle fait fausse route.

La Franc-Maçonnerie est une école de spiritualité. Et c'est aussi, et c'est en même temps l'école de la contestation.

« Nous sommes les vrais contestataires », déclarait le passé Grand Maître de la Grande Loge de France Richard Dupuy, auquel a succédé le doc­teur Pierre-Simon.

La vraie contestation, c'est la spiritualité. La vraie spiritualité prend aujourd'hui le visage de la contestation. Parce qu'elle s'inscrit contre la culture ambiante. En s'enracinant dans la tradition spirituelle, la Franc-Maçonnerie s'alimente à la source du progrès.

Spiritualité, tradition, contestation sont synonymes en Franc-Maçonnerie parce qu'elles définissent l'initiation et que la Franc-Maçonnerie, c'est l'ini­tiation.

MARS 1974

Publié dans le PVI N° 13 - 1éme trimestre 1974  -  Abonner-vous à PVI : Cliquez ici

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