GLDF | Revue : Points de Vue Initiatiques | 3T/1974 |
Giordano Bruno L'intellect universel et l'âme du monde (1) L'Intelligence,
cause efficiente de l'Univers. Théo. — J'aime
assez l'ordre que vous proposez. Pour ce qui est de la cause efficiente, je dis
que l'efficient physique de l'univers est l'intellect universel, première et
principale faculté de l'âme du monde. L'âme du monde (à son tour) est la forme
universelle. ……………………………………………… Théo. — L'intellect
universel est la faculté intime la plus réelle et la plus propre, la partie la
plus efficace de l'âme du monde. C'est le même intellect qui remplit tout,
illumine l'univers et dirige convenablement la nature dans la production de
ses espèces ; et il est à la production des choses naturelles ce que notre
esprit est à la production ordonnée des espèces rationnelles. Les
Pythagoriciens l'appellent le moteur et l'agitateur de l'univers, ainsi que l'a
expliqué le poète, qui dit : « Totamque infusa per artus
Mens agitat molem et toto se corpore miscet. » (Cause, Il, T. 89.) ……………………………………………… ... Plotin le dit
père et générateur parce qu'il distribue les semences dans le champ de la
nature et qu'il est le plus proche dispensateur des formes. Pour nous, il est
l'artiste interne, parce qu'il forme la matière et la figure du dedans, comme du
dedans du germe ou de la racine il fait sortir et développe le tronc, du tronc
les premières branches, des premières branches les branches dérivées, de
celles-ci les bourgeons ; du dedans, il forme, il figure, il innerve, en
quelque sorte, les feuilles, les fleurs, les fruits ; et du dedans, à certaines
époques, il ramène ses humeurs des feuilles et des fruits aux branches
dérivées, des branches dérivées aux premières, de celles-ci au tronc, du tronc
à la racine (2). (Cause, II, T.
90-91.) Théo. — Mais qui pourra le réprouver avec raison ? Dics. — D'après le sens commun, toutes les choses ne sont pas vivantes. (Cause, Il, T. 98.) L'âme, principe
constitutif de tous les êtres. Théo. — En ce qui concerne les principes constitutifs des choses, d'abord je raisonnerai de la Forme, parce qu'elle est identique, d'une certaine façon, à la précédente cause efficiente ; car l'intellect, qui est une faculté de l'âme du monde, a été défini l'efficient le plus proche de toutes les choses naturelles. Dics. — Mais comment le même sujet peut-il être principe et cause des choses naturelles ? Comment peut-il être partie intrinsèque et, à la fois, extrinsèque ? Théo. — Je dis que cela n'est pas un inconvénient, attendu que l'âme est dans le corps comme le nocher dans le navire ; elle en fait partie ; considérée, en tant qu'elle le gouverne et le meut, elle n'est plus regardée comme partie, mais comme efficient distinct. Ainsi, l'âme de l'univers, en tant qu'elle anime et informe, vient à être partie intrinsèque et formelle de ce dernier ; en tant qu'elle le dirige et le gouverne, elle n'en est partie, elle n'a pas qualité de principe, mais de cause. (Cause, II, T. 94-95.) ……………………………………………… ... prétendez-vous,
peut-être, que non seulement la Forme de l'univers, mais bien toutes les formes
des choses naturelles soient des âmes ? Dics. — Toutes les choses sont donc animées ? Théo. — Oui. Dics. — Mais qui vous accordera cela ? Théo. — Mais qui pourra le réprimer avec raison ? Dics. — D’après le sens commun, toutes les choses ne sont pas vivantes. (Cause, II, T. 98) ……………………………………. Théo. — Je dis donc
que la table, en tant que table, n'est pas animée, ni la veste en tant que
veste, ni le cuir en tant que cuir, ni le verre en tant que verre ; mais en
tant que choses naturelles et composées, ils ont en eux matière et forme. Une
chose, si petite et si minuscule qu'on voudra, enferme en soi une partie de
substance spirituelle ; laquelle, si elle trouve le sujet adapté, devient
plante, animal et reçoit les membres de n'importe quel corps que, communément,
l'on dit animé ; parce que l'esprit se trouve dans toutes les choses et qu'il
n'est pas de minime corpuscule qui n'en contienne une certaine portion et qui
n'en soit animé. (Cause, II, T.
101.) ……………………………………………… Théo. — Je ne dis pas vraisemblable, mais vraie : car cet esprit se trouve dans toutes les choses ; lesquelles, si elles ne sont pas des animaux, sont au moins animées ; et, si elles ne le sont pas suivant l'acte sensible d'animalité et de vie, le sont suivant le principe et l'acte primordial d'animalité et de vie. (Cause, II, T.
102.) Théo. — Si donc
l'esprit, l'âme, la vie se retrouvent dans toutes les choses et, à différents
degrés, emplissent toute la matière, il en résulte certainement qu'ils sont le
vrai acte et la vraie Forme de toutes les choses. Donc, l'âme du monde est le
principe formel constitutif de l'univers et de ce qui y est contenu. Je dis
que, si la vie se trouve dans toutes les choses, il s'ensuit que l'âme est la
Forme de toutes les choses ; elle préside partout à la matière et gouverne les
composés ; elle détermine la composition et l'accord des parties. Et c'est
pourquoi la persistance ne semble pas moins convenir à la Forme qu'à la
matière. (Cause, II, T.
104.) ……………………………………………… Ainsi, changeant de
siège et de vicissitude, il est impossible que cette Forme s'annihile, parce
que la substance spirituelle n'est pas moins subsistante que la substance
matérielle. Par conséquent, seules les formes extérieures changent et même se
détruisent, car elles ne sont pas des choses, mais des propriétés ; elles ne
sont pas des substances, mais des accidents et des circonstances de la substance. (Cause, II, T.
105.) L'âme du monde
est tout entière en chaque chose. Théo. — Je ne saurais répondre à ton doute, Gervais, mais bien à celui de maître Polihimnio. Néanmoins j'userai d'une comparaison pour répondre à la question de l'un et de l'autre, parce que je désire que vous récoltiez vous aussi quelque fruit de nos raisonnements et de nos discours. Vous devez donc savoir, en résumé, que l'âme du monde et la divinité ne sont pas tout entières présentes partout et en chaque partie comme quelque chose de matériel peut l'être — car ce serait impossible, aussi bien à un corps qu'à un esprit, quels qu'ils soient ; mais (elles le sont) d'une manière qu'il n'est pas aisé d'expliquer autrement que par ceci : vous devez noter que si l'âme du monde et la Forme universelle sont censées être partout, nous ne l'entendons pas d'une façon corporelle et extensive, parce que telles elles ne sont pas et telles elles ne peuvent être en aucun lieu ; mais elles sont tout entières partout spirituellement. Ainsi, pour nous servir d'un exemple grossier, vous pourrez imaginer une voix qui soit tout entière dans une chambre et en chacune de ses parties, parce que, de partout, on l'entend tout entière ; de même, ces paroles que je prononce sont entendues toutes par tous (et elles le seraient) même par mille (auditeurs) présents ; et ma voix, si elle pouvait se propager dans tout l'univers, serait tout entière partout. Je vous dis donc, à vous, maître Polihimnio, que l'âme n'est pas indivise comme le point, mais, en quelque sorte, comme la voix. Et je te réponds, à toi, Gervais, que la divinité n'est pas partout, comme le Dieu de Grandazzo est dans toute la chapelle ; parce que celui-ci, bien qu'il couvre toute l'église, n'est pourtant pas tout entier dans toute l'église ; il a la tête d'un côté et les pieds de l'autre, les bras et le buste en des parties différentes. Mais la divinité est tout entière dans n'importe quelle partie, comme ma voix est entendue tout entière dans toutes les parties de cette salle. (Cause, Il, 112-113.) (1) Extraits de Cause, Principe et Unité, traduction intégrale avec notes et commentaires de E. Narrer, Paris, 1930, et réédités dans Emile Namer, Giordano Bruno, Paris, P. Seghers, 1966, pp. 139-144 et reproduits ci-après avec l'aimable autorisation du traducteur et de l'éditeur.(2) Dans le De Triplici minimo et Mensura, 1, 3, Bruno compare l'âme à une araignée qui tisse sa toile. La naissance et la mort sont considérées comme le développement ou l'enveloppement des forces contenues dans le coeur ou la racine. « Nativitas ergo est expensio centri, ... mors contractio in centrum. » Même idée dans. Spaccio, G. Il, 9 ; Lampas, III, 251. |
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