GLDF | Revue : Points de Vue Initiatiques | 3T/1974 |
Le Comportement du Franc-Maçon Le
Profane. — Vous
avez bien voulu m'offrir l'occasion, monsieur, de vous poser quelques
questions
sur la Franc-Maçonnerie en général et
la Grande Loge de France en particulier ;
car vous connaissez mon désir de me joindre à
vous, mais vous savez aussi que
je suis encore un peu hésitant. Je me pose des questions
auxquelles vous
accepterez peut-être de répondre... Le F\M\
— Je
vous connais depuis assez longtemps pour savoir que vous n'entendez
nullement
m'embarrasser par vos questions. J'apprécie votre
honnêteté intellectuelle,
votre souci d'atteindre les plus hautes valeurs morales. Discutons donc
franchement, sur un pied d'égalité. Vous
n'êtes pas sans connaître quels sont
les problèmes que nous affrontons ; j'ai eu la preuve que
vous les étudiez sans
parti pris. Soyez certain que, de mon côté,
j'aborde cet entretien sans aucune
arrière-pensée. Le
Profane. — Je
vous en remercie, monsieur. Voici donc une première question
: vous n'admettez
pas, parmi vous, des hommes qui ne soient déjà
acquis aux idéaux de la Liberté,
de l'Egalité et de la Fraternité. Un candidat qui
rechercherait la Liberté à
son seul profit personnel, qui nierait l'égalité
fondamentale des êtres humains
et qui ne pratiquerait pas dans sa vie quotidienne la
fraternité ne serait pas
accepté dans une Loge de Franc-Maçons. Que
recherchez-vous, ou que
demandez-vous de plus ? Donnez-vous à ces idéaux
un sens plus profond ? Le F\M\
— Les
temps présents sont ainsi faits qu'ils rendent difficile,
à celui qui ne
possède pas les loisirs nécessaires, de prendre
pleinement conscience des
devoirs que lui imposent la Liberté, l'Egalité et
la Fraternité en tant que
règles de vie, en tant que bases de son comportement.
L'Atelier maçonnique est,
tout d'abord, un « milieu propice à l'exercice de
vertus et de qualités que la
vie quotidienne — la vie profane — a tendance
à faire apparaître comme
accessoires, voire secondaires. Avant d'accepter un candidat, nous
cherchons
donc à nous assurer qu'il saura
bénéficier effectivement des possibilités
d'approfondissement que son adhésion lui offrira. Le
Profane. —
Puis-je vous demander de préciser votre pensée... Le F\M\
—
Entre la théorie qui apporte la justification de nos
principes de base et la
réalité qui trop souvent les
méconnaît, il y a un fossé qu'il faut
apprendre à
combler. Il ne suffit pas à un homme d'être,
lui-même, tolérant, égalitaire
et
fraternel, pour qu'aussitôt, son entourage le devienne
également. Nous
apprenons, plus que nous n'enseignons, comment passer du
principe à son
application, comment vaincre les obstacles qui s'y opposent et comment
doser
nos efforts dans ce sens. Le
Profane. — Je
comprends que cela paraît réalisable à
l'intérieur d'un milieu comme celui de
la Loge. Mais au dehors ? là où se
mélangent intolérants et
tolérants ? où ces
derniers prédominent incontestablement ? Le F\M\
— Nous
en sommes pleinement conscients. Nous nous efforçons de
comprendre ce qui se
passe dans le for intérieur de ceux qui n'ont pas atteint le
palier qui est le
nôtre. Nous ne fermons pas les yeux sur les
difficultés nées de cette
situation. Il nous faut trouver une méthode qui
permette de conduire l'homme
moyen — en dernière analyse : tout homme quel
qu'il soit — vers un comportement
qui réponde à nos conceptions. Ces conceptions
sont d'ailleurs aussi les
vôtres, j'en suis sûr. Le
Profane. — Si je
vous comprends bien, vous estimez qu'en réunissant les
efforts des hommes de
bonne volonté, on fait augmenter les chances d'une vie
commune plus heureuse.
Votre union fait votre force, n'est-ce pas ? Le F\M\
—
A titre personnel, je fais les plus expresses réserves quant
à l'adage qui veut
que « l'union fait la force «. Ce serait absurde
d'encourager, par exemple,
l'union des malfaiteurs, l'union des faibles ne transforme pas ceux-ci
en
grands athlètes ; l'union de ceux qui professent les
mêmes idées de domination
ou de puissance n'est aucunement recommandable. Il faut donc
préciser. Le
renforcement purement quantitatif d'un ensemble d'hommes est loin de me
satisfaire.
J'opte plutôt pour la diversité des efforts
humains — ce qui n'implique
nullement leur dispersion. En fait, la Loge est un endroit propice pour
confronter les diversités et pour montrer qu'elles peuvent
aboutir à des
ensembles harmonieux, donc féconds et efficaces. Le
Profane. —
Est-ce à cela que servent vos méthodes
d'enseignement par les symboles ? Le F\M\
— En
effet. Encore faut-il les employer avec circonspection. Imaginez
que, par
exemple, le Feu soit pris pour symbole : ne permet-il pas aussi bien
l'immolation et la destruction que la chaleur nourricière et
l'éclairage des
esprits ? A partir des mêmes symboles — je vous
citerai le svastika comme le
plus connu, dans cette optique — il est possible d'aboutir
aux pires des
intentions criminelles comme aux plus nobles des principes
transformateurs. Le
Franc-Maçon doit dès lors apprendre à
opérer un choix conscient entre les
possibilités qui s'offrent pêle-mêle
à son jugement, à son tempérament et
à son
emprise. Le
Profane. — Le
symbolisme conduirait-il alors à une technique de choisir
plutôt qu'à un art de
mieux comprendre ? Le F\M\
— L'un
et l'autre, naturellement, selon le caractère et la
formation de chaque Maçon.
Ni nos candidats ni les plus chevronnés d'entre nous ne sont
des hommes
parfaits ou susceptibles de le devenir par leur participation
à nos travaux.
Chacun — aujourd'hui plus que jamais — a son
domaine limité, celui où il est
réellement fort de par ses connaissances ou son potentiel
d'action ; il doit
donc nécessairement pouvoir compter sur le concours de ses
Frères pour
accomplir ce qu'il se propose d'entreprendre. Une Loge — je
répète :
aujourd'hui plus que jamais ! — trouve une de ses raisons
d'être dans la
complémentarité de ses membres, et à
un échelon plus élevé, chaque Loge ne
doit
son succès qu'à l'ensemble des autres Loges
travaillant dans une seule et même
direction. Je serais tenté de dire : c'est la
diversité harmonieuse qui fait la
force. Cela, vous ne pouvez guère le réaliser
dans la vie profane, tout simplement
parce que vous ne trouvez nulle part des structures d'accueil qui
s'épauleraient réciproquement jusqu'à
exclure toute divergence majeure. Le
Profane. —
Pourtant, la Maçonnerie est elle-même
divisée, non seulement
administrativement en Obédiences, comme vous dites, mais
aussi conceptuellement,
et votre désir d'universalité rencontre des
difficultés ressemblant à celles du
monde profane ? Le F\M\
— Vous
avez raison ; c'est regrettable — mais
réfléchissons sans
idée préconçue
: nos divisions ne nous incitent-elles pas à
approfondir encore plus les
motifs de nos comportements respectifs, avec l'espoir de les surmonter
tôt ou
tard ? Le
Profane. — C'est
la version optimiste ; mais les pessimistes, les sceptiques, ceux qui
vous
critiquent le plus ne diront-ils pas que cela prouve tout simplement
que vous
non plus, tout Maçons initiés que vous
êtes, n'arrivez pas à donner, au
comportement des hommes, la tournure idéale que vous
revendiquez comme
caractérisant votre Ordre ? Le F\M\
— Je
suis persuadé que vous-même, bien que
n'appartenant pas à la Franc-Maçonnerie,
ne partagez pas cette opinion. Car vous savez très
certainement que
parallèlement à l'évolution d'ensemble
de la pensée humaine, les lignes de
démarcation entre les Obédiences à
comportement différent se déplacent
également et qu'ainsi, les objets de nos divergences se
trouvent ramenés à des
objets de diversité. Il ne tient qu'à nous de
dissiper les malentendus qui
peuvent avoir cours sur ce point : le jour où nos
Obédiences voudront bien se
dire complémentaires les unes des autres au lieu de
réclamer leur prépondérance
n'est peut-être pas éloigné. Le
Profane. — Je
pense aussi au fameux problème de la femme et de la
Maçonnerie : croyez-vous
qu'il soit possible, dans un avenir prévisible, de surmonter
la thèse
traditionnelle que la femme n'est pas initiable » et
qu'à partir d'une
conception nouvelle de son rôle, vous posséderez
bien des organisations
distinctes mais non exclusives ? Le F\M\
—
N'auriez-vous pas des raisons personnelles pour me poser cette question
tel que
vous le faites ? Le
Profane. — Oui,
je le reconnais volontiers : je ne voudrais pas appartenir à
un milieu — comme
vous dites — où je ne pourrais pas, soit
retrouver ma femme si j'en ai une,
soit oublier l'élément féminin si j'en
éprouve le besoin. Le F\M\
— Dans
notre pays, fort heureusement, la solution de ce problème
est bien plus avancée
qu ailleurs ; je me réjouis, au demeurant, que notre exemple
commence à
être largement
suivi dans d'autres
pays. En ce qui nous concerne, nous Francs-Maçons de la
Grande Loge de France,
notre attitude favorable à l'existence d'une
Maçonnerie féminine indépendante
et de plein droit est connue ; elle remonte au début de ce
siècle. Certains
trouvent que nous devrions aller encore plus loin ; or nous pensons que
faire
plus serait faire trop. Nous suivons l'évolution de
près et faisons ce que nous
pouvons pour que parmi les femmes, le Maçonnisme progresse
à sa cadence propre. Le
Profane. — Cela
me parait raisonnable. D'ailleurs, il en découle pour moi
une autre question :
selon vous, les motivations féminines pour
adhérer à la Maçonnerie sont-elles
les mêmes que celles des hommes ? Cherchez- vous les
mêmes choses, les uns et
les autres ? Vous y prenez-vous de la même manière
? Les mêmes valeurs
ont-elles cours ici et là ? Et quelles sont ces valeurs ? Le F\M\
— Je
vous félicite : en quelques mots, vous avez su aborder le
cœur même de nos
préoccupations. Rien ne prouve, évidemment, que
quand il s'agit de donner un
sens à la vie, celui-ci serait identique d'une
Obédience à l'autre, de pays à
pays, de sexe masculin à sexe féminin.
L'échelle des valeurs peut être
différente, ou les priorités peuvent se situer
différemment. Le dernier mot ne
sera jamais dit, et nous ne saurions envisager ni de près ni
de loin une
uniformité des motivations et des comportements. Or, dire
cela ne suffit pas :
ce serait purement négatif. Vous me demandez, au fond, une
définition positive
des valeurs autour desquelles se construisent les
Maçonneries du monde entier,
qu'elles soient composées d'hommes ou de femmes —
mais vous m'interrogez plus
particulièrement sur les valeurs que respecte et cultive la
Grande Loge de
France en particulier. C'est bien cela, n'est-ce pas
? Le
Profane. — Très
exactement ! Le F\M\
—
Seriez-vous déçu si je vous réponds
d'une façon person‑ nelle
au lieu de
présenter, en quelque sorte, une thèse officielle
? Le
Profane. — Je
crois avoir saisi que même ce qu'on appelle une «
auto‑ rité
maçonnique »
n'a pas le droit d'exprimer une vérité
» dite officielle, car elle peut ne pas
être partagée par tous les membres... Le F\M\
—
Bravo Je vous donnerai donc mon point de vue, dont je sais d'ailleurs
qu'il
n'est pas en contradiction avec ce que pensent la plupart de mes
Frères. Vous
me demandiez quelles sont les valeurs que nous entendons
prendre pour règles
de conduite : selon moi, l'homme ne serait pas cet être avide
de
perfectionnement et capable de le réaliser s'il trouvait en
face de lui des
valeurs inattaquables, définitives, rigides. Chaque jour
rogne un peu sur les
valeurs du passé, chaque jour apporte une graine neuve
à notre patrimoine. Il
nous faut donc veiller à ce que l'héritage que
nous tenons de nos ancêtres soit
préservé des amputations néfastes et
arbitraires, et aussi à ce que les apports
nouveaux soient bénéfiques et durables.
Voyez-vous, dans notre monde actuel, un
endroit qui soit plus propice à cet effort que la Loge
maçonnique ? Le
Profane — Je
n'en connais pas : du moins aucun endroit qui soit ouvert à
tous sans préjugés
et sans parti pris, sans considération de source ou
d'autorité. Mais cette
attitude est-elle partagée effectivement par tous les
Maçons de la Grande Loge
de France ? Le F\M\ —
J'ose l'espérer. Mais je sais qu'il existera toujours des
êtres humains qui
échappent à la règle
générale ou qui ne s'y conforment pas. Il s'en
trouve
parmi nous — or, leur présence même est
un stimulant supplémentaire pour nos
réflexions — ils portent témoignage des
résistances que nous devons surmonter
et dessinent notre chemin par leur ombre plutôt que par la
lumière dispensée.
Nos sentiments de fraternité à leur
égard, malgré toutes les divergences, ne
sont nullement incompatibles avec le jugement que nous pouvons porter
sur leurs
opinions. Etre le Frère de celui qui pense comme vous, c'est
facile ; le rester
envers les autres est la pierre de touche de la valeur de nos principes. |
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