GLDF | Revue : Points de Vue Initiatiques | 3T/1974 |
Guy
Le Fevre De la Borderie La nature nous
enseigne, et l'art et l'expérience le nous confirment, Monsieur et singulier
ami, que l'ouvrier ou l'architecte qui désire dessiner, construire et mener à
fin quelque bel édifice ou bâtiment, soit sacré ou profane, public ou privé,
avant que l'entreprendre, pour ne perdre son temps et sa peine en vain, et afin
de ne prodiguer pour néant les grands frais et somptueuses dépenses qu'il y
convient employer, en doit faire un dessein et modèle sur le plus bel
exemplaire et la plus parfaite idée qu'il puisse imaginer et dépeindre au
tableau de son entendement. Puis, en région saine et bien aérée, ayant fait
élection d'un beau lieu et d'une commode assiette pour y jeter et asseoir les
fondements de son édifice et y tracer les compartiments, séparations et
entre-deux des membres et parties d'icelui, doit soigneusement et par grande
providence faire provision et se fournir en temps et saison convenables de ses
étoffes et matériaux propres et bien choisis, puis se pourvoir de bons maçons,
charpentiers et autres artisans requis et nécessaires, lesquelles soient
experts et bien entendus pour faire et parfaire son projet et ouvrage. Ainsi me
semble avoir fait l'auteur de cet oeuvre et me persuade que vous, Monsieur, et
tous ceux qui le liront diligemment, comme il doit être, en feront pareil
jugement que moi. Premièrement, il en
a fait le dessin et modèle sur l'exemplaire et patron le plus parfait et
accompli qui se puisse trouver en la nature des choses, qui est le monde
universel, premièrement dessiné par l'unique et suprême ouvrier et créateur en
sa pensée divine, et puis par son verbe co-éternel produit et mis au jour ;
doué de l'ornement, beauté et perfection que nos devanciers par tous les siècles
passés y ont remarqués, et qu'encore nous de présent y pouvons contempler,
voire que les plus doctes et ingénieux qui viendront après nous y pourront à
jamais, ou autant qu'il durera, admirer et reconnaître. Je dis le monde unique
et triple, et pour tel reconnu de la docte et vénérable antiquité, lequel en
cela rapporte et représente, bien que de loin et comme à la trace le
tout-puissant, tout sage et tout bon ouvrier, duquel il a été créé, formé et
fait. Car notre auteur, imitant le grand Moïse, ou plutôt la nature même, ne
s'est pas contenté de comprendre et embrasser au rond de son entendement ce qui
est contenu et compris en la sphérique rondeur de cette grande machine
mondaine, que nous pouvons choisir et remirer avec la prunelle ou miroir
cristallin de l'oeil sphérique, mais d'abondant a bien osé pénétrer outre la
dernière enceinte de ce grand cirque et théâtre jusque dans l'archétype, monde
intelligible, suprême tabernacle, sacraire du temple universel, arche
d'alliance, surcéleste Jérusalem, pourpris angélique, séjour des esprits
bienheureux, ou de quelque autre nom qu'on le veuille appeler, lequel disait
Platon au Phèdre, nul de nos poètes n'a point encore assez bien chanté, ni orné
de louanges. Et d'autant que Dieu créateur tout parfait ne peut être considéré
ni recherché qu'en trois manières, premièrement en la recherche des choses de
lui créées, secondement en la considération des choses créées en Dieu et
tiercement de Dieu même en soi-même. L'esprit et entendement de notre auteur
s'est égayé et épanoui par tous les deux premiers ordres, sentiers ou degrés,
laissant le troisième à la seule sapience divine auquel il appartient non pas
aux hommes ni aux anges, et de l'être duquel eux ni nous ne pouvons rien
savoir, sinon autant que le fils qui était au sein du père, de sa grâce nous en
aura daigné révéler. Celui voit et
contemple les oeuvres en Dieu, quiconque considère la disposition et forme de
la maison au père de famille, du règne au roi, de l'artifice en l'artisan, et
des sciences et doctrines au docte et savant. Et celui connaît et remarque
l'ouvrier en l'ouvrage, qui, comme à la trace, en recueille, autant que sa
capacité peut porter, l'idée et notion universelle en la chaîne et entresuite
des choses selon leurs étages et degrés et en la correspondance des causes
envers leurs effets et des effets envers leurs
causes. C'est en cette manière que saint Paul a dit que les choses invisibles
de Dieu par celles qui sont faites se contemplent entendues. C'est en cette
manière que tous les sages et philosophes qui ont jamais flori depuis que le
ciel commença de tourner jusque à maintenant, en ont les uns plus et les autres
moins, selon la félicité et portée de leur esprit, illustré de la lumière
naturelle, recherché, compris et remarqué en la considération des choses de
l'univers […]. Et pour ce que non seulement de raisons naturelles, pour convaincre la mécréance et impiété qui règne en plusieurs, mais aussi il a voulu se servir des autorités et témoignages non seulement des nôtres, c'est- à-dire des docteurs chrétiens, mais aussi des étrangers, Hébreux, Chaldéens, Egyptiens, Perses, Arabes, Grecs et Latins, pour ne laisser aucune affirmation qui ne fût dûment prouvée. (1) Guy Le Fèvre de
la Boderle, • A Monsieur des Prés, gentilhomme parisien. Epître en forme de
préface sur la version de l'Harmonie du monde », ap. François Georges,
L'Harmonie du monde, traduit et illustré par Guy Le Fèvre de la Boderie, Paris,
1578, pp. 1-3. L'orthographe et la ponctuation ont été modernisées. |
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