GLDF | Revue : Points de Vue Initiatiques | 4T/1974 |
Le Savoir n'est pas la Connaissance Jean-Pierre BAVARD,
nous sommes heureux de vous accueillir, car nous vous considérons comme un
écrivain spiritualiste, recherchant le symbolisme et illustrant par-là la
pensée maçonnique. Nous voudrions ainsi parler de votre recherche ; avez-vous
écrit de nombreux ouvrages ? J.-P. B. — J'en ai publié une quinzaine, sans
compter ceux en chantier. — Y a-t-il longtemps que vous écrivez et
votre pensée s'est-elle transformée ? OCTOBRE — Vers l'âge de 14 ou 15 ans rai voulu
écrire ; j'ai alors fréquenté Pierre Mac ORLAN et des artistes-peintres.
Cependant j'ai dû faire mes études tournées vers les mathématiqûes, vers les
sciences appliquées ; malgré la discipline des intégrales et du calcul
différentiel j'ai collaboré à de nombreuses revues littéraires, poétiques,
artistiques j'ai eu la joie de publier mes premiers articles aux Nouvelles Littéraires, d'assurer des postes
dans divers grands journaux ou revues littéraires, de côtoyer ainsi de nombreux
écrivains et artistes qui m'ont éduqué. — Etiez-vous attiré par le symbolisme ? — Sans doute, mais sans que je le sache
exactement. J'ai retrouvé des notes écrites en 1940, à l'âge de 20 ans, sur la
Franc-Maçonnerie et déjà j'y conservais ce qui me paraissait essentiel,
c'est-à-dire l'esprit initiatique, les rituels. Puis j'ai été attiré vers les
légendes, le folklore, le comportement de la pensée humaine. Je suis venu
ainsi à la profonde recherche spirituelle de l'homme et petit à petit j'ai
découvert cet esprit initiatique. C'est sans doute en écrivant l'Histoire des
Légendes que j'ai mieux perçu grâce à René Guénon cette chaîne initiatique,
principalement à partir de la queste du Graal. J'ai également étudié les contes
de Perrault en fonction d'un rituel d'initiation, tout en rattachant l'ensemble
à la culture celtique. — Vous avez fait rééditer votre autre
ouvrage, sorte lui aussi de classique, sur les épreuves de la Terre, que vous
avez nommé La Symbolique du Monde Souterrain. — Oui là aussi à travers les Thèmes de la
mythologie et des récits légendaires du sous-sol j'ai voulu interroger ces
bouches de l'enfer, examiner ces grottes sacrées, ces labyrinthes où séjournent
les Vierges Noires. Ces étranges Vierges, venues du druidisme, ont un reflet
alchimique. Aussi nous abordons le thème de la descente de l'esprit dans la
matière, mais également des rites de sépultures. J'ai évoqué l'eau rédemptrice,
les puits, les racines, les pierres, allant du simple caillou aux gemmes
étincelantes, ces rosées du ciel coagulées au sein de la Terre. — Y avez-vous décrit des thèmes
initiatiques ? — Vous vous êtes aussi intéressé aux,
éléments, et vous avez écrit une véritable somme sur le Feu, sur son
symbolisme. — Effectivement j'ai cherché la
signification et le rôle du Feu en prenant mes exemples dans toutes les
civilisations, dans les traditions religieuses et dans les diverses formes de
la Sagesse. Le Feu anime, vivifie, spiritualise et en ce sens il reste le thème
initiatique par excellence, puisque la Lumière spirituelle est l'émanation du
Feu. Mais j'ai aussi proposé aux lecteurs la chaleur magique, les différentes
eaux de feu, la combustion dans notre corps avec son énergie génératrice ; au
XII° paragraphe j'ai étudié le feu des Kabbalistes après avoir évoqué l'esprit
des alchimistes. — Votre livre est fort complet, et l'on a
parlé d'une grande érudition. — Pour étayer mes thèses j'ai dû
effectivement confronter des textes, choisir parmi les exemples et donner des
références à ce que j'avançais. Mais en réalité toute cette analyse minutieuse
ne sert qu'à une synthèse par laquelle je veux faire ressortir les grands
thèmes initiatiques, retrouver la pensée créatrice le mythe du Phénix, les
thèmes de rajeunissement et de résurrection, l'analyse des voyages en enfer —
un enfer où le feu brûle mais ne consume pas, n'anéantit pas —, tous ces thèmes
prouvent que pour être initié il faut pouvoir passer par le Feu. — Oui ce sont les couloirs initiatiques,
les chambres secrètes enterrées et l'on y rencontre aussi bien Thésée tuant le
Minotaure dans un baptême de sang, que le cabinet de réflexion de la
Franc-Maçonnerie. J'ai dégagé le symbolisme du Tombeau de la Chrétienne, cet
étonnant monument situé près d'Alger et sur lequel je voudrais consacrer un
ouvrage. Mais j'ai surtout voulu montrer la puissance de toutes ces énergies
mystérieuses et aboutir ainsi à la compréhension de la réalisation spirituelle
de notre être. — Tous vos ouvrages, au style aisé, avec
leurs tables, leurs bibliographies, leurs index sont de précieux instruments
de travail qui s'adressent non seulement aux spécialistes mais aussi à tous
ceux qui s'intéressent à la recherche de la spiritualité. Avez-vous en vue
d'autres ouvrages de ce genre car vous n'avez pas terminé le cycle des éléments
? — Effectivement ce cycle n'est pas
complet. Mais j'ai terminé un important ouvrage sur Le Symbolisme Maçonnique.
Cet ouvrage qui comporte deux gros volumes cherche à faire le point sur le
symbolisme rencontré aux divers grades maçonniques. Mon étude reste basée sur
les 33 degrés du Rite Ecossais Ancien et Accepté mais j'ai donné des variantes
concernant d'autres rites maçonniques. — Vous vous êtes aussi intéressé au
symbolisme d'autres cérémonies. — Effectivement j'ai étudié le
symbolisme du sacre des Rois, et en dehors de la recherche historique, j'ai voulu
montrer la signification du fait liturgique, découvrir l'origine magique de la
royauté, la relation de l'homme avec le cosmos, la valeur de cette institution
qui vise à restaurer le premier citoyen du monde dans son unité primordiale. Dans le même esprit,
mais me basant sur une recherche historique plus poussée j'ai fait paraître un
ouvrage intitulé Les Frans-Juges de la Sainte-Vehme. J'ai cherché à rétablir la
vérité sur ce tribunal médiéval, né en Westphalie, sur lequel il fut écrit tant
de drames romantiques. J'ai eu à me
pencher sur l'Ordre des Chevaliers Teutoniques et des mouvements terroristes
avant le Nazisme. En réalité ce livre cerne une longue quête humaine, à la
poursuite du Sacré et de l'Indéfinissable. — Parmi les organisations qui ont précédé
la Franc-Maçonnerie vous avez aussi évoqué la Rose-Croix. Voulez-vous en parler
? — Ce mouvement né en Allemagne vers 1614
doit beaucoup à la Réforme ; la rose sur la Croix, emblème de Luther, était le
signe de la rébellion contre l'Eglise de Rome. Après l'évocation des premiers
manifestes et de la figure centrale d'Andreae j'ai commenté les autres
mouvements nés au siècle des Lumières. — Faites-vous un rapprochement entre la
Fraternité de la Rose-Croix et la Franc-Maçonnerie ? — Il est indéniable que dans ces deux
Ordres nous trouvons des pensées communes. Les Rose-Croix peuvent apparaître
comme des surhommes, des grands initiés. Pour d'autres les Rose-Croix ne sont
que des mystiques hallucinés et même parfois des charlatans qui profitent de
la crédulité de leurs semblables. Nous côtoyons le délire dans l'imaginaire, ou
le scepticisme le plus navrant. — Le Rose-Croix a-t-il réellement existé
et n'avons-nous pas uniquement une projection sublimée ? — En dehors des quelques hommes du XVII°
siècle qui ont cherché l'illumination afin de venir à une vie meilleure, le
vocable Rose-Croix couvre un ensemble de sociétés secrètes se disant héritières
d'une antique sagesse et formant une fraternité secrète. On y trouve ainsi
l'influence de l'hermétisme égyptien, du gnosticisme, de la Kabbale, de
l'alchimie, de l'ésotérisme chrétien, tout un monde gravitant autour de
l'illumination et communiquant par le symbolisme. Toutes ces sociétés
sont l'émanation de la vie d'un groupe ; ce sont des oeuvres collectives et
l'Esprit s'est ainsi propagé, marquant d'autres sociétés et d'autres individus.
Ce ferment spirituel se renouvelle à chaque époque et marque des êtres qui
visent une perfectibilité. Les Sociétés des
Rose-Croix et de la Franc-Maçonnerie ont puisé aux mêmes sources car eux-mêmes
sont d'essence spirituelle. Grâce à cette
pensée millénaire on authentifie mieux la valeur initiatique de la
Franc-Maçonnerie. — Pensez-vous que l'on ne puisse trouver
l'amour fraternel, la charité, ou même la recherche d'une médecine universelle
que dans ces confréries secrètes et bien mystérieuses ? — Sans doute non, mais la
Franc-Maçonnerie, grâce à son organisation rigide, à ses rituels bien établis,
a le mieux conservé cette pensée spirituelle qui marque une époque. Pour ma part je
pense que l'étude des sociétés secrètes devient une nécessité si l'on veut
avoir une compréhension tant des faits anciens que de ceux des temps modernes,
car une fraternité de pensée a toujours une répercussion sur le milieu qui
l'environne. L'acte politique n'est sans doute pas commandé par un initié, mais
il est motivé par une atmosphère générale qui se ressent de l'influence de
penseurs, de chercheurs, d'humanismes. On peut dire que les encyclopédistes ont
été le levain de la révolution française, sans pour autant agir directement sur
les événements politiques. Tous les adhérents
de ces sociétés parviennent ainsi à leur vérité, une vérité qu'ils se sont
forgée, difficilement explicable aux autres, à moins que ceux-ci reprennent le
même processus, un très long chemin qui après bien des détours les mettra alors
dans la même compréhension. L'inexprimable
n'est pas l'incompréhensible ; la recherche de sa signification permet à
l'adepte de passer d'un état extérieur à un état intérieur qui est le propre de
l'initiation. La société secrète fait appel aux symboles qui suggèrent par une
correspondance analogique. Mais ce qu'Il faut bien souligner c'est que ces
symboles se retrouvent partout, aussi bien dans les sociétés archaïques, que
chez les Mayas, dans la société égyptienne, dans les mystères de Mithra ou
d'Eleusis. Dans les Sociétés initiatiques du monde occidental, à notre époque,
la Franc-Maçonnerie et le Compagnonnage grâce à leur cadre précis savent faire
revivre ces légendes qu'ils insèrent dans leurs rituels. Je travaille
actuellement sur un livre cernant le Compagnonnage. Ce que je tente
d'établir c'est une liaison entre ce Monde de l'extérieur et celui de ces
sociétés, où les membres sont imprégnés même à leur Insu par un même
symbolisme, par un même rituel. — Mais être initié ne veut-il pas dire
qu'il faut assimiler une doctrine ? Ne faut-il pas pratiquer des cérémonies,
connaître un catéchisme, savoir répondre à des questions? — Sans doute mais tout cela n'est valable
que si l'on enregistre un réel effort intérieur, un travail de décantation. «
Nul n'est initié que par lui- même » dit Villiers de l'Isle Adam dans son roman
Axêl. — Si je vous comprends bien l'homme doit
rechercher en lui-même et pour bien sentir une chose l'homme doit déjà posséder
un germe de cette chose ; ce que l'on comprend doit se développer en soi-même.
Ainsi l'effort intellectuel ne nous intègre pas obligatoirement dans la
Connaissance ; le Savoir n'est pas la Connaissance. — Exactement. Il faut ressentir
profondément ce que nous cherchons et ce que nous portons en nous, même
peut-être obscurément. La pensée reste un miroir psychique, une valeur
extérieure. La raison laisse apparaître un fossé entre le miroir et l'objet,
entre le sujet et l'objet ; l'association des idées nous fait souvent peur car
nous craignons encore notre reflet. L'intelligence ne fait rien ; seul
l'esprit permet d'unir l'ensemble au Tout. Seule la Beauté, moteur de l'Amour,
nous met sur la voie directe. Mais la Sagesse ne s'enseigne pas, la vérité ne se
commente pas. Publié
dans le PVI N°
16 - 4éme trimestre 1974 - Abonnez-vous
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