GLDF | Revue : Points de Vue Initiatiques | 2T/1975 |
Le Symbolisme du Caducée 1.
— Préambule. Le
caducée... Bien
que cet
emblème reste fort présent dans notre vie il n'en
demeure pas moins mystérieux.
Que représentent ces deux serpents entrelacés
autour d'un mât central Souvent
stylisé, le caducée ne fait apparaître
qu'un seul serpent ; sur l'emballage des
produits pharmaceutiques ce reptile semble vouloir s'abreuver
à une coupe ; il
diffère par sa représentation plus ou moins
« modernisée », de celui que l'on
voit sur le pare-brise de la voiture laissée en
stationnement parfois illicite
: mais ce signe protège le véhicule et
le met à l'abri des contraventions. Nous
avons pu
entendre des voix sentencieuses et graves dire, avec une ironie
mêlée de
compassion, que le médecin en ne représentant
qu'un seul serpent se définissait
hélas trop bien ; les deux serpents prouvaient un
équilibre naturel, tandis que
le seul serpent montrait le Savoir ; la médecine en
supprimant le second
reptile précisait qu'elle ne possédait plus la
Connaissance, ce dépôt sacré.
Ainsi l'emblème avec un seul serpent montrerait que la
médecine, art empirique,
a perdu son côté divin. Nous
ne devons pas
oublier que les premiers guérisseurs ont
été les représentants directs de la
divinité. Communiquant avec la puissance
créatrice, ils ont eu une compréhension
universelle, cosmique, de toutes les lois qui régissent
notre monde. Ils ont su
par la pénétration de leur esprit ce
qu'était le mal et son remède, ce qui
était bon ou néfaste pour la vie d'autrui.
Instruits de toutes choses, ils ont
orienté l'existence de leurs semblables ; chefs, rois, ils
ont été ces bergers
qui savent diriger. Parce que les plus éclairés
ils sont aussi restés les plus
humbles ; ils ont su prier, clamer la puissance de celui dont ils
n'étaient que
les représentants. A une époque où le
sacré et le profane étaient liés, ces
hommes ont été à la fois
prêtres et rois, guérissant tant le mal moral que
physique ; Jésus, après Melchisédech,
incarne ces vertus ; ils ont été les
chamans, ces hommes doués de pouvoirs qui ont paru
mystérieux pour tous ceux de
l'extérieur, pour tous ceux qui n'avaient pas la foi. Le
pouvoir d'essence
religieuse de ces dépositaires de la force divine s'est
transmis jusqu'à nos
derniers rois qui avaient conservé la possibilité
de guérir ; les monarques de
France imposaient leurs mains sur les plaies des patients atteints du
mal des
écrouelles. Guérir était ainsi
l'apanage du chef, de celui qui était au-dessus
des autres puisqu'il avait reçu un signe personnel, des dons
particuliers. Dans
ces conditions
pourquoi ce seul serpent du caducée ne peut-il figurer que
le Savoir ? Ne
représente-t-il pas la Connaissance, le seul
côté bénéfique de la force
cosmique ? S'il est la Connaissance, il est bien inutile de situer un
autre
serpent, ou tout autre serpent, car à quoi bon virtualiser
les quatre colonnes
du Temple pour celui qui est au centre de toutes choses, de toutes
idées, et
qui de là rayonne dans la compréhension totale de
tout ce qui nous entoure ?
Pour l'élu, pour l'initié, tout paraît
simple, concis puisqu'il peut tout voir,
tout entendre, tout comprendre. Bien
loin de nous
l'idée de vouloir affirmer que celui qui a appris l'art de
guérir est au-dessus
de tout autre être ; mais cependant pour
pénétrer l'esprit de la nature,
l'essence des choses, il faut être en état de
réceptivité, avoir reçu un don,
un pouvoir qui ne peut paraître que surnaturel à
tout autre homme qui ne
bénéficie pas de ce dépôt.
Le Sage, le Saint, l'Initié doivent
émerger du flot
humain. Celui qui guérit doit avoir — ou devrait
avoir — un pouvoir de
compréhension lui permettant de donner un
médicament, un remède qui
complètent
une nature imparfaite. Comme le montre l'emblème du
caducée, il faut revenir à
la qualité originelle en prenant le chemin direct,
sur un axe bien vertical. Mais
comme le fait
malicieusement remarquer le docteur François Lamasson le
caducée est l'attribut
de Mercure, Dieu du Commerce ; on pourrait donc concevoir que la
médecine a
partie liée avec le commerce ; malgré Jules
Romains il n'en est heureusement
rien pour la santé des humains. Un
ou deux serpents
? La question paraît perdre de son importance ; nous
pouvons conserver notre
foi en la médecine, en son sigle et nous pensons que la
boutade de ces esprits
chagrins ne repose que sur l'interprétation trop simpliste
d'un emblème
contemporain de l'existence de l'homme. Nous pressentons que le
caducée a une
valeur représentative, qu'il n'a pas seulement le besoin de
signaler un homme
qui a appris à soigner ses semblables. Ce sigle a
en lui-même une valeur
particulière. Mais
pourquoi le
serpent, cet animal rampant, visqueux, émule du diable
entoure-t-il un axe
vertical, qui après tout, si ce n'est un arbre, reste un
simple morceau de bois
? Mais peut-être ce tronc scié est celui d'un
pommier, ou d'un cep de vigne... Le
serpent, l'arbre
ont joué un rôle si important dans la
religion chrétienne que nous nous
débarrassons malaisément de ces
clichés qui abondent sous nos yeux grâce
à une
iconographie fort vivante. Si
nous recherchons
l'origine du mot caducée il semble que nous nous
éloignons de cette
représentation avec axe et serpent. Le mot
caducée est en effet emprunté au
latin caduceum, qui lui- même provient du grec
kérux héraut, annonciateur. Que
vient faire cet officier chargé de porter les messages,
défis, déclarations de
guerre et qui devait aussi régler le
cérémonial des fêtes de
chevalerie ? Mais
dans sa racine figure le mot coq, cet héraut du soleil. Nous
rechercherons
ainsi les diverses formes de caducée à serpent
unique ou à deux serpents. Alors
peut-être parviendrons- nous à une
compréhension élargie d'un emblème
fort
connu mais toujours énigmatique. 2.
— BREF
HISTORIQUE Cet
insigne
distinctif du Service de Santé militaire français
a été choisi pour orner les
boutons uniformes des officiers de Santé de la Marine selon
l'arrêté du 19
Pluviose an VI (7 février 1798) puis ensuite par tous les
officiers de Santé de
l'Armée selon le règlement du 20 Thermidor an VI
(7 août 1798). Le serpent
d'Epidaure entrelaçait trois baguettes figurant les
trois branches de l'art de
guérir (médecine, chirurgie, pharmacie) et
était surmonté d'un coq, symbole de
la vigilance en la République française. Or, en
grec, caducée signifie «
annoncer » et dans sa racine apparaît le
mot « coq » ; le coq, comparé au
paon, symbole solaire et royal dans les mythes hindous, est aussi un
animal
détenteur d'un grand pouvoir prophylactique contre les
venins. Cet
insigne a été
adopté par d'autres armées nationales. Le 23
avril 1868, un ordre du Cabinet
Suprême allemand attribuait aux médecins prussiens
un bâton d'Esculape doré ;
ornement conservé par la Wehrmacht, puis par
l'armée fédérale. Le même
bâton
figure dans l'Armée anglaise à partir de 1898,
uniquement pour les médecins et
non pour les pharmaciens. Les Services de Santé des
Armées belge, italienne,
helvétique, des Etats-Unis d'Amérique utilisent
ce bâton d'Esculape ou bâton
serpentaire d'Esculape, quelque peu différent du
caducée qui comporte deux serpents. C'est
cependant en
Grèce que nous trouvons la tradition la mieux
établie. Les fouilles d'Epidaure
nous ont beaucoup appris tant sur ce symbole que sur le culte qui y
était
attaché au IXe siècle avant J.-C. Les
pratiques religieuses spéciales à ce
temple se nommaient les « asklépicia »,
la ville d'Epidaure étant consacrée à
Asklépios, dont le nom latinisé devint
Aesculapius. Esculape
est une
divinité de l'Olympe et bien des auteurs nous ont
conté de façon différente
l'histoire de ce demi-dieu. Asclépios est le fils de la
mortelle Coronis, fille
de Phlégyas roi de Thessalie ; séduite par
Apollon, qu'elle ne devait cependant
pas connaître, elle mit clandestinement un enfant au monde ;
celui-ci est
abandonné par sa mère sur le Mont Myrtion,
près d'Epidaure ; une chèvre en
prend soin, lui donne son lait tandis qu'un chien berger veille
à sa sécurité. Pour
Hésiode et
Pindare, Coronis aurait trompé son divin amant avec un
simple mortel Ischys.
Apollon tue sa maîtresse infidèle dont le corps
est brûlé selon la coutume
d'alors. Mais sur le bûcher funéraire le dieu,
pris de remords, arrache des entrailles
de la mère son fils vivant qu'il confie à Chiron. Ce
savant centaure
à l'étrange forme d'un homme-cheval,
était né des amours de Cronos et de la
nymphe Philyre ; il se distingua par sa sagesse et sa
connaissance ; ses
disciples furent fort nombreux. Notons parmi eux Castor et Pollux,
Amphiaraos,
Pelée, Achille, Nestor, Ulysse. Asclépios,
formé
par Chiron, apprit l'art de composer des simples et de fabriquer des
remèdes.
Doué de qualités natives supérieures
à celles de son maître, il acquit rapidement
une habilité extraordinaire. Héros
de la
médecine, ce demi-dieu fait boire des remèdes,
verse des collyres dans prescrit
des onguents ; il est chirurgien, ouvre des poitrines, retire
des pointes de
flèche. Il sait même couper les têtes et
les rajuster. Il ressuscite les morts
tels Glaucos, Tyndare, Hippolyte. Aussi Hadès, qui a peur de fermer les
portes de son royaume, se lamente
; il dénonce ces guérisons miraculeuses qui
peuvent troubler l'ordre de la
nature. Zeus foudroie ce trop zélé
guérisseur. Apollon pour venger la mort de
son fils tue les Cyclopes, artisans de la foudre. On sait ainsi l'exil
momentané
d'Apollon sur la terre ; mais Asclépios malgré sa
mort tragique eut droit aux
honneurs divins. Asclépios apparaissait en songe
à ceux qui venaient prier dans
ses sanctuaires en lui demandant la guérison ou
l'apaisement de leurs
souffrances. L'Iliade
nous a
rapporté la grande figure de ce héros, et l'on
voit procéder ses deux fils
Machaon et Podaleiros ; ils participèrent comme
combattants à la guerre de
Troie mais ils quittaient le combat pour secourir leurs camarades
blessés. Au
chant IV de
l'Iliade, Ménélas est atteint. Agamemnon, chef
suprême de l'armée grecque,
réconforte son ami « Le fils d'Esculape
soignera ta blessure et y mettra le
remède qui apaise les cruelles douleurs » ; il
fait ainsi chercher Machaon qui
se trouve au combat. Au chant XI, Machaon est lui-même
blessé à l'épaule droite
par une flèche décochée par
Pâris. Idoménée, roi de
Crète, recommande le blessé
à Nestor : « Hâte-toi ; un
médecin vaut plusieurs hommes, car il sait extraire
les flèches et répandre les doux baumes dans les
blessures. » Bien que l'on
connaisse l'importance du docteur, Podalire, frère
de Machaon, lui aussi médecin,
est au combat ; on ne le trouve pas pour venir au chevet de son
frère. Aussi,
une simple jeune fille Hécamède soigne Machaon et
étanche le sang de la plaie
(ch. XI-XIV). Machaon,
prétendant
d'Hélène, soigna aussi Philoctète
rongé par une plaie faite dix ans plus tôt
par une flèche d'Héraclès. Ce
guérisseur s'introduisit dans les flancs du
cheval de Troie. Machaon fut tué par Eurypylos,
fils de Télèphe et ses cendres
sacrées furent rapportées par Nestor dans un
sanctuaire de Gérénia où les
malades venaient demander leur guérison. Machaon
avait régné
sur trois villes thessaliennes avec son frère Podalirios,
lui aussi habile
médecin qui soigna l'horrible blessure de
Philoctète. Après la victoire des
Grecs, Podalirios quitta Troie avec Calchas, Amphilochos et quelques
autres
héros. Il revint par voie de terre à Colophon,
consulta l'oracle de Delphes et
s'établit en Carie à Syrnos, où il
épousa Syrna, la fille du roi. Leurs
descendants étaient les Asclépiades,
médecins grecs réputés qui se
transmettaient les secrets communiqués par leur illustre
ancêtre ; ils
formèrent ainsi une confrérie sacerdotale. Notons
que le
naturaliste Linné a donné les noms de Machaon et
de Podalire à deux très beaux
papillons. Grecs
et Romains
associèrent vers 500 avant J.-C. le culte d'Hygie,
déesse de la santé, à celui
d'Esculape. Plus tard on fit d'Hygie la fille d'Esculape et on lui
donna comme
attribut le serpent d'Epidaure auquel elle
présentait la nourriture. Nous
retrouverons la coupe d'Hygie comme emblème des
pharmaciens. Dans
l'exercice de
sa fonction de guérisseur, Asklépios se fait
aider par des chiens, des serpents
qui lèchent et sucent les abcès. Aussi dans la
demeure de cette divinité on
élève principalement des reptiles. La
pratique de cette médecine a été
consignée
sur des tablettes bien évocatrices. Avant
d'entrer dans
le sanctuaire le malade doit se purifier ; il rend propre son corps par
des
bains, des fumigations, des frictions, mais pour
être guéri il faut aussi des
jeûnes prolongés qui préparent son
âme. A la propreté corporelle correspond
celle de l'esprit. Le malade participe alors à des
processions : il psalmodie
des chants sacrés, remet des offrandes au dieu. Ce n'est
qu'à la suite de cette
préparation minutieuse qu'on l'admet à coucher
dans « l'abaton », le portique
qui donne sur le temple. Asklépios visite alors les plus
dignes ; il apparaît
dans leur rêve, cet état si particulier. Mais
Asklépios se
rend aussi près des malades ; il va par les chemins.
Intéressé, il demande ses
honoraires d'avance et punit sévèrement
ceux qui veulent tricher. Echédore, à
qui Pandaros avait confié de l'argent voulu conserver ce
dépôt : au lieu d'être
guéri de ses taches sur le front il reçut celles
de Pandaros qui, lui, fut
guéri. Mais ce dieu peut se contenter d'un maigre salaire
s'il a un
interlocuteur honnête devant lui ; ce guérisseur a
bon Coeur. Les
Grecs
considèrent Esculape comme un médecin de
campagne : il a un langage simple,
direct qui correspond à celui du malade ; Esculape est
très humain. Il
est
vraisemblable que les stèles aux inscriptions fort
élogieuses nous
transmettent des guérisons amplifiées et
embellies. Ces pierres, sortes
d'ex-voto, nous content en fait des miracles. Nous avons peine
à croire à ces
cures, mais au demeurant n'est- ce pas le propre du miracle de
paraître
invraisemblable ? Le
culte d'Esculape
naquit à Tricca, où Machaon et Podalire virent le
jour. De là il se répandit à
Gerenia, puis à Epidaure, dont le temple devint le plus
célèbre des
sanctuaires. On apportait des offrandes aux serpents et c'est ainsi
qu'il nous
reste de nombreuses pièces de monnaie où
l'on voit Esculape avec son serpent
consacré, de l'espèce parinâ,
nommée aussi parôos à cause de sa
couleur
cuivrée. D'après les prêtres ces
serpents s'introduisaient la nuit dans la
chambre des malades endormis, leur apportant ainsi la
guérison. La
réputation des
serpents d'Epidaure s'étendit sur les autres pays. Aussi
lorsque la peste fit
des ravages à Rome, en l'an 460 de sa fondation,
c'est-à-dire 293 ans avant
notre ère, les Romains envoyèrent une ambassade
de dix notables, commandés par
Ogulnius, avec mission de rapporter un des serpents
sacrés. Le serpent
s'enroula autour d'un bâton durant le temps de la
traversée ; mais en vue des
côtes il se jeta à l'eau, traversa le Tibre et
gagna la rive à la nage. A en
croire les historiens (1) la peste s'arrêta dès
l'arrivée de cet animal.
D'après Ovide (2) Esculape se serait lui-même
transformé en serpent pour venir
à Rome guérir les malheureux. Devant un
tel bienfait les Romains ne pouvaient
qu'élever un temple au dieu guérisseur : on
choisit la pointe de l'île du Tibre
où le serpent avait abordé et une pierre fut
dressée à cette proue : le serpent
d'Epidaure s'enroulant autour d'un bâton
commémora cette action, tandis que
d'après Pline (3), bien des ménages
élevèrent des serpents dans leur foyer :
ils étaient nommés les Epidaurii. Cependant
à
l'époque romaine les croyances religieuses s'affaiblirent,
les malades n'eurent
plus foi dans leur rêve ; la guérison devait
être prompte. Si Esculape
prescrit, les prêtes interprètent de plus
en plus librement l'ordonnance du
dieu. D'après
la
statuaire grecque, Esculape est un homme très fort,
à la large poitrine, aux
épaules puissantes, à l'imposante charpente, mais
il n'est jamais un athlète.
Ce dieu qui incarne la santé reste puissant et calme. Puis
au cours des ans
Asklépios s'affine ; et si autrefois il s'appuyait sur une
grosse massue, son
bâton devient cylindrique, puis encore s'allonge, pour
être grêle ; le gros
bout de la baguette se trouve en haut ;
dégénérescence de la massue, le
bâton
du pèlerin est devenu la canne du dandy. Ce
bâton d'olivier
rugueux, à noeuds — le ceryx — s'orne de
deux serpents, non entrelacés mais
formant guirlande. On le confond avec l'emblème de Mercure,
où les deux
serpents forment souvent trois demi-cercles, avec au-dessus
d'eux deux ailes
largement déployées ; ce sont peut-être
les ailes de la colombe, messagère de
Mercure. Ainsi
Mercure est
confondu avec l'Hermès des Grecs, et les deux serpents
enlacés de part et
d'autre de l'axe vertical illustrent la légende qui
semble apparaître au Ve
siècle avant J.-C. et selon laquelle Mercure aurait
séparé les deux serpents se
battant, en jetant entre eux une baguette ; ce serait un symbole de
paix. Si
nous ne pouvons
évoquer toute l'iconographie du caducée, notons
cependant que ce symbole figure
dans d'autres traditions fort anciennes. Le gobelet à
libation de Gudea,
provenant de Tello, conservé au musée du Louvre,
outre sa dédicace « pour la
prolongation de sa vie » situe deux serpents
s'enlaçant autour de la hampe. Les
Phéniciens associent les deux reptiles à l'arbre
de vie mais, en Gaule, ce
culte paraît être la survivance de
conceptions préhistoriques : le serpent
cornu laisse des traces sur les dolmens gravés. 3.
— LE SERPENT Le
serpent
tentateur de la Genèse, enroulé dans l'arbre,
conseillant à Eve de cueillir le
fruit défendu, ne paraît pas avoir de
rapprochement avec notre symbole. C'est
cependant à partir du courroux de Dieu que le serpent doit
ramper. Cette scène
de la tentation, avec sa mystique sexuelle, se rapproche des
récits
mésopotamiens, où le serpent « Kerub
» garde le chemin qui conduit à l'arbre de
vie. Dans
toutes les
figurations mithriaques le serpent, gardien de l'empyrée,
s'enroule autour de
la pierre génitrice. Ce reptile actif, principe agissant,
est essentiellement
mobile ; il est l'âme du mouvement, de l'hélice et
cet animal tellurien
personnifie la Terre Mère. D'après
Le Livre
des Nombres (XXI, 6-9), et d'après saint Jean (III, 14-15 -
XII, 32) celui qui
a été piqué par le serpent n'a
qu'à regarder le signe de Moïse, le serpent
d'airain, pour vivre. Ainsi Dieu, en permettant cette figuration de
l'image du
brûlant serpent, a associé à la fois le
mal et le remède. On songe au procédé
magique thérapeutique, fort proche de la formule de
l'Atharva-véda : « Avec du
poison, je guéris ton poison. » En
évoquant le nom
de Jésus, on chasse le reptile, le mal. La Vierge Marie, les
saints peuvent
aussi neutraliser le venin de cette bête qui ne rampe que par
la malédiction
divine. Ce
serpent qui peut
à la fois donner la mort et guérir
l'homme a influencé bien des théories
religieuses, bien des textes littéraires. Cet animal
sacré représente la vie
et, s'il a un pouvoir curatif, lorsqu'il se referme sur
lui-même en se mordant
la queue — l'ouroboros — il devient la vie
indestructible, l'éternel recommencement
de toutes choses ; il est l'image de l'CEuvre. Ce pur mouvement
circulaire
pénètre l'évolution consciente dans le
Temps Eternel et nous accédons à la
puissance bienfaisante, au monde de l'infini. Les
serpents ont
joué un grand rôle dans les mystères
d'Eleusis ; ces initiateurs apportent la
connaissance. D'après la Gnose ce reptile n'est pas
l'incarnation du mal, mais
le porteur de la révélation, de l'esprit de
Lumière, donc du Christ. D'après la
mystique des nombres, chère à la
Kabbale, le serpent, en hébreu nahash,
représente 358 tout comme le Messie, Mashiha. 4.
— SYMBOLISME DE
LA PRUDENCE Cette
prudence du
reptile a permis l'établissement de
l'emblème de la Prudence constitué par
un
miroir à main au manche enlacé par un serpent.
C'est ainsi que l'en-tête du
papier à lettre du Directoire Exécutif en 1795
consiste en une vignette
surmontée d'un coq entouré à sa droite
d'un caducée de Mercure (à deux
serpents) et à sa gauche du symbole de la Prudence. Ce
symbole figure sur le
meuble qui supporte la presse des sceaux de l'Etat français.
Or le miroir,
reflet du ciel, réceptivité cosmique de Dieu, ne
définit peut-être que ce monde
de l'illusion, et sur cet écran insaisissable se dessinent
les formes
éphémères. Peut- être le
serpent contemple-t-il le « vide obscur » dans ce
miroir de vérité où apparaissent les
archétypes éternels. La forme peut
apparaître dans cette surface, mais elle ne s'y trouve pas
enfermée ; cette
nature illusoire participe à une géographie
mystique, au pouvoir de
l'imagination créatrice, puisqu'il y a à la fois
reflet et correspondance, donc
la vision intuitive d'une signification mystique. 5.
— LE CADUCEE ET
LA MEDECINE HERMETIQUE Les
deux serpents
qui se battent représentent le désordre, le chaos
; avant de les équilibrer, il
faut les séparer, c'est-à-dire les distinguer,
connaître leur opposition,
saisir leur contraire. Les deux forces opposées se
résolvent dans l'unité, et
la baguette, axe du monde, équilibre le chaos. Avec
la
réconciliation des deux animaux, nous évoquons au
point de vue alchimique
l'union entre le feu et l'eau, deux
éléments qui se définissent
par deux
triangles inversés, évolution et involution.
Associés, ils créent le sceau de
Salomon représentatif de l'union du ciel et de la
terre. La Pierre est
elle-même composée de deux substances ; et le
mercure et le souffre ne sont-ils
pas équilibrés par le sel ? Ce Mem
négatif ne s'oppose- t-il pas au Shin
positif pour s'équilibrer avec Aleph ? Si
l'or philosophique
est la tige qui réunit finalement les deux serpents, cette
effigie du Mercure
philosophique apparaît ainsi dans un bas-relief de la
cathédrale Notre-Dame de
Paris. 6.
— LE FEU SERPENT Dans
la pensée
hindoue, des organes sensoriels ou « Chakras »
conduisent à la moelle épinière
les énergies extérieures, les influx
nécessaires à toute vie. En sanscrit
chakram signifie roue ou disque en rotation, tandis que la Kundalini
est une
force suprême qui repose endormie au bas du corps
humain. Les exercices du
yogi ont pour but d'animer cette Shakti divine qui,
éveillée, s'élève sur l'axe
de la moelle épinière suivant trois canaux, l'un
central (Sushumma) et deux
autres qui développent deux spirales
entrecroisées sept fois. Ce trajet des
nadis selon le plan de l'épine dorsale — le
Brahmadanda ou bâton de Brahma —
ressemble au tracé du caducée qui, lui aussi,
possède souvent sept nœuds. Nous
pouvons y retrouver aussi le symbole de la mystique sexuelle hindoue. 7.
— CONCLUSION Le
caducée
reste-t-il la représentation du serpent
guérisseur de Moïse, l'emblème de la
devination, le signe de paix porté par le roi et les
hérauts d'armes ? Est-il
le signe de la fécondité, ou celui de la prudence
? Ce
bâton a séparé
et réconcilié les deux serpents
antagonistes, mais ce n'est qu'un sens
altéré
puisque deux forces contraires ne sont que complémentaires
et que le bâton
vertical peut tout résoudre par sa rectitude. Le
caducée est le
principe d'union. Le reptile debout sur sa queue, enlacé ou
non avec sa
femelle, évoque la mystique sexuelle, l'union androgyne,
celle du couple divin
qui boit son breuvage d'immortalité ; cette sève
qui s'élance, unit et féconde
se résout en un seul terme qui s'épanouit au
soleil, au ciel, dans la coupe des
pharmaciens. Cet arbre de vie avec sa force jaillissante,
renaissante,
équilibrante, apporte le remède
mystérieux, l'eau d'immortalité, origine
mystique de la médecine. S'il
nous fournit
la source de vie, l'éternelle Jouvence il ne suffit pas de
savoir, de
connaître, il faut aussi transmettre. Le caducée
transmet ; il est comme le
héraut, le messager des dieux, le serpent d'airain
conçu par Moïse. Si
Mercure préside
le commerce, le gain, Hermès interprète le verbe,
il est le prophète qui dirige
et conduit dans la paix ; le caducée a la puissance et la
volonté d'interpréter
le verbe. Le
serpent peut
s'enrouler autour de l'arbre, autour de la montagne polaire ; il peut
se
diriger soit vers les états supérieurs, soit vers
les états inférieurs ; ces
deux aspects, qu'ils soient bénéfiques ou
maléfiques, se résolvent toujours en
un seul état. La
vérité reste une
; il ne peut y avoir qu'un seul chemin pour y parvenir, un chemin
étroit,
aride, mais qui est rectiligne,. bien droit comme l'axe qui nous occupe. (2) Ovide, Métamorphoses, Livre XV. (3) Pline, Histoire naturelle, XXIX, 22. |
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