GLDF | Revue : Points de Vue Initiatiques | 2T/1975 |
La Colonne d’Harmonie * * *
MUSIQUE : Quelques mesures de la Marche des Francs-Maçons de NAUDOT. * * * La marche dont nous
venons d'entendre quelques mesures est sans doute la plus ancienne composition
écrite, au moins en France, à l'usage des Loges maçonniques. Elle est due au
compositeur et flûtiste Jacques-Christophe Naudot, membre de la Loge
Coustos-Villeroy vers 1737. Ce musicien avait
eu l'honneur de parrainer, entre autres, l'entrée en maçonnerie de son illustre
confrère Louis Nicolas CLERAMBAULT. Cette marche dont
le succès avait été tellement considérable qu'on en connaît plusieurs éditions
maçonniques, est parfaitement caractéristique de ce que pouvaient être les
colonnes d'harmonie des Loges au XVIII* siècle. En effet par
Colonne d'harmonie on entendait quelque chose de très précis, à savoir un
groupement d'instruments à vent comparable à celui des musiques militaires
contemporaines, à dire vrai assez squelettiques avant la Révolution. Il
s'agissait tout au plus d'un groupement de quelques hautbois et bassons, de
fifres, de cors, de trompettes et de timbales. Après la réforme des musiques
militaires par Louis XV en 1764, l'effectif des musiques sera limité à deux
clarinettes, deux cors et deux bassons, et les colonnes d'harmonie
maçonniques, comme par hasard se conformeront à ce modèle. L'étude des archives
des anciennes Loges nous le confirme. Il est facile de
comprendre la raison de cette parenté entre les musiques militaires et les
colonnes d'harmonie des Loges maçonniques : d'une part cela accentuait le
caractère de la tradition chevaleresque dont, à côté de la tradition des maçons
opératifs, sont emprunts beaucoup de nos rites ; d'autre part le nombre
important de Loges militaires constituées dans les divers régiments explique ce
recrutement artistique un peu particulier. Mais à l'origine
les fastes musicaux de la maçonnerie étaient beaucoup plus réduits. Nous
apprenons par exemple qu'en 1737, au cours d'une fête magnifique à la Grande
Loge, après le repas (je cite) « la proclamation du Grand Maître et de ses
Officiers a été accompagnée d'un applaudissement général et au son des
trompettes et des cors de chasse ». De vieux rituels
rattachent l'utilisation des instruments à vent aux traditions initiatiques
les plus anciennes. Voici par exemple ce qu'annonçait sous une forme passablement
ésotérique un catéchisme du grade de Compagnon, daté encore de cette même année
1737 : R : Une trompette qui faisait retentir l'air de chant sublime, et cela d'une manière claire, quoique incompréhensible. D : Comment parlait cette trompette ? R : Par trois bouches. D : Qui est-ce qui en jouait ? R : Un esprit ardent. Mais la trompette
ancienne, la clarine, était un instrument des plus périlleux, les difficultés
d'exécution en étaient considérables, et, pour tout dire, rares étaient les
instrumentistes capables de le manier avec sûreté. L'invention de la clarinette
au début du XVIII* siècle allait apporter un semblant de solution à ce
problème. En effet, quoique construit sur des principes acoustiques tout à fait
différents, le nouvel instrument offrait une sonorité se rapprochant paraît-il
de celle de la clarine. C'est donc avec enthousiasme que les chefs de musique
militaire, ou, en Loge, les Officiers que l'on appelait Maîtres de l'Harmonie,
se hâtèrent de le substituer aux anciennes trompettes et aux hautbois. Dès lors
la sonorité des colonnes d'harmonie devient tout à fait différente et un
répertoire presque exclusivement maçonnique va se développer, qui restera
vivace jusqu'au milieu du XIX° siècle. Une marche écrite
par BEETHOVEN, sans doute à l'intention de la Loge de Bonn à laquelle on pense
qu'il a appartenu, nous en offre un magnifique exemple. * * *
MUSIQUE : Quelques mesures de la Marche de BEETHOVEN. * * * Les loges
viennoises vont jusqu'à ne plus utiliser pour les colonnes d'harmonie que des
ensembles exclusivement composés d'instruments de la famille des clarinettes. Le F.'. Anton
Stadler, pour qui Mozart écrivit son célèbre concerto pour clarinette, compose
par exemple à l'usage de la loge de curieux ensembles à trois cors de basset,
sorte de clarinette de tessiture très grave. Ecoutons en quelques mesures plus
particulièrement * * *
MUSIQUE : Trio de Stadler. * * * Le répertoire des
colonnes d'harmonie, outre les marches destinées à rythmer les entrées des
dignitaires, comprenait des morceaux symphoniques, le plus souvent simples
arrangements de fragments d'opéras à la mode. C'est ainsi que pour l'initiation
de Voltaire — l'année de sa mort — en 1778 on fera tout simplement exécuter la
marche d'Alceste, de Gluck. Parfois aussi on compose des oeuvres spéciales pour
les cérémonies d'initiation : par exemple la célèbre musique maçonnique funèbre
que Mozart écrivit pour illustrer les rites funèbres de l'initiation au grade
de M.'. Maçon. * * *
MUSIQUE : Mozart - Musique maçonnique funèbre. * * * Ici, vous l'avez
remarqué, les instruments à cordes et même un hautbois se joignent aux
instruments de la colonne d'harmonie traditionnelle. C'est un procédé fréquent
utilisé par les musiciens maçons, les instruments à cordes ne jouant en ce cas
qu'un rôle de simple remplissage sans valeur symbolique, celle-ci étant
réservée aux instruments à vent. Ce mélange des
instruments du quatuor et de la colonne d'harmonie maçonnique aura de durables
conséquences sur l'évolution de l'orchestration : le rôle éminent désormais
accordé aux clarinettes va totalement modifier l'équilibre et la sonorité de
l'orchestre. On peut affirmer que c'est dans les loges maçonniques que l'outil
s'est forgé. Au reste les colonnes d'harmonie des loges, bientôt devenues
orchestres de loges, devaient dès le XVIII' siècle tenir une place extrêmement
importante dans la vie musicale. Dès 1725 à Londres
une loge est spécialement fondée, la loge « Philomusicae Architectoni » dont
les travaux seront strictement musicaux et le musicien Francesco Geminiani
présidera à ses activités artistiques. A Versailles une
loge composée presque entièrement de musiciens de la Chapelle de Louis XVI, la
loge dite « Le Patriotisme », donnait de somptueux concerts au bénéfice des
indigents. On sait que Louis XVI et MarieAntoinette daignèrent y assister
plusieurs fois et même que le roi versa généreusement 2 000 F de l'époque lors
de la collecte effectuée au cours de la séance. Les œuvres exécutées en ces
occasions sont malheureusement perdues mais il nous reste un fort beau rituel
en musique composé par le Surintendant de la Musique de l'époque : François
Giroust. Ce rituel fut exécuté en 1784 au cours de la cérémonie maçonnique
organisée à la mémoire du V.'. de la loge récemment décédé. Ici encore les
cordes jouent un rôle discret à côté des instruments de la colonne d'harmonie. * * *
MUSIQUE : François Giroust. * * * A Paris durant les
dernières années du règne de Louis XVI s'établit la fameuse « Loge Olympique ».
On ne pouvait assister à ses concerts non plus que participer aux exécutions à
moins d'avoir été régulièrement reçu au moins Apprenti Maçon, un insigne
maçonnique était exigé à l'entrée ; l'orchestre, le plus beau d'Europe, était
splendide, les musiciens jouaient en habit brodé, manchettes à dentelles,
l'épée au côté, le chapeau à plumes sur la banquette. Il comptait, à côté
d'amateurs distingués essentiellement répartis dans les pupitres d'instruments
à cordes, les plus grands solistes de l'époque. Les cotisations étaient
considérables et la loge était par conséquent fort riche. Elle commanda nombre
de partitions aux plus éminents compositeurs de l'époque. On sait que Cherubini
composa à son intention une cantate malheureusement perdue. On possède aussi de
nombreuses symphonies et concertos commandés par la « Loge Olympique » à de
charmants petits maîtres plus ou moins oubliés de nos jours, mais surtout elle
s'illustrera en sollicitant du F.'. Joseph Haydn les six fameuses symphonies
connues depuis sous le nom de symphonies parisiennes. * * *
MUSIQUE : Extrait d'une symphonie de Haydn. * * * Bibliographie :
Roger COTTE, La Musique Maçonnique et ses Musiciens, éditions du Baucens,
distribution pour la France : Editions du Prisme, 17, rue Saint-Marc, 75002
Paris. AVRIL 1975 |
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