GLDF | Revue : Points de Vue Initiatiques | 2T/1975 |
Pérennité et Actualité des Constitutions d'Anderson En 1723 paraissait
à Londres un fort beau livre, intitulé : « Les Constitutions des Francs-Maçons
». Il contenait l'histoire, les obligations, les règlements de cette très
ancienne et très vénérable confrérie. Et nous savons que très rapidement les
Loges maçonniques allaient se multiplier et se développer, d'abord en Ecosse et
en Angleterre, puis en Europe, enfin dans le monde entier. Pour comprendre
cette renaissance de la Franc-Maçonnerie moderne, qui prenait la suite de la Franc-Maçonnerie
opérative du Moyen Age, pour dégager sa signification, il nous semble utile de
rappeler certains faits historiques, d'esquisser quelques aspects de
l'évolution de la pensée religieuse, politique et philosophique de ce temps. Il faut nous souvenir
en effet qu'au XVI' siècle l'église chrétienne qui est alors l'église
catholique romaine, voit son unité brisée par la Réforme. Cette crise, qui est
déjà une crise de civilisation, se prolonge tout au long du XVlle siècle et
affecte profondément des hommes de cette époque. Les guerres civiles et
religieuses ravagent les nations et provoquent dans tous les esprits un trouble
considérable, un désarroi profond. « Je voyais dans l'univers chrétien une
débauche de guerres qui eût fait honte aux nations les plus barbares » écrira
Hugues de GROOT dit Grotius (De jure belli et pacis). Et Paul HAZARD dans son
livre « La crise de la conscience européenne », dont le titre lui-même est
significatif, dira fort justement « Dès que l'on considère l'Europe, une plaie
frappe les yeux : depuis la réforme son unité morale a été rompue ». Ainsi
l'esprit même du christianisme a manqué à la chrétienté, qui a perdu le
sentiment de sa communion et qui n'ose plus regarder en face sa providence. Cependant, il est
des chrétiens et des hommes qui ne veulent pas désespérer, qui vont appeler
leurs contemporains à la paix et à la communion et qui vont s'efforcer de
rassembler tous ceux qui étaient séparés, de reconstruire tout ce qui avait été
détruit. Et parmi ces hommes de bonne volonté le philosophe allemand LEIBNIZ va
œuvrer à cette réunification : « Il n'y a point de doute, écrit-il, que l'amour
de Dieu et la charité devraient porter tous les chrétiens à s'unir et à
rétablir l'union ». Mais il se heurtera à la rigoureuse intransigeance de
BOSSUET, prisonnier des décisions du Concile de Trente, et la tentative de
réunification des églises se soldera par un échec. Il en sera de même en
Angleterre et en Ecosse jusqu'à la fin du XVII' siècle. Cette réunification,
cette nouvelle communion en Europe des catholiques, des luthériens, des
calvinistes et, en Angleterre des catholiques, des anglicans, des presbytériens
semblait impossible : du fait des hommes eux-mêmes ? Sans doute pas. Plutôt du
fait des méthodes et des doctrines elles-mêmes. En effet, l'erreur de ceux qui
voulaient la paix et la réunion fut de croire que l'on pourrait, après le
schisme, réconcilier les différentes confessions elles-mêmes en tant que
systèmes et en tant qu'institutions. Pas plus qu'on ne peut concilier les systèmes
entre eux, on ne peut réconcilier les églises entre elles en tant
qu'institutions, sinon dans le plus superficiel des syncrétismes ou dans la
plus vague confusion. De plus, il manquait à tous ces hommes, une idée, nous
serions tentés de dire un outil, l'idée de tolérance. Or cette idée, elle est
rejetée au XVII` siècle aussi bien par BOSSUET le catholique, que par JURRIEU
le protestant, par HOBBES l'anglican que par CROMWEL le puritain. Cependant,
que nous allons peu à peu la voir se dessiner, puis se développer dans les
oeuvres d'un SPINOZA et d'un Pierre BAYLE et s'épanouir dans le célèbre Traité
de la Tolérance de John LOCKE. C'est ainsi que
SPINOZA écrit dans le Traité Théologico-Politique : « Il faut laisser à chacun
la liberté de son jugement et le pouvoir d'interpréter selon sa complexion les
fondements de la foi ». Et Pierre BAYLE
dans la « Critique générale de l'histoire du calvinisme du père MAIMBOURG »
nous dit : « C'est un attentat contre les droits de la divinité que de vouloir
forcer la conscience ». Enfin, en
Angleterre John LOCKE dans la « Lettre sur la Tolérance » affirme : « Puisque
vous me demandez mon opinion sur la tolérance réciproque, je vous répondrai
que c'est à mon avis le principal critère de la véritable église » et il ajoute
: « le soin de sa propre âme est entre les mains de chacun et il faut le
laisser à chacun ». — C'est grâce à
l'idée de tolérance que ces hommes déchirés pourront retrouver les chemins sans
doute pas de l'unité mais de la paix et d'une certaine communion.
L'universalisme ne peut plus passer par le dogmatisme mais il ne peut passer
que par la liberté de conscience. Et c'est grâce à cette liberté de conscience
que l'on pourra à nouveau rassembler, appeler à la communion des chrétiens et
des hommes qui jusque-là étaient séparés et même déchirés. Ainsi la volonté de
la tolérance qui en ce temps est liée nécessairement à l'idée d'une religion
naturelle et au déïsme le plus large, et à celui d'une Loi morale universelle,
nous allons les retrouver dans les célèbres Constitutions d'Anderson qui
marquent la naissance de la Franc-Maçonnerie moderne. Que nous dit en effet,
l'article premier des Constitutions d'Anderson dont il semble superflu ici
même de souligner la nouveauté et l'importance. « Un maçon est tenu
par son état d'obéir à la Loi morale et s'il entend bien l'Art il ne sera
jamais un athée stupide, ni un libertin irreligieux. Mais tandis que dans les
anciens temps les maçons étaient obligés en chaque pays d'être de la religion
quelle qu'elle fût, de ce pays ou de cette nation, on juge aujourd'hui plus à
propos de ne les astreindre qu'à cette religion sur laquelle s'accordent tous
les hommes, en laissant à chacun ses opinions particulières : savoir être
hommes de bien et loyaux, hommes d'honneur et droits quelles que soient les
dénominations ou les confessions qui les puissent distinguer, par quoi la
Franc-Maçonnerie devient le Centre de l'Union le moyen d'établir une amitié
vraie entre personnes qui sans elle demeureraient à jamais étrangères. » Ce texte qui
constitue la Charte de la Franc-Maçonnerie universelle et qui figure en tête
des Constitutions de la Grande Loge de France, traduit admirablement
l'évolution qui s'était produite dans les esprits à la fin du XVII' siècle et
au début du XVIII° siècle. Il traduit le climat moral et spirituel des Loges
écossaises et anglaises, climat que l'on retrouvera dans les Loges françaises
et européennes. Les Francs-Maçons de ce temps, comme ceux d'aujourd'hui sont
des hommes de bonne volonté, résolus à fraterniser en dépit de tout ce qui
pouvait les diviser en matière politique et religieuse. Les faits confirment
d'ailleurs ce que les textes affirment. Dès les années 1720 on peut relever à
Londres l'initiation de nombreux catholiques, jacobites à côté de protestants,
d'anglicans et celle aussi de juifs. La Franc-Maçonnerie
semble avoir découvert une formule qui permet de réunir des hommes de
confession, d'opinion, de condition différentes. La Loge maçonnique apparaît
comme une structure d'accueil, comme le véritable centre de l'union pour tous
les hommes épris de liberté, de justice et de fraternité. L'idéal maçonnique
traduit un nouvel esprit et exprime une nouvelle espérance. Et aujourd'hui,
dans ce terrible XXe siècle, où trop souvent au dogmatisme et au fanatisme des
religions révélées s'est substitué le totalitarisme de nos modernes idéologies,
celles de l'état ou de la race, comme celles de la classe ou du surhomme,
aujourd'hui comme hier, nous sommes persuadés que les hommes de bonne volonté
peuvent encore retrouver dans la Loge « juste et régulière » le lieu privilégié
d'une rencontre exaltante, d'une nouvelle naissance, et d'une espérance à la
hauteur de leur idéal. MAI 1975 |
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