GLDF | Revue : Points de Vue Initiatiques | 4T/1975 |
L'Utopie * * * Partant d'une
analyse sociologique, Jean Servier, constate l'impossibilité où se trouve
l'homme des civilisations traditionnelles de penser objectivement pour
rejoindre la perfection originelle — nous dirons l'utopie — tellement il
confond les lois et les coutumes avec une nécessité plus puissante que les
dieux mêmes selon l'expression de Platon. Cette réflexion qui
débouche sur l'utopie n'est possible qu'en temps de crise spirituelle, sociale
ou économique. Chez Platon et les philosophes grecs en pareille période, c'est
le désir de « restructuration » de la Cité afin d'être plus fort à l'avenir. On
ne songe pas à la cité parfaite dans l'univers connu — E OIKOUMENE — qui
engloberait Grecs et Barbares, comme plus tard Saint Paul voudra abolir les
barrières entre Juifs et Gentils. C'est donc le christianisme qui fait éclater
le concept de la cité traditionnelle repliée sur elle-même en unissant les
hommes dans un même amour... Cette utopie — comment peut-on aimer les Perses
quand on est Grec — est fondée sur la fraternité humaine, le mépris des
richesses, c'est le règne nouveau que prêchent les apôtres du christianisme
primitif. Jean XXIII qui reprendra cette idée d'une OIKOUMENE tolérante et
fraternelle — où les Francs- Maçons ne seraient pas exclus je le rappelle — ne
fait que rejoindre l'Utopie initiale. Cette utopie qui est présente chez
l'homme d'Etat, le penseur, l'industriel, l'homme d'église, le révolutionnaire,
chez tous ceux qui rêvent de transformation du monde sans parfois savoir qu'ils
ont un dénominateur commun. Voici comment Jean Servier décrit ce rêve utopique.
«Elle est avant tout une volonté de retour aux structures immuables d'une
cité traditionnelle dont ils se veulent les maîtres éclairés, une cité se
dressant par delà les eaux troubles du rêve, comme une île au bout de l'océan,
comme la cité de l'homme délivré de ses angoisses au bout de la nuit ». Les premiers à nous
fournir une application concrète de l'idéal utopique à la cité sont les Grecs.
Hippodamos qu'Aristote décrit ainsi :« Hippodamos, fils d'Euryphon, citoyen
de Milet, celui qui inventa le tracé géométrique des villes et découpa le Pirée
en damier... » est au dire de Jean Servier non seulement le premier
urbaniste de son époque mais aussi « le premier architecte qui ait eu
l'occasion de rebâtir des villes entières et de jeter du même coup les grandes
lignes d'une constitution. » Ce qui nous
intéresse chez Hippodamos de Milet c'est qu'on l'appelait OIKOUMENE
c'est-à-dire le spécialiste des phénomènes célestes dont la tâche était de
relier la vie citadine à l'harmonie cosmique. C'est ici qu'intervient la notion
d'utopie car si le mot grec OIKOUMENE veut dire au sens propre celui qui
disserte sur les corps ou les phénomènes célestes, nous savons qu'au sens
figuré tel qu'on le retrouve dans le Cratyle de Platon ce mot signifie celui
qui disserte à perte de vue, qui se perd dans les nuages, d'où l'Utopie. Nous voyons
apparaître chez les Milésiens qui tracent les premières cartes du monde connu,
E OIKOUMENE, la terre des hommes aux lignes impeccables, le symbole de la
raison et, à côté, comme en opposition, ATLANTIS, l'Atlantide, c'est-à-dire
l'inconnu, le rêve. Toutefois l'Utopie
Platonicienne, elle, appelle certaines réserves. Pour Platon l'utopie passe
par la cité emblème de la raison, la cité grecque du type milésien. L'Atlantide
qui, à notre sens, symbolise mieux l'utopie est considérée comme l'antithèse de
cet Idéal. Pour comprendre cela il faut examiner la conception toute
personnelle qu'avait Platon de la cité idéale. Dans La République, Platon donne
sa vision rationaliste de la stratification sociale : les chefs sont en or,
ceux qui exécutent les ordres d'argent, les laboureurs et les autres de fer et
d'airain. La famille doit être supprimée, l'instinct sexuel ne peut être
satisfait que sous le contrôle de l'Etat et les citoyens reproduits (il n'y a
pas d'autre terme ici) selon un eugénisme qui fait penser à l'élevage du
bétail. « Que La République de Platon ait été admirée sur le plan politique
par des gens respectables » a écrit Bertrand Russell « est peut-être
l'exemple le plus frappant de snobisme littéraire dans l'histoire. » Dans cette cité
platonicienne, il ne saurait être question de rêve. L'Atlantide, cité du rêve
est l'opposée d'Athènes, cité de la raison. Comment les choses
pourraient-elles être autrement car dans l'esprit de Platon, cette île perdue a
abrité les amours du dieu et de la déesse Clito dans une union libre qui eut
pour fruits deux enfants tous nés en dehors de tout contrôle étatique ! Mais
l'Atlantide rappelle aussi l'Orient (de la guerre de Troie, des Perses) mais
surtout l'Orient dont le principe politique est la monarchie de droit divin
face à Athènes, le rempart de la démocratie. Au-delà de l'opposition de
l'Orient et de l'Occident dont René Guenon a suffisamment démontré l'humanité,
ce qu'il importe de constater ici c'est le fossé que Platon creuse entre le
rêve et la réalité. Revenons maintenant
à la genèse au moment ou Libram/ Abraham reçoit la promesse de Dieu. Cette
promesse n'est autre que la terre promise vers laquelle Israël s'est mis en
marche pour ne jamais s'arrêter. Si cette marche est éternelle car l'homme
infini dans ses voeux reste borné dans sa nature, elle passe par un mieux être
social, par un bonheur terrestre dans un pays où coulent le lait et le miel.
Cette utopie spirituelle sera la force d'Israël dans les combats de tous ordres
que ce peuple mènera par la suite. Cependant, cet
heureux mariage de la cité terrestre et de la cité céleste dans l'ancien
testament semble être un sujet de conflits dans le monde judéo-chrétien des
premiers siècles. Saint Augustin les oppose de manière formelle : « Deux
amours ont fait deux cités : l'amour de Dieu poussé jusqu'au mépris de soi a
fait la cité céleste, l'amour de soi poussé jusqu'au mépris de Dieu a fait la
cité terrestre ». Mais cette opposition n'est que le reflet de la
vieille opposition entre Athènes et l'Atlantide qui va se matérialiser dans le
monde occidental par la cité terrestre matérialiste et jouisseuse et la cité
spirituelle, celle de la fraternité humaine et de l'amour qui — je cite encore
Jean Servier — sera « le rêve de tous les révolutionnaires même lorsqu'ils
croiront avoir rejeté le Christ. » * * * Ce rêve se
manifeste en Occident déjà sous Charlemagne quand on assimile l'empire
carolingien à une manifestation concrète du concept augustinien de la cité de
Dieu. Ceci donnera lieu dans les siècles qui suivront à des entreprises telles
que les Croisades et la colonisation : la vulgarisation mondiale en sorte de
cette richesse spirituelle... Quand Urbain II prêche la croisade, son souci est
d'ordre spirituel. Apparemment, « la terre que vous habitez » déclare-t-il «
cette terre, fermée de tous côtés par des mers et des montagnes, tient à
l'étroit votre trop nombreuse population elle est dénuée de richesses et
fournit à peine la nourriture à ceux qui la cultivent. C'est pour cela que vous
vous déchirez et dévorez à l'envi, que vous vous combattez, que vous vous
massacrez les uns les autres. Apaisez donc vos haines et prenez la route du
Saint Sépulcre » (J. Servier).. Le souci spirituel,
apparent ici, cache bien des préoccupations démographiques et politiques.
L'attrait des richesses et trésors de l'Orient n'y est pas absent. Le rêve
spirituel et la réalité matérielle se trouvent étroitement liés au Moyen Age.
L'utopie serait plutôt l'affaire de ceux qui ont soif de justice sociale et qui
se précipiteront sur les chemins de la Croisade en Guenilles,' une piétaille à
l'assaut d'une utopie spirituelle qui les délivrera de leur misère spirituelle
et matérielle. C'est ainsi que s'exprime R. Le Bertoune (le Contrefait) dans le
conte satirique de Rutebceuf. « J'aimerais étrangler les nobles et les
prêtres jusqu'au dernier. De braves travailleurs fabriquent le pain d'orge mais
jamais ils ne l'ont sous la dent ; ils ne recueillent que le son, et du bon
vin, ils ne boivent que la lie et de bons habits ils n'ont que les dépouilles.
Tout ce qui est bon et savoureux va aux nobles et aux prêtres. » Ce que les
croisades sont pour le Moyen Age, l'ère des grandes découvertes qu'inaugure
Christophe Colomb, le sera pour la Renaissance. Jean Servier écrit : « La
cruauté d'un Cortez ou d'un Pizarre ne reflète pas uniquement une vilaine âme.
Leur cupidité leur est dictée par des rois exigeants et, au delà, par la
volonté de l'Europe de répondre, à un volume plus important de transactions,
par une masse suffisante de métaux précieux ». Cet aspect si matériel des
choses revêt alors les couleurs chatoyantes du rêve utopique sous les
tropiques, c'est la recherche de l'Eldorado. Cette notion de
Terre Promise adaptée aux besoins de ce monde ne se concrétisera pas au Pays de
l'Eldorado, c'est-à-dire en Amérique Latine catholique mais en Amérique du Nord
protestante, avec les premiers colons puritains de Nouvelle Angleterre un
siècle plus tard. Car c'est là comme beaucoup s'accordent à le reconnaître que
prend naissance le capitalisme américain par le souffle qui lui donne vie,
c'est-à-dire cette conception protestante qui veut que les biens de ce monde
soient une bénédiction de Dieu. Toute l'énergie que l'on reconnaît dans le
capitalisme américain des temps modernes a pour origine de toute évidence une
utopie spirituelle. Mais les Grands
Penseurs de la Renaissance évitant le piège de la richesse inviteront les
hommes à voguer sur les eaux du rêve qui reprend ses droits vers le Pays de
Nulle part, ce seront T. More et F. Rabelais. L’œuvre de F.
Rabelais s'insère dans une structure sociopolitique où les grandes monarchies
se dressent contre l'autorité du Pape et de l'Empereur. En 1513, Nicholas
Machiavel a déjà écrit Le Prince. Thomas More publiera l'Utopie trois années
plus tard en 1516. Lorsque l'on se met à lire les oeuvres de Rabelais (publiées
pour la première fois entre 1532 et 1534), l'Europe connaît les effets de la
Réforme et de la Renaissance, c'est-à-dire de l'humanisme. L'Abbaye de Thélème
est le rêve humaniste de la tolérance et du libéralisme dont la devise résume
la philosophie : Fais ce que tu voudras. Ceci rappelle Saint Augustin, aime et
fais ce que tu veux. Si la règle monastique est quelque peu bousculée à
Thélème, c'est que le monachisme de la Renaissance asservissait plus qu'il
n'édifiait et Rabelais a voulu trouver la fraternité au-delà de ces contraintes
qui réduisaient l'homme plutôt qu'elles ne l'élevaient. C'est une véritable
libération que propose Rabelais. Il écrit : « Parce que gens libérés, bien
nés, bien instruits, conversant en compagnies honnêtes, ont par nature un
instinct et aiguillon qui toujours les pousse à faits vertueux et retiré de
vice lequel ils nommaient honneur... » Nous n'avons pas de
peine, je crois, à reconnaître le dynamique des gens libres conversant en
honnête compagnie... Le libéralisme
foncier de F. Rabelais l'empêchera de prendre parti dans la querelle des
protestants (les Papefigues) et les Catholiques (les Papimanes), estimant sans
doute que la vérité ne se trouvait pas exclusivement d'un seul côté « Notre
vérité c'est de n'en point posséder ». C'est bien le sens du libéralisme
humaniste rabelaisien. Nous notons chez
Rabelais la thématique du voyage : Pantagruel voguant sur la mer pour visiter
l'oracle de la dive bouteille. Ce thème du voyage
sur l'eau est un leitmotiv de la littérature utopique : les Argonautes et la
Toison d'or, la recherche de l'Eldorado, Robinson Crusoé, Gulliver et jusqu'à
la conquête spatiale. On le retrouve également dans l'Utopie de Th. More. Il me semble que
dans toute analyse de l'Utopie de Sir Th. More, on ne peut passer sous silence
deux dominantes : premièrement que c'est une oeuvre où la religion est présente
car elle est écrite par quelqu'un qui mourra martyr de sa foi et dont le nom
figure en martyrologie de I'Eglise Catholique et, deuxièmement, que la vision
politique du Chancelier d'Angleterre y est manifeste. Si certains y ont vu la
première oeuvre de polémique communiste, on comprend pourquoi. La première édition
de l'Utopie est publiée en 1516 dans l'original latin. Les Anglais en général
la connaissent de nos jours dans une traduction de 1557. Quand l'auteur de la
traduction la plus récente, Paul Turner, annonça à des amis anglais qu'il traduisait
Th. More, beaucoup, d'un air étonné, lui ont demandé : • en quelle langue » ? Assez curieusement,
l'Europe de la Renaissance, elle, connaissait mieux l'Utopie. Les grands noms
de la Renaissance tels Pierre Gilles ou Erasme l'avaient lu. Un évêque anglais
très sensible à l'actualité littéraire de l'époque n'avait-il pas entrepris de
se faire nommer évêque d'utopie ? Le livre est divisé
en deux parties. La première est un dialogue entre Th. More qui s'était rendu
aux Pays-Bas en mission pour le Rol Henri. VIII et Raphaël, célèbre navigateur
qui avait voyagé en compagnie d'Annérico-Vespucci, et qui par conséquent
donnait au voyage un aspect d'actualité. L'Amérique avait été découverte une
vingtaine d'années auparavant, les lecteurs d'alors étaient tout prêts à
ajouter foi à ce genre de récit. Th. More tout en
donnant un caractère vraisemblable à son livre pour sauver les apparences
littéraires d'une part, tente, d'autre part, d'envelopper ses personnages comme
le pays qu'il décrit d'un voile. Raphaël (Dieu a guéri) applique une
thérapeutique aux maux de l'Angleterre par l'invitation au voyage utopique,
mais il est aussi, d'après l'étymologie de son nom de famille, celui qui dit
des bétises. Utopie, l'île, se situe nulle part. Est-ce une précaution dans
cette Angleterre des Tudors où l'on tranchait les têtes si aisément ? On peut
le croire ! Mais au-delà de la forme du récit, ce qui nous intéresse c'est le
contenu. Raphaël raconte à
Th. More comment il visita l'Angleterre et engagea une discussion avec un
certain homme de loi sur la peine capitale pour vol. Je pense qu'il n'est pas
superflu de vous transmettre son argumentation qui, on a peine à le croire,
date du XVIe siècle. « Sous ce rapport, vous autres anglais, comme la
plupart des autres nations, me rappelez les pédagogues incompétents qui
préfèrent donner des coups de canne à leurs élèves plutôt que de les enseigner.
Au lieu d'impliquer ces punitions horribles, il serait plus indiqué de donner à
chacun quelque moyen de subsistance de sorte que personne ne se trouve dans
l'affreuse nécessité de devenir d'abord un voleur et puis un cadavre. » Venant d'un des
plus éminents personnages d'Angleterre dont les revenus étaient substantiels
cela atteste d'une vision sociale et politique peu commune. Raphaël, qui est le
porte-parole de l'auteur en quelque sorte, aborde cette question terrible pour
l'époque : mes moutons mangent les hommes c'est-à-dire les troupeaux de plus en
plus nombreux des nobles et de certains ecclésiastiques. Ces moutons non seulement
réduisent la superficie de terre cultivable, mais leurs propriétaires
clôturent ces vastes champs, ne laissant rien à l'agriculture, gagne-pain des petites
gens. Cette question sera posée quelques siècles plus tard dans un autre
contexte géographique, aux Etats- Unis, mais le problème est le même (1).
Raphaël poursuit son idée et souligne les conséquences sociales désastreuses de
cet exode rural : le vagabondage, l'oisiveté, la mendicité dans les villes. En d'autres mots
dit Raphaël vous créez des voleurs que vous punissez après pour vol ! Comme
remède à ce mal social, Raphaël propose un système inspiré du droit romain. Il
cite cette forme de servitude pénale qu'est le travail dans les mines et
carrières où les prisonniers étaient logés et nourris (2). Une sorte de
libéralisation des peines judiciaires. Il semble bien que l'Angleterre de ce
début du XVIe siècle ignorait ou passait sous silence cet aspect du droit
romain. L'entretien entre
Raphaël et Th. More se poursuit et ils abordent une autre question brûlante
d'alors : la propriété privée. Voici comment Raphaël voit les choses : « ...à
dire vrai, mon cher More, je ne vois pas comment vous obtiendriez une vraie
justice ou la prospérité aussi longtemps que la propriété privée existe et tout
est évalué en terme d'argent ». L'argument de Th. More qui fait l'avocat du
diable est de lui opposer l'absence de motivation qui résulterait d'un système
où la propriété privée serait abolie et où chacun compterait sur son voisin
pour travailler à sa place. A ceci, Raphaël ne donne pas une réponse directe
car peut-être Il n'y en a pas, mais il cite l'Utopie car, dit-il, si vous
m'aviez accompagné en Utopie vous auriez constaté que c'est possible 1 Cette
invitation à l'utopie est une invitation au dépassement des Idées arrêtées et
une ouverture de l'intelligence aux possibilités la Maçonnerie. C'est dans la
deuxième partie du livre que Th. More nous donne un aperçu de l'application
pratique de ces théories. Tout d'abord, au gouvernement où aucune décision
n'est adoptée le Jour où elle est proposée et Raphaël s'explique : « Autrement
quelqu'un pourrait dire la première chose qui lui vient à l'esprit et puis se
mettre à penser à des arguments pour justifier ce qu'il e dit au lieu de
décider de ce qui convient le mieux à la communauté. Une telle personne est
tout à fait capable de sacrifier le public pour son propre prestige tout
simplement parce que, aussi absurde que cela puisse paraître, elle a honte
d'admettre que sa première idée aurait pû être fausse — ceci alors que sa
première pensée aurait dû être de réfléchir avant de parler ». Nous
mesurons, J'en suis persuadé, la sagesse d'une telle attitude... Une telle sagesse
politique se traduit dans le quotidien. Les enfants apprennent l'agriculture à l'école. Si un enfant désire
apprendre un métier on l'adopte dans une famille qui pratique le métier qu'il
veut apprendre. Mais on peut se demander comment ce pays qui connaît des
journées de travail de six heures peut être si florissant. Raphaël l'explique
par le fait que tout le monde travaille en Utopie et que le faisant pour le
bien de la communauté eans motif de profit, la production dépasse largement la
consommation. Il fait remarquer que dans bien des pays les femmes ne
travaillent pas, c'est-à-dire que la moitié de la population est Inactive, je
cite : « Et puis il y a tous les ecclésiastiques et les Membres des
prétendus ordres religieux — quelle quantité de travail fournissent-ils ?
Ajoutez les riches, particulièrement les propriétaires fonciers communément
appelés nobles et gentilshommes. Incluez leurs domestiques... finalement
ajoutez à la liste les mendiants qui sont en parfaite santé mais qui prétendent
être malades afin de faire excuser leur paresse. Quand vous les aurez comptés,
vous serez étonnés de constater combien peu de gens produisent ce que le genre
humain consomme ». Chose étonnante en
ce pays, ils ne contraignent jamais les gens à travailler indûment car le but
principal de leur économie est de donner à chaque personne autant de temps
libre de toute corvée que le permettent les besoins de la communauté de sorte
qu'il puisse cultiver son esprit, ce qu'ils considèrent comme le secret d'une
vie heureuse. Nous constatons
aussi que les hôpitaux se trouvent à l'extérieur des parties de la ville afin
de faciliter l'isolation des malades en, cas d'épidémie. Ces hôpitaux conçus en
petites unités sont bien dirigés, l'équipement médical ne manque pas, les
infirmières sont consciencieuses et avenantes, les médecins nombreux et accessibles,
le résultat est que les utopiens bien que n'y étant pas contraints préfèrent se
rendre à l'hôpital plutôt que de rester chez eux quand ils sont malades. Quand
on pense aux conditions épouvantables des londoniens pendant la peste qui
sévit à Londres exactement 150 ans après la publication de ce livre, on peut se
demander pourquoi l'Angleterre n'a pas su faire usage des idées d'un homme
politique d'une telle sagacité ! Les utopiens n'attachent
pas d'importance au raffinement vestimentaire. Après tout, disent-ils, le
mouton qui porta la laine de tel costume n'était autre qu'un mouton. Comme tout
un peuple pense ainsi, la question du vêtement est simplifiée et le luxe disparaît.
Ils méprisent l'or car ils considèrent que l'or n'a de valeur que parce que les
gens le veulent bien. Il suffit de lui ôter sa valeur artificielle pour que le
fer devienne plus utile que lui. Pour eux, tout ce qui est naturel est bon. La
religion qui est faite d'un ascétisme morose n'est pas la leur, ils veulent
vivre la leur dans la joie. Leur principe est que nous devons d'abord aimer
Dieu qui nous a créés et à qui nous devons notre vie et notre capacité d'être
heureux et ensuite que nous devons vivre aussi aisément et joyeusement que
possible en aidant notre prochain à faire de même. Les mariages ne
sont conclus qu'après examen corporel mutuel. Je m'explique. Le fiancé
chaperonné par une dame d'âge respectable examine la fiancée, la fiancée
accompagnée d'un monsieur convenable fait de même pour le fiancé. Raphaël
prévient les rieurs en leur soumettant l'argument suivant. Si vous achetez un
cheval sur lequel vous ne misez qu'une petite somme d'argent vous l'examinez
complètement. Et quand vous choisissez une compagne pour la vie, poursuit-il,
pour le meilleur et pour le pire, vous vous contentez de quelques centimètres
de visage. Pour bien saisir cet argument, il faut connaître le costume des
Tudor, cela va de soi. En Utopie, on traite les fous avec douceur et bienveillance.
Grande sagesse s'il en fut, car il suffit de penser à l'Angleterre de Ch.
Dickens, trois siècles plus tard, où ces malheureux étaient enfermés et battus
pour nous rendre compte de la vision sociale de More. La franchise qui
règne en Utopie fait qu'il n'existe pas de cour de justice à proprement parler.
Il n'y existe aucun code de loi. Le citoyen s'adresse au juge et lui expose
fraternellement son cas. Cette franchise simplifie la procédure et évite les
subtilités de la justice traditionnelle. Les fonctionnaires utopiens ne peuvent
être corrompus, l'argent ne leur étant d'aucune utilité. Ils ne comprennent pas
que les nations aient à signer des traités. Les être humains ne sont-ils pas
des alliés naturels ? Si quelqu'un Ignore ce bien fondamental accordera-t-il
beaucoup d'importance à des mots qui le lient aux autres ? Les utopiens ne
signent pas de traité, ils n'en voient pas la nécessité. Cette grande ouverture
sur le plan politique se traduit par le plan religieux par la tolérance, un des
principes les plus anciens d'Utopie. Cette attitude si
positive envers la vie est la même envers la mort. La mort est une étape
joyeuse de la vie car l'homme va rejoindre Dieu. Ici je voudrais citer un
exemple, la propre mort de Th. More. Comme il montait l'escalier branlant de
l'échafaud où il allait être décapité, il demanda à l'officier de l'aider : «
Je vous prie, Messire Lieutenant, aidez-moi à monter je me chargerai de
descendre tout seul », humour qui est le reflet d'une très grande sérénité. En guise de conclusion,
je voudrais poser une question. Celle- ci : pourquoi les hommes ont-ils été
tentés à travers les siècles par ces deux philosophies : l'Utopie et la
Franc-Maçonnerie. Deux visions du monde qui ne sont rien pour le profane, mais
tout pour l'initié. Pourquoi ? (2) Au lieu d'être tout simplement soumis à la peine capitale. |
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