GLDF Revue : Points de Vue Initiatiques 2T/1976

La Légende d’Hiram : Mort et résurrection

C'est par l'élévation au grade de Maître que le Frère obtient la plénitude de ses droits maçonniques. D'où l'importance cruciale de la cérémonie grâce à laquelle les Compagnons accèdent à la Maîtrise.

La légende d'Hiram, que met en scène la cérémonie du troi­siège degré, est tout entière fondée sur un symbolisme tradition­nel fondamental : celui d'une mort, suivie d'une résurrection.

A vrai dire, ce symbolisme crucial : mort, puis résurrection, se trouvait déjà dans la cérémonie du premier degré, celle au cours de laquelle le Profane reçut la Lumière. C'est même le tout premier des épisodes de la cérémonie d'initiation : le passage dans le Cabinet de réflexion, qui illustrait déjà la nécessité d'une mort symbolique à la vie profane, d'une descente dans les ténè­bres. Ce symbolisme fondamental, nécessaire se retrouverait aussi dans toutes les voies initiatiques — et même en dehors d'elles. Prenons, par exemple, la cérémonie d'ordination d'un prêtre catho­lique : sur le corps du diacre recouvert par un drap mortuaire, on chante l'office des morts ; c'est seulement après, qu'admis à se relever le diacre reçoit la prêtrise.

Mais revenons à la cérémonie d'élévation au troisième degré. On aura remarqué un premier épisode qu'il faudrait mettre en parallèle avec le passage dans le Cabinet de réflexion : le compa­gnon opère une descente symbolique à reculons dans le monde des ténèbres, mais sans quitter des yeux l'étoile flamboyante, pla­cée cette fois à l'Occident du Temple, entre les deux Colonnes. C'est, justement, cette clarté rayonnante qui va lui permettre de descendre avec hardiesse dans le monde des morts. Le compagnon n'y descend pas au hasard, même s'il a conscience de n'être pas encore digne de regarder en face le redoutable secret : il le fait en connaissance de cause. Certains n'auront pas manqué de faire un parallèle avec l'épisode — dans la légende mythologique d'Or­phée — d'Eurydice qui commet l'erreur fatale de se retourner, au moment même où elle va être admise à s'évader du royaume des morts. De même, le Compagnon doit — pour pénétrer dans la Chambre du Milieu — marcher à reculons, en tournant le dos aux ténèbres.

C'est donc bien une plongée dans les ténèbres, une symbo­lique descente aux enfers qui s'opère. Remarquons que, durant toute la première partie de la cérémonie, l'Orient du Temple se trouve voilé par un rideau funèbre épais. On y retrouverait le symbolisme du voile qui sépare la mort et la vie, r « au-delà » et l'existence.

La légende d'Hiram n'est pas une chronique historique, mais un récit initiatique traditionnel. Même si des historiens venaient prouver qu'il ne s'agit que d'une fiction, que l'Architecte du Temple de Salomon à Jérusalem n'a nullement ressuscité, plus même : qu'il ne fut pas assassiné, n'enlèverait absolument pas la poi­gnante valeur dramatique rituelle de la légende du troisième degré. Il est même sans intérêt, dans la perspective qui nous occupe, de nous interroger sur l'époque exacte où eut lieu l'érec­tion du Temple de Jérusalem : le propre des légendes initiatiques, c'est d'être a-temporelles, de se situer toujours dans une époque imprécise en fait car perpétuellement présentée, et toujours redé­couverte par les hommes qui la vivent.

Le Maître Hiram est frappé tour à tour — et pas n'importe où sur son corps — par chacun des trois mauvais Compagnons et la marche suivie, les plateaux où s'opère le triple acte sacrilège mais nécessaire, ne sont nullement laissés au hasard. Non seu­lement Hiram meurt, mais son cadavre se décompose : MOABON en Hébreu ne signifie-t-il pas « Fils de la putréfaction » ?

Les Maîtres, voyageant à la recherche du corps de l'Archi­tecte, découvrent celui-ci grâce à la présence d'un rameau d'aca­cia sur la terre fraîchement remuée. Déjà un symbolisme de résur­rection s'allie étroitement à celui de mort et de putréfaction : l'acacia, c'est un symbole de renaissance, de revivification, de résurrection. Il n'est peut-être pas sans intérêt de savoir qu'en l'une des versions du mythe d'Osiris dans les mystères de l'Egypte ancienne, on voyait un acacia s'épanouir au-dessus de la tombe d'Osiris, le Dieu solaire assassiné par son frère Seth. Il convien­drait aussi de préciser que, traditionnellement, l'acacia, en tant que symbole de résurrection, devrait être non pas le robinier ou faux acacia de nos promenades publiques mais le mimosa.

Pourtant, la résurrection n'est que virtuelle.

Cédons la parole à Oswald WIRTH (Le livre du Maître) : « Le symbolisme », 1962, p. 105 :

« Mais le cadavre ne se relève pas de lui-même : il ne répond pas à l'appel fait à la vitalité qu'il aurait pu conserver et c'est en vain qu'on tente de le galvaniser. L'ancienne vie ne le fera point revivre : il importe de lui infuser un souffle nouveau, mis au ser­vice de l'idéal impérissable de l'initiation. »

Remarquons que le Deuxième Surveillant tente d'abord de relever Hiram — en vain. Il constate : La chair quitte les os. Le Premier Surveillant le tente à son tour, en vain également. Il cons­tate : Tout se désunit. La résurrection sera opérée par le Véné­rable Maître, à l'aide des cinq points parfaits de la Maîtrise.

Rappelons que, au début, le Compagnon avait dû enjamber le cadavre d'Hiram à l'aide de la marche rituelle propre au troisième degré. Mais c'est ensuite le récipiendaire qui, s'identifiant donc à son tour au Maître Hiram, se couche dans la tombe.

Il est capital de préciser que le Compagnon s'identifie tota­lement au Maître Hiram. Citons encore Oswald WIRTH : « Les épreuves subies, le nouveau Maître est donc identifié avec Hiram, par le fait qu'il est frappé (...) dans les mêmes conditions que l'Architecte du Temple. Comme celui-ci il est renversé sur le sol et prend la place de son cadavre, son sort se trouvant désormais lié en toutes choses à celui du Maître disparu. »

Hiram ressuscité, le Compagnon relevé, les rideaux qui cachaient l'Orient s'écartent, le Temple s'illumine, les Vénérables Maîtres, quittent le deuil.

La mort d'Hiram, a tout du sacrifice personnel volontairement accepté : celui du héros qui accepte la mort tragique qui lui per­mettra de ressusciter.

L'étude du symbolisme de mort suivie d'une résurrection dans la légende d'Hiram nous amènerait à toute une série de médi­tations.

A un rappel, tout d'abord, des lois qui, dans la nature, impli­quent la mort et la naissance, la putréfaction et le renouveau, le trépas et la vie — les deux phases du processus se trouvant indissolublement liées, dès lors que l'on voit les processus, les systèmes naturels avec suffisamment de hauteur, de recul.

A propos de la mort biologique, nous citerons ce texte de Jean-Marie RAGON (Rituel du grade de Maître) :

« D'effet qu'il était, il (l'individu) devient cause à son tour, c'est-à-dire que, par sa décomposition, les éléments qui formaient son être corporel, étant rendus libres, retournent aux éléments analogues pour produire de nouvelles transformations, car rien ne périt que les formes. Quant à son être intellectuel selon l'opinion de l'antiquité, son âme, qui n'est qu'une parcelle de l'âme univer­selle, retourne à cette immense source de vie. La Chambre du Milieu est l'image du grand laboratoire où s'opère ces transfor­mations infinies. »

Citons à nouveau Oswal WIRTH (Le livre du Maître) : « Une loi unique régissant l'Univers, tout s'y construit d'après les mêmes principes d'architecture. »

Dans tout organisme vivant, existent — en nécessaire oppo­sition aux processus constructifs — des germes de mort, de dis­solution, véritable péril intérieur, dont il convient toujours de tenir compte.

Mais il y a toujours aussi la leçon chère à l'initié : mourir aux choses inférieures pour renaître à une vie nouvelle, supérieure. Après la mort symbolique à l'état profane vécue au début de la cérémonie d'Apprenti, le Maçon vivra — lors de l'élévation au troisième degré — une seconde mort symbolique, celle d'Hiram

« putréfié » puis ressuscité par-delà toutes les limitations. Cédons une dernière fois la parole à Oswald WIRTH (Le livre du Maître) :

« le contenant, le masque (persona) n'est rien à ses yeux (ceux du Maître) ; il ne s'intéresse qu'au contenu, à l'énergie animatrice qui seule est impérissable ».

On pourrait songer aussi au fait, pour le Maître, de saisir non seulement l'existence en forme matérielle mais celle qui se manifeste sous des modalités autres. Et cela nous amènerait à poser le problème de la survie, à méditer sur l'expression même d'Orient éternel.

Dans le catéchisme du grade de Maître, nous trouvons ces mots

« D. COMMENT AVEZ-VOUS ETE REÇU MAITRE ? R. En pas­sant de l'Equerre au Compas. »

Prenant appui sur une connaissance complète de la matière, le Maître pourra s'élever à la connaissance des réalités célestes et, pensons-nous, supra-sensibles.

Rappelons les dimensions traditionnelles prêtées au tombeau d'Hiram : « Trois pieds de long, cinq de profondeur et sept de longueur » ; mais la batterie du troisième degré est non pas de sept, mais de neuf coups. Signalons que le jeu de l'oie — qui fut initiatique à l'origine (symbolisme traditionnel du labyrinthe) — comporte 63 cases (63, c'est 7 multiplié par 9).

Le Maître — à condition certes de parvenir à la Maîtrise vrai­ment totale, complètement actualisée (nous ne sommes, bien modestement, que sur le chemin) — est devenu capable de res­susciter en lui le Maître intérieur, qui se trouve réduit chez l'homme ordinaire à l'état de cadre inanimé, passif. Mais atteindre la Maîtrise, ce sera réaliser l'équilibre entre le corps et l'esprit, entre le physique et le psychique, entre la Terre et le Ciel. Citons encore le catéchisme du grade de Maître :

« D. SI UN MAITRE ETAIT PERDU, OU LE RETROUVERIEZ- VOUS ? R. Entre l'Equerre et le Compas. »

N'est-ce pas en cet emplacement, en I' « Invariable Milieu », que s'inscrit l'Etoile Flamboyante ? Ne nous devient-il pas possible, quand meurt le vieil homme, de retrouver le contact — perdu lors de ce que la tradition judéo-chrétienne nomme la chute — avec le noyau divin, suprapersonnel, de notre être ? Il nous incombe de relever, de ressusciter le Maître intérieur-emprisonné, étouffé par les conditionnements inférieurs.


Publié dans le PVI N° 21 - 2éme trimestre 1976  -  Abonner-vous à PVI : Cliquez ici

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