GLDF Revue : Points de Vue Initiatiques 2T/1976


Henri GREGOIRE

Curé d'Embermesnil

Une tombe encore un peu fréquentée au cimetière Montparnasse, une rue de 45 numéros dans le 'VI° arrondissement, un médaillon sur un petit monument square du Général Morin, jardin du Conservatoire des Arts et Métiers, de temps en temps un article de journal, un numéro spécial de revue en 1956, une association de la fidélité et aussi une Loge maçonnique travaillant à la Grande Loge de France sous l'égide de sa mémoire, des rues et des places aux Antilles, des cérémonies parfois, l'homme n'est pas oublié de tous, mais il est bien certain qu'il est désormais peu connu.

Qui ?

Henri Grégoire 1750-1831, curé d'Embermesnil, député du clergé aux Etats Généraux, président de l'Assemblée Nationale Constituante le 14 juillet tandis que Paris se révoltait et responsable le premier si Paris avait été battu, évêque constitutionnel de Blois, membre de la Convention Nationale, du Conseil des Cinq-Cents, puis du Corps Législatif, sénateur sous l'Empire.

Il fut encore député libéral de l'Isère pendant la Restauration et la petite histoire ajoute cette précision qu'un officier d'Intendance de la Grande Armée Henri Beyle,oui Stendhal, se rendit à Grenoble pour le soutenir et voter pour lui.

Il vivra suffisamment pour assister aux débuts de Louis-Philippe,

C'était un homme important, mais le souvenir des hommes importants, s'ils n'ont vécu que pour faire carrière, se disloque au vent glacé de l'indif­férence.

La Grande Loge de France n'entend pas, en attisant les cendres de l'histoire, réveiller des braises politiques assez incendiaires.

La lutte d'Henri Grégoire pour une France une et indivisible, sa crainte de voir mis en péril les acquis de la Révolution par un fédéralisme dont les dangers apparurent vite dans le déferlement des insurrections, son aversion pour les langues provinciales, les dialectes et les patois, tout cet aspect de sa personnalité, nous ne les mettrons pas en lumière. C'est que ces questions ont repris une très puissante actualité, que de bons esprits peuvent être divisés et que, ne faisant pas œuvre de polémique, nous refusant même à la tentation d'une explication historique, cette allusion nous suffit.

Pour des raisons moins chaudes, nous nous bornerons sans plus à rappeler qu'il fut le fondateur de l'Enseignement technique en France. C'est sur son célèbre rapport du 8 Vendémiaire an III, considéré encore aujourd'hui comme une sorte de Charte fondamentale de l'Enseignement technique, que fut voté le 19 Vendémiaire le fameux décret, véritable acte de naissance du Conser­vatoire des Arts et Métiers. L'Abbé avait quelque titre à être, comme il le fut, membre de l'Institut.

Nous nous contenterons de retracer et c'est là l'essentiel, le passage de l'honnêteté dans l'histoire, ce qu'il fit, au nom des Droits de l'Homme, pour faire admettre et consacrer la citoyenneté des Juifs de France, puis, sur les terres lointaines ou flottait le jeune drapeau de la nation, l'émancipation des esclaves et la citoyenneté des hommes de couleur.

Bien longtemps avant la Révolution, Grégoire avait été obsédé par le sort des Juifs de France.

Ils étaient à peine tolérés, jamais admis. Théoriquement expulsés de France par des ordonnances royales dont la dernière ne datait que de Louis XIII en 1613 ils étaient considérés comme normalement exploi­tables. La plupart des professions leur étaient interdites, ce qui les confinait au commerce et au prêt d'argent ; ce qui provoquait contre eux des hostilités tenaces et par là même ravivait l'antisémitisme. On oubliait un peu vite que la claustration et les interdictions qu'on leur imposait les contraignait à cette activité qu'on leur reprochait. On oubliait aussi que vivant sur notre terre depuis des temps immémoriaux, ils étaient devenus des Français, des Français brimés, mais des Français quand même : 4.000 dans le midi, 25.000 en Alsace.

Il en était ainsi lorsque la société royale des Arts et Sciences de Metz mit au concours le sujet suivant : « Est-il des moyens de rendre les Juifs plus heureux et plus utiles en France ? »

Peu avant l'ouverture des Etats Généraux, Grégoire répond par un « essai sur la régénération physique, morale et religieuse des Juifs. »

En août 1789, au cours de la discussion sur la Déclaration des Droits de l'Homme, Grégoire prend la parole et signale les excès commis contre les Juifs en Alsace.

Le 14 août, une délégation d'Israélites de Lorraine et d'Alsace se présente à la barre de la Constituante. Grégoire demande que justice soit rendue dans de brefs délais et que, pour l'heure, ils soient admis aux honneurs de la séance. Ce qui fut décidé. Ainsi, grâce à lui, des Juifs vont s'asseoir dans l'enceinte de notre première Assemblée Nationale aux côtés de leurs compa­triotes. Moralement, ce sont des citoyens.

Dès janvier 1790, les Juifs du Midi obtinrent la qualité de citoyen français et ceux de l'Est en septembre 1791. Quand, en avril 1792, le Chant de Guerre de l'Armée du Rhin fut chanté pour la première fois par Rouget de l'Isle à la fenêtre du maire de Strasbourg Dietrich, il est à concevoir que les nouveaux citoyens étaient nombreux à en reprendre les paroles. Jean Renoir a révélé que l'un d'eux, colporteur de son état, a transporté dans sa besace de nombreux exemplaires de ce chant jusqu'à Marseille et que les Fédérés de cette ville, en remontant sur Paris, ont, ainsi, pu consacrer la Marseillaise.

Henri Grégoire avait-il du respect pour le judaïsme ? C'est incontestable, il l'a dit et quel chrétien n'en aurait-il pas pour la première religion de la Bible ? Mais il eut pour les formes du culte des paroles sévères. « Il importe de réformer ces abus et de célébrer l'office en langue vulgaire ». Parlait-il pour la seule synagogue ou, pour son église, entrevoyait-il Vatican II ?

Ce qu'il a voulu, ce n'est pas je ne sais quelle glorification du judaïsme. On a parlé à notre époque du droit à la différence, et rien n'est plus juste.

Mais, lui, Grégoire, au nom des Droits de l'Homme ne voulait plus, sur notre sol, que se perpétuassent des discriminations scandaleuses. Ce qu'il a voulu, à la vérité, c'est l'égalité de tous et la fraternité. C'est l'absence de différence. Un Juif, peut-être, mais avant tout, un homme, un Français, un citoyen.

* * *

Le Mérite d'Henri Grégoire fut peut-être plus grand encore quand il prit le parti des hommes de couleur.

Il existait des Noirs libres comme nés de père et mère libres. De violents débats se déroulèrent à la Constituante et Grégoire intervient avec toute l'énergie du cœur et de la raison. Le 8 juin 1791, il publie « sa lettre aux citoyens de couleur et Nègres libres de Saint-Domingue et autres îles françaises de l'Amérique. » Après des votes contradictoire de la Constituante, c'est la Législative qui appelle les hommes de couleur libres et les Nègres libres à voter.

Mais à côté des Noirs libres, il existait encore des- esclaves. La traite ignominieuse des hommes et des femmes considérés comme des biens de propriété, comme des animaux domestiques, était du plus haut rapport.

Le 27 juillet 1793, Grégoire s'adresse à la Convention : « Jusques à quand, citoyens, permettrez-vous ce commerce infâme ? » Et le 5 février 1794, la Convention Nationale vote enfin le décret d'abolition de l'esclavage dans toutes les colonies.

Cette libération de l'homme, rigoureusement conforme à l'esprit comme à la lettre de la Déclaration des Droits de l'Homme, semblait à jamais acquise. li n'en fut rien. Il fallut encore attendre et c'est en 1848 que le ministre des colonies Arago sous l'impulsion du Franc-Maçon Victor Schoelcher, fit libérer les esclaves et l'oeuvre de Grégoire se trouvait ainsi définitivement achevée.

* * *

C'est la pensée de Grégoire qu'Ernest Renan, en 1882, à son tour exprimera quand il écrira :

« L'homme n'est esclave ni de sa race, ni de sa langue, ni de sa religion, ni du cours des fleuves, ni de la direction des chaînes de montagnes. Une grande agrégation d'hommes, saine d'esprit et chaude de cœur, crée une conscience morale qui s'appelle une nation.

Les plus nobles pays sont ceux où le sang est le plus mêlé. »

* * *

L'Abbé Grégoire montra tous les courages et sut assumer toutes les fidélités. Vêtu d'une soutane violette à la tribune de la Convention, se proclamant républicain sous Louis XVIII, jamais il ne consentit à renier, même pour les servir, les grandes causes qu'il avait estimées justes au fil droit de sa pensée.

Inébranlable au milieu des tempêtes politiques, sans concessions aux maîtres du pays qu'il ne salua guère, mais éminemment symbolique du peuple de France qu'il représenta si souvent, il mena de véritables combats. Non pas au sens anodin des éloquences toutes faites, mais, ne se bornant pas à des écrits, à des discours, à des votes, il s'engagea tout entier par la rigeur de son action. Prenant des risques immenses pour sa situation, pour sa liberté, pour son honneur et pour sa vie.

Toujours il resta prêtre et démocrate. Prêtre sans être fanatique et démo­crate sans être libertin.

Donc prêtre authentique et démocrate de bon aloi. Son secret est simple. Henri Grégoire était un honnête homme du siècle des lumières.

Quand cet honnête homme mourut dans ce Paris qu'il avait, lui aussi, tant aimé, une délégation ouvrière tint à honneur en portant sa dépouille au cimetière, à lui rendre l'hommage dernier qui lui était dû.

***

Henri Grégoire n'était pas Franc-Maçon, mais la Maçonnerie n'est pas sectaire et elle sait glorifier un homme qui eut toutes les vertus dont elle s'enorgueillit quand les manifestent les meilleurs des siens.

FEVRIER


Publié dans le PVI N° 21 - 2éme trimestre 1976  -  Abonnez-vous : PVI c’est 8 numéros sur 2 ans

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