GLDF Revue : Points de Vue Initiatiques 4T/1976


Musique et Franc-Maçonnerie à l'heure

de l'Indépendance Américaine

Musique : Introduction du «  Déluge » de Giroust.

QUESTION. * Au cours de notre précédente émission a été évoquée la part prise par la Franc-Maçonnerie dans le mouvement général en faveur de l'aide aux Américains dans leur lutte contre la couronne d'Angleterre. Nous aimerions, aujourd'hui, traiter des fastes ou divertissements musicaux orga­nisés par nos Loges à cette occasion.

REPONSE. ** Ceux-ci furent nombreux, et souvent de grande qualité. La manifestation maçonnique musicale la plus mémorable organisée à l'occa­sion de la guerre d'Indépendance fut assurément celle donnée en I'Eglise de l'Oratoire en novembre 1781, tout à la fois pour célébrer la naissance du premier Dauphin, fils de Louis XVI et la victoire de la baie de Chesapeak laquelle les Français avalent pris une part décisive. La cérémonie religieuse ménagée dans le cadre des travaux de la Respectable Loge • Le Contrat Social • réunissait des Frères de toutes les Loges parisiennes. Le souvenir en a été conservé par le Frère secrétaire de la Loge, dans son livre d'architecture.

*          Il écrit : « Le Cher Frère Floquet... »

** …Il s'agit du célèbre compositeur Etienne.Joseph Floquet, qui fut • directeur de la musique de la Loge • de 1773 à 1785...

*          présida lui-même à l'éxécution (d'un) superbe motet... L'habile artiste sut satisfaire au surcroît d'intérêt qu'ajoutait à cet instant la nouvelle de la défaite des Anglais dans la baie de Chesapeak, en adaptant toutes nos marches guerrières à l'ouverture qui offre l'image d'un combat. La magie d'un dialogue entre deux orchestres absolument séparés, le bruit de l'artillerie qui se liait si naturellement à l'ensemble qu'on l'en croyait une partie obligée, l'habileté des virtuoses... excitèrent dans les âmes une telle émotion qu'on fut obligé d'arracher quelques personnes à ce plaisir trop vivement ressenti... Après avoir fait retentir le Temple de la Religion de ses actions de grâce, la Respectable Loge rentra dans son atelier, où son orateur prononça un discours...»

** Et le Frère secrétaire ne manque pas de bien préciser que, gagnés par l'enthousiasme général, les Frères musiciens s'étaient laissés entraîner, par extraordinaire, à renoncer à tout cachet !

Cette musique superbe — du moins si nous en croyons ce texte — est malheureusement perdue, mais de plus modestes pages, non moins curieuses, peuvent nous permettre d'évoquer la haute figure du principal artisan de la coopération franco-américaine durant la guerre d'Indépendance, le Frère Ben­jamin Franklin.

*          Celui-ci, arrivé à Paris le 22 décembre 1776, était précédé d'une réputation prestigieuse tout à la fois de diplomate et de scientifique.

** En son honneur, on chanta des cantates, on composa des vers, on fabriqua toutes sortes d'objets souvenirs, et même, le prolifique Michel Cor­rette, auteur de quantités d'oeuvrettes plus pittoresques que profondes écrivit une longue fresque pour clavecin seul évoquant la jeunesse américaine de l'ambas­sadeur des tout jeunes Etats-Unis.

Intitulé « Les Echos de Boston », ce « divertissement » évoque les pay­sages agrestes — tels du moins qu'on pouvait les imaginer de Paris — où fut élevé le grand homme. Ecoutons-en un épisode, sorte de tableau sonore dépeignant le calme des rives de l'estuaire aujourd'hui devenu le grand port que l'on sait. « Le murmure des eaux »  :

Musique : enregistrement au clavecin (Françoise Cotte).

** Ajoutons et précisons que, tout comme le dédicataire, le musicien, Corrette, était vraisemblablement maçon. Il a du reste laissé une • marche des Francs-Maçons • pour clavecin seul dont nous parlerons peut-être un jour.

*            Comment Franklin apprécia-t-il de telles dédicaces ?

** Certainement avec pertinence, car il était lui-même musicien. Il a laissé une oeuvre de compositeur amateur somme toute fort honorable sinon en quantité, du moins en qualité.

*          De quelle sorte ?

** Probablement des chansons, comme en firent presque tous les Francs- Maçons de l'époque, mais surtout un quatuor à cordes qui a été réédité de manière quasi officielle, il y a quelques années. Malheureusement, 11 n'existe, à notre connaissance, aucun enregistrement de ces pages.

*          Franklin n'eut-il jamais l'occasion de combiner sa science de physicien et son goût pour la musique ?

** Bien sûr que si I Et cela aurait des conséquences fort importantes pour l'histoire de la musique, et même, dans une certaine mesure pour l'his­toire de la Franc-Maçonnerie.

Reprenant le vieux principe — connu au moins depuis le XVI° siècle — du verre à pied mis en vibration par friction du doigt mouillé, il avait construit un extraordinaire appareil composé d'une série de coupes de dimensions dé­croissantes, dont certaines — représentant les touches noires du clavier — étaient colorées. Ces coupes étaient enfilées sur un axe mis en rotation par un système comparable aux pédales de machine à coudre de nos grand-mères. Une rigole emplie d'eau placée devant l'exécutant permettait à celui-ci d'entre­tenir l'humidité de ses doigts. On jouait en passant ceux-ci sur telle ou telle coupe, en fonction de la mélodie, ou même des harmonies écrites.

*          N'était-ce pas en fin de compte une simple curiosité de physique ?

** Absolument pas ; plusieurs compositeurs d'importance se sont inté­ressés aux sons étranges de cet instrument, notamment — pour ne citer que des Francs-Maçons — Naumann, Viotti, Saliéri, Haydn, Beethoven, et surtout, bien sûr, Mozart, dont nous entendons quelques mesures d'un adagio écrit en 1791, l'année de la mort du compositeur.

Disque : « Adagio » pour harmonica.

*          Je ne vois pas par quel biais cette invention du Frère Franklin rejoint la Franc-Maçonnerie.

** Nous y venons. Précisons bien, tout d'abord, qu'il ne s'agit en rien de la Franc-Maçonnerie régulière, mais de celle, passablement occultiste fondée par le Frère Docteur Mesmer. Celui-ci avait remarqué l'effet excitant — noté à l'époque par d'autres auteurs — des sons de l'harmonica sur le système ner­ veux de certains patients. Il avait, en conséquence, inclus des concerts de cet instrument au rituel de Maçonnerie Mesmérienne, au cours duquel on soi­gnait des malades suivant la théorie — mesmérienne — du « magnétisme animal ».

*          Mais le Frère Franklin n'eut-il jamais l'occasion de manifester son amour pour la musique dans une Loge régulière ?

** Bien sûr que si Presque dès son arrivée à Paris, excipant d'une ini­tiation reçue en Amérique, il s'était affilié à la célèbre Loge des « neuf soeurs où l'on ne comptait pas moins de cinquante musiciens, pour la plupart « pro­fesseurs »...

*          C'est-à-dire « professionnels », dans le langage du XVIII° siècle.

** Parmi ceux-ci se comptaient, notamment, le fils du grand Mondonville, violoniste, Nicolas Dalayrac, Pierre Duni, auteurs célèbres d'opéras comiques, de nombreux violonistes de l'orchestre de l'Opéra, des chanteurs alors célèbres, comme Lays ou Rousseau, l'abbé Nicolas Roze, futur professeur de serpent et bibliothécaire du Conservatoire, le hautboiste Salantin, créateur de l'école fran­çaise de hautbois, et bien d'autres.

La cérémonie la plus fameuse à laquelle tous ces talents furent appelés à participer fut celle organisée le 28 novembre 1778 à l'occasion de l'initiation de Voltaire.

*          Franklin était alors second surveillant de la Loge, dont le Vénérable était le célèbre astronome Lalande.

** Le directeur des concerts de la Loge était un fameux amateur, un peu ridicule, le Baron de Bagge, mais la direction de la musique était effectivement confiée tantôt au Frère Piccini, le rival malheureux de Gluck, tantôt à Nicolas Capron, violoniste de l'Opéra. Ce dernier dirigea, au moment où Voltaire prêtait serment, un extrait d'une belle symphonie du Frère Guénin que nous choisirons pour conclure notre propos.

Musique : Symphonie de Guénin.

JUILLET 1976


Publié dans le PVI N° 22 - 4éme trimestre 1976  -  Abonnez-vous : PVI c’est 8 numéros sur 2 ans

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