GLDF | Revue : Points de Vue Initiatiques | 4T/1976 |
La Flûte enchantée et la Franc-Maçonnerie QUESTION. *
Précisons tout d'abord les limites de notre sujet : nous rechercherons
quelques-uns des apports de la Maçonnerie au livret de Schikaneder et à la
partition de Mozart, puis nous nous attacherons à indiquer certaines conséquences
importantes pour l'histoire de notre ordre et des arts, découlant de l'immense
succès des représentations de cette « Zauberflôte ». REPONSE. ** Evidents
pour tout un chacun, les rapports entre la Flûte enchantée et l'enseignement de
nos Loges sont encore, de nos jours, niés par quelques rares musicographes. * Des originaux
sans la moindre envergure, peut-on imaginer ? ** Absolument
pas. Nous avons pu lire, il n'y a guère, sous la plume d'un professeur
d'histoire de la Musique de notre Conservatoire national supérieur,
l'affirmation que « La Flûte enchantée » de Mozart est absolument étrangère
à toute référence maçonnique. * Il ne peut
évidemment s'agir, sous une plume aussi éminente que d'une manifestation
d'intolérance peut-être pardonnable, et non point d'une opinion
scientifiquement établie. Elle a du moins le mérite de nous inciter à nous
interroger sur le contexte maçonnique du célèbre opéra. ** En effet,
tous les commentateurs notent que les auteurs du livret se sont inspirés du
roman « Sethos », de l'abbé Terrasson, sans bien vérifier la résonance
maçonnique de ce texte. *Iil faut bien
remarquer que le tout récent « Dictionnaire de la Franc- Maçonnerie » ne
lui accorde qu'une • contamination maçonnique .. ** C'est être
bien trop prudent. En fait, et l'on en connaît d'autres exemples, Il s'agit
d'un roman à clef, évoquant sous une affabulation pseudoégyptologigue la vie
des Loges parisiennes au XVIII' siècle. Pour ne relever qu'un détail, lisons
par exemple, page 34 de l'édition originale, au cours de l'épisode des
funérailles de la reine, l'épouse de Sarastro, qui n'apparaît pas dans la
pièce. * « Tous les
Instruments militaires qui Jouaient d'un son lugubre mêlés d'intervalles de
silence exactement mesurés portaient le frémissement jusqu'au fond de
l'âme.. » ** Or l'on sait
que la musique en Loge, lorsqu'elle n'était pas vocale, était toujours confiée
aux instruments à vent, au XVIII° siècle. Mozart semble bien avoir eu ce texte
en tête, lorsqu'il composa sa fameuse musique funèbre maçonnique K. 477. Musique : Début de
K. 477. Et dans le livret de la « Zauberflôte », bien des épisodes ouvertement maçonniques sont littéralement tirés du livre de Terrasson, tel le fameux « Choral des hommes armés » dont le texte est emprunté à la narration des épreuves initiatiques — quasi maçonniques — du Jeune Sethos (Musique en fond
sonore.) * Quiconque fera cette route seul, et
sans regarder derrière lui, sera purifié par le feu, par l'eau et par l'air et
s'il peut vaincre la frayeur de la mort, il sortira du sein de la terre, Il
reverra la lumière, et il aura droit de préparer son âme à la révélation des
mystères de la grande déesse Isis. ** Souvent,
Mozart et ses librettistes, écartant délibérément le trop discret Terrasson,
font des allusions ou des emprunts directs aux rituels des différents grades
maçonniques. * Le Professeur Jacques Chailley a déjà
clairement démontré, après notre Frère Jean-Gabriel Prod'Homme, que les
allusions à notre grade d'apprenti étaient évidentes. ** Il a
également découvert — et cela était nouveau — que sont non moins nombreux les
emprunts à la maçonnerie féminine du XVIII• siècle, dite • maçonnerie
d'adoption •. Mals il y a d'autres choses encore, notamment dans le rôle de
Papageno, l'oiseleur. * N'était-ce point une création
fantaisiste de Schikaneder pour amuser son parterre ? ** Assurément, mais pas seulement. En réalité, les librettistes évoquent avec ce rôle un rituel un peu particulier, celui dit • des frères servants •. Cette initiation de second ordre était réservée aux domestiques qui ne remplissaient pas toutes les conditions requises pour être admis à l'initiation maçonnique régulière. Ils n'étaient initiés que par trois éléments : L'eau,Disque : extrait de la scène XV. La terre — sous l'aspect d'un immense verre de vin, produit de la terre. Disque : extrait de la scène XXI. L'air, symbolisé par une tentative de pendaison, mais qui sera suivie d'un sauvetage In extremis, venu des airs... Disque : scène XXVIII. L'épreuve du feu — symbole de l'intelligence — était refusée aux Frères servants. D'emblée, Papageno a reculé devant elle : Disque : extrait de
la scène XXI. D'autres rites maçonniques, notamment ceux du grade de Rose-Croix, sont évoqués, dans la mise en scène originale de Schikaneder, autour du personnage de Sarastro, inspiré par le Vénérable même de la Loge de Mozart, Von Born ; mais ils n'ont trouvé d'écho ni dans le texte ni dans la partition. * Notre Frère
Goethe, si je ne m'abuse, a écrit qu'il faut plus de savoir pour comprendre la
valeur du livret de la Flûte enchantée que pour s'en moquer. Etaient-ils
nombreux, au XVIII° siècle, les Maçons capables d'en faire l'exégèse ? ** Il semble, en
tout cas, qu'ils aient été bien rares parmi les hommes de théâtre. Schikaneder
lui-même, alléché par le succès de l'opéra de Mozart avait tenté d'y ajouter
une suite de son cru ; ce fut un opéra héroïque, intitulé « Le labyrinthe ou le combat avec les éléments », 2éme partie de la flûte enchantée Abandonné à lui-même, privé des conseils des officiers de la Loge de Mozart — notamment Von Born — l'infortuné Interprète de Papageno semble avoir perdu beaucoup de son inspiration... * N'en jugeons que sur les paroles dévolues au morceau le plus important de la partition :« Nous sautons, nous chantons, nous aimons en frères, éternellement fidèles à la loyale alliance... » ** La musique du
compositeur Peter von Winter ne semble pas avoir non plus laissé de souvenir
impérissable. Un autre Maçon de très petite envergure, le Français More! de Cherfdeville, collaborateur occasionnel de Peter von Winter, s'était avisé de tenter de rendre plus clairement « maçonnique » l'ouvrage de Mozart et Schikaneder. Ce fut l'inénarrable opéra intitulé « Les Mystères d'Isis », représenté à l'Opéra de Paris en 1801. Il s'était adjoint, pour défigurer plus sûrement la partition, les services du musicien Ludwig Lachnith. Les deux compères s'entendirent parfaitement pour couper, arranger, transformer, ajouter des récitatifs de leur cru, ou même des pages empruntées à d'autres oeuvres de Mozart ou même de Haydn. Dans l'ensemble, la critique protesta pour le principe — c'était tellement facile — mais le public qui dans l'ensemble ignorait de quoi on le privait, se déclara fort satisfait, et cet incroyable « pasticcio » tint l'affiche jusqu'en 1827, pour le plus grand bénéfice financier des « arrangeurs ». * Avec Goethe, nous tenons quelque chose
de plus sérieux. ** En effet,
bien qu'il soit quelque peu désinvolte de l'accuser d'avoir aspiré aux lauriers
de Schikaneder, nous devons admettre qu'il lui emprunta l'idée de fabriquer une
suite à la « Zauberfleite ». Mais au lieu de la mercantile
exploitation d'un « filon » à succès, Goethe — qui ne viendra pas à bout
de son dessein — tente hardiment de proposer un développement fortement teinté d'hermétisme
à la situation dramatique à laquelle aboutit l'opéra de Mozart. * Pamina et le Prince Tamino, unis, ont
succédé à Sarastro à la tête du royaume de la
Lumière. Monostatos, passé au service de la Reine de la nuit, est décidé à
aider celle-ci à se venger de la défaite que lui a infligée Sarastro. ** Le rideau —
dans l'oeuvre de Goethe — se lève sur un décor identique à celui du rr acte de
« La Flûte » : paysage sauvage de forêts et de rochers. La Reine de
la Nuit, Monostatos et ses Mores se réjouissent : * Pamina et Tamino
sont plongés dans l'affliction ………………. Le père n'a pas
encore vu son tendre fils Qu'en l'espace d'un
éclair je m'en empare Et l'enferme aussitôt dans le cercueil d'or. ** Au palais de
Tamino, la consternation est générale. Les suivantes de Pamina ont retrouvé le
cercueil de l'enfant, mais ne peuvent l'ouvrir. Le petit prince vivra tant que
les femmes circuleront en portant le cercueil. Elles chantent toutefois leur
espoir : Solennelle et Sacrée viendra nous délivrer. » ** Papageno a
reçu la flûte magique en cadeau de mariage, et il a lui- même donné son
carillon à Papagena. Mais ils se lamentent, car les petits enfants qu'ils se
promettaient mutuellement à la fin de l'opéra de Mozart ne sont jamais nés. * « Les
beaux... les gentils... les charmants-. pa..pa.., Papa, Papa... Ah j'ai le
coeur brisé, je ne peux plus vivre... ! » ** Cependant,
les prêtres se sont réunis pour désigner celui d'entre eux qui prendra une
année entière le bâton du pélerin. C'est Sarastro qui devra partir. Il se
dépouille de ses habits sacerdotaux et de ses insignes. Il rejoint tout d'abord
Papageno et son épouse à qui il remet trois gros oeufs qui s'ouvrent pour
donner naissance à trois beaux enfants. L'oiseleur trouve dans cet épisode
matière à ses vantardises habituelles: — Environ cent cinquante. — Où sont vos marchandises ? — J'ai dû les laisser là-bas. — Sûrement à cause de la douane ? — Ils ne savaient absolument pas quels droits exiger. » ** Mais Papageno
a reçu une misson de Sarastro. Il doit consoler Tamino et Pamina aux sons de la
flûte magique, tandis que les oracles — des prêtres — dévoilent l'endroit où
est retenu le cercueil du petit prince. * « Dans les
profondeurs voutées de la Terre Avec ici le Feu et l'Eau Entouré de monstres
farouches Le garçon est là qui implore : Entendez-le. » ** Nous
retrouvons alors le décor des épreuves de la « Flûte enchantée » (de
Mozart). Une fois encore, Pamina et Tamino franchissent l'Eau et le Feu. La
Reine de la Nuit, une fois encore, est presque vaincue. Ses séides, accompagnés
de lions tentent une dernière fois de s'emparer du jeune prince. Mais celui-cl
leur échappe en chantant ces paroles : * « Quand bien
même ce seraient des armées entières, Quand bien même me menaceraient des
dragons, Nul n'a prise sur le génie que je suis ! » ** ... et,
transformé en génie allé, il s'envole. Ici s'arrête la rédaction de Goethe ; ne
pensant pas trouver de musicien digne de succéder à Mozart, il ne poursuivit
pas plus loin. * Il avait pourtant
parlé de ce projet à des musiciens ? ** Assurément,
et en particulier à Paul Wranitzky, un ancien collaborateur de Schikaneder à
qui celui-cl avait — oh combien à juste titre — préféré Mozart. Et pourtant,
Goethe connaissait parfaitement le maitre capable de succéder à Mozart. * Beethoven ? ** Précisément.
Mais ils ne se rencontrèrent que plus de quinze années après l'élaboration du
projet. Celui-cl était alors depuis longtemps abandonné par le poète. Quoique
Maçons tous deux, leurs relations furent toujours froides ou tendues, voire
désagréables, du fait de Goethe. Et pourtant, Beethoven chercha sa vie durant,
sans jamais le trouver, un beau et grand texte maçonnique capable de
l'inspirer. Musique : fragment
de la Fantaisie pour piano, orchestres et chœurs. AOUT 1976 |
P022-8 | L'EDIFICE - contact@ledifice.net | \ |