GLDF Revue : Points de Vue Initiatiques 4T/1976

Vivre notre Tradition Initiatique

 

  Qu'est vivre notre tradition initiatique ?
  Pourquoi est-ce indispensable ?
  Vivre notre tradition, c'est avant tout VIVRE nos rituels — d'ouverture — de fermeture — d'initiation, et nos Temples — avec leurs symboles.

      Vivre ici, c'est vouloir être présent.

      Nous savons tous, en effet, que lire un rituel n'est pas le vivre : le vrai SECRET est là. Mais il nous faut aller plus loin ; car il ne suffit pas d'être là pour vivre un rituel ; il faut vouloir y participer, il faut y engager tout son être : il faut être présent.

  Mais pourquoi est-ce plus important de vivre nos rites que de les comprendre et de les analyser intellectuellement ?

Parce que les traditions initiatiques (et ceci est admis à l'heure actuelle par des scientifiques de renom) véhiculent la Loi, le Modèle, qui décrit les structures, les fonctions, les évolu­tions et les rapports de tout phénomène vivant quel qu'il soit, et que donc quand nous vivons un rituel d'initiation, nous vivons l'édifi­cation d'un être selon ce Modèle, quand nous vivons un rituel d'ouverture ou de fermeture, nous vivons l'application de cette Loi à la construction d'un univers, et qu'enfin quand nous vivons un temple avec ses symboles, nous vivons un microcosme qui a été créé d'après le Modèle et conformément à la Loi.

Etre initié, c'est donc percevoir ce Modèle et cette Loi à travers des temples et des rituels initiatiques, par « résonance » en quelque sorte : ils sont en nous. C'est pour cela qu'il est capital de les vivre profondément, de tout son être : ainsi, nous pouvons percevoir le modèle qui sous-tend toute vie ; ainsi, nous sont révélés la LOI et l'ORDRE.

Cela n'empêche pas que nous ayions à décrypter, analyser et reconstruire ce Modèle qui préside à la formation et à la construc­tion de tout phénomène vivant, qu'il soit animal ou végétal, anato­mique ou psychologique, transcendant ou social...

Que dit-il ?


Très schématiquement, il énonce qu'un être vivant, qu'un être humain, est fait de trois structures :

  la première, permet la vie, assure la charpente, est le support de notre manifestation ;
  la seconde, entretient la vie, d'une part, à partir de l'alimenta­tion et de la respiration, d'autre part, intellectuellement et affectivement ;
  la troisième transmet la vie, assure la survie de l'individu et de l'espèce.


De même que tout phénomène vivant, organique ou fonction­nel doit être composé de trois structures, nous avons à vivre trois mondes :
 nous-mêmes d'abord,
 le monde qui entretient notre vie, ensuite,
 le monde qui assure notre survie, enfin.


 Nous devons d'abord nous vivre nous-même : c'est le célèbre « connais toi toi-même » de Socrate. Il est vrai qu'il est difficile de se connaître, de se vivre, de se situer en soi-même et de s'aimer ; c'est difficile mais important ; puisque nous avons les mêmes structures que les autres, puisque nous sommes cons­truits sur le même Modèle qu'eux, en nous connaissant nous- même, nous connaissons les autres de l'intérieur. De plus, il n'est pas possible d'aimer l'autre réellement et profondément en ne s'aimant pas soi-même. Un homme qui ne s'aime pas, n'aime pas les autres, il fuit vers eux, tant il est vrai que l'amour des autres passe par l'amour de soi.

 Il nous faut vivre un deuxième monde : celui qui nous nourrit al imentairement, intellectuellement (1), affectivement (2).
Ici, sont situés le monde de la famille et celui des amis, le monde du travail et notre univers culturel, le monde social et politique, et donc les mondes qui nous nourissent en général.
Il faut savoir que ce monde est inéluctablement soumis à la dualité. En effet, l'unité n'existe qu'en dehors de la manifestation : c'est une loi fondamentale ; dans la manifestation, dont nous sommes et dont ce monde de tous les jours est, la dualité est obligatoire.

 Le troisième monde à vivre assure notre survie. Il y a trois structures : une qui permet la vie, une qui l'entretient et une qui la transmet, en assurant la survie de l'individu et de l'espèce ; c'est avec elle qu'est en rapport ce monde.

Comment, en effet, pouvons-nous survivre ?

De deux façons :
 par notre descendance : par nos enfants, par la procréation,
 par notre ascendance : par un chemin spirituel.

Notion capitale : nous ne pouvons atteindre l'unité que dans ce troisième univers. Comment ? Toujours par une « fusion ».


Prenons un exemple : nous pouvons survivre par nos enfants, par notre « descendance », par la procréation qui réalise l'unité (un être) par fusion d'un spermatozoïde et d'un ovule. De même le chemin de notre ascendance comporte deux voies qui, toutes deux, vont nous conduire à l'unité, à la fusion :

 la première est une voie mystique, qui mène quelques rares privilégiés à fusionner avec le Créateur, le Grand Architecte ou la Déité,
 la deuxième, accessible à beaucoup plus de « mortels », nous permet d'atteindre l'unité, par la fusion sexuelle avec un autre être, à la condition que cet acte d'amour soit essentiel et authentique. Par cet acte, nous pouvons atteindre, un instant, l'unité, être immortel un moment, un moment seulement puis­que nous sommes dans la manifestation.

Les mots clés de ce monde sont donc : unité et fusion.

On comprend qu'ici la Connaissance n'est pas consciente ou inconsciente, elle est fusion, fusion avec « l'autre », par le centre ; elle demande de s'intégrer à l'objet, de se fondre en lui.

Ici encore l'Amour est autre : il n'est pas amour sentiment, il est fusion totale avec l'autre, que cet « autre » soit un être, la déité ou la création.

Ici, enfin, la Fraternité n'est pas non plus un sentiment ; elle est communion avec tous ceux qui ont vécu, vivent ou vivront ce monde transcendantal, et donc avec tous ceux qui ont pris un chemin d'initiation, quel qu'il soit.

Pour nous résumer, ce monde transcendantal, qui permet notre survie est le seul où l'on puisse envisager d'atteindre, un moment, l'unité, et ce, par une « fusion » avec l'Autre.

Avant de répondre à la question : « pourquoi faut-il vivre une tradition initiatique pour avoir une action authentique dans le monde extérieur ? », il nous faut savoir quel est ce monde extérieur. Nous l'avons vu, c'est le second, celui qui nous entretient ; on le dit profane ; il nous nourrit alimentairement, intellectuellement, effectivement : c'est le monde du travail, le monde social, le monde politique... A son propos, il nous faut toujours garder pré­sent à l'esprit deux notions importantes :
— d'abord, c'est un monde de dualité : obligatoirement coexistent le bon et le mauvais, le bien et le mal, la guerre et la paix, le juste et l'injuste ; obligatoirement coexistent des riches et des pauvres. Ils sont riches ou pauvres sur un plan matériel, intellectuel ou autre, mais il est ici inéluctable qu'il y ait une dualité riche-pauvre. De même, doivent coexister une droite et une gauche, et, de toute façon, sachons que tout homme
de droite est aussi de gauche et, que tout homme de gauche est aussi de droite, selon les critères ou les domaines.
On comprend alors qu'il est inutile d'y chercher un but ultime, quel qu'il soit. Il est impossible, il est inenvisageable : nous sommes dans un monde d'obligatoire dualité ;
  ensuite, il faut savoir que c'est un monde de dégénérescence. Il faut certes le vivre, comme il faut vivre tous les aspects de l'Univers, car rien de ce qui fait partie de la création ne doit être étranger à un initié ; il nous faut, de plus, (et c'est évident), entretenir notre vie alimentairement, affectivement et intellec­tuellement. Mais, il ne faut pas l'hypertrophier ; il ne faut pas lui donner une importance qu'il n'a pas. Or, toutes les dégéné­rescences individuelles ou collectives s'accompagnent d'une hypertrophie de ce monde d'entretien. Individuelles : c'est l'exemple d'êtres qui négligent leur évolution spirituelle et qui, en compensation, vivent de voiture, de télévision, de frigi­daire... ; collectives, au niveau de civilisations ou d'institu­tions, c'est l'exemple de l'Eglise qui a dégénéré quand elle s'est préoccupée de temporel, en briguant un pouvoir politique ou un rôle social, ou celui de la Franc-Maçonnerie qui dégénère quand elle ne devient que politique, quand elle ne s'occupe que de social.

Ceci étant précisé, nous pouvons répondre à la question posée.

Il est certain que dans cette obligatoire dualité, doit régner un équilibre ; il y faut un maximum d'équité et de justice ; il faut tendre sans cesse à y réduire les inégalités : C'est une pre­mière chose. Mais, cette lutte pour l'équité, la justice et le main­tien d'un équilibre satisfaisant dans cette obligatoire dualité, peut être le fait de n'importe quel homme, initié ou non.

Par contre, ce que seul un initié peut faire, c'est de transfigurer ce monde.

Pourquoi et comment doit-il le faire ? Ayant vécu un monde et un rituel initiatique, ayant construit un univers initiatique, il connaît le Modèle qui peut permettre à ce monde d'entretien, à ce monde de tous les jours, d'être conforme à la Loi, et, par là, d'être harmonieux pour ceux qui y vivent.

Voilà l'action fondamentale de tout initié : qu'il ait perçu ce Modèle gnostiquement ou mystiquement, son rôle est d'apporter à ce monde d'entretien, à ce monde profane, la Loi qui va lui permettre d'être en harmonie avec l'Ordre de la Nature, et, par là, d'être pour les hommes, un lieu où chaque être est à sa place, et donc un lieu où chacun est, dans sa plénitude.

Sans cette connaissance, nous allons au hasard, nous agissons en aveugles. Initiés, nous pouvons transfigurer ce monde et lui donner une dimension transcendantale.

L'essentiel de notre action n'est donc pas dans la mutation du quotidien, dans la mutation de ce monde, elle est dans sa transfiguration. C'est là le rôle spécifique de tout initié quel qu'il soit et c'est en cela que la méthode symbolique est la condition préalable à toute action authentique à l'extérieur : c'est parce que nous connaissons à travers nos symboles l'Ordre du monde que nous sommes capables de transfigurer le monde profane, et de lui apporter un peu plus d'équilibre et de justice.
Il nous faut donc vivre nos rites et notre symbolique pour pouvoir aller dans ce monde non plus en aveugles, mais en messagers, armés d'Amour et revêtus de Lumière.

(1) Notons qu'ici, et seulement ici, sont situés le conscient et l'incons­cient, les modes de connaissances rationnels ou intuitifs : ces notions n'ont pas à être appliquées au troisième monde, transcendantal auquel est liée notre survie et où le mode de connaissance est autre.
(2) Ici, sont l'amour et la fraternité, mais avec un petit « a » et un petit « f » ; nous sommes dans le domaine des sentiments, des relations avec le monde de tous les jours, avec ceux qui nous entourent. Par contre, Amour et Fraternité sont autres, parce que transcendantaux et non affectifs.

Publié dans le PVI N° 23 et 24 - 4éme trimestre 1976  -  Abonnez-vous : PVI c’est 8 numéros sur 2 ans

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