GLDF Revue : Points de Vue Initiatiques 4T/1976

Le Cercle Symbole de l’Unité

 
Parmi tous les outils symboliques que nous propose la Maçon­nerie, il en est un qui revêt un importance particulière ; nous voulons parler du COMPAS qui, joint à l'équerre, constitue en un sens le symbole même de la Maçonnerie. Nous le retrouvons, en effet, sur le livre sacré dès l'ouverture des travaux ; il décore le sautoir du Vénérable Maître ainsi que son plateau.

« Le compas sert à tracer le cercle qui comprend le centre lui-même et la circonférence, celui-là représentant l'esprit foyer de toute connaissance, celle-ci représentant le champ même des connaissances humaines. »

Ainsi donc, le symbole, objet de nos méditations, est une figure géométrique, la plus simple qui soit, composée d'un centre et d'une circonférence qui délimite le Cercle lui-même ; celui-ci est à la fois l'espace circonscrit à l'intérieur de la circonférence et l'ensemble de tous ces éléments.

Le Centre est essentiellement un point duquel dépend la Cir­conférence composée elle-même d'une infinité de points équidis­tants du Centre ; celui-ci est également le point d'intersection de deux diamètres de la circonférence, et il apparaît donc ainsi à la fois comme un point de départ, puisqu'il ne saurait y avoir de circonférence sans un centre, et un aboutissement, puisqu'il ne saurait y avoir de diamètre sans circonférence.

Par rapport au centre, la circonférence se situe à une distance qui, en théorie, ne connaît pas de limite : certes, nous savons que si nous ouvrons indéfiniment les branches d'un compas, celles- ci finissent par former une ligne droite et l'instrument devient, de ce fait, inapte à tracer des cercles ; de même, à mesure que la circonférence grandit, ses segments tendent aussi à se rapprocher de la ligne droite, tandis que les rayons tendent à. devenir paral­lèles ce qui, à l'extrême, reviendrait à transformer le cercle en une combinaison de lignes verticales et horizontales, mais sur le plan métaphysique, qui ne connaît pas de limites, rien ne nous empêche de concevoir un cercle en continuel développement, dont l'expansion peut se poursuivre indéfiniment, comme c'est le fait, d'ailleurs, pour les ondes hertziennes qui vont se perdre dans l'infini, si bien que, de l'infiniment petit que constitue le Centre, a l'infiniment grand que peut constituer la circonférence, nous arrivons à une représentation symbolique parfaite du microcosme et du macrocosme.

De même, si nous quittons la géométrie plane pour entrer dans le domaine, plus vaste, de la géométrie dans l'espace, nous voyons que si nous faisons pivoter un cercle autour de son diamètre, qui devient alors un axe, ce mouvement trace la configu­ration d'une sphère, dont l'expansion ne connaîtrait pas non plus de limites et qui serait le plus parfait symbole de l'Univers. Cepen­dant, nous risquons, sur ce point, de nous laisser entraîner dans une symbologie beaucoup plus vaste, ou le Centre n'est plus seulement le point ou convergent tous les rayons, mais aussi celui ou la verticale traverse le plan horizontal, ce qui nous ferait sortir des limites de notre sujet.

Revenons donc au Cercle et plus précisément au Centre qui, selon le rituel, symboliserait « l'esprit humain ».

Que dans l'infinie immensité du monde, l'homme ne soit qu'un point, cela ne paraît que très normal, et Pascal écrivait même à ce sujet : « Par l'espace, l'Univers me comprend et m'y engloutit comme un point ». Mais pourquoi ce point serait-il précisément au centre ? Qu'est-ce qui permet a l'Homme, dans son immodestie fondamentale, de se considérer comme « le nombril du monde » ? Certes, n'importe quel homme, où qu'il soit, sur la terre ou même ailleurs, peut se considérer comme le centre d'un cercle aux dimensions indéfinies, celui-là même dont le rituel dit qu'il « englobe la nature entière », ou encore celui dont parle encore Pascal, lorsqu'il se réfère à cette « sphère infinie dont le centre est partout et la circonférence nulle part ». Mais le but de l'Initia­tion; nous le savons, n'est pas de permettre à chacun de tracer son univers personnel, ce qui serait d'ailleurs un non-sens, mais bien de briser ce cocon individuel qui nous entoure afin de nous intégrer au Tout, et de remonter le cours de la Tradition qui prend son origine dans l'Unité Principielle.

Aussi bien, le rituel ne se réfère-t-il pas à l'homme en tant qu'individu, ni même à l'homme en tant qu'espèce, mais bien à « l'esprit humain » ; en effet, de même que les rayons d'un cercle convergent vers le centre, ou en divergent selon l'angle sous lequel on considère, de même, l'esprit humain situé au Centre, perçoit et réfléchit, reçoit les impulsions provenant du monde extérieur et les restitue sous forme d'expressions écrites, parlées ou agies, qui sont autant de modes de transmission des connais­sances acquises.

Cette interdépendance de l'esprit et du monde qui l'entoure peut être illustrée par l'exemple suivant qui ouvre également des perspectives sur le thème qui nous préoccupe.

Prenons une sphère composée, comme nous l'avons vu, d'une infinité de cercles accolés autour d'un diamètre commun et qui ont tous, de ce fait une dimension égale. Coupons-là en tranches, de l'extérieur vers l'intérieur ; nous obtenons de la sorte une infinité de cercles non plus accolés mais concentriques, dont le diamètre se rapproche progressivement de la dimension de l'axe de la sphère qui est, lui-même, le diamètre du cercle qui constitue le plan équatorial de la sphère. Ce cercle divise la sphère en deux hémisphères identiques, et chacun des cercles composant l'un de ces hémisphères correspond à un cercle identiquement sem­blable situé dans l'autre. Seul, le cercle équatorial est unique et indivisible, car la sphère n'a qu'un seul axe, et celui-ci ne peut être le diamètre que d'un seul cercle. Supposons maintenant que nous coupions la sphère par son milieu de manière à obtenir les deux hémisphères dont nous parlions plus haut : la tranche de chacune d'entre elles est identique à celle de l'autre, mais aucune d'elle ne peut être le cercle équatorial puisque nous avons vu que celui-ci était unique et indivisible. Qu'est-il donc advenu de celui-ci ? Il a disparu, simplement, dès lors que rompant l'Unité fondamen­tale de la sphère, nous avons créé une dualité et, ce faisant, nous avons substitué à ce cercle unique la notion d'espace ou d'étendue entre deux cercles voisins.

Ce cercle idéal, infiniment mince, tellement lié au principe de l'Unité qu'il disparaît avec elle, est une abstraction, insaisis­sable autrement que par l'esprit, et qui n'existe que dans la mesure ou celui-ci le conçoit ; mais à l'inverse, l'esprit ne pourrait saisir cette notion si elle n'avait pas une existence réelle.

Ainsi donc, la Maçonnerie place l'esprit humain au centre. du cercle, ce qui paraît d'ailleurs logique, puisqu'il suffit d'obser­ver le monde qui nous entoure pour constater que l'Homme est infiniment petit (microcosme) par rapport à l'Univers (macro­cosme) dont nous ne connaissons pas les limites et dont nous sommes arrivés à concevoir qu'il est même illimité. Mais cela est en contradiction avec la notion du cercle qui n'existe que dans la mesure où il comporte une circonférence ; sans elle, il n'y aurait qu'un point dans l'espace, et qui dit « cercle » introduit inévita­blement une idée de limite, même si l'on admet, comme dans le rituel, que la circonférence englobe la nature entière ; même si l'on conçoit qu'elle puisse être indéfiniment grande, il n'en reste pas moins que cet indéfini ne sera jamais l'équivalent de « l'infini », car si grande que soit une circonférence, il y aura toujours séparation entre ce qui est à l'intérieur et ce qui se trouve à l'extérieur alors que le « Tout », ou « Infini », ne saurait être divisé d'aucune manière car alors il cesserait d'être le Tout.

C'est pourquoi, dans les traditions les plus anciennes, ce n'est pas l'Esprit Humain, élément de la Création, qui se trouve au centre du cercle, mais bien le Principe Créateur lui-même. Suivant cette conception, le centre est considéré comme l'origine de la circon­férence qui n'a de réalité qu'en fonction de son rayonnement, l'espace intermédiaire représentant la Création manifestée ; et tout ceci prend une valeur singulière si, cessant de raisonner sur des figures statiques, nous introduisons l'idée de mouvement, et si nous imprimons au cercle une action de rotation. Nous consta­tons alors qu'il y a un point de ce cercle qui reste immobile alors que tout le reste tourne autour de lui, et c'est précisément le centre, qui est ainsi l'origine immuable de tout mouvement, de toute activité, de tout changement, et par là même, de toute Créa­tion.

Or, dans cette conception, ce n'est plus le cercle qui symbo­lise l'Unité, mais bien le Centre, le Cercle étant au contraire le siège de toutes les différenciations figurées par les rayons et par l'espace qui les sépare. Mais il est tout aussi exact de dire que le Principe et la Création constituent un Tout indivisible puisque le Principe n'a d'existence qu'en fonction de la Création : avant la Création, il est Tout puisqu'en dehors de lui il n'y a rien ; c'est un Tout potentiel, siège de toutes les possibilités, mais lui-même possibilité. Ce n'est que par la réalisation de ces possibilités, « en faisant du vide quelque chose, et de ce qui n'était pas ce qui est » (Kabbale), qu'il se réalise lui-même, si bien que l'on peut dire que le Centre aussi bien que le Cercle sont l'un comme l'autre le symbole de l'Unité, étant entendu que dans le premier cas, il s'agit de l'Unité non manifestée, et dans l'autre de l'Unité Mani­festée. Le point central est l'Essence, le créé est la Substance, et le Cercle devient alors la parfaite illustration de la formule célèbre de Spinoza : « l'Essence est ce dont la Substance enveloppe l'existence ».

Ainsi donc, nous nous trouvons face à deux interprétations, non seulement différentes, mais même opposées : l'une qui voit au centre « l'Esprit humain », fruit de la Création, sur lequel suivant certaines traditions extrêmes-orientales, s'exerce « l'activité du ciel » ; l'autre qui y voit au contraire le point de départ, l'origine principielle de toute création, la circonférence n'étant que le reflet de son rayonnement.

En fait, cette contradiction est plus apparente que réelle, car elle est un exemple caractéristique du principe de l'inversion des symboles, suivant lequel, du moment que le symbolisme procède par analogies, toute analogie doit pouvoir être appliquée en sens inverse. C'est ainsi que, nous l'avons dit, les rayons d'un cercle, suivant l'angle sous lequel on les considère, convergent de la circonférence vers le centre ou, au contraire, divergent du centre vers la circonférence ; que l'Unité peut être à la fois l'infiniment petit ou l'infiniment grand ; que ce qui est le plus grand dans l'ordre principiel, c'est-à-dire, le Principe lui-même, est en même temps le plus petit dans l'ordre de la manifestation si l'on consi­dère le Principe comme un point en perpétuelle expansion. Tout cela est représenté dans la formule : « Tout ce qui est en haut est le même que ce qui est en bas » et se trouve symbolisé par le Signe et le Contre-Signe du 18e Degré.

Aussi le Centre est-il le point de l'équilibre idéal, celui ou, selon la doctrine Taoiste, se trouve le « sage parfait » qui est parvenu au point central et y demeure en union indissoluble avec le Principe ; là, ayant dépassé toutes les oppositions qui sont inhérentes à la multiplicité, il est arrivé à la vérité immuable, la connaissance du Principe universel unique, et atteint par ce fait, l'absolu détachement.

Ainsi, l'Esprit Humain rejoindrait dans le Centre l'Unité Prin­cipielle, car si le centre est le point de départ de toute création, c'est aussi le seul d'où l'esprit puisse contempler l'Univers dans son ineffable harmonie ; le seul d'où il peut rétablir « l'Ordre dans le Chaos ».


Publié dans le PVI N° 23 et 24 - 4éme trimestre 1976   Abonner-vous à PVI : Cliquez ici

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