GLDF | Revue : Points de Vue Initiatiques | 4T/1976 |
Les Vierges noires d’Auvergne DE LA VIERGE A ISIS L'Eglise,
dans son
ensemble s'est toujours désintéressée
de la question des vierges noires.
Qu'elles soient noires ou de toute autre couleur ; qu'elles tiennent un
enfant
sur les genoux ou sur les bras, ou qu'elles aient les mains libres ;
qu'elles
soient d'une indiscutable antiquité, ou au
contraire, qu'elles soient très
récentes, telle Notre-Dame de Lourdes, les effigies de la
Vierge représentent
la Mère de Jésus. Le symbolisme en fut
défini une fois pour toutes et
présenté
comme événement historique, sans plus
d'explication à l'adoration des foules. L'Initié
ne saurait
cependant se contenter de ces définitions primaires.
D'autant que le dogme de
la Vierge Marie apparaît assez tardivement dans le
Christianisme ; et l'on peut
remarquer que le nom de la Vierge ne prend forme que dans un seul
passage du
livre des Apôtres (1-14) lequel livre fut
rédigé vraisemblablement entre 50 et
70 après la Crucifixion. Les traditions sur la Vierge Marie
n'ont été arrêtées
qu'au VIIe siècle, et les livres sur lesquels elles
s'appuient sont tenus pour
apocryphes par l'Eglise qui n'y prend et considère comme
authentiques que les chapitres
dont elle a besoin. En
fait, il faudra
attendre saint Bernard 1091-1153 pour voir le culte marial se
développer.
Michelet parlant des XIIe et XIIIe siècles dira :
« C'était l'époque où la
Vierge envahissait presque tous les autels et tous les Temples
» et
Sainte-Beuve d'ajouter : « Au
Xlle siècle, Notre-Dame devint la
grande adoration, l'idéal chevaleresque et mystique du Moyen
Age ». Les 93
sermons de saint Bernard sur le « Cantique des Cantiques
» sont connus et ses
oeuvres mariales, dont « l'Aqueduc » le sont
autant. A partir de ce moment-là,
la mariologie ne fera que se développer et nul ne contestera
le culte
d'hyperdulie rendu à la Mère du Christ, la
Mère de Dieu, la Matri Deum. Mais
examinons d'un
peu plus près l'apparition de la Vierge dans le contexte
chrétien. Nous savons
bien qu'aux 365 Génies que la Kabbale sémitique
attribue à chacun des 365 jours
de l'année, le christianisme a superposé 365
Saints qui deviennent les Patrons
tutélaires de ceux qui portent leurs noms. Et nous savons
aussi que parmi ces
Saints certains ne sont autres que des appropriations pures et simples
de noms
de dieux de la mythologie grecque ou romaine. Ainsi Demeter
devient au
calendrier chrétien ; Sancti Demetrius. Et les
fêtes de Bacchus qui étaient : «
Festum Dyonisii Eleutherii Rusticii » deviennent
après la christianisation :
saint Denis, saint Eleuthère et saint Rustique. Nous
pourrons citer
encore de nombreux exemples de christianisation des antiques
religions.
Contentons-nous de citer la fête de la Naissance du Christ
qui après avoir été
commémorée à plusieurs dates de
l'année, le fut un temps au 21 mars date de
l'entrée du soleil dans le premier degré du
Bélier, puis fut enfin placée au 25
décembre où elle est demeurée,
s'appropriant ainsi le « Sol invictus » des
Romains, c'est-à-dire la nuit solsticiale où les
ombres s'étendent jusqu'à
extrême limite du possible et où
l'apparition du soleil est elle-même
réduite
au minimum. Mais c'est à partir de là que la
lumière grandit et vainc les
ombres de la nuit hivernale. Les
symboles se
superposent avec bonheur et il serait injuste et puéril de
reprocher au
Christianisme de s'être approprié les grands
symboles des religions qui
l'avaient précédé, car, ce faisant, il
renouait avec le symbolisme des grandes
religions de l'antiquité. Il ajoutait à
sa propre révélation les éternelles
vérités transmises depuis des
millénaires par les antiques religions. En un mot
il s'intégrait à la Tradition. Pourquoi
ce
préambule et ces digressions ? Simplement parce qu'il en fut
de même pour la
Vierge, dont le symbolisme est bien antérieur au
christianisme. On retrouve des
déesses-mères depuis le paléolithique
; citons la Vénus de Villendorf de type
aurignacien, celle
de Laussel,
celle de Lespugues parmi les plus connues. Egalement ce texte
d'Apulée dans ses
« Métamorphoses » XI-4 («
Atlantis » n° ). Je suis par
l'univers entier
adorée,
sous plusieurs formes avec des cérémonies
diverses, avec mille noms différents.
Les Phrygiens, premiers nés sur la terre, m'appellent la
déesse-mère de
Pessinonte, les Athéniens autochtones me nomment Minerve la
Crécopienne, chez
les habitants de l'île de Chypre, je suis Vénus de
Paphos, chez les Crétois
armés de l'arc, je suis Diane Dyctynna, chez les Siciliens
qui parlent trois
langues : Proserpine la Stygienne, chez les habitants d'Eleusis
l'antique
Cérès. Les uns m'appellent Junon, les autres
Bellone ; ceux-ci Hécate, ceux-là
la déesse de Rahmonte. Mais
ceux qui les
premiers sont éclairés par les rayons du soleil
naissant, les peuples de
l'Ethiopie et de l'Asie et les Egyptiens puissants par leur
antique savoir, me
rendent mon véritable culte et m'appellent de mon vrai nom :
la Déesse « ISIS
». L'AUVERGNE CARREFOUR DU CELTISME ET DE L'ISLAMIl
semble que deux
courants convergent en France pour produire vers le XIIe
siècle ces
relativement nombreuses Vierges noires, dont l'Auvergne à
elle seule contient
environ un tiers. Le premier de ces courants est d'origine celtique.
Les
Gaulois se disaient descendus d'un dieu de la nuit et de la mort :
Dispater. C'est
pourquoi ils comptaient par nuit et non par jour. En outre ils
figuraient les «
Matronae » par trois femmes assises qui tenaient des fleurs
ou des fruits,
symbole de fécondité. Souvent aussi par une femme
tenant et allaitant un ou
deux enfants. Ils connaissaient donc le profond symbolisme
attaché à la
Vierge-Mère. De plus les druides nommaient Wouiwre une sorte
d'esprit de la
terre serpentant à travers le sol, tel un courant
tellurique. Ces Wouiwres
naissent des mouvements des eaux souterraines et des failles de terrain
qui ont
mis en contact des sols de natures différentes.
Elles
seraient la manifestation
même de la vie de la terre et source de fertilité.
Les régions volcaniques où
se manifeste par excellence l'action de ces courants sont d'ailleurs
des
régions extrêmement fécondes. C'est au
confluent de ces forces souterraines
que les druides élèvent leurs dolmens, le plus
souvent près d'une source
sacrée. Ces lieux sont particulièrement
bénéfiques. Les édifices religieux,
plus tard seront bâtis à l'emplacement de ces
dolmens gardant ainsi toute la
concentration de la force tellurique. C'est le cas notamment
de
Saint-Nectaire, d'Orcival. L'aspect
oriental
de certaines statuettes retrouvées les rangent sans
contestation possible dans
les représentations d'Isis. On les trouve enfouies dans des
cryptes profondes,
toujours au voisinage d'une source à l'eau
miraculeuse. Comme on le voit ce
type d'icône n'a pas le sens chrétien qu'on aurait
tendance à lui prêter, du
moins exotériquement. Isis,
nous dit
Fulcanelli, citant Bigarne, c'est dans la theogonie astronomique,
l'attribut de
la Vierge que plusieurs monuments bien antérieurs au
christianisme désignent
sous le nom de « Vierge paritura », la terre avant
sa fécondation et que les
rayons du soleil vont bientôt animer. Mais nous reverrons
tout cela dans un
instant. Le type même de ces Vierges noires est celle qui se
trouve à Chartres
qui en possède deux, dont l'une est
désignée par le vocable expressif «
Notre-Dame de sous terre ». Le
deuxième courant
pourrait être la pénétration arabe sous
le double aspect de l'invasion des
Sarrasins et des échanges qui ne manquèrent pas
d'intervenir lors des
croisades. Il est remarquable que toutes les Vierges noires
chrétiennes datent
des Xle et Xlle siècles qui voient aussi la construction des
églises, car en
moins de deux siècles le sol français pour ne
parler que de lui se couvre de
monuments d'architecture romane. Enfin ce sont ces deux mêmes
siècles qui
voient apparaître l'Alchimie en Occident, intimement
liée aux Vierges noires
et aux sculptures romanes, ce dont nous aurons l'occasion de reparler.
Il est
indispensable je crois, de signaler l'influence énorme que
purent avoir les
grandes villes universitaires de Tolède et de Cordoue, ainsi
que l'influence
culturelle du monde arabe sur les croisés. A part cela le
rôle des Bénédictins
n'est pas douteux et il a constitué essentiellement
à renouer les fils avec la
tradition celtique d'abord — de nombreuses études
ont été faites à ce sujet —
et avec le monde arabe ensuite, ainsi qu'il vient d'être dit. Il
y eut cependant
des statuettes d'Isis qui échappèrent
à la christianisation. Elles sont
infiniment plus rares que les Vierges noires proprement dites et sans
doute
conviendrait-il d'en rechercher la cause dans la haute
antiquité de ces
icônes. LES VIERGES AUVERGNATESL'Auvergne
fut
d'abord placée sous le signe de la terre et du feu. Le
volcanisme modela son
aspect physique que nous pouvons encore admirer de nos jours.
C'est bien là
l'action de la Wouiwre
entrevue il
y a un instant. Par équilibre les hommes qui s'y
fixèrent adoptèrent une
religion solaire au voisinage des sources. Est-ce cela l'explication de
la
parfaite harmonie des églises romanes qui
parsèment notre région ? — Nous y
trouvons réunis les quatre éléments de
la matière, mais aussi les trois données
métaphysiques qui forment dans leur ensemble les sept
parties de l'homme
primordial relié à son Créateur. Et
nous y trouvons
les Vierges auvergnates des Xlle et XIlle siècles qui
habitent ici. Elles sont,
soit dans leur attitude hiératique de la
présentation de l'enfant aux Mages, un
enfant sans âge, avec une tête d'adulte qui exprime
la présence du Divin. Elles
sont
parvenues jusqu'à nous sous deux aspects
différents gardant pour certains toute
leur signification emblématique. Elles
sont Vierges
en majesté, assises sur un trône et
présentant l'enfant à l'adoration des
fidèles ; ou elles sont Vierges guerrières,
souvent aussi appelées vierges
templières. Dans ce dernier cas elles apparaissent sous la
forme d'un triangle
équilatéral ou même
isocèle, construction pyramidale parfaite
profondément
enracinée sur terre comme une tour inviolable. Elles
élèvent vers le ciel leur
visage ovale ou arrondi, quelquefois enserré par le haume.
Leur tête crénelée
d'une couronne semblable à la Jérusalem
céleste que les soldats du Temple
entrevoyaient au cours de leurs longues épreuves. Quant
aux Vierges
en majesté, nous pouvons en parler plus longuement. D'abord
parce qu'elles sont
plus nombreuses et que leur vénération
déplaça des peuples de pélerins au
cours
des siècles. Ces
statues, au
point de vue œuvre d'art, sont d'une valeur aussi universelle que
celles de la
Grèce antique. Leur volume, leur construction, leur
architecture sont
infiniment élaborés en fonction de leur
signification profonde. Accord absolu
avec le temple qui les abrite, elles en ont la même structure. Tout
d'abord, leur
siège. Comme nous l'avons déjà
remarqué, c'est un trône, car cette Vierge est
reine. Parfois il est constitué d'une pierre cubique ;
parfois d'un siège
presque sans dossier nommé cathèdre. Ensuite, par
le jeu du plissé de la robe,
le regard s'élève en suivant un savant
étagement jusqu'à la tête de la Vierge
qui est tantôt parfaitement arrondie, dans les cas des
Vierges templières, ou
tantôt plus allongée avec une expression de
Matrone, le regard fixé droit
devant soi dans le cas des Vierges en majesté. Les mains
sont démesurément
grandes et l'enfant tenu dans le giron de sa mère est sans
âge, intemporel,
comme le principe lui-même. Notre-Dame
du
Puy. La
Vierge noire du
Puy vit s'agenouiller cinq papes et quatorze rois. Sur le mont Anis
s'élève une
cathédrale dont le style est fortement influencé
par le type d'architecture
arabe. Dès les premiers siècles, il fut
un centre marial important, sans qu'il
soit possible de donner de précisions, car
symbolisme celtique et symbolisme
chrétien s'entremêlent. Nous ignorons donc s'il y
avait à l'origine une statue
de la Vierge ou simplement un lieu voué à Marie,
mais sans représentation,
comme cela fut longtemps avant la statuaire. La Vierge noire est en
tout cas la
première image de Marie
vénérée là-bas, dont nous
ayons conservé le souvenir.
Ce n'est qu'à l'époque de son installation
à la fin du Xle siècle que le
pélerinage prend sa véritable ampleur. D'autant
qu'il est situé sur une des
grandes routes menant à Compostelle. En 1950 Le Puy
reçut le titre d'université
Saint Mayol, du nom du vénérable abbé
de Cluny qui y avait séjourné longtemps.
Il mourut dans la petite ville de Souvigny dans le Bourbonnais durant
son
retour. Ses reliques y sont conservées et
vénérées une fois l'an. Tout porte
à
croire qu'après Compostelle, Le Puy fut le point
où apparaît le mieux et très
tôt cette connivence des deux peuples en guerre : les
Sarrasins et les Francs.
La cathédrale elle-même en est la proclamation. La
statue actuelle, bien que
noire est peu intéressante. L'original,
détruit à la révolution est cependant
connu par les documents de Faujas de Saint-Fons (1777). C'est de cette
représentation
dont nous parlerons. Le
prophète Jérémie
aurait lui-même sculpté la statue. Elle serait
ensuite passée dans les trésors
du Grand Soudan de Babylone, puis parvenu chez un souverain
d'Egypte qui
aurait accepté de s'en dessaisir au profit de Saint. Louis.
Tradition tenace
chère aux habitants du Velay, mais dont les aspects
merveilleux semblent bien
exclure toute vraisemblance historique. Il
ne fut retrouvé
aucune charte ou document quelconque pouvant accompagner une donation
d'une
telle valeur. D'autre part, il semble bien à l'examen
d'anciennes chroniques
que la statue était vénérée
bien avant la venue de Saint Louis, certainement au
Xlle siècle. Cette
légende
s'inscrit dans le cadre de l'environnement « Egyptien
» dont furent
délibérément entourées
toutes les Vierges noires. Il est à noter cependant
qu'il n'y a rien de commun, au point de vue archéologique
entre la Vierge noire
du Puy et les effigies d'Isis que nous pouvons admirer dans les grands
musées.
Il s'agit en fait d'une statue reliquaire romane auvergnate. C'est une
majesté
romane noire, mais d'un modèle plus ancien, plus
primitif et, si l'on veut,
moins réussi que celles qui nous sont
conservées à Marsat, à
Orcival et même à
Moulins. Le
côté oriental et
égyptien y est ici plus accentué que partout
ailleurs dans les traits et
l'expression ; et il paraît qu'une
mystérieuse pierre garnie d'hiéroglyphes
s'échappa sans doute d'une cavité
aménagée dans la statue lorsqu'elle fut
brûlée par les
révolutionnaires. Ses vêtements et ses
ornements comportent les
trois couleurs initiatiques : bleu, blanc et rouge auxquelles s'ajoute
l'or,
but enfin de l'Œuvre.
Le tout
était peint à la détrempe sur un
marouflage fait de plusieurs bandelettes de
toile étroitement collées l'une à
l'autre. La couronne porte un oiseau blanc à
son sommet et la robe est constellée de cercles et de
langues de feu qui
viennent encore accentuer l'aspect solaire des cercles. La robe de
l'enfant
porte des croix dont certaines sont inscrites dans des cercles. La
statue offerte
présentement à l'adoration des fidèles
est donc assez récente. C'est aussi une
Vierge noire de forme triangulaire ou conique car elle est
vêtue d'un manteau
qui descend en s'élargissant jusqu'à ses pieds.
Ce manteau est décoré de
pampres de vigne et d'épis de blé, symbole
eucharistique sans doute mais aussi
symbole alchimique de fécondité d'abord, puis
ayant un certain rapport avec le
Sel philosophique. Marsat
: la
Reine des Vierges noires d'Auvergne. La
statue fut
placée là au Xlle siècle probablement
par les moines bénédictins de Mozac. Une
légende, bien entendu, s'attache à ce modeste
sanctuaire. C'est Grégoire de
Tours qui en fait état dans son « De gloria
Martyrum ». Le récit remonte au Vle
siècle, il ne mentionne pas de statue, mais fait
état de reliques, sans doute
un fragment de la ceinture de la Vierge contenu dans une figure
d'argent. L'une
et l'autre ont disparu à la révolution sans
laisser de trace. Une
coutume
immémoriale voulait que chaque année, les
habitants de Riom offrent une légère
roue de bois sur laquelle s'enroulait cent et cent fois,
replié sur lui-même un
cordon de cire blanche garni de fleurs. Cette roue était
portée en procession à
Marsat et, à l'entrée de la paroisse, d'abord
déposée sur deux pierres avant
d'être suspendue devant la statue. Au
Moyen Age, une
confrérie de la roue de cire fut créée
et cette pratique s'est perpétuée, bien
que le sens original en ait été perdu.
Là encore l'allusion alchimique est
flagrante. Il ne peut s'agir que du « feu de roue »
symbolisé encore par l' «
Ourouboros » — le serpent qui se mord la queue
—. C'est ce feu égal et continu,
comme la rotation de la roue sur son essieu qui du début
à la fin de l’Œuvre assure la coction des mixtes. Nous
ignorons si la roue était allumée, mais cette
pratique correspondait exactement
à l'offrande de la roue de lumière que nous
trouvons notamment à Moulins.
L'idée d'enroulement de la cire accentue encore
l'idée de roue en mouvement. Du
reste, au Moyen
Age, dans toutes les calamités publiques, les
fidèles faisaient brûler une roue
de lumière, une roue de feu, et le liturgiste Jean Beleth
note encore qu'au
Xlle siècle, on promenait « outre brandons et
torches » une roue ardente. Quant
à la statue,
c'est une Vierge noire en majesté, mais bardée de
cuivre. N'est-elle pas la
femme vêtue de soleil dont parle l'Apocalypse, puisqu'elle a
pénétré les abîmes
de la divine Sagesse, elle nous apparaît donc comme
immergée dans l'inaccessible
Lumière. Elle est assise sur un cathèdre et
présente son enfant qu'elle tient
dans son giron. La forme en est parfaite,
l'élégance des proportions, la
finesse aristocratique des traits de cette véritable Reine
noire contraste avec
l'humilité de l'église qui l'abrite. La
source, non
plus, n'est pas absente, puisque c'est près de là
que jaillissent naturellement
les eaux dites de Volvic. Comme on le voit le symbolisme est complet. Clermont-Ferrand
: Notre-Dame du Port. A
Clermont-Ferrand,
l'actuelle Vierge noire est une réplique
extrêmement libre exécutée vers le
XVIle siècle et qui n'offre aucune ressemblance avec
l'original qui datait sans
doute du Xe ou Xle siècles. C'est vers le XIe
siècle que Saint Avit fit
construire une église dédiée
à Notre-Dame en un lieu appelé de tout temps : le
Port, qui était, à n'en pas douter le lieu le
plus saint de la ville de
Clermont — le Mont clair. La
statue actuelle
est une Vierge dite de tendresse, alors que l'original était
une Majesté, tout
comme les précédentes. Le modèle s'en
trouve sculpté sur le linteau du portail
sud dans une représentation de l'adoration des
Mages. L'ancienne,
comme
la nouvelle furent toujours exposées dans la crypte,
à
côté d'un puits sacré,
ce qui est encore un élément de religion
celtique. La
crypte du grec Kouttos
est la partie cachée de l'édifice ce qui vient
encore
affirmer le caractère
occulte de Vierge noire. Elle fut, d'après Saillens,
trouvée dans un puits
sacré bien avant la construction de l'église.
Elle
était alors barbouillée de
rouge, mais il n'est pas hasardeux de penser que d'autres effigies
antérieures
au Xe siècle étaient
vénérées au
lieu même où fut érigée la
statue,
c'est-à-dire au Port. On
peut également
noter qu'à Dijon, une autre Vierge, noire de figure,
rougeâtre de vêtements se
nomme Notre-Dame de l'Apport. La
souterraine du
Port de Clermont reçut comme Notre-Dame du Puy, la visite de
plusieurs Papes et
Rois de France et parmi les foules considérables de
pélerins, de très nombreux
« coquillards » pour qui ce sanctuaire
était de tout premier ordre sur la route
de Compostelle. Vassivière
et
Besse : la Dévalade. C'est
à 1 300
mètres d'altitude, sur les contreforts du Sancy que nous
nous rendons
maintenant, dans l'humble site de Vassivière, avec
ses quelques maisons, son
église et sa « Champelloune ». Pélerinage
très
ancien, Vassivière est un lieu où souffle
l'Esprit, un de ces endroits où pour
des raisons sans doute connues des Druides, l'âme et le corps
éprouvaient les
radiations de forces subtiles et bienfaisantes. Plusieurs Papes ont
autrefois
recommandé le pèlerinage de
Vassivière, pour obtenir la libération du
péché.
C'était le pèlerinage des pauvres, de ceux qui ne
pouvaient se rendre ni à
Rome, ni à Jérusalem, ni à
Compostelle. Les anciens documents attribuent
d'ailleurs à la Vierge noire de nombreux miracles
dont, encore une fois, les
principaux étaient la résurrection des enfants
mort-nés jusqu'au baptême. L'origine
du nom
doit être celtique et, sans doute, y avait-il là
un culte Gaulois. Lorsqu'au
XVIe siècle on creusa pour faire les fondations de la
« Champelloune » on
trouva à côté de la statue une source
d'eau vive. Aussitôt les pèlerins lui
attribuèrent un caractère sacré et
miraculeux et aujourd'hui encore, les femmes
y jettent des piécettes de monnaie suivant une coutume qui
se perd dans la nuit
des temps. On
ne connaît
pratiquement rien de Vassivière avant le XVIe
siècle, mais il est possible
qu'autrefois ce fut un bourg assez peuplé. En
1321 Bernard
VIII de Latour donna la permission aux chanoines de la
cathédrale de Clermont
de prendre les pierres de l'église de Vassivière
pour bâtir l'église de Condat
dans le Cantal. Ce qui prouve bien qu'il y avait sur ces hauteurs une
agglomération et une église assez importante. La
statue actuelle
ne date que de 1808. C'est une copie réalisée
quinze ans après la destruction
de l'original. Si la Vierge est toujours
représentée en majesté, l'artisan n'a
sans doute pas reproduit toute la noblesse des traits et l'harmonie des
formes.
L'effigie ne séjourne que quelques mois à
Vassivière, le reste du temps elle
séjourne dans l'église de Besse-en-Chandesse. Et,
tant sa montée que sa «
dévalade » donnent lieu à des
cérémonies pittoresques. La
montée de la statue
a lieu le 2 juillet fête de la Visitation. C'est le jour
où Marie rendit visite
à sa cousine Elisabeth. Tôt le matin, la
procession gravit la route de huit
kilomètres, puis le chemin de croix et entonne le Salve
Regina devant la Champelloune
et la messe y est célébrée. Le
dimanche suivant
l'Assomption, la Saint-Louis, et la fête de la
nativité de la Vierge sont des
pèlerinages encore très
fréquentés. Le 21 septembre, quand vient le
froid,
c'est la « dévalade » et l'effigie
réintègre l'église de Besse. Cette
procession s'accompagne de coups de fusils et de feux de Bengale
tirés dans les
fermes des environs... Cela n'est pas sans rappeler les roues de
lumière ou de
feu. Ici, le Verbe animateur est présent sous ses deux
modalités, la lumière
et le son. Mauriac
(Cantal). Nous
rendant à
Mauriac, nous trouvons une Vierge debout de 1 m 14 de hauteur portant
l'enfant
sur son bras. Elle fut sculptée au XIXe siècle et
remplace l'authentique Vierge
noire assise en majesté qui datait du Xle ou
peut-être du Xe siècle. D'après
les
anciennes descriptions cette statue était bien en
majesté, tenant l'enfant en
son giron, orientale d'expression, que certains chroniqueurs
comparaient tantôt
à la Vierge de Marsat, à cause du voile couvrant
en partie ses cheveux et
tantôt à Notre- Dame du Puy pour son allure
égyptienne. Peut-être un jour,
rendra- t-on à la Vierge noire de Mauriac son
véritable aspect en la restaurant
dans son attitude première. Comme
toutes les
Vierges noires celle-ci est aussi une Vierge miraculeuse qui passe pour
avoir
une action bienfaisante sur les captifs. C'est ainsi que deux
Auvergnats
prisonniers des Arabes en Espagne se retrouvèrent, bien que
chargés de chaînes,
endormis devant l'église de Mauriac. La
statue aurait
été trouvée par une petite fille de
Clovis Théodechilde. Attirée par une
lumière, la princesse trouva dans une clairière
une grande table de marbre
portant une « vive chandelle » et une statuette le
tout gardé par une lionne et
ses lionceaux, d'abord farouches, puis bienveillants qui la lui
laissèrent
emporter. Egliseneuve-d'Entraigues. La
chapelle de la
Font-Sainte — nous retrouvons encore ici l'idée de
fontaine sacrée — fut fondée
au Xlle siècle. Près
du village il
y a un petit oratoire où l'on honore la Sainte Vierge. La
tradition rapporte
que cet oratoire avait succédé à un
vieil arbre dans le tronc duquel se
trouvait primitivement la statue de la Vierge, noire aujourd'hui.
« L'arbre
étant mort et fort vétuste », on
construisit le petit sanctuaire, au même
endroit à côté de la fontaine
à l'eau miraculeuse. Eau sacrée,
Lumière ou Verbe
se retrouvent constamment auprès de ces statues, rappelant
cette Eau Ignée
mystérieuse et chère aux Alchimistes. Riom. A
Riom, Notre-Dame
du Marthuret est justement fière de sa Vierge à
l'oiseau adossée au pilier de
la porte. Mais ce chef-d'œuvre possède une Vierge noire
qui ne remonte pas
au-delà du XVIIe siècle, mais dont le prototype,
d'après le nom de l'église
devait être fort ancien, car nous croyons qu'il est assez
difficile d'admettre,
comme le font certains, que la statue fut trouvée par un
laboureur du nom de
Marc Thuret ou qu'elle fut découverte dans une mare
à Thuret. A la révolution,
l'image fut sauvée par les bouchers de la ville et nous
retrouverons aussi à
Murat les bouchers associés à l'image noire. Notre-Dame
des
Oliviers à Murat. A
Murat l'image de
la Vierge est en bois d'olivier. On l'appelle du reste, Notre-Dame des
Oliviers. Elle est fêtée le jour de la Chandeleur.
Elle est alors habillée de
vert ainsi que ses cierges verts pour accompagner la Vierge noire.
N'oublions
pas que le vert est la couleur initiatique puisqu'elle est celle de la
Connaissance. Thuret. A
Thuret, c'est une
Vierge templière, ronde de visage et vêtue d'un
manteau triangulaire bleu
foncé. C'est une Vierge droite relativement tardive. Autour
de
l'Auvergne. A
Moulins, il
s'agit d'une Vierge droite. Statue reconstituée tardivement. Il
n'est pas
possible de citer toutes les Vierges noires de notre province, ce
serait
fastidieux. Citons donc, pour terminer : celle de Vichy, celle de
Cusset et la
tapisserie de Salers dans le Cantal où la Vierge et Saint
Joseph sont noirs et
l'enfant Jésus blanc... RELIGION ET ALCHIMIENous
avons fait un
tour rapide des principales Vierges noires. Nous avons
çà et là rencontré ces
légendes solaires qui toutes accompagnent l'obscure
déesse. Nous pourrions
aussi aller au-delà de ce site auvergnat si riche et si
tourmenté par les
forces telluriques et rencontrer tout au long des chemins de
Compostelle
d'autres Vierges noires. Toutes répondraient aux
mêmes descriptions, aux mêmes
caractéristiques. Il nous appartient donc pour conclure de
tenter de comprendre
et de déchiffrer le message secret qu'elles s'efforcent de
nous transmettre. * * * Sous
son aspect
théogonique, la Vierge noire c'est la substance
vierge primitive et
co-éternelle au Principe. Les Hindous la nomment la
Mulaprakriti. Ils disent
qu'elle est le voile insondable et incompréhensible
qui revêt à jamais l'éternel
mystère d9 ParaBhram. C'est ce vide abyssal
éternellement antérieur à la
création, qui contient en potentialité tous les
germes de toutes les formes de
vie passée, présente ou à venir et de
qui jaillira Dieu et les dieux. Dans
la Tradition
sémitique, il est dit qu'avant de créer, Dieu se
retire d'une partie de
lui-même. C'est le Tsim-Tsum. Il reste donc en face de lui,
si j'ose dire une
partie négative, nocturne, féminine, mais qui
contient elle aussi le germe de
toute création et que Dieu fécondera. Il en
naîtra le Flat Lux. On retrouve des
tradition analogues aussi bien en Chaldée qu'en
Amérique pré-Colombienne.
Toutes les légendes font allusion à une substance
primordiale, infinie de
pureté et vierge de toute éternité.
C'est notre Reine noire aux traits
hiératiques et intemporels qui tient dans son giron
l'éternel fruit de sa
vierge union. Mais
à un autre
stade, c'est la nature en attente de naturation, c'est
l'univers potentiel qui
contient toutes les virtualités et que le Verbe —
ou le Grand Architecte — va
appeler à la vie par fécondation de cette vierge
matrice. Enfin,
c'est la
Terre-mère avant sa fécondation par les rayons du
soleil. Elle est grosse, elle
aussi, de toutes les virtualités, de tout le possible
terrestre. Les épis de
blé et les pampres de vigne qui décorent la robe
de Notre-Dame du Puy sont sans
doute symbole eucharistique, mais ils sont aussi promesse de
fécondité. La
Vierge noire c'est dans ce cas la Vierge hivernale grosse de toutes les
promesses du printemps, avant que le soleil ne la vienne caresser de
ses chauds
rayons. Marie,
la Vierge
chrétienne, recoupe ésotériquement
toutes ces définitions : elle est mère de
Dieu, mais elle est aussi Vierge de fécondité
sous son double aspect cosmique
et terrestre et dans ce dernier cas elle est Diane, Cybèle,
Cérès ou Artémis.
Et l'habitude de réciter trois Ave vient sans doute de ces
trois Hypostases de
la Vierge divine. Il
reste encore une
autre forme de symbolisme, alchimique celui-là, car
l'alchimie est intimement
liée à la sculpture romane. Nous y retrouverons
tout ce qui vient d'être dit.
La Vierge noire représente la Materia prima avant sa
préparation pour l'Œuvre,
telle qu'elle est extraite de la mine. L'enfant Jésus tient
habituellement un
livre dans les mains ; s'il est fermé, il indique la
Matière brute. Mais à ce
stade, il serait erroné de croire qu'il s'agit
nécessairement d'une substance
noire. Sa noirceur est potentielle, elle est noire parce qu'elle sort
de la
mine. N'a-t-on pas vu, une Vierge noire, celle du Port à
Clermont, retirée d'un
puits, alors qu'elle est toute barbouillée de rouge ? A ce
point c'est la
Virgo-pariturae, celle qui va enfanter. Mais
il est
possible que le livre tenu par l'enfant soit ouvert. Ce
détail indique que la
Matière est prête pour l'Œuvre. Les dieux ou les
Alheim de la tradition
sémitique sont prêts pour la création.
C'est la nature cosmique en attente de
naturation. A
un stade plus
avancé de l'Œuvre, la Vierge noire indique ce que les
Alchimistes appellent :
« Le Corbeau «, la première couleur de l'Œuvre. Là, elle est vraiment la noire
Egyptienne. Je suis noire, mais je suis belle dit le Cantique des
Cantiques. A
ce point on dit de l'Œuvre qu'il est la terre d'Egypte ou la Terre
d'Ethiopie. Ce
qui vient nous
confirmer dans cette définition alchimique c'est que
plusieurs Vierges sont
polychromes. La figure et les mains sont noires mais les
vêtements sont blancs
et rouges avec des éléments dorés.
Nous avons là l'Œuvre complet : car après
le noir vient le blanc puis le rouge. Le doré c'est le
résultat de la
transmutation métallique, c'est l'or qui
parachève l'Œuvre. On l'appelle aussi
le « jugement dernier », car il est la preuve que
l'Alchimiste a bien l'œuvré. On
peut même
ajouter la forme triangulaire du manteau de certaines Vierges : Thuret,
Le Puy.
Ce triangle symbolise la flamme donc le feu et voire même
l'agent igné. Mais l'Œuvre au
plan chimique ne se distinguerait en rien d'une expérience
de laboratoire, s'il
ne se doublait constamment d'une œuvre au plan humain. Et
là nous rejoignons
encore les sermons sur le Cantique des Cantiques de Bernard Clairvaux.
Celle
qui, dans le secret profond de sa nature dit : « Je suis
noire, fille de
Jérusalem, mais je suis belle », c'est
l'âme qui s'ouvre par le haut à l'action
des forces divines et celle-là aussi est une
VirgoPariturae, car elle est
grosse d'un enfant qui est l'homme à venir, l'homme
à renaître quand le vieil
homme aura fait place et disparu complètement. Car l'homme
est un « microcosme
» et c'est en lui seul que peut advenir le règne
de l'Esprit. * * * Vierges Romanes. Zodiaque. L'énigme des Vierges noires. Jacques Huynen (R. Laffont). L'Art et l'Homme, René Huyghe, t. 1 (Larousse). Nos Vierges noires. Emile Saillens (Les Editions universelles, 1945). Atlantis. Le Mystère des Cathédrales. Fulcanelli. L'Art gaulois. Zodiaque. Initiation à la Symbolique romane. Marie-Madeleine Davy (La Combe). |
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