GLDF Revue : Points de Vue Initiatiques 4T/1976

La Loi

La Grande Loge de France vient de terminer les travaux de son Convent, Assemblée générale annuelle.

On a beaucoup parlé et écrit sur la Franc-Maçonnerie ces jours derniers et nombre d'informations contradictoires ont été diffusées.


N'a-t-on pas entendu récemment un respectable prélat, parlant à la foule du haut d'une chaire improvisée, reprendre les légendes dérisoires des Francs- Maçons profanateurs d'hosties consacrées et organisateurs de messes noires, nous ramenant à l'époque du Père Dupanloup, de Léo Taxil et de l'abbé Barruel !


Revenons à la réalité.

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Dans son aspect existentiel, la Franc-Maçonnerie est une fraternité uni­verselle de huit à dix millions d'hommes répandus sur la surface de la Terre. Des hommes de toutes races, de toutes couleurs, de toutes conditions et de toutes religions, de toutes opinions philosophiques et politiques qui sont unis par un même idéal de paix, de liberté et de fraternité.

Cette confrérie trouve son origine dans les collèges de bâtisseurs de l'antiquité et dans les loges de Maçons Francs du Moyen Age.


A cette époque, exercer un métier était un privilège. Chaque profession était enfermée dans un carcan rigide de règles immuables et gouvernée par une corporation draconienne. On ne pouvait y entrer sans être présenté par un de ses maîtres, payer un droit d'admission fort onéreux et acquitter une patente très lourde appelée le cens.


Les corporations avaient une fois pour toutes fixé leurs effectifs et il n'était pas possible d'entreprendre l'exercice de la profession que l'on avait choisie si ce numerus clausus était atteint.


En face de ces organisations professionnelles étouffantes, il existait quel­ques « métiers francs » qui ne connaissaient aucune limitation du nombre de leurs membres et où quiconque pouvait entrer à condition d'être libre et de bonnes mœurs, et d'avoir satisfait à un examen prouvant sa qualifica­tion.


Parmi ces métiers francs, celui des Maçons était le plus fameux et le plus prestigieux.


Il était né au douzième siècle sur le territoire des Commanderies de Templiers en Palestine et dans les monastères de Bénédictins, les uns et les autres s'étant voués à l'art de la construction et ayant conféré la franchise aux Maçons qui travaillaient pour eux.


Le noyau fondamental de la Franc-Maçonnerie était la Loge qui se fondait sous la direction du maître architecte sur chacun des chantiers de construc­tion.


Chaque Loge constituait un groupement fraternel où les Maçons se retrouvaient pour dire leurs prières, examiner les plans, se partager le travail et percevoir leur salaire.


Mais dans les Loges, on faisait plus encore : on se transmettait mutuel­lement tout le savoir que l'on possédait. Les Loges étaient une espèce d'université où le recyclage professionnel s'effectuait continuellement, où étaient communiqués non seulement les secrets et les tourne-mains des différents corps de la construction, mais encore toutes les sciences humaines et les arts libéraux.


On y étudiait la science des sciences, la géométrie par laquelle le monde fut agencé mais aussi la musique et la poésie, la littérature et la philosophie, la médecine et la chirurgie, l'astronomie et la chimie.


Si bien que cet abri temporaire des maçons du chantier devenait rapide­ment à la fois un foyer de science, d'enseignement mutuel et d'amour fraternel.

Comment n'aurait-il pas attiré à lui des nobles, des clercs et des roturiers désireux de s'instruire et d'orner leur esprit ?
C'est bien ce qui arriva !
Dès le XV* siècle, de nombreux non-maçons furent admis dans les Loges en qualité de membres acceptés et ces Loges, de provisoires, devinrent per­manentes, et d'opératives devinrent spéculatives. Elles prirent désormais le titre de « Loges de Maçons Francs, anciens et acceptés ».
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Au XVIII° siècle, ces sociétés de pensées, animées par les savants, les philosophes, les musiciens et les poètes sentirent le besoin de nouer entre elles des liens organiques destinés à remplacer ceux qui résultaient autrefois de l'exercice d'un métier commun et du passage des compagnons d'un chantier à l'autre.

C'est ainsi que se constituèrent les Grandes Loges qui, dans chaque Etat, fédèrent sous leur juridiction les Loges de leur pays. Chacune assure ainsi en toute souveraineté et indépendance la perpétuation et la préservation de la tradition maçonnique.


La Grande Loge de France est l'une de ces puissances maçonniques natio­nales. Elle groupe dans son sein trois cents Loges de Maçons Francs, anciens et acceptés, pratiquant le rite écossais, un rite chevaleresque d'origine française, exporté en Ecosse et réimporté chez nous au XVII° siècle lors de l'exil des Stuarts.

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Mais, direz-vous, à quoi correspond aujourd'hui cette survivance d'une organisation professionnelle disparue 7

Pour répondre à cette question, il nous faut examiner non plus l'aspect existentiel mais l'aspect essentiel de l'Ordre Maçonnique.


Vue sous cet angle, la Franc-Maçonnerie universelle est un Ordre initia­tique traditionnel. Plus simplement nous dirons que c'est une méthode, méthode de conquête de la liberté par la connaissance, méthode d'acquisi­tion de la connaissance par le travail.


Nous ne sommes des hommes que parce que nous sommes des singes doués de mémoire et de compréhension.


Je veux dire par là que nous édifions notre personnalité beaucoup plus par l'imitation que par la réflexion, beaucoup plus par l'enseignement que par l'invention.


Nous venons au monde chargés d'un patrimoine génétique et d'un certain nombre de tendances que l'on appelle communément l'inconscient collectif.


Vite nous ouvrons nos yeux et nos oreilles sur ce qui nous entoure. C'est par imitation que nous apprenons à marcher, à parler, à nous nourrir, à nous vêtir et même à raisonner.


De même que nous développons notre corps à l'aide de la nourriture empruntée au monde extérieur, nous remplissons notre esprit d'images et d'idées perçues par nos sens et classées dans notre mémoire.


Ce n'est que dans l'agencement de ces images et de ces idées qu'inter­vient notre libre arbitre, à condition toutefois que nous fournissions un constant effort de contrôle et d'examen.


Un jour vient où nous nous apercevons qu'à force d'accumuler des trésors matériels ou intellectuels, nous avons oublié de nous découvrir nous-mêmes.


Nous éprouvons le besoin de faire l'inventaire et le tri des idées reçues, de nous réaliser autrement qu'en apparence, de rejeter ce qui peut s'avérer fallacieux, de retrouver notre pureté originelle et de reconstruire notre personnalité non en obéissant au hasard, mais par l'effort de notre volonté raisonnable.


La méthode maçonnique nous en fournit le moyen.

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L'initiation pratiquée dans la Loge, dans un premier temps, incite l'initié à dépouiller le Vieil homme chargé de préjugés et de notions préfabriquées. C'est le travail de l'apprenti.

Dans un deuxième temps, le maçon, devenu compagnon, va partir à la découverte de son moi profond et à l'analyse de sa personnalité réelle.


Enfin, dans une troisième étape qui ne finit jamais, le maître maçon part à la redécouverte du monde. Mais alors que dans son existence antérieure il y vivait comme un étranger parmi des éléments hostiles obéissant à des lois inconnues, il va y vivre comme un membre de la famille, grâce à sa connaissance de la Loi Cosmique, heureux et libre, parmi des éléments désormais complices, parce que devenus familiers.


L'initiation maçonnique ne tend en vérité qu'à la connaissance de la loi universelle qui commande aux phénomènes de ce qu'on appelle communé­ment esprit, comme à ceux de ce qu'on appelle communément matière en vertu d'un vieux distinguo scolastique et arbitraire.

Cette loi universelle facteur d'équilibre, d'harmonie, de force et de beauté, nous l'appelons Grand Architecte de l'Univers. Nous ne lui conférons bien entendu aucune forme anthropomorphique ni aucun autre attribut que d'être la Loi.

Cette Loi, tous la subissent les uns, Ignorants, dans la contrainte, la
révolte et la souffrance ; les autres, initiés, dans la connaissance, la parti­cipation et l'amour.

On ne se sauve pas de la noyade en nageant contre le courant, mals en utilisant le courant. On ne s'élève pas dans l'atmosphère en combattant les lois de la pesanteur mais en les épousant.

Seule cette maîtrise est susceptible de conférer la liberté à laquelle aspirent tous les humains et que beaucoup cherchent à l'extérieur alors qu'elle se conquiert de l'intérieur.

Mais comme il n'existe pas de liberté sans responsabilité, le maître maçon connaît très exactement ses devoirs.


Le premier des engagements qu'il contracte est de respecter la loi morale et de l'accomplir.


La seconde de ses obligations l'oblige à se respecter lui-même et à travailler au perfectionnement constant de son temple Intérieur.


Son troisième et non moins impérieux devoir consiste à respecter et à aimer son prochain, non seulement en s'abstenant de lui faire mal, mais surtout en l'aidant à se réaliser et à s'épanouir, comme il le fait lui-même dans la liberté et dans l'équilibre.


Ainsi le maître maçon ne travaille pas dans un but égoïste mais il est, de par sa condition, requis de travailler à l'amélioration morale et matérielle de l'humanité.


C'est bien la raison pour laquelle tous les systèmes d'oppression poli­tique, morale ou intellectuelle combattent la Franc-Maçonnerie en qui ils reconnaissent leur ennemi juré.


Les bûchers, les prisons et les camps de concentration ont, à toutes les époques, tenté d'étouffer le mouvement d'émancipation et de progrès que représente l'Ordre maçonnique.


Mais il s'est toujours trouvé et il se trouve encore des hommes coura­geux et responsables pour continuer notre combat.


Parce que le franc-maçon a confiance en lui-même, parce qu'il s'appuie sur une tradition authentique, parce qu'il assume sa mission et qu'il en accepte les risques, il est porteur de la lumière.


Homme libéré de la crainte et de la servitude humaine, il est, dans le monde des êtres, des idées et des choses, facteur de liberté et d'harmonie, d'ordre et de progrès, de solidarité et d'amour.


SEPTEMBRE 1976

Publié dans le PVI N° 23 et 24 - 4éme trimestre 1976   Abonner-vous à PVI : Cliquez ici

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