GLDF Revue : Points de Vue Initiatiques 4T/1976

Balzac et la Franc-Maçonnerie

Balzac et la Franc-Maçonnerie. Oui est Balzac et pourquoi la Franc-Maçon­nerie ?

« Si vous voulez avoir le portrait de votre serviteur au daguerréotype, vous n'avez qu'à dire un mot, vous le recevrez dans une lettre à Pétersbourg. Je reviens de chez le daguerréotypeur, et je suis ébaubi de la perfection avec laquelle agit la lumière... Ce qui est admirable, c'est la vérité, la précision. » C'est en effet ce qu'écrivait Balzac à Mme Hanska, sa future femme.

Le daguerréotype, vous le savez, est le premier procédé photographique, imaginé par Daguerre en 1839. Ce daguerréotype qui se trouve actuellement à la maison de Balzac, 47, rue Raynouard à Paris, nous transmet la première photographie de Balzac et par conséquent son image la plus fidèle.

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On ne peut s'empêcher d'être surpris en voyant la pose que Balzac a prise — volontairement sans aucun doute — la chemise entrouverte, portant rituelle­ment sa main droite sur son coeur comme une signification ésotérique.

Honoré de Balzac était-il Franc-Maçon ?

Lorsqu'il voit le jour le 20 mai 1799 à Tours, Balzac se trouve être fils et petit-fils de Francs-Maçons.

En effet son père Bernard-François Balzac, adjoint au maire, administrateur d'un établissement de bienfaisance de la ville, appartient à la loge « La Parfaite Union » à l'Orient de Tours.

Sa mère Anne-Laure Sallambier est la fille de Joseph Sallambier, directeur général de la Régie des Hospices de Paris, qui lui, est affilié à la Loge « L'Océan Français » à l'Orient de Paris.

Honoré de Balzac est donc fils et petit-fils de maçons.

Mme Balzac, très préoccupée d'idées mystiques possédait toutes les oeuvres de saint Martin, de Swedenborg et de Jacob Boehm que leur fils dévore avec avidité, dès son plus jeune âge.

Le père lui, est disciple des encyclopédistes, ami des lumières et du progrès, épris de liberté, mais partisan de l'ordre, quelque peu idéologue mais aussi homme d'action, d'esprit pratique et concret.

En bon maçon, il s'intéresse à tout ce qui peut toucher au sort de l'huma­nité, à tous les grands problèmes de sociologie. Il écrit du reste différents traités qui, à l'époque, font autorité.

Outre son père et son grand-père, de très nombreux parents et amis de la famille Balzac appartiennent à notre Ordre.

C'est pourquoi Honoré a été élevé dans un milieu essentiellement maçon­nique. Il est donc évident que ce climat ne peut que lui donner une tournure d'esprit, un caractère, une optique de la vie, un comportement, un idéal maçonniques.

Faire de Balzac une espèce d'appareil enregistreur, ne voir en lui qu'un auteur réaliste et documentaire, voilà d'après moi une légende qui n'a pu être inventée et transmise que par des gens qui n'ont jamais pris la peine — ou plutôt la joie — de prolonger leur lecture balzacienne de livre en livre. Ils n'auraient pu manquer sinon de s'interroger sur l'envoûtement particulier auquel se trouve irrésistiblement soumis le vrai liseur de Balzac. Chaque fois qu'on a tenté d'expliquer la création balzacienne en s'adressant seulement à la psychologie ou à l'esthétique, vous pouvez être sûrs qu'on n'a fait que donner de Balzac, une image fausse et caricaturale. En effet, si l'on veut vraiment saisir l'homme et son activité créatrice, il faut commencer par lire ses études philosophiques, Or c'est précisément ces romans là que les lecteurs de Balzac ont tendance à ignorer ou laisser de côté.

On sait que Balzac mettait ses romans philosophiques dont les deux plus importants sont Séraphita et Louis Lambert, bien au-dessus de tous ses autres ouvrages — « Ce sont des livres que je fais pour moi et pour quelquesuns », écrit-il à Mme Hanska. Ces quelques mots expriment clairement que Balzac voit et veut faire entrevoir à quelques initiés l'idéal profond qui anima toute son oeuvre.

Ce qui caractérise bien Balzac et qui me semble fidèle à notre conception maçonnique, c'est qu'il s'intéresse à la fois à ce qu'il y a de plus ancien et ce qu'il y a de plus nouveau, aux découvertes de la science moderne comme à toutes les traditions ésotériques. Car il n'y a pour lui qu'une vérité unique, sujette à mille métamorphoses, un seul verbe originel dispersé aux quatre vents de l'histoire et exprimant la même chose sous mille symboles différents. C'est que toute vision du monde est en même temps une symbolique. Balzac découvre dans tous les phénomènes de la nature des relations de toutes sortes qu'il interprète symboliquement, comme il interprète symboliquement tous les rites, les cultes, les mythes, les mystères des religions et les créations de l'art.

C'est ainsi qu'il a pu écrire : « Aujourd'hui, les hiéroglyphes ne sont plus gravés sur les marbres d'Egypte, mais dans les mythologies qui sont des verbes animés. »

Pour qui s'est familiarisé avec le monde de Balzac, les mythes symboli­ques surgissent à chaque pas soit que l'auteur attire son attention sur eux, soit qu'ils s'imposent d'eux-mêmes au lecteur. C'est Protée, le symbole de la force unique en perpétuelle transformation et en perpétuel déroulement. C'est Tantale, le symbole du désir épuisant de la vie. C'est l'histoire de Psyché, qui enseigne le prix du silence. C'est Orphée, le poète et le voyant, qui amène la vie à la lumière en l'arrachant au royaume des arbres. C'est la double nature de l'homme, inscrite dans le Janus bifrons et dans les Hermès à deux têtes. C'est la chimère et le sphinx : la beauté qui échappe à l'étreinte, et la sagesse qui échappe aux questions, précipitant dans les abîmes ses hardis prétendants.

A la symbolique des mythes vient se joindre la symbolique des couleurs, des plantes, des animaux.

Le talisman de la « Peau de chagrin » est un symbole tout comme la pierre philosophale, tout comme la sphère ou encore le rameau vert et la robe blanche dont parle Balzac dans les « Martyrs ignorés » — « Pour arriver dans le monde des morts, il faut avoir à la main le rameau vert et s'être revêtu de la robe blanche... C'est l'image qui peint l'état dans lequel un homme doit se mettre pour s'élever au-dessus des Formes et des Espèces. La robe blanche exprime la sobriété, la continence, la pureté qui prolongent la vie et entretiennent les forces toujours actives, toujours vertes. Le rameau est le symbole des avantages qui résultent de ces qualités, admirables fructifica­tions... »

Mais il y a plus : c'est la Comédie Humaine tout entière qui se trouve baignée dans une atmosphère de symbolisme poétique.

Balzac comme un bon et vrai maçon se bat contre la vaste et profonde nuit de l'inconnu, où baigne, pour lui, le peu de réalité distincte que nous livre notre perception habituelle. S'il s'épuise à noter les détails de l'existence courante ce n'est pas qu'il leur accorde en eux-mêmes une importance défini­tive ; c'est tout au contraire, qu'il cherche à les dépasser, comme s'il lul était nécessaire de les dénombrer d'abord, de fatiguer cette réalité en pesant sur elle avec insistance, jusqu'à ce que sa croûte durcie cède sous la pression et s'ouvre sur un arrière-plan qu'elle dissimulait. On peut décrire minutieusement les apparences de deux façons et dans deux intentions diverses : soit, à l'exemple des réalistes (qui pour cette raison, se sont trompés sur l'effort de Balzac) c'est-à-dire en admettant que les apparences sont toute la réalité et méritent ainsi d'être fidèlement reproduites ; soit comme Balzac le tente, parce que justement on ne vise qu'à disperser ces fantômes que sont les données sensibles, afin de parvenir à ce qu'elles dérobent à la vue. Balzac du reste confesse cette intention dans une phrase que j'ai retrouvée et où il dit bien : « Je veux arracher des mots au silence et des idées à la nuit ».

N'est-ce pas précisément ce que nous tentons inlassablement de faire dans nos loges maçonniques ?

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Mes chers Auditeurs, n'oublions pas que si l'observation exacte est une partie indispensable du talent, voire du génie, le véritable artiste, qu'il soit peintre, écrivain, dramaturge ou comédien, le grand artiste ne copie surtout pas le monde extérieur, mais commence par en replonger en lui-même les images afin que, dans l'ombre favorable de sa rêverie, elles s'organisent à nouveau, se combinent selon des associations différentes et composent ainsi une archi­tecture que déchiffrera la « seconde vue » dirai-je de l'artiste.

Chez Balzac, le monde des objets ou le monde des hommes, décrits jusqu'à un point tel que nous croyons bien les connaître, viennent de faire place à un autre monde, ou plutôt à un nouvel aspect qui, sans dépouiller la réalité commune de son existence, la charge soudain de signification. Ce qui se contentait d'exister ne cesse pas de le faire, mais devient quelque chose d'autre par surcroît : devient signe et symbole.

La lumière que Balzac perçoit et nous transmet, nous la trouvons dans cette humanité qu'il enfante et qui est une humanité toute tendue vers un acte créateur. Balzac a offert toute sa vie à la flamme dévorante de la création. Il a appartenu tout entier à l'humanité. Il s'est chargé de ses souffrances, il a partagé ses illusions, il a connu la fièvre de ses passions mais il y avait en lui tant de grandeur et de lucidité que la passion n'a pu ni l'amoindrir ni l'aveugler. Il a cherché toute sa vie la vérité et la réalité : réalité du cœur humain, réalité des choses, vérité du monde et des normes de la vie. Il ne s'est jamais perdu dans le chaos des instincts déchaînés. SI l'anarchie intel­lectuelle et sociale du XIX° siècle a été la sphère dans laquelle il a vécu et l'objet de son art, il ne s'est jamais laissé gagner par cette anarchie. Balzac, au rebours de nombre de ses confrères, ne s'est pas laissé égarer. Il embrasse tout l'humain, bien plus qu'un Flaubert ou Zola, mais il sait aussi qu'il y a une échelle immuable des valeurs humaines et que l'humain ne se laisse pas séparer du divin. Qu'il ait su, tout passionné qu'il était pour le monde moderne, conserver et défendre les valeurs objectives, me paraît être encore un des éléments de sa grandeur, de son tempérament de maçon. Je pense que l'union de l'objectivité et de la passion est l'essence même du Franc-Maçon. On peut dire alors que cette qualité s'applique de la façon la plus précise à Balzac.

Il a également cette puissance, cette force de concentration de la pensée — qui pour moi est le triomphe des grandes volontés, des belles organisations humaines — bref de la Franc-Maçonnerie.

L'homme qui a su prendre sur lui-même ce pouvoir est alors semblable à un émetteur d'énergie qui peut faire varier à son gré son intensité et l'utiliser là où il veut, pendant le temps qu'il veut. De là sa force dans les moments de crise, sa lucidité qui sait tout, qui tranche tout, de là aussi sa puissance sur les autres hommes, son rayonnement matériel : à la limite, la concentra­tion de la pensée explique pour moi, pour nous tous Francs-Maçons, le conduc­teur d'hommes, le Sérénissime Grand Maître de la Grande Loge de France.

Or Balzac a précisément ce que nous attendons tous d'un Grand Maçon, ce don unique, cettes puissance magnétiquement communicative » selon sa propre expression. Il possède jusqu'à un degré peu commun le don essentielle­ment « maçonnique » de communiquer, d'évoquer, d'animer, de mettre les âmes en contact.

OCTOBRE 1976


Publié dans le PVI N° 23 et 24 - 4éme trimestre 1976  -  Abonnez-vous : PVI c’est 8 numéros sur 2 ans

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