GLDF | Revue : Points de Vue Initiatiques | 4T/1976 |
Les Trois Grandes Lumières — « Lorsque vous reçûtes la lumière, qu'est-ce qui frappa votre vue ?— Une bible, une équerre, un compas. — Que vous dit-on qu'ils signifiaient ? — Les Trois Grandes Lumières de la Franc-Maçonnerie. » C'est ce que l'on
peut lire dans un vieux rituel de la Franc-Maçonnerie spéculative. En effet,
parmi tous les outils propres aux métiers des Francs- Maçons opératifs et parmi
tous ceux qui sont utilisés symboliquement au cours des travaux de nos Loges, dans
les cérémonies Maçonniques, l'équerre, le compas unis au volume de la Loi
Sacrée, occupent une place éminente, on peut même dire fondamentale. Conformément aux
traditions de l'Ordre, comme le dit la Déclaration de Principes de la GRANDE
LOGE DE FRANCE, trois grandes lumières sont placées sur l'autel des Loges :
l'Equerre, le Compas, le Livre de la Loi Sacrée. Mais pourquoi cette
équerre, et pourquoi ce Compas, pourquoi ce volume de la Loi Sacrée, placés sur
l'autel des serments de nos Loges ? Examinons successivement ces trois symboles
— Et d'abord, l'équerre. C'est un instrument fixe qui donne l'angle droit et
qui a la propriété de rendre les corps carrés. En utilisant l'équerre le
Franc-Maçon opératif rend la pierre cubique de telle sorte que celle-ci puisse
être assemblée en un édifice solide et harmonieux. Mais pour le Franc Maçon
spéculatif, le sens symbolique de l'équerre s'étend beaucoup plus loin. Il faut
en effet se souvenir que dans les anciennes représentations du monde, la terre
est carrée et que l'équerre permet de mesurer l'espace terrestre. Et en même
temps qu'elle le mesure, elle l'ordonne. Et si au lieu de considérer l'espace
terrestre, disons la matière, nous considérons l'homme lui-même comme être
naturel, cette équerre va remplir une fonction analogue. De même qu'elle permet
de passer de la pierre brute à la pierre cubique, qu'elle permet de passer du
désordre à l'ordre, elle permet de passer de l'homme conçu comme nature
désordonnée, et livrée aux passions, à l'homme soumis à la raison et à la
volonté. L'équerre devient ici symbole de rigueur, de rectitude vis-à-vis de
soi, et par là même vis-à-vis des autres. C'est pour cela qu'elle est devenue
l'insigne particulier du Maître de Loge, symbolisant la rigoureuse équité et la
justice. Elle invite tous les Francs-Maçons à diriger leurs pensées et leurs
actes en conformité avec la règle Maçonnique. Que peut symboliser
le compas ? Quelle signification peut lui donner un Franc-Maçon de la GRANDE
LOGE DE FRANCE. Si l'équerre sert à
tracer le carré, le compas lui, sert à tracer le cercle. Alors qu'elle est
fixe, le compas lui est mobile. Le compas figure la pensée qui dessine les
cercles du monde et on peut se souvenir ici de DANTE qui, évoquant le Grand
Architecte de l'Univers écrit dans la DIVINE COMEDIE « Celui qui de son
compas marqua les limites du monde et régla au-dedans tout ce qui se voit et
tout ce qui est caché ». Le compas nous introduit ici au mystère du monde et au
mystère de l'homme. Ainsi traçant des images du mouvement, et mobile lui-même,
le compas devient le symbole du « mouvant » par rapport à l'inerte, symbole
de l'esprit dans son dynamisme constructeur et dans sa liberté essentielle. Ainsi l'équerre
renvoie à la « terre », à l'espace, à la matière ; le compas, lui, renvoie
au « ciel », au temps, à l'esprit. Mais, à les considérer séparément on risque
de méconnaître leur signification véritable. Or, ils sont toujours associés et
unis — ainsi donc, c'est dans leur rapport dialectique qu'il faut essayer de
saisir leur signification. Mais que voulons-nous dire par dialectique ? Nous
savons que si la notion abstraite de lumière exclut la notion abstraite de
l'obscurité, la lumière réelle, loin d'exclure l'obscurité, la suppose. Il n'y
a pas de lumière sans ténèbres qui la rendent visible sous forme de couleur,
mais il n'y a point de ténèbres sans la lumière qui permet de les distinguer. — Comme le dit le
poète Paul Valéry, « ...mais rendre la lumière Suppose d'ombre une morne
moitié ». De même le
Franc-Maçon ne saurait penser l'équerre indépendamment du compas — et le compas
indépendamment de l'équerre. Il ne saurait les penser en termes séparés et
antagoniques, mais il ne peut les penser qu'en termes complémentaires. En effet
la matière est une réalité ; elle est une force inconnue qui nous résiste, mais
elle n'a de sens que par un esprit qui la pense et qui la maîtrise. Et voilà
comment l'équerre vous renvoie à son complémentaire, le compas. Par ailleurs,
l'esprit lui-même ne saurait se saisir dans le vide ; il ne peut se penser qu'à
partir de la matière elle-même (fut-elle celle de son propre corps) — et nul ne
peut se saisir qu'en se réalisant à partir de cette matière. Et voilà comment
le compas nous renvoie à l'équerre. Et le Maître Maçon sera toujours situé
idéalement entre l'équerre et le compas, entre la « terre « et le «
ciel », entre la réalité et l'idéal et s'efforçant, du mieux qu'il le peut
de faire pénétrer son idéal dans la réalité. Il ne s'agit pas pour le Maître
Maçon de méconnaître l'une ou l'autre de ces deux réalités — bien au contraire,
il doit s'efforcer de les saisir ensemble, complémentaire- ment ; de les
coordonner, de les harmoniser, car c'est dans l'harmonie et l'équilibre que se
trouvent la vérité et la vie. Enfin, cette
équerre et ce compas sont placés sur le volume de la Loi Sacrée. Le plus
souvent c'est la Bible (Ancien et Nouveau Testament), qui est placée sur
l'autel des serments et elle est généralement ouverte à l'évangile de Saint
Jean. Que peut signifier
ce livre pour un Franc-Maçon Ecossais ? Disons tout de suite, en conformité
avec la philosophie de notre Ordre, qu'il ne peut avoir qu'une signification
adogmatique et universelle et justement universelle parce qu'elle est
adogmatique. Nous voulons dire par là qu'il ne saurait être interprété à la
lumière de tel ou tel canon, de telle ou telle religion ou de tel ou tel dogme.
Il n'est pas pour nous Francs-Maçons Ecossais, le livre des Juifs, pas plus que
celui des catholiques, pas plus celui des protestants ou autres anglicans. Il
est pour nous le livre de tous les hommes de bonne volonté qui cherchent la
lumière. Il est par-delà toute controverse théologique que nous écartons
par principe et par définition, le livre de la Tradition, de la Lumière et de
l'Amour des hommes. Nous retenons et ne voulons retenir de son message que
cette parole essentielle, hier comme aujourd'hui et aujourd'hui comme demain « Tu
aimeras ton prochain comme toi-même ». Il s'agit bien pour nous de voir
en tout homme, un frère, c'est-à-dire de le reconnaître et de le traiter non
pas comme un étranger ou une chose, mais comme une personne, comme un homme. Et
c'est en cela que nous serons dans la lumière car, ainsi que dit Jean dans ses
Epîtres : « Celui qui dit être dans la lumière et qui a son frère en haine
est dans les ténèbres », « Celui qui aime son frère demeure dans la
lumière ». (*). C'est ici que
l'amour fraternel devient lumière et que cette lumière se confond avec cet
amour fraternel. La loi, notre loi est suspendue à cette seule idée de
fraternité totale et universelle. Cette loi de charité et de justice, il ne
s'agit pas seulement de la reconnaître, mais il faut surtout la pratiquer « Quiconque
ne pratique pas la justice n'est pas né de Dieu » nous dit encore Jean et
il ajoute « N'aimons pas en paroles mais en oeuvres avec vérité » (1).
La vérité de notre amour ce seront nos oeuvres qui en seront les témoins. Il
s'agit de « pratiquer la justice » « faire • le bien (2). Si bien que dans cet
esprit, le vrai fidèle c'est celui dont les oeuvres sont bonnes même s'il
s'écarte des dogmes. L'infidèle c'est celui qui tout en étant d'accord avec les
dogmes, s'écarte du véritable esprit de charité. Or, le volume de la Loi sacrée
dans la Loge rappelle et doit rappeler à chaque instant au Franc-Maçon qui est
un homme, qu'il doit toujours s'efforcer d'obéir à cette loi de justice et
d'amour. Tel nous apparaît
bien au-delà des rivalités religieuses et des querelles confessionnelles, le
sens véritable de ce message, la vérité de cette loi. Car il est
profondément vrai que « Si nous marchons dans la lumière, nous faisons société
avec les autres » et que « celui qui aime ses frères est dans la lumière »
(3). Ici encore amour et connaissance se rejoignent dans une seule et même
idée, dans une seule et même espérance. Comme l'évoquait au
XVIII° siècle le Chevalier de RAMSAY : « La Franc- Maçonnerie est bien cette
résurrection de la religion noachique, celle du patriarche Noé, cette religion
universelle antérieure à tout dogme et qui permet de dépasser les différences
et les oppositions de confessions », qui permet de dépasser toutes
différences et toutes les divisions, ajouterons-nous, à condition certes, de
bien vouloir entendre son message et son enseignement. Les Francs-Maçons
sont des hommes qui, modestement, simplement, mais avec foi, veulent rassembler
tout ce qui est épars, réunir tout ce qui est divisé, réconcilier tout ce qui
est déchiré. A cette entreprise et à cette espérance, à cette oeuvre de
compréhension réciproque et d'amour fraternel, aujourd'hui comme hier, ils
appellent tous les hommes qui pensent que sur cette terre, ce n'est que dans la
paix et dans l'union, que leur vie peut trouver une signification ultime et
retrouver pourquoi pas, ce que le philosophe Alain nommait « Un certain goût
du bonheur ». (1) Epîtres III-18 Saint Jean. (2) Epîtres III-7 Saint Jean. (3) Epîtres I 7-11.10 Saint Jean. DECEMBRE 1976 |
P023-B | L'EDIFICE - contact@ledifice.net | \ |