GLDF | Revue : Points de Vue Initiatiques | 4T/1977 |
Foi Chrétienne et Franc-Maçonnerie Pour beaucoup de
gens encore, foi chrétienne et Franc-Maçonnerie sont incompatibles. La liberté
de conscience prônée par notre Ordre, son excommunication par le Pape au
XVllle siècle, ses combats contre le cléricalisme à la fin du siècle dernier
apparaissent comme autant de preuves d'une opposition irréductible. Certes le
public intéressé par ces questions sait que des contacts officiels ont été
renoués entre les Eglises et la Franc Maçonnerie comme en a témoigné en juin
1971 la visite à la Grande Loge de France de Monseigneur Daniel Pézeril évêque
auxiliaire de Paris. Mais ce même public a entendu récemment les paroles d'un
autre évêque, en rupture de ban avec Rome certes, clouant la Maçonnerie au
pilori, sous l'accusation éculée de satanisme. Le côté fanatique et extravagant
de pareils propos n'a pas échappé bien sûr aux esprits avertis. Mais nous
sommes • payés u pour savoir, nous autres maçons qu'il reste toujours quelque
chose des calomnies que l'on profère, surtout quand celles-ci sont de taille.
Peut-être ne croira-t-on pas que les messes noires constituent une des
pratiques habituelles des Loges, mais on risque d'en déduire qu'il n'y a pas de
fumée sans feu et de voir ainsi dans de semblables accusations le reflet d'une
inimitié essentielle entre la démarche maçonnique et celle de la foi. Pour être tout à
fait honnête il faut aussi ajouter que certains maçons, volontairement ou
involontairement, alimentent ce qui n'est en fait qu'un malentendu. A force de
claironner partout que la Maçonnerie n'a ni dogme ni doctrine, à force de la
poser en concurrente de la religion, lui donnant bien sûr l'avantage en ce qui
concerne la libération et l'évolution de l'homme, on peut effectivement croire
que le but ultime de la Franc-Maçonnerie est d'affranchir les hommes de la
pratique et des croyances religieuses. *
* * Pour tenter d'y
voir plus clair, il est bon ce me semble de faire en premier lieu un bref
rappel historique. Les fondateurs de la Franc-Maçonnerie spéculative, les
pasteurs Anderson et Desaguliers étaient des chrétiens convaincus. L'obligation
faite aux maçons de croire en Dieu est d'ailleurs inscrite à l'article I de
leurs Constitutions. Et ce n'est certes pas l'esprit maçonnique qui visa les
loges de leurs éléments catholiques dans nos pays latins, mais tout simplement
la bulle pontificale d'excommunication. Encore fallut-il attendre plus d'un
siècle puisqu'en 1867 le Grand Orient de France commandait une messe à Notre-
Dame pour les obsèques de son Grand Maitre, le Maréchal Magnan. Pendant très
longtemps on a donc pu être chrétien et même chrétien catholique romain et
appartenir à une Loge maçonnique sans se trouver gêné. Les conflits qui ont pu
survenir par la suite viennent beaucoup plus d'une évolution contre-nature de
l'Eglise et de la Franc-Maçonnerie que d'une opposition essentielle. Expliquons-nous.
L'Eglise catholique romaine, la seule à être entrée en conflit ouvert avec les
Loges a cru utile d'accroître son autoritarisme au cours du XIX° siècle. Le
point culminant est incontestablement le règne de Pie IX, avec des textes comme
le Syllabus, l'Encyclique QUANTA CURA et surtout le vote lors du l'er Concile
du Vatican du dogme de l'Infaillibilité pontificale, venant couronner les
luttes séculaires de la Papauté pour faire triompher sa primauté. Le dogme déjà
considéré comme infaillible, c'est-à-dire comme expression absolue et totale de
la Vérité, donc irréformable, pouvait maintenant être proclamé, non plus par le
Concile oecuménique seulement mais par le Pape seul, ce qui renforçait encore
le côté arbitraire. Quoi d'étonnant alors de voir le cléricalisme de l'Eglise
catholique s'accentuer. C'était là, la conséquence d'une = vaticanisation rr
outrancière de l'Eglise et d'un renforcement abusif de la puissance papale. Aussi quand les
maçons de nos pays latins se sont opposés à une pareille Eglise au nom de la
démarche initiatique impliquant une recherche permanente de la Vérité,
incompatible donc avec le catholicisme autoritaire et dogmatique dont je viens
de parler, ils ne se sont pas véritablement attaqués à la foi chrétienne mais à
des abus de cette foi. D'autres chrétiens, les protestants s'étaient opposés à
l'autoritarisme du Pape et aux implications théologiques qu'il entraînait. En
proclamant le principe de l'autorité de l'Ecriture Seule, Martin Luther
replaçait le dogme à une place qu'il n'aurait jamais dû quitter, celle du point
de repère pour l'esprit. Fait de mots humains empreint dans sa forme d'une
logique humaine, soumis constamment à la Parole de Dieu, un tel point de repère
ne saurait être infaillible. L'adhésion qu'il réclame ne signifie donc pas pour
l'esprit un arrêt de la réflexion mais en fait une étape dans la recherche
incessante d'une formulation toujours à améliorer de la Vérité. Cette
conception du dogme, beaucoup plus conforme à la foi, au Dieu de la Bible dont
le Nom est imprononçable est actuellement partagée par de nombreux catho
ligues. La foi chrétienne est donc revenue à une certain pureté dans une dimension
oecuménique et apparaît dans cette forme là comme parfaitement compatible avec
une quête initiatique. Encore faut-il
qu'il s'agisse vraiment d'une quête initiatique, c'est-à-dire que la Maçonnerie
qui la propose soit restée fidèle à ses traditions. Quel que soit le nom qu'on
leur donne, la Maçonnerie traditionnelle a des règles. Citons deux exemples :
l'affirmation du principe du Grand Architecte de l'Univers et le refus de la
mixité. C'est donc faire preuve, à la fois d'ignorance ou d'hypocrisie que
d'affirmer que la Franc-Maçonnerie n'a pas de règles, et pire encore, pas de
doctrine. Car que fait-on quand on explique le pourquoi de la non- admission
des femmes ? N'énonce-t-on pas, qu'on le veuille ou non un principe dont
l'irrespect entraînerait l'exclusion de l'Obédience, une excommunication
maçonnique en quelque sorte. Etre Franc-Maçon implique donc l'obéissance à
certaines règles qui dans l'absolu ne sont pas plus contraignantes que celles
de la religion. On objectera
peut-être, que celles qui regardent la Maçonnerie sont d'ordre rationnel, ce
qui n'est pas toujours le cas pour la religion. C'est vrai, et nous touchons là
une différence essentielle de la méthode entre le cheminement initiatique et le
cheminement religieux. L'initiation fait en effet d'abord appel à une recherche
personnelle à l'aide de la raison alors que la religion sollicite la foi à
partir de l'annonce d'une révélation. L'une utilisera des symboles, l'autre
plus volontiers des énoncés théologiques pour stimuler l'esprit. Dans le
premier cas on parlera surtout de l'homme et de ses rapports avec l'univers,
dans l'autre, de Dieu et de ses interventions dans l'Histoire. Un exemple
précis peut, me semble-t-il, illustrer cela. Dans les loges qui travaillent au
rite écossais et qui sont fidèles à la Tradition, le Volume de la Loi Sacrée,
une des Trois Grandes Lumières de la Franc-Maçonnerie, est la Bible. Disons
nettement qu'à ce rite, il ne peut être que la Bible et voici pourquoi : tout
le symbolisme du rituel écossais est emprunté à la Bible comme l'essentiel des
récits qui illustrent les passages du grade. Il est donc logique que ce livre
représente en loge la Tradition et qu'on prête serment sur lui dans les
occasions solennelles. Mais entendons-nous bien, au niveau maçonnique il n'est
pas demandé de reconnaître en lui la Parole de Dieu révélée. Une pareille
reconnaissance est du domaine de la foi. Si d'aventure la Franc-Maçonnerie la
demandait, elle nuirait à sa mission universelle en éliminant des spiritualités
qui refuseraient de reconnaître la Bible comme Parole de Dieu, et elle
empiéterait sur le domaine de l'Eglise qui seule a autorité pour prendre des
positions théologiques. Et, dire que la Bible est la Parole de Dieu, est une
affirmation théologique fondamentale, soulevant immédiatement différentes
questions quant à la façon de la comprendre, questions sur lesquelles les
Eglises et les théologiens ont effectivement à prendre position, mais
certainement pas les Francs-Maçons en tant que tels. La Franc-Maçonnerie doit rester
un « Centre d'Union = et interdire dans ses loges tout ce qui peut diviser et
opposer les hommes. C'est la raison pour laquelle la Grande Loge de France ne
demande aucun engagement de type religieux. Elle respecte trop l'Eglise pour
cela. Voilà, à très gros traits, les différences de démarches. Il apparaît
alors clairement, me semble-t-il que celles-ci ne s'opposent et ne s'excluent
nullement, car le symbolisme n'est constructif que s'il s'appuie sur une
tradition et la théologie ne remplit sa fonction que si elle ne se sclérose pas
dans un dogmatisme aveugle. Quand au but, il est sensiblement le même et peut
être résumé ainsi : la connaissance de l'Ordre qui nous régit, et la vie en
harmonie avec celui-ci au fur et à mesure des progrès que nous accomplissons
dans sa connaissance. Si nous restons sur le strict plan maçonnique, nous
parlerons alors de progrès dans la voie de l'initiation, progrès dans la
connaissance de Dieu, ajoutera le chrétien. *
* * Dans le temps de
crise que nous connaissons en ce moment, il serait utile pour l'humanité que
les voies Initiatiques et religieuses soient de plus en plus vécues ensemble
par les mêmes individus. Ce ne serait là d'ailleurs qu'un retour aux origines
qui ne pourrait qu'être prometteur dans la préparation du lendemain spirituel. |
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