GLDF | Revue : Points de Vue Initiatiques | 2T/1978 |
Du Tapis de Loge au Centre du Monde Nous voici à
nouveau réunis pour entreprendre cette année, une étude sur le thème « Le
Symbolisme du Tapis de Loge ». Ce n'est pas une reprise effective des travaux
puisque nous conservons toujours nos préoccupations et en fait le travail du
Franc- Maçon ne s'arrête jamais. Pourquoi parler de
ce tapis de loge, de ce simple décor qui se modifie selon les rites, selon les
grades et qui groupe les principaux symboles du degré ? Nous constatons en
effet que si certains symboles sont immuables, tels le triangle, les colonnes,
et principalement les trois lumières, le tapis diffère selon le grade. On peut
bien entendu songer que la position de certains outils se modifie selon notre
état d'avancement spirituel, mais le tapis de loge se contente de figurer les
symboles qui sont soumis à notre attention, au grade auquel on travaille. Il
paraît être un aide-mémoire en centralisant les principaux motifs. Vous allez exercer
votre compréhension sur les symboles qui y sont figurés ; aussi pour ma part je
ne les traiterai pas, vous laissant la joie de les découvrir. Mais remarquons
que dès le ter grade du Rite Emulation le tableau fait intervenir le symbolisme
de l'échelle, symbole que nous ne retrouvons qu'au 30e degré du Rite Ecossais
Ancien et Accepté. Au Régime Ecossais Rectifié on a représenté sur le Tapis de
Loge le Temple Intérieur avec l'étoile flamboyante à cinq pointes, avec une
lettre G peinte en or au milieu. Et il y a là aussi un escalier de sept degrés
avec les chiffres 3, 5 et 7. Ainsi nous
découvrons bien des divergences qui apparaissent finalement
assez abstraites ;
car dans chacun de ces rites l'apprenti reste un apprenti, sans plus.
Ce n'est
pas parce que l'apprenti du Rite Emulation peut saisir l'esprit et la
pensée de
l'échelle qu'il peut se prévaloir d'être un
maçon du 30° degré qui a fréquenté
pendant de nombreuses années le REAA Admettons que les
représentations figurant sur le Tapis de Loge soient des abstractions mais nous
aimerions bien savoir comment les anciens figuraient ce tableau que nous devons
déployer pour ouvrir nos travaux. Car enfin l'Expert
d'un simple geste découvre ce qu'autrefois il fallait tracer. Les
Francs-Maçons, héritiers des compagnons opératifs, plus ou moins poursuivis, en
tout cas mal admis, se réunissaient où ils le pouvaient. Il y avait eu « la
loge », cette baraque de chantier, où l'on était bien entre gens de métier,
parlant le même langage corporatif qui évoquait les gestes sacralisés de la
profession, mais au fur et à mesure que l'on avait intégré des personnes
étrangères au métier parce que par leurs noms, leurs situations elles pouvaient
aider la corporation, il fallait bien se réunir dans n'importe quel local,
souvent dans la salle d'un club, d'une auberge. Alors dans cette salle anonyme
on dessinait à la craie quelques symboles sur le sol même. Ces figures
devaient être simples, et caractériser rapidement le degré auquel on se
trouvait. Puis les goûts se développant, la sécurité devenant plus grande, les
habitudes devinrent plus sédentaires et l'on trouva plus expédiant de dérouler
une toile peinte sur laquelle on avait figuré de plus en plus de symboles, les
enrichissant suivant le goût du jour. Et pour bien l'orner on plaça à
l'extérieur une corde aux lacs d'amour, la houppe dentelée, ce cadre qui
reflète notre fraternité. Mais en traçant la
figure de ce qui est contenu dans le Temple à partir d'une craie blanche, un
rituel d'un autre degré nous apprend que par là on signifie « que le Temple
disparaîtra quand le Christ viendra faire de la terre entière un Temple du
Seigneur ». Le Temple de
Salomon n'est qu'éphémère tout comme le corps de l'homme, mais cependant il
peut renaître, être reconstruit. Le Christ dit : « Détruisez ce Temple, et je
le rebâtirai en trois jours. C'est ainsi que les
Temples d'Enoch, de Moïse, de Salomon correspondaient non seulement à des
étapes de l'humanité mais également aux trois classes d'êtres spirituels de la
création. Pour Martinès de Pasqually, le Temple Universel, la nature, se divise
en trois parties : terrestre, céleste et surcéleste, ce qui correspond aux
trois parties du Temple de Salomon : le Porche, le Temple intérieur et le
Sanctuaire, tout aussi bien qu'à ventre, poitrine, tête. C'est en réalité
retrouver les trois cercles, les trois enceintes si communs à maintes
traditions, et peut-être plus particulièrement à la pensée celtique. Le Temple de
Salomon est construit sans l'emploi d'outil métallique — tous les matériaux
étant préparés, sciés, exécutés sur les lieux mêmes de leur extraction, ce qui
d'ailleurs évitait des difficultés de transports en ne véhiculant que ce qui
était utile à la construction. Tout n'était que
silence et le Temple s'élevait pour recevoir son Dieu. Le Temple de
Jérusalem reflète les conceptions pythagoriciennes et il évoque un symbolisme
cosmique. Mais il faut bien penser que laweh doit être présent dans le Temple.
Sa place se situe sans doute dans le cosmos, mais il vit et réside principalement
dans le Temple, parce qu'il y a eu alliance, parce qu'il y a relation
privilégiée entre laweh et le peuple élu. Ainsi dans cette
enceinte sacrée demeure le Dieu d'Israël. Dans l'Ancien Testament, et plus
particulièrement dans Exode (XOW, 9) on retrouve cette notion et l'on découvre
ainsi le tabernacle portatif que l'on installe dans le désert, puis dans la
construction du Temple de Salomon. Mais c'est sans doute Philon d'Alexandrie et
Flavius Josephe qui vont le mieux cerner ce symbolisme. Le Temple est
composé de trois parties : le Parvis, le Saint, et le Saint des Saints. Cette
troisième partie est même inaccessible aux prêtres car « elle s'ouvre comme le
ciel à Dieu ». Cette partie la
plus sainte de la réalité cosmique est séparée du lieu Saint par un voile,
souvent tissé avec quatre couleurs ; ce voile a la même nature que l'air. Si dans le Saint
nous trouvons le chandelier à sept branches, la table des pains de proposiiton
et l'autel des parfums, c'est dans le Saint des Saints que séjourne l'arche
d'alliance. Dans la Loge
Maçonnique, c'est justement sur le lieu le plus saint que l'on place le tapis
de Loge. Nous pouvons aussitôt nous questionner sur ce choix assez
incompréhensible. Car enfin, pourquoi d'un tapis brodé, aux figures
changeantes, recouvrir le lieu le plus saint, celui qui ne varie pas ? Notre pavé
mosaïque reste le même à tous les grades ; il est invariable et si le tapis est
richement orné, s'il est un étendard, un blason ou un écusson aux armes
parlantes, le pavé mosaïque est toujours un damier, aux cases blanches et
noires. Ce pavé conserve la même puissance irradiante. Il y a là une sorte
d'opposition ; que pouvons-nous conclure de ce dualisme ? Recherchons ce que
représente ce pavé mosaïque, sans toutefois nous laisser aller dans les
interprétations les plus extravagantes. Nous n'en cernerons que l'esprit. Le Debhir,
le Saint des Saints est limité par les trois piliers, et l'on ne peut marcher
sur ce lieu consacré. D'après la description du Temple de Salomon ce Debhir ou
dernière chambre venait après le Hekal, le vestibule qui lui-même succédait
à l'Elam, le portique. Le Debhir était un
cube parfait qui recevait l'Arche d'Alliance. Nous songeons à
nouveau à la triple enceinte, et en fait les contes nous rapportent aussi des
limitations qui interdisent à l'intrus de pénétrer dans le lieu sacré ; la
forêt dans La Belle au Bois Dormant, l'île entourée d'eau dans le voyage
de Saint-Brendam, mais aussi l'île d'Avallon, le mur de flammes avec
Sigfried nous montrent que nous allons atteindre un lieu privilégié, le centre
du monde. C'est songer à la Jérusalem céleste, la cité primordiale. La croix
celtique s'inscrit dans un combiné de trois cercles protecteurs dont chacun
est le double de l'autre, en rapport avec les nombres 9, 27, 81. Le Mandalâ
dans l'Inde représente égale- ment le monde divin ; on va ainsi de l'extérieur
vers l'intérieur ; la pensée progresse du pourtour vers le centre qui se réduit
en un point où s'identifie le divin. C'est le centre
nordique primordial, Thulé, qui est aussi le pays du Graal si bien défini par
Julius Evola. En ce centre, comme
l'a noté René Guénon, se concilient et se résolvent toutes les oppositions ;
tous les cercles de la destinée individuelle avec leurs activités
particulières, aboutissent en ce point qui possède ainsi la plénitude de
l'activité. C'est le centre éternel et axial, l'Unité centrale, bien entendu
non manifestée. C'est le rôle fixe dans le Temple au sein du noyau intérieur,
gardien et détendeur de la Tradition, de la Règle Secrète et qui unit en lui
deux autorités sacerdotale et royale. C'est le pivot invisible, au double
aspect chevaleresque et sacerdotal. Nous nous trouvons
devant le centre primordial, immuable, que l'on peut aussi bien comparer au
soleil qu'au cœur. Dans tous les cultes des peuples de la terre, le soleil est
considéré comme le centre de l'Univers et son état immobile convient bien à
marquer ce qui est éternel. Mais ce lieu central peut être aussi la cavité du
coeur qui, s'il s'illumine, irradie toutes les forces intérieures de l'homme. Ainsi notre pavé
mosaïque, axe cosmique est bien non seulement le centre du Temple, mais le
centre du monde d'où rayonnent toutes les formes et les représentations des
Trois Mondes. Tout Temple se
situe à l'aplomb du Palais céleste. Le centre de l'édifice coïncide avec la
clef de voûte solaire par laquelle nous nous évaderons peut-être un jour, mais
là est le chemin de l'Elu. Souvent nous avons vu de la voûte descendre un fil à
plomb qui matérialise cet axe principe, qui finalement se résorbe en un point. Le point I... Ce
lieu sans dimension, irréel, qui entre dans l'imaginaire et qui appartient
cependant au domaine de la manifestation. Ce point immobile,
et cependant chargé d'une puissance agissante fait songer au moyeu de la roue,
l'Omphalos, cet axe fixe qui anime tout ce qui l'entoure, qui donne le
mouvement à la roue et qui nous paraît cependant immobile. C'est l'immense
force lovée dans ce qui est le plus petit ; l'insignifiant devient l'infiniment
grand. Mais le moyeu de la
roue unit aussi les rayons divergents. Et ne sommes-nous pas des rayons avec
nos actions discordantes ? Mais nos travaux se coordonnent grâce à l'atmosphère
de la Loge, grâce à la puissance des rituels, grâce à la valeur répétitive des mots
sonores et rythmés. Cette entité a provoqué la cohésion des esprits et des
coeurs. Ainsi l'homme
intérieur qui renaît à la Lumière spirituelle, se situe au centre de la Loge,
cette caverne souterraine orientée qui en elle-même figure aussi le centre du
monde, lieu où tous les états se concentrent et se réalisent. C'est l'oeuf
primordial où la régénération s'accomplit. Ce pavé mosaïque,
notre centre, centre de la Loge, appartient au domaine de la manifestation. Ce
centre est partout dans l'espace et il ne peut être localisé. Ce qui prouve à
nouveau que notre Loge se trouve dans tous les lieux de l'Univers, qu'on ne
peut lui assigner un endroit particulier. Sans doute trouvons-nous des lieux
privilégiés, des points où l'influx terrestre se fait davantage sentir. Mais
finalement chaque endroit de notre globe, s'il est sanctifié par la pensée
spirituelle, peut devenir le lieu saint par excellence. Grâce à cette pensée
métaphysique nous comprenons mieux pourquoi le Franc-Maçon est bien le citoyen
de l'Univers. Mais finalement
avons-nous résolu notre problème ? D'une part nous avons le pavé mosaïque nous
conduisant à la notion du centre primordial, du lieu le plus privilégié de
l'Univers. Et ce point divin est recouvert d'un tapis orné par main d'homme
avec des ornements changeants. Pourquoi ? Je vous laisse le
soin d'approfondir ce mystère. Mais pour nous
mettre sur la voie ne peut-on songer au texte sacré, à celui de l'Exode (XXXVI,
19). « Et l'on fit
pour le tabernacle une couverture de peaux de béliers teintes en rouge, et une
couverture de peaux de couleur d'hyacinthe par-dessus. » Par ailleurs on
nous dit encore (37-38). d'écarlate, de
cramoisi « On fit pour
l'entrée et de fin lin retors, en ouvrage de du tabernacle une tapisserie de
pourpre, broderie... » Ainsi le tabernacle
avec son Arche d'Alliance est recouvert, protégé par des peaux. Nous ne
semblons pas pour notre part, avoir des signes protecteurs aux couleurs bien
déterminées, car nous avons oublié la puissance et la vibration du coloris. La garde de l'Arche
était confiée aux lévites et à tout moment des soins particuliers étaient pris
afin que personne ne puisse la toucher. Durant son transport de la maison
d'Abinadab à son palais il se produisit cependant un accident ; le chariot,
tiré par des boeufs, était conduit par Oza, fils d'Abinadab. Lors d'une
mauvaise manœuvre celui-ci toucha l'Arche pour la retenir et l'empêcher de
tomber. Et Oza tomba foudroyé. On a voulu ainsi faire de l'Arche d'Alliance un
condensateur électrique qui pouvait produire des décharges puissantes, des
éclairs, vrais miracles pour le peuple qui voyait ainsi Dieu se manifester. Cette
interprétation est hors de notre propos. Mais ne peut- on retenir l'idée de
cette Arche mystérieuse, ce Saint des Saints recouvert de peaux de bêtes
protectrices ? Ne convient-il pas
de nous protéger contre les radiations de ce Saint des Saints, de notre pavé
mosaïque qui ne peut être touché que par notre Maître des cérémonies qui le
recouvre d'un voile protecteur ? Le Tapis de Loge
serait ainsi un puissant protecteur, un talisman, car nous n'avons pas encore
dans la Maçonnerie bleue toutes les qualités requises pour aborder le lieu le
plus Saint du monde. Alors,
efforçons-nous d'y parvenir. |
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