GLDF | Revue : Points de Vue Initiatiques | 2T/1978 |
Emile Littré Franc-Maçon Chers Auditeurs, Nous avons
précédemment évoqué le Chevalier Ramsay, disciple de Fénelon, qui fut
l'inspirateur des premiers encyclopédistes, en voulant répandre dans le monde,
les connaissances acquises par l'homme et cela dans un esprit universaliste. Ramsay pensait à
juste titre que la connaissance était un des facteurs indispensables à la venue
d'une humanité plus fraternelle. Il était en cela le véritable élève de
Fénelon qui, révolté par la politique de grandeur de Louis XIV, souhaitait une
Europe fraternelle unie sous le signe « du pur amour ». A ce propos, nous
avons mentionné les encyclopédistes français du siècle des Lumières :
d'Alembert et Diderot et évoqué tous les purs esprits qui participaient aux
travaux de la célèbre Loge « Les Neuf Sœurs » que présidait Lalande. Nous avons eu
l'occasion de parler de l'un des héritiers des premiers encyclopédistes, Pierre
Larousse, qui consacra sa vie à la construction d'un véritable Temple de la
connaissance. Au cours de notre
émission, nous avons indiqué que rien ne permettait d'affirmer son appartenance
à notre Ordre, pour autant que son comportement social et familial nous
permette de le considérer selon notre terminologie comme « un Maçon sans
tablier ». A la suite de notre propos, comme à la suite de toutes nos
émissions, nous avons reçu un très volumineux courrier de nos auditeurs. Un certain nombre
d'entre eux nous ont indiqué avoir pris connaissance de documents prouvant
l'appartenance de Larousse à la Franc-Maçonnerie sans toutefois nous faire connaître
la Loge à laquelle il aurait appartenu. Cela n'a rien de surprenant compte tenu
que sous le gouvernement de Vichy, avec l'aide de l'occupant, de nombreux
documents maçonniques furent détruits sinon égarés. Nous remercions donc par
avance tous les auditeurs qui pourraient nous fournir des précisions à ce
sujet. Ces mêmes auditeurs
nous ont demandé d'évoquer un autre encyclopédiste dont l'appartenance à la
maçonnerie ne fait, elle, aucun doute, à savoir Emile Littré. La Grande Loge
doit une réparation symbolique, puisque le Grand Maçon que fut le regretté
Antonio Coen avait créé le cercle littéraire Condorcet-Littré, devenu, après la
guerre, le cercle Condorcet-Brossolette. Nous consacrerons
une de nos prochaines émissions à Pierre Brossolette. Maximilien-Emile
Littré est né à Paris le 1«r février 1801. Son père, Michel Littré, dut assumer
très tôt de lourdes responsabilités en raison des charges et des dettes
familiales. Michel Littré vint à Paris, il contracta un engagement militaire,
sa famille étant dans la gêne. Il devait épouser
plus tard Sophie Johannot que Sainte-Beuve dotait d'une âme de Romaine. Les parents de
notre héros avaient conservé un grand enthousiasme pour les principes et les
idées philosophiques du siècle des Lumières et ne séparaient ni la science de
la morale ni leur amour des grands révolutionnaires, ce qui est la raison du
premier prénom de Littré, Maximilien. Ses parents se
souvenaient des grosses difficultés du début de leur vie et donnèrent à leur
fils une éducation austère. Littré fit ses études au lycée Louis-le-Grand,
l'histoire raconte qu'à sa dernière année d'études il reçut plus de cent
volumes de prix. S'il n'était pas toujours le meilleur de sa classe comme l'ont
souvent écrit certains de ses biographes, en avançant en âge il progressa
considérablement sous l'Influence de son père qui surveillait jalousement les
études de son fils. Doué d'une force herculéenne il pratiquait volontiers les
exercices physiques. A sa sortie de Louis-le-Grand en 1819, il voulut préparer
l'Ecole Polytechnique mais il se démit l'épaule à la suite d'une chute lors
d'une séance de natation. Il dut abandonner ce projet. C'est alors qu'il
devint le secrétaire du comte Daru. il n'est pas sans intérêt de rappeler que
ce dernier était un membre éminent de la Loge « Sainte Caroline » où il devait
faire entrer un autre de ses
protégés, le jeune Henri Beyle, plus connu sous le nom de Stendhal. Ce
secrétariat devait durer deux ans. Après il entreprit des études de médecine.
Par ailleurs, il se donne à l'étude des langues anciennes, dont le sanscrit,
qui devait lui assurer plus tard une forte assise pour ses travaux
philologiques. Il maîtrise, en outre, l'allemand, l'italien et l'anglais et
bien entendu à la suite de ses études classiques, il connaissait le grec et le
latin. Après huit années d’études, il devint interne des hôpitaux et collabora
à des revues de jeunes médecins. Il est déjà en renom, malheureusement il ne
peut terminer ses études de médecine en raison de la mort de son père. Pour subvenir aux
besoins de sa famille, il donne des leçons de grec et de latin jusqu'en 1831. On peut s'étonner
tout de même que Littré, pour qui les portes de la médecine étaient grandes
ouvertes, ne termina pas complètement ses études. L'explication peut se trouver
dans le caractère même de Littré, ses scrupules, sa morale, la délicatesse même
de sa conscience, l'empêchant de contracter les dettes indispensables à son
installation. Une obligation, une dette, à cette époque, était chose sacrée.
Quoi qu'il en soit, il ne put s'établir médecin et, juste retour des choses,
sans en avoir le titre, il devait être élu à l'Académie de Médecine en 1868. Cet homme, qui
travailla constamment, n'oublie pas de participer à la vie de la Nation.
Fervent républicain, il est, comme l'écrira George Sand, l'homme « qui a plus
fait pour la France que ses plus grands rois et dont le dictionnaire apporte
aux esprits hésitants, le vrai sens de toutes les notions humaines ». Il ne faut pas voir
en Littré un savant perdu dans sa bibliothèque. Il prend une part active aux
journées révolutionnaires de 1830, les fameuses « Trois glorieuses », et il
descend dans la rue accompagné de son condisciple de Louis-le-Grand, Louis
Hachette. Dès 1830 Littré va collaborer avec différents éditeurs connus. L'un d'eux,
Paillère, lui propose de faire une nouvelle édition des oeuvres d'Hippocrate,
labeur qui durera de nombreuses années. Il collabore, en outre, à de nombreuses
revues médicales et notamment au dictionnaire médical en trente volumes. Il
traduit des articles de journaux étrangers, ses qualités sont enfin reconnues
par le grand journaliste Armand Carrel, qui voulait faire de lui un rédacteur
politique de premier plan. Littré se marie en
1835, sans grand enthousiasme, se croyant fait pour le célibat. Il épouse une
femme pieuse, dont il respectera toute sa vie les convictions. Il était,
d'autre part, subjugué par Auguste Comte et était intéressé par les progrès de
l'entendement humain ; son activité était intense, ses journées étaient en plus
absorbées par ses recherches philosophiques et surtout par les consultations
qu'il donnait absolument gratuitement aux travailleurs et aux paysans. Surtout
lorsqu'il était à la campagne compte tenu qu'à cette époque la paysannerie
recevait peu d'aide médicale. La médecine sociale n'existait pas alors, hélas. L'idée de faire un
dictionnaire de la langue française était devenue pour lui une véritable
obsession. Cela fera de lui un des plus grands héritiérs des encyclopédistes
avec tout ce que cela comporte de recherche et de connaissance. Littré commença ce
travail et c'est après quinze années de labeur qu'il terminera ce fameux
dictionnaire en 1873. Pendant cette
période, l'histoire continue à se dérouler.
L'avenir de la république en 1848
le surprit mais modifia peu sa vie. On lui offre de nombreux postes
mais
l'homme dans sa pureté n'accepta qu'être membre du Conseil
municipal, fonction
alors bénévole. Littré est un être
exceptionnel dans une époque où règne
l'ambition et la spéculation. L'austérité
apparente de Littré peut le faire
paraître quelque peu sauvage. Ce n'est pas exact, il est gai, il
est même
boute-en-train en société, mais seulement en
société. Son admission à
l'Académie française le 30 décembre 1871 ne se fit
pas sans histoire, combattu
qu'il était par un clergé alors rétrograde,
animé par le trop célèbre évêque
d'Orléans, Monseigneur Dupanloup, qui démissionna de
cette institution pour ne
pas, dit-il, siéger à côté d'un
matérialiste, d'un socialiste, d'un athée. Mais revenons au
dictionnaire achevé en 1873, la lecture de sa préface montre que la qualité
exceptionnelle de cet ouvrage qui avait nécessité plus de 500 000 feuillets,
n'avait en rien altéré la modestie de son auteur qui était resté un travailleur
sincère et simple. Ce qu'il importe
maintenant de souligner, c'est l'importance exceptionnelle que revêtit son
initiation maçonnique. Héritier de l'honnête homme du XVIII° siècle, il était
très normalement amené à faire partie de notre Ordre. On peut dire que depuis
l'initiation de Voltaire à la Loge « Les Neuf Sœurs », le 7 avril 1778, aucune
solennité maçonnique ne prit autant d'ampleur et ne souleva autant d'intérêt
dans l'opinion publique. La Franc-Maçonnerie
tout entière rendait hommage non seulement à l'auteur du dictionnaire de la
langue française, mais au combattant de la démocratie et de la liberté. Dans une salle qui
contenait à peine deux mille places, plus de huit mille personnes voulaient
entrer. En dehors des grands dignitaires de la Franc-Maçonnerie, on y voyait :
Emmanuel Arago, Louis Blanc, Henri Brisson, Edmond About, Gambetta, Rouvier,
Floquet, Jules Claretie. Le 8 juillet 1875,
à 10 heures, on introduisit Littré accompagné de Chavée, le philologue et de
Jules Ferry ; Jules Ferry, le créateur de l'école laïque gratuite. Littré,
malgré son grand âge, à la différence de Voltaire, subit entièrement toutes
les épreuves initiatiques. La réception de Littré qu'on surnommait alors • le
saint laïque » a eu à son époque un très grand retentissement parce qu elle
était une réponse mûrement pesée et réfléchie, voire solennelle à l'esprit
d'intolérance qui caractérisait les manifestations réactionnaires et
ultramontaines de l'époque. Son admission dans
notre Ordre était pour lui une récompense accordée à sa vie consacrée au
labeur. Littré avait refusé
de nombreux honneurs, cependant il avait été élu sénateur inamovible ; mais
l'image que nous voudrions que vous gardiez, ce n'est pas uniquement celle du
grand savant, du grand lettré, mais aussi celle de Littré combattant aux côtés
de son ami Farcy sur les barricades de 1830, et essayant vainement de sauver
son ami mortellement blessé et à qui Sainte-Beuve devait rendre un hommage
célèbre. Non, Littré n'est
pas simplement un nom sur le dos d'un grand dictionnaire, mais c'est celui d'un
des nombreux hommes qui ont combattu pour la dignité et la liberté et qui, pour
mieux lutter pour ces idéaux, ont rejoint l'ordre maçonnique pour combattre
l'obscurantisme et pour que la Lumière se répande parmi les hommes. FEVRIER 1978 |
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