GLDF Revue : Points de Vue Initiatiques 2T/1978

La Franc-Maçonnerie, vous connaissez ?

Question * Monsieur Jean-André Faucher, vous êtes journaliste profession­nel et vous venez de faire paraître, en collaboration avec M. Achille Ricker, un ouvrage intitulé La Franc-Maçonnerie, vous connaissez ? ». Ce livre se pré­sente comme une enquête sur la Franc-Maçonnerie. Comment avez-vous conçu votre recherche ?

J.-A. F. ** Il ne s'agissait pas pour nous d'établir ce qu'est exacte­ment la Franc-Maçonnerie à notre époque. D'autres ouvrages, rédigés par des Francs-Maçons particulièrement qualifiés, ont paru ces dernières années qui étaient consacrés à ce sujet. SI nous avions orienté notre recherche dans la même direction, nous n'aurions interrogé que des Francs-Maçons et de préfé­rence ceux qui assument les responsabilités essentielles dans les différentes Obédiences. Ce que nous avons voulu, c'est préciser l'image que se font de la Franc-Maçonnerie les hommes et les femmes qui assument des responsa­bilités dans notre pays. Nous avons donc adressé un questionnaire très précis à des personnalités de la politique et du syndicalisme, à des écrivains et à des artistes célèbres, à des ecclésiastiques, à des avocats, à des magistrats, des universitaires, des hauts fonctionnaires, des chefs d'industrie, des journa­listes.

* Pouvez-vous préciser sans attendre quelle a été votre impression géné­rale lorsque vous avez commencé à dresser un premier bilan des nombreuses réponses que vous aviez reçues ?

** Nous avons constaté tout d'abord que même lorsque nos interlocu­teurs se présentaient encore comme des adversaires résolus de la Maçon­nerie, aucun ne cherchait à reprendre à son compte les diffamations, les calomnies qui avaient été mises en circulation lors des campagnes antimaçon­niques de la fin du XIX° siècle et lors des campagnes de la période de l'occu­pation allemande. De toute évidence, il ne reste rien, même dans les milieux les plus hostiles à l'Ordre Maçonnique, de ce que furent le élucubrations dif­famatoires d'un Léo Taxil.

* Que reprochent alors à la Franc-Maçonnerie et aux Francs-Maçons ceux qui, en 1978, se présentent encore comme leurs adversaires ?

** Prenons quelques exemples. Tel avocat à la Cour de cassation repro­che aux Francs-Maçons d'utiliser la fraternité maçonnique comme un moyen de faire carrière. Pour M. Robert Escarpit, elle serait devenue une voie de garage pour libéraux à bonne conscience. Pour tout dire, ceux qui refusent l'idéal de vie proposé par la Maçonnerie ne le connaissent pas. Ils n'y volent, comme le dit l'un d'entre eux, qu'un syndicat de piston. Et c'est là la pre­mière constatation que nous avons été amenés à faire. Ceux qui refusent la Franc-Maçonnerie, ceux qui la critiquent, ceux qui la combattent, sont toujours des hommes qui ne la connaissent pas. Par contre, nous n'avons pas trouvé un seul homme ayant vécu la Maçonnerie de l'intérieur qui ait critiqué ce qu'elle est et ce qu'elle se propose d'accomplir.

* Certaines réponses vous ont-elles surpris ?

** En ce qui me concerne personnellement, j'ai surtout été surpris par les réponses des prélats que nous avons interrogés. A l'exception de deux d'entre eux qui ne cachent pas leur méfiance, sans chercher d'ailleurs à l'expliquer ou à la justifier, tous les autres nous ont répondu qu'ils ne savaient rien d'elle. L'un d'entre eux, et non des moindres, est même allé jusqu'à nous déclarer qu'il n'avait jamais lu un seul ouvrage consacré à l'Ordre Maçonnique.

* Avez-vous rencontré beaucoup de profanes qui vous ont déclaré connaître des Francs-Maçons ?

** Oui, et nous avons tout d'abord été surpris par le nombre de per­sonnalités connues de la vie française qui nous ont déclaré avoir des Francs- Maçons dans leurs familles. L'écrivain Pierre de Boisdeffre nous a parlé de son grand-oncle paternel, le député Jeannil Dumortier nous a parlé de son grand-père, l'ancien sénateur Jacques Debu-Bridel s'est présenté lui aussi comme un petit-fils de Franc-Maçon. Nous avons été également frappés par le fait que plusieurs de nos interlocuteurs, ayant tenu à préciser qu'ils étaient eux-même initiés, ont rappelé que leur père, souvent leur arrière-grand-père, parfois leurs frères ou leurs fils, appartenaient également à la Franc-Maçon­nerie. Il y a donc ainsi des familles où la tradition Initiatique se prolonge de génération en génération.

* Ceux qui ont répondu à votre enquête ont-ils réussi à vous donner des définitions valables de la Maçonnerie ?

** Nous en avons reçu d'excellentes. Ainsi, l'ancien sénateur Debu-Bridel nous a précisé que la Maçonnerie était pour lui « une société d'initiés, consa­crée à la défense de la dignité de l'homme et des droits de la raison face à tous les groupes d'intolérance ». Le journaliste André Fatras a ajouté « Dans un monde où personne n'écoute plus personne, la Loge est le seul endroit où vous soyez assuré de pouvoir parler sans être interrompu et obligé d'écouter sans interrompre ». Nous devons également retenir la définition don­née par la sociologue Evelyne Sullerot. « Ce qui me semble très intéressant dans la Franc-Maçonnerie, nous a-t-elle confié, c'est l'éducation à la maîtrise de soi, à la tolérance et à la rechecrhe d'une combinaison entre les aspira­tions laïques du bien public et les tendances mystiques des Individus ».

* Il aurait été intéressant d'offrir à vos lecteurs, en face de ces définitions données par des profanes, celles que vous auraient proposées des dignitaires maçons.

** Nous l'avons fait. Ainsi, le docteur Pierre-Simon, Passé Grand Maître de la Grande Loge de France, nous a précisé tout simplement : « La Franc- Maçonnerie est une voie d'accès à une réflexion universaliste ». Ancien Grand Maître de la Grande Loge dé France, lui aussi, l'avocat Richard Dupuy a pu dire : « La Franc-Maçonnerie n'est ni une armée, ni une Eglise, ni un culte, ni un parti. Elle n'est qu'une méthode au service de l'homme, méthode d'accès à la Connaissance par la liberté, c'est-à-dire au pouvoir de décision et d'action, méthode d'accès à la Connaissance par le travail ». Il ajoute d'ailleurs, rejoint en cela par le sénateur Henri Caillavet, que c'est dans les Loges que s'éla­bore la morale universelle de demain ».

Vous-même, Maître- Monosson, vous avez participé à cette enquête en insis­tant sur l'intérêt que de nombreux jeunes portent à la méthode initiatique.

* Lorsque les adversaires de la Maçonnerie vous déclarent qu'elle n'est rien d'autre à leurs yeux qu'un syndicat d'arrivistes, n'avez-vous aucune réponse dans votre livre qui vous permette de démontrer à vos lecteurs à quel point cette opinion est loin de correspondre à la réalité ?

** L'éditeur Jean Vitiano nous a expliqué à ce sujet : « Savez-vous qu'un Franc-Maçon qui, pour servir l'un de ses frères, commettrait une Injus­tice à l'égard d'un profane serait en Infraction avec la règle maçonnique ? La solidarité impose à un Maçon de donner à son frère ce qui lui revient mais jamais ce qui, en toute légitimité, doit revenir à un autre ». De même, un ancien Grand Maître adjoint de la Grande Loge de France, M. Gilbert Mar­chadier, nous a confié : « Bien sûr, la solidarité des Francs-Maçons existe, mais c'est quelque chose en plus. On ne vient pas en Maçonnerie uniquement pour elle. Celui qui le laisserait entrevoir aurait peu de chances d'être admis par la Loge. Et celui qui, entré en Loge, ne serait là que pour en tirer un bénéfice matériel, n'y resterait pas longtemps ».

* Vous avez demandé à vos interlocuteurs comment ils avaient réagi pen­dant l'occupation allemande à la propagande antimaçonnique...

** Oui, et nous avons constaté que souvent les arguments utilisés à l'époque contre la Maçonnerie et contre les Francs-Maçons ont atteint un résultat bien différent de celui qui avait été recherché. Nombre de ceux qui, Francs-Maçons ou non, émettent aujourd'hui une opinion sympathique sur l'Ordre maçonnique et sur sa méthode ont souvent découvert ce qu'elle était à travers les campagnes dirigées contre les Obédiences pendant la période de persécution. Ainsi, le Grand Maître Pierre-Simon a découvert ce que pouvaient être les Francs-Maçons en visitant une exposition antimaçonnique à Lyon en 1941. Ainsi, l'académicien Maurice Druon nous a confié qu'il s'était rapproché des Maçons lorsqu'ils étaient persécutés. Le peintre Fred Zeller, ancien Grand Maître du Grand Orient de France, déclare de son côté : « Comme tant d'au­tres, j'ai appris, non sans étonnement, et grâce aux gens de Vichy, qu'un grand nombre de ceux que notre pays comptait parmi les meilleurs de ses médecins, chirurgiens, savants, enseignants, économistes, hauts fonctionnaires, artistes, étaient Francs-Maçons.

* Les personnalités qui ont accepté de répondre à votre questionnaire, ont-elles une idée précise de ce que peut être la méthode maçonnique ?

** C'est sur ce point sans doute que notre enquête s'est heurtée à la difficulté la plus évidente. Nous avons demandé aux personnes interrogées comment elles réagissent lorsqu'on venait leur dire que la Franc-Maçonnerie contemporaine propose aux hommes sa méthode initiatique comme un moyen d'accéder à l'intelligence collective et de trouver le supplément d'âme. Or, quelle opinion peuvent valablement émettre à ce sujet des profanes qui igno­rent tout de ce qui se passe dans la Loge au moment de l'ouverture rituelle des travaux, puisque c'est à ce moment que l'initié passe du stade de l'indi­vidualité à celui de la recherche collective et que ce qui se réalise par « l'égrégore », entre l'ouverture et la fermeture rituelles des travaux est pré­cisément ce qui reste couvert par le secret maçonnique ?

* Ce fameux secret, on a dû beaucoup vous en parler ?

** Evidemment, et c'est là ce que les profanes comprennent le moins, même lorsqu'ils sont favorablement orientés pour l'Ordre maçonnique. Il est d'ailleurs évident que quelques Francs-Maçons eux-mêmes entretiennent invo­lontairement cette incompréhension en laissant croire que le secret maçon­nique c'est uniquement ce qui ne doit pas être révélé. Il n'est pas possible à celui qui n'a jamais vécu en initié une Tenue dans la Loge de comprendre que ce qui s'accomplit entre l'ouverture et la fermeture rituelle des travaux ne peut pas être révélé parce que l'initié lui-même, revenu ensuite sur le par­vis du Temple dans sa dimension individuelle ne retrouve pas toujours les éléments de la Vérité, les illuminations qui lui sont apparues pendant le temps du travail collectif dans la Loge. Des Maçons nous ont répondu, au cours de cette enquête, que le secret n'est pas seulement ce qui ne doit pas être révélé en application des règlements et des traditions de l'Ordre, mais aussi et surtout ce qui ne peut pas l'être par la nature même de cette Intégration des individus qui s'accomplit par le rituel pendant un temps donné.

* Vous admettez donc que la Maçonnerie ne peut être comprise que par le Franc-Maçon ?

** C'est l'évidence même. Dès lors notre enquête a surtout pour Inté­rêt de faire connaître aux Francs-Maçons ce que pensent d'eux les profanes en 1978, ce qui ne saurait, après tout, leur être indifférent. Notre enquête ne révélera que bien peu de choses aux profanes de ce qu'est réellement un Ordre initiatique à notre époque. Ce n'était d'ailleurs pas le but que nous recherchions. Malgré tout, ceux qui, comme M. François Chalais, ont ironisé sur le décorum des temples maçonniques et sur les insignes que portent les Francs-Maçons dans la Loge, auront peut-être compris que sans un rituel et sans un ensemble de symboles qui ne parlent que pour l'initié, aucun tra­vail initiatique ne serait possible.

* La formule du supplément d'âme n'a-t-elle pas heurté certains de vos interlocuteurs ?

** SI, et même certains de nos interlocuteurs Francs-Maçons. La plupart l'ont acceptée. Tel ancien Grand Maître du Grand Orient de France, par contre, ne croit pas à la possibilité d'un supplément d'âme pour la simple raison qu'il ne croit pas à l'existence de l'âme. La recherche du supplément d'âme a cho­ qué également certains esprits religieux qui considèrent que ce domaine est une exclusivité des églises et qu'un corps social qui échappe aux disci­plines religieuses, comme la Maçonnerie, ne devrait pas y faire référence.

* Plusieurs des personnes interrogées ont, semble-t-il, émis une opinion sur le devenir de l'Ordre Maçonnique ?

** Oui, et c'est sans doute là l'un des éléments les plus intéressants de notre enquête. Je retiens notamment l'opinion du journaliste Jean Grand­mougin qui nous a déclaré : « Que la Franc-Maçonnerie aille aux hommes leur présenter ce qu'elle est. Ils en penseront ce qu'ils voudront mais elle sera là, et ils pourront s'y référer. Peut-être y trouveront-ils une morale, une règle de vie, voire une loi et un moyen, de toute façon, d'accéder à davan­tage d'humanité «.

* Alors, monsieur Faucher, ayant publié ce livre, avez-vous une conclusion à donner à une telle enquête ?

* * Je m'en tiendrai à ce qu'écrivait déjà en 1737 le Franc-Maçon Ricault. Quatre vers de lui résument en fait les 200 pages de notre ouvrage. Il avait écrit en effet voici très exactement 240 années :

Pour le public un Franc-Maçon
sera toujours un vrai problème
qu'il ne saurait résoudre à fond
qu'en devenant Maçon lui-même.

AVRIL 1978


Publié dans le PVI N° 29 - 2éme trimestre 1978   Abonner-vous à PVI : Cliquez ici

P029-8 L'EDIFICE  -  contact@ledifice.net \