GLDF | Revue : Points de Vue Initiatiques | 2T/1979 |
Un ancien Grand Maître de la Grande Loge de France Michel DUMESNIL de GRAMONT Le 12 février 1957
s'allumaient les feux de la Respectable Loge « Dumesnil de Gramont «. Les très
illustres Frères fondateurs avaient choisi le nom de celui qui, Grand Maître de
la Grande Loge de France, devait à la suite d'événements douloureux être à la
base de la renaissance de la Franc-Maçonnerie Française et de la Grande Loge de
France. Michel Dumesnil de Gramont entrait ainsi de façon impérissable dans
l'histoire de l'Ordre. Il n'avait que
soixante ans lorsqu'il est passé à l'Orient Eternel, le 4 février 1953, mais
trente-quatre ans de sa vie avaient été consacrés à la Franc-Maçonnerie. Le ProfaneLégion d'Honneur,
Croix de Guerre, Médaille de la Résistance, témoignent d'une vie profane faite
de dévouement et d'honneur. Son verbe sec,
dépouillé, souvent marqué d'ironie, voire de causticité, cachait à peine un
cœur aimant et dévoué. Venu à vingt- quatre ans à la Franc-Maçonnerie à
laquelle il consacra l'essentiel de sa vie, il est bien difficile de dissocier
sa vie profane de sa vie de Franc-Maçon tant il appliquait au-delà du Temple
les qualités morales et fraternelles qu'il prêchait à l'intérieur. Les postes qu'il
occupa dans l'Administration et dans les Assurances — il fut, avant 1940,
Directeur administratif de la Recherche Scientifique des Inventions, puis
Président Directeur Général de la Compagnie d'Assurances «
L'Urbaine-Capitalisation » après la Libération — cachent le talent d'Homme de
Lettres, d'essayiste, de poète, d'écrivain, que fut Michel Dumesnil de
Gramont. Sa connaissance
parlée et écrite de la langue russe, son savoir en matière de tradition slave,
alliés à un style de plume alerte et à une maîtrise parfaite du vocabulaire et
de la syntaxe lui permirent de traduire en langue française une vingtaine
d'ouvrages de grands écrivains modernes russes comme Maxime Gorki, Alexis
Tolstoï, Ivan Bounine, Merejkowsky... Le choix des oeuvres traduites montre
clairement les trois grands problèmes qui étaient à la base de ses
préoccupations littéraires et philosophiques. « Les Artamonov, La
vie de Klim, Les Souvenirs » de Maxime Gorki évoquent ses
pensées et ses
méditations sur les problèmes sociaux. «
Jésus inconnu », « Michel Ange », « Le
roman de Léonard de Vinci », « Sur le Chemin
d'Emmaüs », « Les Mystères de
l'Orient » illustrent son désir de pénétrer
le sens caché des faits
historiques. « Le Sacrement de l'Amour », « L'Amour
Livre d'Or » et le « Chemin
des Tourments », compositions dramatiques touchant à
la vie sentimentale
contemporaine, montrent bien ses préoccupations sur le
bonheur. Mais, on doit aussi
à Michel Dumesnil de Gramont plusieurs production en langue française et
notamment une « Histoire de la littérature allemande » et une « Histoire de la
littérature russe », De Luther à Wagner », un essai de psychologie ethnique et
« Le Prophète rouge », un essai sur Marx et le marxisme, ces deux ouvrages
ayant été écrits en collaboration avec Klugman. Avec Antonio Coen — autre passé
Grand Maître de la Grande Loge de France — il écrivit à l'intention du monde
profane une très belle étude sur « La Franc-Maçonnerie Ecossaise ». Son grand-père, le
poète Ferdinand de Gramont, auteur des « Sextines » lui légua son art de la
versification, ce qui incita Michel Dumesnil de Gramont à publier des poèmes
dont « Cendres des Jours » où il invite à la méditation : mais Le sort est équitable et juste est sa balance Lorsque dans les plateaux Du deuil et du plaisir que sa main nous dispense Les deux poids sont égaux... » L'équilibre en
somme, le sens de la mesure transparaît dans ces vers. C'est bien ainsi que
s'est déroulée la vie de Michel Dumesnil de Gramont, avec équilibre et mesure
en toutes choses, mais non sans passion, sans conviction, sans tradition. Il
adorait son épouse qui le lui rendait bien. Il aimait une bonne table, appréciait
un bon vin, bridgeait ou belotait avec ses amis — n'oubliait jamais les
anniversaires de ses proches. Il aimait la compagnie des humbles, prenait le
métro, Socialiste au sens le plus noble, il prêchait l'égalité. Il fut à
l'origine de l'application des conventions collectives dans la branche des
assurances sur la vie. Le Franc-MaçonMichel Dumesnil de
Gramont n'avait que vingt-quatre ans lorsqu'il fut initié le 16 février 1919 à
la Respectable Loge « Cosmos » N° 288 par le Vénérable Lucien Le Foyer qui, de
1928 à 1930, fut élu Grand Maître de la Grande Loge de France. Lucien Le Foyer
est passé à l'Orient Eternel trois mois avant Michel Dumesnil de Gramont. Tous
deux écrivains, tous deux poètes, ils avaient les mêmes aspirations, cherchant
l'un et l'autre la Vérité. Compagnon le 19
septembre 1920, Michel Dumesnil de Gramont obtint la Maîtrise le 18 janvier
1921. Brillant orateur, intelligent, un coeur réceptif à tous les problèmes
humains, il partagea désormais sa vie entre sa famille et l'Ordre, mêlant
souvent les deux, tant sa foi maçonnique était grande. En 1921 il se joignait
aux anciens Frères de la Loge « Le Portique » qui réveillaient cet Atelier. Il
en devint le Vénérable à trente ans. A la Tenue solennelle d'Installation
présidée par le Grand Maître Gustave Mesureur, le nouveau Vénérable Dumesnil de
Gramont tint ce langage : « ... Oui, ce
que l'on a toujours fait dans cet Atelier, et ce que l'on continuera de faire,
si le destin ne nous déçoit pas, c'est de suivre d'un oeil impartial et curieux
les évolutions de l'intelligence, les arabesques du sentiment et jusqu'à ces
contorsions de la pensée ou de la passion qui scandalisent parfois
l'observateur malhabile. Et ce faisant,
nous irons plus près de la vie que le commun des hommes qui se croient près de
la réalité parce qu'ils font leur ordinaire d'opinions toutes faites, de
sentiments stéréotypés et se fournissent d'idées dans leurs journaux, dans
leurs comités ou dans leurs loges, comme certains vont dans les magasins de
confection acheter gilets et pantalons. » Ainsi parlait
Dumesnil de Gramont qui, à trente ans, avait déjà le mépris, le mépris souriant
de la pensée toute faite. Il fut membre
fondateur de trois Loges : « Le Sagittaire » en 1922, la « Grande Triade » en
1948, « la France » en 1951 où il prôna la liberté de pensée qui lui était si
chère, cette liberté qui, alliée au goût de l'indépendance de la parole, donne
le sens de la responsabilité de la pensée exprimée. Cette
responsabilité était sienne : Conseiller Fédéral dès 1923, il fut Grand
Secrétaire Adjoint en 1928, Grand Orateur Adjoint en 1929, Grand Orateur en
1931, Grand Maître Adjoint en 1933. Grand Maître de la
Grande Loge de France en 1934 et en 1935, il le sera de nouveau de 1938 à 1948
puis de 1950 à 1952. Il était Grand
Maître d'Honneur depuis le Convent de 1948. Il fut aussi l'un
des fondateurs du Groupe Condorcet-Brossolette, dont il inaugura les conférences
à la Sorbonne. Michel Dumesnil de Gramont Sans afficher
ostensiblement sa qualité maçonnique, Michel Dumesnil de
Gramont ne cachait pas
dans son entourage profane son appartenance. Rien ne le
hérissait davantage que
le qualificatif de « Société secrète
» souvent attribué à la Franc-Maçonnerie. Nous connaissons
tous certains arguments faciles exploités par les adversaires de notre Ordre.
Celui qui repose sur le fait que les maçons prennent beaucoup de soin pour
dissimuler leur appartenance aux profanes fait souvent dire : « S'ils se
cachent ainsi, c'est bien que leur oeuvre est malfaisante... ». Ce problème
irritait Dumesnil de Gramont et en tant que Grand Maître de la Grande Loge de
France qui reprenait force et vigueur au lendemain de la Libération, il prit
une position très nette sur ce sujet lors d'une allocution prononcée le 15
avril 1945. Il donna ce jour-là la mesure de son talent, de son équilibre, de
sa clairvoyance. Tout en appelant au
réalisme dans le respect de la dignité et du rituel maçonniques, il soulignait
que : « ... S'il était
indispensable de ne pas abolir la loi du Silence en ce qui concerne les Travaux
exécutés dans l'intimité des loges sous l'égide de notre Symbolisme, cette raison
d'être de la Maçonnerie qui fait à la fois son originalité, n'était pas
incompatible avec la légitime fierté que devaient avoir les Maçons de leur
qualité. » Il fallait,
disait-il : « ... Se libérer
de ce romantisme inconsidéré qui consiste à s'abriter sous le voile illusoire
du mystère aux yeux des profanes : c'est faire preuve de naïveté que d'éditer
des bulletins, des revues, lancer des circulaires et en même temps conserver
l'espoir que les profanes ne sauront rien de nous. » Mais cette ouverture
vers l'extérieur, qui dénote le réalisme de Dumesnil de Gramont, ne doit pas
cacher les vertus du Symbolisme qu'il professait. En effet il disait, en
insistant, combien les symboles de l'Ordre et les formules du Rituel — même
lorsque l'automatisme de l'habitude en a dégradé l'énergie — gardent encore
une puissance qu'ils nous communiquent ; et il ajoutait que c'était grâce à
leur vertu, à leur force, qu'à notre insu ils avaient laissé en nous, que la
Maçonnerie était sortie de l'épreuve, matériellement affaiblie peut-être, mais
moralement intacte. C'est ainsi que
vers la même époque il déclarait : « ... Nous ne
pouvons espérer réussir que dans la mesure où nous resterons fidèles aux
traditions de l'Institution et à ses méthodes particulières. Nous devons,
d'une part, éviter de tomber dans un fétichisme inerte et stérile et, d'un
autre côté, nous garder de déformer notre caractère propre en plagiant les
organisations profanes. Nous n'ignorons pas qu'il est malaisé d'éviter ce
double danger et de s'adapter au présent tout en respectant le passé : cela
exige un continuel contrôle de soi-même et un constant effort de lucidité. » Michel Dumesnil de Gramont et l'EgliseLa 111e République,
sur son déclin, était aux prises avec des dangers tant intérieurs qu'extérieurs.
Face à ceux-ci, des Maçons, parmi lesquels Antonio Coen, Jean-Richard Bloch,
Marcel Cauwel, André Lebey et Fernand Varache, essayèrent la possibilité de
resserrer des liens interrompus jadis avec les Eglises. Notamment Albert
Lantoine, dans un article paru dans « Le Symbolisme » en janvier 1936,
affirmait : « ... Qu'en
chassant et en brimant les Francs-Maçons, les pouvoirs dictatoriaux qui se
sont installés en Russie, en Italie et en Allemagne ont eu ce résultat
imprévisible : une atténuation sensible de l'hostilité de l'Eglise Catholique
envers les Francs-Maçons... » Et Albert Lantoine espérait « qu'un temps
viendrait où, pour l'honneur de cette Eglise, plus peut-être que pour
l'honneur de l'Ordre Maçonnique, tombera
du haut de la « Sédia Gestatoria » la parole de contrition par quoi serait
effacé l'injuste et lointain anathème (l'Excommunication des Francs-Maçons par
Rome)... » C'est au printemps
de 1937 qu'Albert Lantoine fit paraître la fameuse « Lettre au Souverain
Pontife » agrémentée d'une préface rédigée par Oswald Wirth avec comme
épigraphe, un verset tiré du prophète Joël « Ce jour-là... une source sortira
de la maison de Jahveh, et elle arrosera la Vallée des Acacias... » Cette
préface se terminait par une citation de Voltaire : « Que chacun dans sa foi
cherche en paix la lumière... ». Cette Lettre
aboutissait à la conclusion qu'il était temps que les deux institutions
spirituelles concluent enfin un armistice, une trêve qui mette fin à une lutte
vaine et devenue sans objet. De son côté Antonio
Coen suggéra, lui aussi, « que la Maçonnerie s'adressât à tous ceux que
l'Eglise n'était pas en mesure d'atteindre. » Pour résumer,
Antonio Coen demandait aux Maçons de faire abstraction de l'alliance contractée
par l'Eglise avec certains groupes politiques. Dans certains cas, disait-il,
l'Eglise par son action personnelle concourt à l'accomplissement de l'idéal
Maçonnique, car les deux institutions travaillent sur les plans parallèles. Ce désir et cette
tendance de certains maçons favorables à la réconciliation ne fut pas du goût
de tous les Frères, quelle que soit l'obédience à laquelle ils appartenaient.
L'idée d'un compromis, d'une alliance, voire d'une trêve était loin de
recueillir la majorité au sein des Loges. Du haut de sa
chaire au sein du Suprême Conseil du Rite Ecossais, Michel Dumesnil de Gramont
se fit entendre : Sur un ton vif mais courtois et avec une certaine hauteur, il
rappela la longue liste des Encycliques pontificales contre l'Ordre. Il invita les
Frères à relire de près le texte du Pape Léon XIII qui, dans son Encyclique «
Humanus Genus » datée de 1884, confirmait l'anathème à l'encontre de la
Franc-Maçonnerie. Puis il signifia clairement que c'était à l'Eglise et non à
la Maçonnerie de reconnaître la vanité des condamnations et à faire les
premiers pas... Ainsi soulignait-il
le leurre d'une trêve à sens unique entre l'Eglise catholique et la Maçonnerie.
Dans son esprit, la Franc- Maçonnerie dépasse le simple catholicisme car elle
groupe autour d'elle, en une véritable synthèse, tous les hommes de bonne
volonté, sans distinction de race, de couleur ou d'origine et aussi de
religion. Michel de Gramont artisan de la renaissance Le 1er février
1939, Arthur Groussier, ancien député, Grand Maître du Grand Orient de France
et Michel Dumesnil de Gramont, Grand Maître de la Grande Loge de France,
signaient d'un commun accord une lettre adressée au Frère Franklin Roosevelt,
Président des Etats-Unis. Les deux Grands
Maîtres des Obédiences maçonniques françaises les plus importantes,
remerciaient le Président Roosevelt pour ses efforts à dénouer la crise de
septembre 1938. Ils faisaient allusion aux accords de Munich où, bien que non
présent, Roosevelt était intervenu par le biais des Ambassades. Puis ils demandaient
au Président des Etats-Unis de prendre l'initiative de réunir une conférence
internationale « où seraient représentés tous les Etats intéressés et au cours
de laquelle seraient étudiés, en pleine clarté, tous les problèmes éthiques et
économiques qui divisent aujourd'hui les Nations... ». Les deux dignitaires
ajoutaient que lui seul (F. Roosevelt) avait l'autorité suffisante pour
convoquer une telle réunion internationale. Le coup de force de
Hitler sur le corridor de Dantzig et sur la Pologne, et la complicité avec
Staline, devaient faire hésiter F. Roosevelt à réunir une telle conférence
pourtant réclamée par d'autres personnalités non maçonniques. L'histoire, a-t-on
dit, en décida autrement. Après l'Armistice
de juin 1940 et l'installation de l'Etat français à
Vichy, la persécution — le
mot n'est pas trop fort — fut officialisée par la loi
du 13 août 1940 portant
interdiction des « Associations secrètes »,
complétée par le décret du 19 août
1940 qui visait plus particulièrement la dissolution des
Associations dites la
Grande Loge de France... et le Grand Orient de France et de tous les
groupements s'y rattachant, tant en France, en Algérie et dans
les colonies
d'alors. La dévolution des
biens des deux Associations était prononcée. Ce décret était signé de Philippe
Pétain Chef de l'Etat, d'Adrien Marquet Ministre Secrétaire d'Etat à
l'Intérieur et de Raphaël Alibert Garde des Sceaux. Quelques mois plus
tard des Francs-Maçons fondaient clandestinement un groupe parisien de
résistance à l'occupation allemande et aux lois de Vichy. Ce groupe appelé «
Patriam Recuperare » comprenait notamment Jean Moulin, Jean Baylot, Charles
Riandey, Marcel Cerbu, Joannès Corneloup, Dumesnil de Gramont... D'autres Maçons
s'étaient groupés à Londres dans le mouvement de résistance du Général de
Gaulle. Entre eux et les Frères restés en France, le signal de reconnaissance
lors des émissions radiophoniques de la B.B.C. était, au début de celles-ci, le
rappel de la devise républicaine et maçonnique : « Liberté, Egalité, Fraternité
»... Pendant les Interludes étaient joués des extraits de l'Opéra Maçonnique «
La Flûte Enchantée » du Frère Mozart... Quant « Aux Français parlent des
Français » leur indicatif était tiré des premières mesures de la Ve Symphonie
d'un autre Frère célèbre : Beethoven... Pour la petite
histoire, précisons que le recueil des Loges clandestines en France comportait
un système de numérotation utilisant un Code minéralogique des départements...
qui deviendra celui utilisé pour l'immatriculation des automobiles et notre
actuel Code Postal. Replié en zone
libre à Villefranche-de-Rouergue, Michel Dumesnil de Gramont ne cessa de 1940
à 1943 de militer dans le mouvement « Libération Sud » de la Résistance. A la première
Assemblée Consultative mise en place par le Général de Gaulle à Alger, après le
débarquement des troupes alliées en Afrique du Nord, il y est nommé délégué de
Libération Sud au titre du Conseil National de la Résistance (C.N.R.). Il embarque alors
sur un avion militaire dans la région de Toulouse pour rejoindre les Alliés à
Londres où il arriva le 22 septembre 1943. Il y retrouvait de nombreux maçons
belges, luxembourgeois et français. Un mois plus tard
il arrivait à Alger et avait l'immense joie de reconnaître au sein de
l'Assemblée Consultative de nombreux Frères. De plus, deux Francs-Maçons
appartenaient au Comité Français de Libération Nationale. Il faut préciser
que la qualité de Grand Maître de la Grande Loge de France de Dumesnil de
Gramont était connue du Général de Gaulle qui appréciait le dévouement à la
Cause Nationale des Francs-Maçons, ceux de Londres, d'Afrique du Nord et ceux
de France. A son arrivée en
Afrique du Nord libérée, Michel Dumesnil de Gramont constata que : « ... Si les
Francs-Maçons ne se montraient ni négligents ni timorés pour rétablir le
Temple, les Pouvoirs publics ne manifestaient que peu d'empressement à leur
venir en aide... » Mais laissons la
parole à Dumesnil de Gramont qui a évoqué cette épopée lors du Convent du Rite
Ecossais en 1945 : « ... Lorsque je
débarquai à Alger à l'automne 1943, j'appris avec stupéfaction que les lois et
mesures anti-maçonniques de Vichy n'avaient pas été abrogées. Ainsi à s'en
tenir à la lettre des textes, la reconstitution des Loges et des Obédiences
demeurait interdite... Je manifestai au Commissaire de l'Intérieur mon étonnement,
pour ne pas dire mon indignation. Le Commissaire me répondit que les Maçons
pouvaient se réunir comme il leur plaisait et que personne ne viendrait
troubler ni incriminer leur Assemblée. D'accord avec
nos Frères les plus expérimentés de nos Loges d'Afrique du Nord, je rejetai
catégoriquement cette solution hypocrite... Il ne s'agissait pas de rentrer
dans la cité reconquise par une porte dérobée... au contraire, c'était au grand
jour et avec la consécration des textes officiels que nos Loges devaient
reprendre leurs travaux. Je n'entrerai
pas ici dans le détail des démarches qu'il me fallut faire pour arriver à ce
résultat. Qu'il me suffise de rappeler que le 15 décembre 1943, une Ordonnance
conforme en sa rédaction à tout ce que nous avions demandé, annulait la Loi de
Vichy sur les Sociétés dites secrètes et prescrivait la restitution de leurs
biens... ». Cette Ordonnance
devait paraître au « Journal Officiel » une semaine plus tard, le 22 décembre
1943. Cette année-là, la Saint Jean d'Hiver fêtait la renaissance de la
Franc-Maçonnerie Française qui reprenait force et vigueur après un sommeil de
quarante mois. Curieux, nous avons
voulu savoir comment Michel Dumesnil de Gramont s'y était pris pour, en
quelques semaines, arriver à ce résultat. Dans leur «
Histoire de la Franc-Maçonnerie Française », J.-A. Faucher et A. Ricker
apportent quelques précisions sur les conditions dans lesquelles le Général de
Gaulle a été amené à reconnaître les droits de libre réunion des
Francs-Maçons. Autre historien,
Pierre Chevallier dans « Histoire de la Franc- Maçonnerie Française », tout en
rapportant les propos des deux auteurs précédents, cite d'autres sources qui
concordent avec les résultats de nos propres recherches et d'entretiens qu'ont
bien voulu nous accorder deux profanes, alors collaborateurs du Général de
Gaulle en cette fin d'année 1943. Plusieurs Frères
qui ont bien connu Michel Dumesnil de Gramont nous ont confirmé les faits
ci-après. Après avoir — comme
il l'écrira plus tard — constaté que la Maçonnerie était toujours en sommeil
dans les Territoires d'Afrique du Nord libérés par les Alliés, Michel Dumesnil
de Gramont jugea que c'était au Général de Gaulle à trancher cette question. Il se peut qu'il
ait rencontré le Général à ce sujet, mais nous n'en n'avons aucune preuve. Par contre on sait
que Dumesnil de Gramont approcha Jacques Soustelle et Georges Gorse, qui
n'était pas Maçon, et Yvon Morandat, un sympathisant, qui deviendra Franc-Maçon
plus tard. On comprend mieux
la question adressée par Yvon Morandat, lui aussi membre de l'Assemblée
Consultative, au Général de Gaulle lui demandant si l'exercice de la
Franc-Maçonnerie était toujours interdite. Du haut de sa
tribune, le Général leur répondit : « Nous n'avons jamais reconnu les lois
d'exception de Vichy, en conséquence la Franc-Maçonnerie n'a jamais cessé
d'exister en France. » Mais Dumesnil de
Gramont obtint davantage du Chef de la France Libre : Nous avons évoqué
au début de cette planche l'irritation manifestée par Dumesnil de Gramont
lorsqu'il entendait parler de « Sociétés Secrètes » pour qualifier les
obédiences maçonniques. Dans l'Ordonnance
du 15 décembre 1943 signée du Général de
Gaulle ; et des Commissaires François
de Menthon, André Le Troquer, Louis Jacquinot et Massigli, tous
membres du
Comité Français de la Libération Nationale, trois
mots « Associations dites
secrètes » remplacent les deux mots «
Sociétés secrètes » utilisés par
Vichy
pour qualifier les Associations de Francs-Maçons. On voit ici la
volonté de Dumesnil de Gramont de replacer la Franc-Maçonnerie dans son vrai
contexte. Dumesnil ne manquera pas de mentionner ce fait lors de sa déclaration
au Convent de 1945 dans les formes citées plus haut. Lorsque Michel
Dumesnil de Gramont mourut en 1953, de sa retraite de Colombey, le Général fit
savoir « qu'il avait pour Dumesnil de Gramont une grande et confiante estime et
qu'il éprouvait une très grande et profonde peine en apprenant sa disparition
». Pour la petite HistoireEn dehors de
l'Ordonnance officialisant la renaissance de la Franc-Maçonnerie dans les
territoires français en lui restituant ses locaux et ses biens — ou ce qu'il en
restait — le Général de Gaulle devait, à deux reprises, marquer l'estime qu'il
portait à Michel Dumesnil de Gramont. Une première fois
lorsque le Général le chargea d'une mission auprès du Président Franklin
Roosevelt qui séjournait alors à Anfa au Maroc. De Gaulle voulait obtenir du
Président des Etats-Unis sa reconnaissance comme Président du Gouvernement
Provisoire de la France (il était alors très contesté par les Américains). La mission du Frère
Dumesnil auprès du Frère Roosevelt réussit puisque de Gaulle obtint cette reconnaisance.
Ceci se passait quelques jours avant la promulgation de l'Ordonnance qui abolissait
les textes de Vichy... La seconde fois,
quelques mois après la Libération de Paris, lorsque le Général de Gaulle envoya
Dumesnil de Gramont aux Etats-Unis, avec Henri Bonnet, pour négocier quelques
articles délicats du plan Marshall. Nous ne saurons
jamais si l'estime du Général de Gaulle s'adressait au médiateur et à
l'ambassadeur économique de qualité, ou au rénovateur de la pensée maçonnique
en France, à une époque où les valeurs spirituelles faisaient grandement
défaut... Aux deux peut-être. Il appartenait aux
Frères de la Loge Dumesnil de Gramont, N° 757 à l'Orient de Paris de la Grande
Loge de France, de tracer ce morceau d'architecture qui est une pierre à
l'édifice de l'Histoire de la France qui se confond ici — ce n'est pas la
première fois, ni la dernière — avec l'Histoire de l'Ordre. Il appartient à ces
Frères de rappeler et de graver l'action de leur passé Grand Maître qui
contribua à relever les assises du Temple de la Maçonnerie renaissante après
les douloureux événements qui marquèrent l'histoire des Hommes... ... Frère,
Souviens-toi, il y a 35 ans. |
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