GLDF Revue : Points de Vue Initiatiques 2T/1979


Un ancien Grand Maître
de la Grande Loge de France

Michel DUMESNIL de GRAMONT

Le 12 février 1957 s'allumaient les feux de la Respectable Loge « Dumesnil de Gramont «. Les très illustres Frères fondateurs avaient choisi le nom de celui qui, Grand Maître de la Grande Loge de France, devait à la suite d'événements douloureux être à la base de la renaissance de la Franc-Maçonnerie Française et de la Grande Loge de France. Michel Dumesnil de Gramont entrait ainsi de façon impérissable dans l'histoire de l'Ordre.

Il n'avait que soixante ans lorsqu'il est passé à l'Orient Eternel, le 4 février 1953, mais trente-quatre ans de sa vie avaient été consa­crés à la Franc-Maçonnerie.

Le Profane

Légion d'Honneur, Croix de Guerre, Médaille de la Résistance, témoignent d'une vie profane faite de dévouement et d'honneur.

Son verbe sec, dépouillé, souvent marqué d'ironie, voire de causticité, cachait à peine un cœur aimant et dévoué. Venu à vingt- quatre ans à la Franc-Maçonnerie à laquelle il consacra l'essentiel de sa vie, il est bien difficile de dissocier sa vie profane de sa vie de Franc-Maçon tant il appliquait au-delà du Temple les qualités morales et fraternelles qu'il prêchait à l'intérieur.

Les postes qu'il occupa dans l'Administration et dans les Assurances — il fut, avant 1940, Directeur administratif de la Recherche Scientifique des Inventions, puis Président Directeur Général de la Compagnie d'Assurances « L'Urbaine-Capitalisation » après la Libération — cachent le talent d'Homme de Lettres, d'es­sayiste, de poète, d'écrivain, que fut Michel Dumesnil de Gramont.

Sa connaissance parlée et écrite de la langue russe, son savoir en matière de tradition slave, alliés à un style de plume alerte et à une maîtrise parfaite du vocabulaire et de la syntaxe lui permirent de traduire en langue française une vingtaine d'ouvrages de grands écrivains modernes russes comme Maxime Gorki, Alexis Tolstoï, Ivan Bounine, Merejkowsky... Le choix des oeuvres traduites montre clairement les trois grands problèmes qui étaient à la base de ses préoccupations littéraires et philosophiques.

« Les Artamonov, La vie de Klim, Les Souvenirs » de Maxime Gorki évoquent ses pensées et ses méditations sur les problèmes sociaux. « Jésus inconnu », « Michel Ange », « Le roman de Léonard de Vinci », « Sur le Chemin d'Emmaüs », « Les Mystères de l'Orient » illustrent son désir de pénétrer le sens caché des faits historiques. « Le Sacrement de l'Amour », « L'Amour Livre d'Or » et le « Chemin des Tourments », compositions dramatiques tou­chant à la vie sentimentale contemporaine, montrent bien ses préoc­cupations sur le bonheur.

Mais, on doit aussi à Michel Dumesnil de Gramont plusieurs production en langue française et notamment une « Histoire de la littérature allemande » et une « Histoire de la littérature russe », De Luther à Wagner », un essai de psychologie ethnique et « Le Prophète rouge », un essai sur Marx et le marxisme, ces deux ouvrages ayant été écrits en collaboration avec Klugman. Avec Antonio Coen — autre passé Grand Maître de la Grande Loge de France — il écrivit à l'intention du monde profane une très belle étude sur « La Franc-Maçonnerie Ecossaise ».

Son grand-père, le poète Ferdinand de Gramont, auteur des « Sextines » lui légua son art de la versification, ce qui incita Michel Dumesnil de Gramont à publier des poèmes dont « Cendres des Jours » où il invite à la méditation :

« ... Car devant la même heure ou la même journée, Ne passe pas deux fois la route d'un mortel,
mais
Le sort est équitable et juste est sa balance Lorsque dans les plateaux
Du deuil et du plaisir que sa main nous dispense Les deux poids sont égaux... »

L'équilibre en somme, le sens de la mesure transparaît dans ces vers. C'est bien ainsi que s'est déroulée la vie de Michel Dumesnil de Gramont, avec équilibre et mesure en toutes choses, mais non sans passion, sans conviction, sans tradition. Il adorait son épouse qui le lui rendait bien. Il aimait une bonne table, appré­ciait un bon vin, bridgeait ou belotait avec ses amis — n'oubliait jamais les anniversaires de ses proches. Il aimait la compagnie des humbles, prenait le métro, Socialiste au sens le plus noble, il prêchait l'égalité. Il fut à l'origine de l'application des conventions collectives dans la branche des assurances sur la vie.

Le Franc-Maçon

Michel Dumesnil de Gramont n'avait que vingt-quatre ans lors­qu'il fut initié le 16 février 1919 à la Respectable Loge « Cosmos » N° 288 par le Vénérable Lucien Le Foyer qui, de 1928 à 1930, fut élu Grand Maître de la Grande Loge de France. Lucien Le Foyer est passé à l'Orient Eternel trois mois avant Michel Dumesnil de Gramont. Tous deux écrivains, tous deux poètes, ils avaient les mêmes aspirations, cherchant l'un et l'autre la Vérité.

Compagnon le 19 septembre 1920, Michel Dumesnil de Gra­mont obtint la Maîtrise le 18 janvier 1921. Brillant orateur, intelli­gent, un coeur réceptif à tous les problèmes humains, il partagea désormais sa vie entre sa famille et l'Ordre, mêlant souvent les deux, tant sa foi maçonnique était grande. En 1921 il se joignait aux anciens Frères de la Loge « Le Portique » qui réveillaient cet Atelier. Il en devint le Vénérable à trente ans. A la Tenue solen­nelle d'Installation présidée par le Grand Maître Gustave Mesureur, le nouveau Vénérable Dumesnil de Gramont tint ce langage :

« ... Oui, ce que l'on a toujours fait dans cet Atelier, et ce que l'on continuera de faire, si le destin ne nous déçoit pas, c'est de suivre d'un oeil impartial et curieux les évolutions de l'intelli­gence, les arabesques du sentiment et jusqu'à ces contorsions de la pensée ou de la passion qui scandalisent parfois l'observateur malhabile.

Et ce faisant, nous irons plus près de la vie que le commun des hommes qui se croient près de la réalité parce qu'ils font leur ordinaire d'opinions toutes faites, de sentiments stéréotypés et se fournissent d'idées dans leurs journaux, dans leurs comités ou dans leurs loges, comme certains vont dans les magasins de confec­tion acheter gilets et pantalons. »

Ainsi parlait Dumesnil de Gramont qui, à trente ans, avait déjà le mépris, le mépris souriant de la pensée toute faite.

Il fut membre fondateur de trois Loges : « Le Sagittaire » en 1922, la « Grande Triade » en 1948, « la France » en 1951 où il prôna la liberté de pensée qui lui était si chère, cette liberté qui, alliée au goût de l'indépendance de la parole, donne le sens de la respon­sabilité de la pensée exprimée.

Cette responsabilité était sienne : Conseiller Fédéral dès 1923, il fut Grand Secrétaire Adjoint en 1928, Grand Orateur Adjoint en 1929, Grand Orateur en 1931, Grand Maître Adjoint en 1933.

Grand Maître de la Grande Loge de France en 1934 et en 1935, il le sera de nouveau de 1938 à 1948 puis de 1950 à 1952.

Il était Grand Maître d'Honneur depuis le Convent de 1948.

Il fut aussi l'un des fondateurs du Groupe Condorcet-Bros­solette, dont il inaugura les conférences à la Sorbonne.

Michel Dumesnil de Gramont
et l'extériorisation de la Franc-Maçonnerie

Sans afficher ostensiblement sa qualité maçonnique, Michel Dumesnil de Gramont ne cachait pas dans son entourage profane son appartenance. Rien ne le hérissait davantage que le qualifi­catif de « Société secrète » souvent attribué à la Franc-Maçonnerie.

Nous connaissons tous certains arguments faciles exploités par les adversaires de notre Ordre. Celui qui repose sur le fait que les maçons prennent beaucoup de soin pour dissimuler leur appartenance aux profanes fait souvent dire : « S'ils se cachent ainsi, c'est bien que leur oeuvre est malfaisante... ».

Ce problème irritait Dumesnil de Gramont et en tant que Grand Maître de la Grande Loge de France qui reprenait force et vigueur au lendemain de la Libération, il prit une position très nette sur ce sujet lors d'une allocution prononcée le 15 avril 1945. Il donna ce jour-là la mesure de son talent, de son équilibre, de sa clair­voyance.

Tout en appelant au réalisme dans le respect de la dignité et du rituel maçonniques, il soulignait que :

« ... S'il était indispensable de ne pas abolir la loi du Silence en ce qui concerne les Travaux exécutés dans l'intimité des loges sous l'égide de notre Symbolisme, cette raison d'être de la Maçon­nerie qui fait à la fois son originalité, n'était pas incompatible avec la légitime fierté que devaient avoir les Maçons de leur qualité. »

Il fallait, disait-il :

« ... Se libérer de ce romantisme inconsidéré qui consiste à s'abriter sous le voile illusoire du mystère aux yeux des pro­fanes : c'est faire preuve de naïveté que d'éditer des bulletins, des revues, lancer des circulaires et en même temps conserver l'espoir que les profanes ne sauront rien de nous. »

Mais cette ouverture vers l'extérieur, qui dénote le réalisme de Dumesnil de Gramont, ne doit pas cacher les vertus du Symbolisme qu'il professait. En effet il disait, en insistant, combien les symboles de l'Ordre et les formules du Rituel — même lorsque l'automatisme de l'habitude en a dégradé l'énergie — gardent en­core une puissance qu'ils nous communiquent ; et il ajoutait que c'était grâce à leur vertu, à leur force, qu'à notre insu ils avaient laissé en nous, que la Maçonnerie était sortie de l'épreuve, maté­riellement affaiblie peut-être, mais moralement intacte.

C'est ainsi que vers la même époque il déclarait :

« ... Nous ne pouvons espérer réussir que dans la mesure où nous resterons fidèles aux traditions de l'Institution et à ses mé­thodes particulières. Nous devons, d'une part, éviter de tomber dans un fétichisme inerte et stérile et, d'un autre côté, nous garder de déformer notre caractère propre en plagiant les organisations profanes. Nous n'ignorons pas qu'il est malaisé d'éviter ce double danger et de s'adapter au présent tout en respectant le passé : cela exige un continuel contrôle de soi-même et un constant effort de lucidité. »

Michel Dumesnil de Gramont et l'Eglise

La 111e République, sur son déclin, était aux prises avec des dangers tant intérieurs qu'extérieurs. Face à ceux-ci, des Maçons, parmi lesquels Antonio Coen, Jean-Richard Bloch, Marcel Cauwel, André Lebey et Fernand Varache, essayèrent la possibilité de resserrer des liens interrompus jadis avec les Eglises.

Notamment Albert Lantoine, dans un article paru dans « Le Symbolisme » en janvier 1936, affirmait :

« ... Qu'en chassant et en brimant les Francs-Maçons, les pou­voirs dictatoriaux qui se sont installés en Russie, en Italie et en Allemagne ont eu ce résultat imprévisible : une atténuation sensi­ble de l'hostilité de l'Eglise Catholique envers les Francs-Maçons... » Et Albert Lantoine espérait « qu'un temps viendrait où, pour l'hon­neur de cette Eglise, plus peut-être que pour l'honneur de l'Ordre

Maçonnique, tombera du haut de la « Sédia Gestatoria » la parole de contrition par quoi serait effacé l'injuste et lointain anathème (l'Excommunication des Francs-Maçons par Rome)... »

C'est au printemps de 1937 qu'Albert Lantoine fit paraître la fameuse « Lettre au Souverain Pontife » agrémentée d'une préface rédigée par Oswald Wirth avec comme épigraphe, un verset tiré du prophète Joël « Ce jour-là... une source sortira de la maison de Jahveh, et elle arrosera la Vallée des Acacias... » Cette préface se terminait par une citation de Voltaire : « Que chacun dans sa foi cherche en paix la lumière... ».

Cette Lettre aboutissait à la conclusion qu'il était temps que les deux institutions spirituelles concluent enfin un armistice, une trêve qui mette fin à une lutte vaine et devenue sans objet.

De son côté Antonio Coen suggéra, lui aussi, « que la Maçon­nerie s'adressât à tous ceux que l'Eglise n'était pas en mesure d'atteindre. »

Pour résumer, Antonio Coen demandait aux Maçons de faire abstraction de l'alliance contractée par l'Eglise avec certains groupes politiques. Dans certains cas, disait-il, l'Eglise par son action personnelle concourt à l'accomplissement de l'idéal Maçon­nique, car les deux institutions travaillent sur les plans parallèles.

Ce désir et cette tendance de certains maçons favorables à la réconciliation ne fut pas du goût de tous les Frères, quelle que soit l'obédience à laquelle ils appartenaient. L'idée d'un com­promis, d'une alliance, voire d'une trêve était loin de recueillir la majorité au sein des Loges.

Du haut de sa chaire au sein du Suprême Conseil du Rite Ecossais, Michel Dumesnil de Gramont se fit entendre : Sur un ton vif mais courtois et avec une certaine hauteur, il rappela la longue liste des Encycliques pontificales contre l'Ordre.

Il invita les Frères à relire de près le texte du Pape Léon XIII qui, dans son Encyclique « Humanus Genus » datée de 1884, confirmait l'anathème à l'encontre de la Franc-Maçonnerie. Puis il signifia clairement que c'était à l'Eglise et non à la Maçonnerie de recon­naître la vanité des condamnations et à faire les premiers pas...

Ainsi soulignait-il le leurre d'une trêve à sens unique entre l'Eglise catholique et la Maçonnerie. Dans son esprit, la Franc- Maçonnerie dépasse le simple catholicisme car elle groupe autour d'elle, en une véritable synthèse, tous les hommes de bonne volonté, sans distinction de race, de couleur ou d'origine et aussi de religion.

Michel de Gramont artisan de la renaissance
de la Franc-Maçonnerie française

Le 1er février 1939, Arthur Groussier, ancien député, Grand Maître du Grand Orient de France et Michel Dumesnil de Gramont, Grand Maître de la Grande Loge de France, signaient d'un com­mun accord une lettre adressée au Frère Franklin Roosevelt, Prési­dent des Etats-Unis.

Les deux Grands Maîtres des Obédiences maçonniques fran­çaises les plus importantes, remerciaient le Président Roosevelt pour ses efforts à dénouer la crise de septembre 1938. Ils faisaient allusion aux accords de Munich où, bien que non présent, Roosevelt était intervenu par le biais des Ambassades.

Puis ils demandaient au Président des Etats-Unis de prendre l'initiative de réunir une conférence internationale « où seraient représentés tous les Etats intéressés et au cours de laquelle seraient étudiés, en pleine clarté, tous les problèmes éthiques et économiques qui divisent aujourd'hui les Nations... ». Les deux dignitaires ajoutaient que lui seul (F. Roosevelt) avait l'autorité suffisante pour convoquer une telle réunion internationale.

Le coup de force de Hitler sur le corridor de Dantzig et sur la Pologne, et la complicité avec Staline, devaient faire hésiter F. Roo­sevelt à réunir une telle conférence pourtant réclamée par d'autres personnalités non maçonniques.

L'histoire, a-t-on dit, en décida autrement.

Après l'Armistice de juin 1940 et l'installation de l'Etat français à Vichy, la persécution — le mot n'est pas trop fort — fut officia­lisée par la loi du 13 août 1940 portant interdiction des « Associa­tions secrètes », complétée par le décret du 19 août 1940 qui visait plus particulièrement la dissolution des Associations dites la Grande Loge de France... et le Grand Orient de France et de tous les groupements s'y rattachant, tant en France, en Algérie et dans les colonies d'alors.

La dévolution des biens des deux Associations était prononcée. Ce décret était signé de Philippe Pétain Chef de l'Etat, d'Adrien Marquet Ministre Secrétaire d'Etat à l'Intérieur et de Raphaël Alibert Garde des Sceaux.

Quelques mois plus tard des Francs-Maçons fondaient clan­destinement un groupe parisien de résistance à l'occupation alle­mande et aux lois de Vichy. Ce groupe appelé « Patriam Recupe­rare » comprenait notamment Jean Moulin, Jean Baylot, Charles Riandey, Marcel Cerbu, Joannès Corneloup, Dumesnil de Gramont...

D'autres Maçons s'étaient groupés à Londres dans le mouve­ment de résistance du Général de Gaulle. Entre eux et les Frères restés en France, le signal de reconnaissance lors des émissions radiophoniques de la B.B.C. était, au début de celles-ci, le rappel de la devise républicaine et maçonnique : « Liberté, Egalité, Fra­ternité »... Pendant les Interludes étaient joués des extraits de l'Opéra Maçonnique « La Flûte Enchantée » du Frère Mozart... Quant « Aux Français parlent des Français » leur indicatif était tiré des premières mesures de la Ve Symphonie d'un autre Frère célèbre : Beethoven...

Pour la petite histoire, précisons que le recueil des Loges clan­destines en France comportait un système de numérotation utili­sant un Code minéralogique des départements... qui deviendra celui utilisé pour l'immatriculation des automobiles et notre actuel Code Postal.

Replié en zone libre à Villefranche-de-Rouergue, Michel Dumes­nil de Gramont ne cessa de 1940 à 1943 de militer dans le mouve­ment « Libération Sud » de la Résistance.

A la première Assemblée Consultative mise en place par le Général de Gaulle à Alger, après le débarquement des troupes alliées en Afrique du Nord, il y est nommé délégué de Libération Sud au titre du Conseil National de la Résistance (C.N.R.).

Il embarque alors sur un avion militaire dans la région de Toulouse pour rejoindre les Alliés à Londres où il arriva le 22 sep­tembre 1943. Il y retrouvait de nombreux maçons belges, luxem­bourgeois et français.

Un mois plus tard il arrivait à Alger et avait l'immense joie de reconnaître au sein de l'Assemblée Consultative de nombreux Frères. De plus, deux Francs-Maçons appartenaient au Comité Fran­çais de Libération Nationale.

Il faut préciser que la qualité de Grand Maître de la Grande Loge de France de Dumesnil de Gramont était connue du Général de Gaulle qui appréciait le dévouement à la Cause Nationale des Francs-Maçons, ceux de Londres, d'Afrique du Nord et ceux de France.

A son arrivée en Afrique du Nord libérée, Michel Dumesnil de Gramont constata que :

« ... Si les Francs-Maçons ne se montraient ni négligents ni timorés pour rétablir le Temple, les Pouvoirs publics ne manifes­taient que peu d'empressement à leur venir en aide... »

Mais laissons la parole à Dumesnil de Gramont qui a évoqué cette épopée lors du Convent du Rite Ecossais en 1945 :

« ... Lorsque je débarquai à Alger à l'automne 1943, j'appris avec stupéfaction que les lois et mesures anti-maçonniques de Vichy n'avaient pas été abrogées. Ainsi à s'en tenir à la lettre des textes, la reconstitution des Loges et des Obédiences demeurait interdite... Je manifestai au Commissaire de l'Intérieur mon éton­nement, pour ne pas dire mon indignation. Le Commissaire me répondit que les Maçons pouvaient se réunir comme il leur plaisait et que personne ne viendrait troubler ni incriminer leur Assemblée.

D'accord avec nos Frères les plus expérimentés de nos Loges d'Afrique du Nord, je rejetai catégoriquement cette solution hypo­crite... Il ne s'agissait pas de rentrer dans la cité reconquise par une porte dérobée... au contraire, c'était au grand jour et avec la consécration des textes officiels que nos Loges devaient reprendre leurs travaux.

Je n'entrerai pas ici dans le détail des démarches qu'il me fallut faire pour arriver à ce résultat. Qu'il me suffise de rappeler que le 15 décembre 1943, une Ordonnance conforme en sa rédaction à tout ce que nous avions demandé, annulait la Loi de Vichy sur les Sociétés dites secrètes et prescrivait la restitution de leurs biens... ».

Cette Ordonnance devait paraître au « Journal Officiel » une semaine plus tard, le 22 décembre 1943. Cette année-là, la Saint Jean d'Hiver fêtait la renaissance de la Franc-Maçonnerie Française qui reprenait force et vigueur après un sommeil de quarante mois.

Curieux, nous avons voulu savoir comment Michel Dumesnil de Gramont s'y était pris pour, en quelques semaines, arriver à ce résultat.

Dans leur « Histoire de la Franc-Maçonnerie Française », J.-A. Faucher et A. Ricker apportent quelques précisions sur les condi­tions dans lesquelles le Général de Gaulle a été amené à recon­naître les droits de libre réunion des Francs-Maçons.

Autre historien, Pierre Chevallier dans « Histoire de la Franc- Maçonnerie Française », tout en rapportant les propos des deux auteurs précédents, cite d'autres sources qui concordent avec les résultats de nos propres recherches et d'entretiens qu'ont bien voulu nous accorder deux profanes, alors collaborateurs du Géné­ral de Gaulle en cette fin d'année 1943.

Plusieurs Frères qui ont bien connu Michel Dumesnil de Gra­mont nous ont confirmé les faits ci-après.

Après avoir — comme il l'écrira plus tard — constaté que la Maçonnerie était toujours en sommeil dans les Territoires d'Afrique du Nord libérés par les Alliés, Michel Dumesnil de Gramont jugea que c'était au Général de Gaulle à trancher cette question.

Il se peut qu'il ait rencontré le Général à ce sujet, mais nous n'en n'avons aucune preuve.

Par contre on sait que Dumesnil de Gramont approcha Jacques Soustelle et Georges Gorse, qui n'était pas Maçon, et Yvon Morandat, un sympathisant, qui deviendra Franc-Maçon plus tard.

On comprend mieux la question adressée par Yvon Morandat, lui aussi membre de l'Assemblée Consultative, au Général de Gaulle lui demandant si l'exercice de la Franc-Maçonnerie était toujours interdite.

Du haut de sa tribune, le Général leur répondit : « Nous n'avons jamais reconnu les lois d'exception de Vichy, en conséquence la Franc-Maçonnerie n'a jamais cessé d'exister en France. »

Mais Dumesnil de Gramont obtint davantage du Chef de la France Libre :

Nous avons évoqué au début de cette planche l'irritation manifestée par Dumesnil de Gramont lorsqu'il entendait parler de « Sociétés Secrètes » pour qualifier les obédiences maçonniques.

Dans l'Ordonnance du 15 décembre 1943 signée du Général de Gaulle ; et des Commissaires François de Menthon, André Le Troquer, Louis Jacquinot et Massigli, tous membres du Comité Français de la Libération Nationale, trois mots « Associations dites secrètes » remplacent les deux mots « Sociétés secrètes » utilisés par Vichy pour qualifier les Associations de Francs-Maçons.

On voit ici la volonté de Dumesnil de Gramont de replacer la Franc-Maçonnerie dans son vrai contexte. Dumesnil ne manquera pas de mentionner ce fait lors de sa déclaration au Convent de 1945 dans les formes citées plus haut.

Lorsque Michel Dumesnil de Gramont mourut en 1953, de sa retraite de Colombey, le Général fit savoir « qu'il avait pour Dumesnil de Gramont une grande et confiante estime et qu'il éprou­vait une très grande et profonde peine en apprenant sa dispari­tion ».

Pour la petite Histoire

En dehors de l'Ordonnance officialisant la renaissance de la Franc-Maçonnerie dans les territoires français en lui restituant ses locaux et ses biens — ou ce qu'il en restait — le Général de Gaulle devait, à deux reprises, marquer l'estime qu'il portait à Michel Dumesnil de Gramont.

Une première fois lorsque le Général le chargea d'une mission auprès du Président Franklin Roosevelt qui séjournait alors à Anfa au Maroc. De Gaulle voulait obtenir du Président des Etats-Unis sa reconnaissance comme Président du Gouvernement Provisoire de la France (il était alors très contesté par les Américains).

La mission du Frère Dumesnil auprès du Frère Roosevelt réus­sit puisque de Gaulle obtint cette reconnaisance. Ceci se passait quelques jours avant la promulgation de l'Ordonnance qui abolis­sait les textes de Vichy...

La seconde fois, quelques mois après la Libération de Paris, lorsque le Général de Gaulle envoya Dumesnil de Gramont aux Etats-Unis, avec Henri Bonnet, pour négocier quelques articles délicats du plan Marshall.

Nous ne saurons jamais si l'estime du Général de Gaulle s'adressait au médiateur et à l'ambassadeur économique de qualité, ou au rénovateur de la pensée maçonnique en France, à une époque où les valeurs spirituelles faisaient grandement défaut... Aux deux peut-être.

Il appartenait aux Frères de la Loge Dumesnil de Gramont, N° 757 à l'Orient de Paris de la Grande Loge de France, de tracer ce morceau d'architecture qui est une pierre à l'édifice de l'Histoire de la France qui se confond ici — ce n'est pas la première fois, ni la dernière — avec l'Histoire de l'Ordre.

Il appartient à ces Frères de rappeler et de graver l'action de leur passé Grand Maître qui contribua à relever les assises du Temple de la Maçonnerie renaissante après les douloureux événe­ments qui marquèrent l'histoire des Hommes...

... Frère, Souviens-toi, il y a 35 ans.


Publié dans le PVI N° 33 - 2éme trimestre 1979   Abonner-vous à PVI : Cliquez ici

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