GLDF | Revue : Points de Vue Initiatiques | 2T/1979 |
Une Spiritualité pour l’Europe Le 21 du mois d'avril 1979 a eu lieu la rencontre Fraternelle Européenne de Strasbourg au cours de laquelle des Francs-Maçons se sont retrouvés pour rechercher leur patrimoine commun. Nous publions ci-après l'une des interventions de cette rencontre. * * * La prise de
conscience européenne, née du partage du monde et de la convergence d'intérêts
économiques, s'est concrétisée au cours des récentes décennies en un certain
nombre d'organismes supranationaux et complétée par l'aval démocratique d'une
consultation populaire. Mais la dimension culturelle et surtout spirituelle ne
paraît guère préoccuper les responsables de cette nouvelle structuration dont
dépend l'avenir de chacun. Or, l'Europe est dépositaire d'une authentique
pensée spirituelle qui a préexisté à ses divisions territoriales et
administratives. Témoin d'un riche et long passé, cette spiritualité porte en
elle les espoirs d'une unité solide qui se situe bien au-delà d'une simple
coexistence d'états liés par des intérêts communs. Projetée dans
l'Histoire, cette dimension spirituelle de l'Europe se définit avec plus
d'aisance. A l'origine rien ne semble prédestiner à son devenir la petite
péninsule appendue au vaste continent asiatique. Ni la géographie tourmentée,
ni son économie misérable ne laisse présager le creuset de spiritualité qui
rayonnera sur une partie de la planète. A l'aube du néolithique — à 10.000 ans
de nous — l'humanité connaît son premier bouleversement, révolution
fondamentale : l'homme, jusqu'alors prédateur soumis au hasard de la chasse,
devient producteur et commence, dans une certaine mesure, à maîtriser son
destin. L'est du bassin méditerranéen — Palestine, Anatolie, Mésopotamie — est
le théâtre de ce bouleversement qui accroît la population et aussi les
convoitises des voisins. Ainsi s'amorce un mouvement d'émigration qui ne
cessera durant les millénaires et porte en Europe la civilisation des hommes
nouveaux. Par la voie danubienne, puis par les vallées du Rhin et du Rhône il
vient buter contre l'Atlantique. Ce vaste courant
d'Est en Ouest, progressif et continu, concentre dans l'entonnoir européen des
ethnies aussi diverses que nombreuses, venues d'Orient et aussi du Nord à la
rencontre de la culture arabe. De cette convergence naît le plus grand brassage
d'idées jamais survenu sur la planète et, avec lui, cette civilisation dite
occidentale, d'abord européenne, dont l'ampleur s'étend hors du continent au
fil de l'histoire. L'aspect spirituel
de cette civilisation n'est pas simple et s'enrichit progressivement au cours
des siècles. Qu'importe que la démarche soit lente et parfois hésitante ! à
l'échelle de l'Histoire, le Temps humain apparaît dérisoire. Des courants de
pensée se sont dégagés qui, depuis des siècles, mêlent leurs eaux en un
bouillonnement continu et dominent la spiritualité européenne. * * * Un brassage de courants spirituels au cours des sièclesDe ce brassage
permanent d'idées naît l'héritage spirituel de l'Europe d'aujourd'hui. A sa base, les
valeurs sûres issues de l'Antiquité et qui ont résisté à l'épreuve du Temps.
Elles s'élaborent en Grèce, en Judée et à Rome. Les Grecs lèguent
la méthode de réflexion et de raisonnement. N'ont-ils pas inventé la science
quatre siècles avant notre ère et découvert l'esprit critique ? De leurs
enseignements sont issus le « connais-toi toi-même » et la maîtrise de soi,
conditions fondamentales de la libération de l'homme. Au Proche-Orient
naît le concept d'unité spirituelle de l'homme, transcendé en Dieu unique.
Monothéisme judaïque, renouvelé par le Christianisme, diffusant les notions
d'Amour et d'Equité, restées souveraines dans la société occidentale moderne. L'ordre juridique,
imaginé à Rome, harmonise la conception grecque d'une connaissance dépouillée
du divin et la doctrine de l'Evangile qui pendant près de seize siècles
constitue la seule base spirituelle de l'Europe. Mais l'héritage de
l'Europe c'est aussi — dans le passé plus immédiat — cette communion, souvent
autant affective que spirituelle, née d'événements divers, en particulier
guerriers et scientifiques. Si différentes soient leurs origines géographiques
ou ethniques, les Européens ont — au cours du dernier millénaire — partagé les
mêmes épreuves et les mêmes joies. Tous ils ont vécu la féodalité, les
corporations, les communes ; ensemble ils ont rêvé aux prouesses merveilleuses
des Chevaliers de la Table Ronde. Les querelles de la papauté et de l'empire
les concernaient tous ainsi que la Réforme et les guerres de religion. Les uns et
les autres ont participé à la Renaissance et contribué aux grandes découvertes,
voyages autour du monde et inventions scientifiques. Les rivalités de princes
qui ont déchiré leur sol n'ont jamais affecté leur unité de culture et de
civilisation. Lorsque tonne le premier canon révolutionnaire, les Européens
s'élancent ensemble à l'appel de la Liberté ; ils s'unissent dans le même rêve
romantique ; ils subissent en commun l'oppression jacobine et napoléonienne.
Soulevés d'une même aspiration généreuse en 1848, ils connaissent ensuite les
mêmes progrès techniques, fruit des travaux de leurs savants sans distinction
de nationalité et sont tous tributaires du machinisme. Ils mêlent leurs larmes
au cours des grandes guerres mondiales. Ainsi, au milieu de bouleversements et
tourmentes, se tissent des liens d'abord mal élaborés mais générateurs d'une
spiritualité nouvelle mêlant tradition et réflexion en deux courants dominants. * * * Une double tradition spirituellePremier en date, le
courant religieux est d'essence judéo- chrétienne ; à lui seul il résume
pendant plus de dix siècles la spiritualité de l'Europe. C'est entre Loire et
Rhin que se situe l'épicentre du Christianisme qui met sept siècles à se
concrétiser des Iles Britanniques à la Germanie, à l'Italie et à l'Espagne. La
doctrine chrétienne, fondée sur la croyance en un Dieu révélé unique et
souverain — garant de l'ordre universel et de l'éternité de l'âme — n'est
véritablement implantée qu'en fin du Ville siècle sous l'impulsion d'un roi
franc d'origine germanique. Il faut en effet l'exceptionnelle puissance de
Charlemagne pour donner au christianisme un rayonnement qu'il n'avait
jusqu'alors jamais connu ; les nouvelles écoles aux mains du clergé en
assurent la diffusion. Dès lors, l'Institution ecclésiale mise en place exerce
un pouvoir incontesté — sous contrôle doctrinal des Conciles successifs — en
dépit des invasions normandes, de l'anarchie féodale et des querelles
d'investitures qui l'opposent aux seigneurs locaux. Au nom du Christ se taisent
les rivalités intestines pour entreprendre les Croisades contre l'Islam et la
menace turque. Grâce à sa solidité l'Eglise maintient sa domination jusqu'au
XVe siècle tandis que se développe une littérature originale imprégnée de
théâtre sacré et d'idéalisme chevaleresque et que les bâtisseurs de cathédrales
introduisent un phénomène typiquement européen. Mais à partir du
Xlle siècle, une étonnante renaissance des études, sur la base de
confrontations doctrinales, contient déjà les ferments du renouvellement qui
s'affirme au XVIe siècle grâce à l'imprimerie et aux découvertes des grands
navigateurs et des astronomes. Tous attachés à la foi chrétienne, les Européens
de l'époque sont de plus en plus nombreux à lire la Bible et à en faire
eux-mêmes l'exégèse. Beaucoup de fidèles aspirent à une religion plus
dépouillée et intérieure, davantage axée sur la morale et le libre-arbitre,
telle que le souhaite le penseur hollandais Erasme. C'est ainsi que vers les
années 1520 avec l'Allemand Luther, s'amorce en 1517 la Réforme qui va
rapidement s'implanter en Allemagne, en Suisse puis en France sous l'impulsion
de Calvin et même en Angleterre. Il ne faut pas plus de vingt ans pour que la
Réforme, qui vient de naître, allume dans toute l'Europe l'incendie des
guerres de religion. Brasier qui ne s'éteindra qu'à la fin du siècle avec la
promulgation de l'édit de Nantes. Mais l'hégémonie de
la toute puissante Eglise Catholique a pris fin. La voie est ouverte à la libre
réflexion philosophique. C'est ainsi qu'apparaît à la fin du XVIle siècle une
pensée émancipée du dogmatisme des Eglises dans une Europe où les monarchies
absolues sont les unes fidèles au catholicisme, les autres adeptes du
protestantisme. Fort d'une
domination de dix siècles, le courant religieux continue cependant à imprégner
la spiritualité. Que ce soit par tradition ou choix délibéré et malgré un
effritement progressif, la pensée spirituelle de l'Europe d'aujourd'hui doit
compter avec lui. Second courant
spirituel, le courant rationaliste naît donc au XVIle siècle. Les sciences,
renforcées par les découvertes inattendues des savants, introduisent la notion
d'objectivité et le souci de vérifier toute affirmation par l'expérience. C'est
le second souffle de la vie érudite qui s'organise partout en Europe, et notamment
à Paris, en Académies réputées. Les nouveaux savants suivent la voie que leur a
tracé Descartes, d'une philosophie rationaliste logique, fondée sur le doute
métaphysique, tout en restant pour la plupart d'entre eux fidèles à la croyance
en Dieu. Les échanges fructueux qu'ils établissent se polarisent autour de
l'Anglais Newton, de l'Allemand Leibniz et du juif hollandais Spinoza, celui-ci
refusant toute révélation ou religion ne pouvant être « fondées en raison ».
Les uns et les autres préfigurent les philosophes du siècle suivant. C'est en effet au
XVIlle siècle, celui des Lumières, que se développe un mouvement sans
précédent qui marque un tournant essentiel de la pensée européenne. Puisant
aux sources antiques, s'insurgeant contre la servilité, ce mouvement non
conformiste s'efforce de restaurer la dignité de l'homme face au despotisme.
Ses chefs de file, Français pour la plupart, ont nom Montesquieu, Diderot,
Voltaire, Condorcet... ; ils prônent l'expérience comme base du raisonnement et
ne croient plus à un ordre providentiel. S'ils sont souvent antireligieux, ils
ne sont — à quelques exceptions près — nullement athées. Tous ont conscience
que l'humanité se libère de ses préjugés et atteint à une plus grande
tolérance. Mais la toute
puissance de la Raison fait une large place au déterminisme aveugle dans la
destinée de l'homme et, à l'instar de J.-J. Rousseau, certains tentent de
réconcilier coeur et raison, cherchant en eux-mêmes cette voix intérieure
capable de leur dicter leur conduite qu'aucune Eglise ne saurait prendre en
charge. L'importance accordée à la conscience individuelle — que l'on retrouve
en Allemagne chez Kant — justifie une révolte contre les valeurs
conventionnelles et le refus d'une existence acceptée dans la résignation. Idées généreuses
que la Révolution Française va tenter de transformer en réalité dans un élan
d'enthousiasme général en Europe. Si elle n'y parvient pas, détournée de son
but par la folie des hommes, elle vulgarise cependant cette pensée nouvelle de
l'homme maître de son destin à partir de sa seule raison, esprit qui n'a pas
fini de souffler sur l'Europe. * * * Image peut-être
sommaire, mais depuis deux siècles l'Europe tente de trouver sa voie
spirituelle entre deux courants de pensée que l'héritage de l'antiquité
laissait déjà pressentir. L'un religieux, au sens étroit du terme, fait
référence à un Dieu unique, surnaturel, maître de l'éternité et que seules
l'obéissance au dogme et la prière peuvent fléchir. Le second courant fait
appel à la raison ; etayé au fur et à mesure des découvertes scientifiques, il
s'est progressivement émancipé du divin. Mais une grande ambiguïté demeure.
Dieu, dans son immatérielle souveraineté, domine l'homme qui est pourtant son
inventeur. Qu'il l'accepte ou qu'il le nie, chacun ne peut se situer que par
rapport à lui et doit toujours compter avec lui, même s'il feint de l'ignorer.
Née d'une rencontre de cultures, la spiritualité de l'Europe reste au carrefour
de la raison et du sentiment. *** Certes la
Rénovation intellectuelle du Romantisme du XIXe siècle tenta-t-elle de
renouveler la fécondité spirituelle de l'Europe. Mais cet effort revêt un
aspect négatif dans la mesure où — fruit des bouleversements politiques — il
traduit un idéal de rêverie et d'évasion vers le passé. Goethe, Schiller en
Allemagne, en France Chateaubriand et, à sa suite, Lamartine, Victor Hugo ont
certes laissé des oeuvres étincelantes et leur génie atteint souvent au
sublime. Mais leur désir profond de libération des contraintes arbitraires
n'apporte pas un souffle véritablement nouveau à la spiritualité, débouchant
même sur un certain pessimisme. C'est d'ailleurs ce
même pessimisme qui anime, à partir d'une autre démarche, les perspectives d'un
Kirkegaarde ou d'un Nietzsche, contribuant à accentuer les nationalismes. Tout aussi négatif
est le courant né d'une vision exclusivement sociale et économique de l'homme
que machinisme et techniques remettent en question. Adoptant cette manière de
voir, certains — tels Saint-Simon, Proudhon ou Auguste Comte — maintiennent un
idéal de fraternité humaine. D'autres s'écartent progressivement de tout
idéalisme ; certes la pensée de Feuerbach, la dialectique de Hegel dont ils s'inspirent
ne sont-elles pas dénuées de spirituel et se préoccupent-elles de libérer
l'homme. Mais Louis Blanc en France et surtout Marx et Engels en Allemagne
déviant la voie initiale et dénaturant la pensée hégélienne ramènent tout au
niveau socio-économique et font de la lutte des classes une réalité historique.
La vie spirituelle n'est plus dès lors qu'une superstructure de la matérialité. * * * En apparence donc,
tout en accordant à l'homme une place privilégiée, la pensée spirituelle de
l'Europe reste indécise. Tantôt subordonnée, parfois d'ailleurs à son insu, à
la pensée religieuse elle ne fait que transposer celle-ci en termes de laïcité.
Tantôt tournant volontairement le dos à toute forme de déisme, elle débouche
sur une vision exclusivement matérialiste de l'homme prisonnier d'une société
dont il ne peut se libérer qu'en la réformant. Cette dualité
apparente n'est en fait qu'une caricature de la réalité. Sous des courants de
surface qui portent en tous sens la pensée de nos contemporains, existe un courant
profond, synthèse des uns et des autres, qui fait la force spirituelle de
l'Europe. Pensée originale et dynamique faite de foi en l'homme. A l'inverse de bien
d'autres, cette spiritualité est essentiellement optimiste sans commune mesure
avec le fatalisme de l'Orient ou des pays de l'Islam mais également éloignée de
la résignation chrétienne. Humaniste au sens littéral du terme, elle est née de
l'effort progressif vers une science toujours plus objective et donne à l'être
humain la propre maîtrise de son destin. Elle proclame la foi en l'homme, que
la raison a libéré de ses servitudes ancestrales, avec ses fondements que sont
l'indépendance, la confiance en soi, le libre arbitre. Dominant les phénomènes
naturels, l'individu trouve dans la science la voie de son progrès. Mais cette pensée
se refuse à résoudre le problème métaphysique qu'elle laisse ouvert aux
inclinations de chacun. Détournée du divin, elle ne lui oppose pas une
négation catégorique. Si Dieu n'est plus l'intermédiaire indispensable, chacun
peut à sa guise le rejeter ou poursuivre son chemin avec lui. N'est-il pas là le
sens profond des mots, parfois galvaudés, liberté, égalité, fraternité,
démocratie. Ne sont-ils pas les témoins d'une conception de la vie fondée sur
le respect de l'homme, en tant qu'unité spirituelle ? C'est ici que la pensée
spirituelle de l'Européen atteint toute sa spécificité, reléguant à
l'arrière-plan les anciennes visions qui opposaient individualisme, déisme à
athéisme. En les remettant en cause notre civilisation peut se renouveler et
assurer sa survie. C'est là le sens de l'appel de nombreux penseurs
d'aujourd'hui qui tentent de trouver un remède à la situation présente. Parfaitement
conforme à la tradition humaniste de nos anciens, cette spiritualité, axée sur
la liberté de l'être dans la justice et l'équité, porte en elle les germes
d'une éthique rénovée, d'une « Morale pour notre Temps » selon le mot de
Pierre-Simon — qu'aucune autre pensée ne saurait proposer. Non pas morale de
groupe-archaïque et source d'intolérance voire de totalitarisme. Mais morale
qui prend en compte l'harmonie des diversités et l'équilibre des contraires
caractéristiques du Vieux Continent. Dénominateur commun
des idées forces de l'éthique européenne depuis l'antiquité, cette morale du
respect de chacun dans sa spécificité et de tous dans la solidarité préserve
les valeurs fondamentales de la dignité de l'homme. Sans prétendre réduire
toutes les contradictions du monde monderne, elle porte au plus haut niveau la
liberté fondamentale de l'homme. Elle refuse tout asservissement de celui-ci
que ce soit au monde qui l'entoure, à la technique, aux intérêts économiques ou
à une quelconque idéologie, fût-elle religieuse. Elle fait de l'homme le seul
maître de son propre destin et lui permet de s'épanouir dans le sens le plus
conforme à ses aspirations personnelles dépouillées du carcan du divin comme de
celui du rationnel. Aussi la vie
est-elle le seul phénomène à caractère sacré que retient la spiritualité
européenne. Seuls les pays qu'elle imprègne refusent ce mépris de la vie qui
légitime ailleurs, au nom d'un Dieu, d'une idéologie ou d'intérêt matériel, les
luttes fratricides voire les génocides si souvent perpétrés. N'est-il pas
symbolique et à l'honneur de la quasi-totalité d'entre eux d'avoir supprimer de
leur législation la peine de mort ? * * * Une âme pour l'Europe de demainNe convient-il pas
de s'interroger sur les difficultés de constituer l'Europe politique vers
laquelle tendent les aspirations de beaucoup ? Certes le partage du monde et la
position minorée d'une Europe privée de matières premières et d'énergie ont-ils
été le point de départ d'une stratégie nouvelle des Européens, conscients de
la nécessité d'unir leurs efforts pour faire contrepoids aux grandes puissances
mondiales. Mais les tentatives
faites dans ce sens sont de nature strictement technicienne, en fonction
d'impératifs d'économie voire de défense, sans que soit pris en compte l'idéal
indispensable à la cohésion de toute unité politique. C'est dire qu'elles ne
peuvent résoudre que des problèmes ponctuels et sont, à terme, vouées à
l'échec. L'Europe ne sera en
fait une réalité historique que le jour où elle aura une âme, c'est-à-dire où
chacun aura fait sien l'esprit européen et acquis ce supplément d'âme cher à
Bergson pour placer la foi en l'homme à l'avant de sa démarche spirituelle.
Prendre conscience de cette identité spirituelle c'est dépasser la notion
désuète des nationalismes. Vision utopique,
diront certains, ainsi qu'en témoigne l'histoire. Il est vrai qu'en dépit d'une
relative unité spirituelle sous l'égide de l'Eglise, des guerres destructrices
nombreuses ont déchiré une Europe où la fraternité était inconnue. Est-ce du
fait du caractère dogmatique contraignant du christianisme ? Toujours est-il que,
pendant près d'un millénaire, se sont succédés partages et découpages
territoriaux. Ce serait faire
injure à l'Européen de cette fin de XXe siècle et douter de la richesse de ses
ressources spirituelles que de penser que les solutions matérielles sont seules
possibles pour unifier l'Europe.
Certes, des actions techniques et économiques convergentes sont elles
indispensables dans ce sens mais elles n'aboutiront valablement qu'autour d'une
pensée spirituelle commune. C'est parce que chaque individu sentira l'âme de
l'Europe que se cristallisera l'unité profonde, irréversible pour plusieurs
siècles. Dans la spiritualité féconde de l'Europe que d'énergies potentielles
susceptibles de se concrétiser en une dynamique culturelle et temporelle de
paix et de fraternité. En restaurant le sens de l'humain, l'idéal européen
retrouvera le sens de l'histoire et atteindra à l'être de l'homme qui est
essentiellement liberté. |
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