GLDF Revue : Points de Vue Initiatiques 4T/1979

Hiram et le Sagittaire

 
Ces feuillets, lus par le Frère Dumesnil de Gramont, le 30 janvier 1932, lors de l'installation de la Respectable Loge Le Sagittaire, ont été extraits d'un de ces livres disloqués et moisis comme on en trouve encore dans la boîte des plus humbles bouquinistes.

La couverture de l'ouvrage manquant, le nom de l'auteur de ce naïf dialogue est inconnu. C'était vraisemblablement quelque vieux magistrat ou quelque pédagogue en retraite qui s'imagina sans doute, en écrivant dans ce style périmé, revivre les heures regrettées de sa studieuse jeunesse.

(Cette présentation est de Michel Dumesnil de Gramont.)

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Comme Calypso ne pouvait se consoler du départ d'Ulysse, le maître Hiram ne pouvait se remettre de la trahison des trois compagnons. Certes, il y avait déjà longtemps que le perfide attentat avait été consommé et depuis lors Hiram avait maintes fois ressuscité, ce qui est bien la revanche la plus désagréable et la plus inattendue qu'une victime puisse prendre sur ses meur­triers. Mais il n'en était au fond que plus affligé, se demandant si ceux qui le rappelaient périodiquement à la vie étaient vrai­ment des disciples fidèles, s'ils étaient bien pénétrés de ses Immortels enseignements, et s'ils n'étaient point capables quel­que jour de l'étendre à nouveau inerte sur le seuil du temple taché de son sang.

Vers la fin de l'année 5531, Hiram songeait à ces choses dans le décor d'une forêt dont les arbres privés de feuilles évo­quaient à ses yeux les colonnades rigides du sanctuaire où il avait jadis trouvé la plus illustre des morts. La verdure flétrie tombait à ses pieds, abondante et silencieuse, et lui rappelait — compa­raison plusieurs fois millénaire — la chute de ces illusions dont la jeunesse se défend de vouloir se parer, et dont la vieillesse se désole d'être dépouillée. Et l'allée au bout de laquelle le mélan­colique architecte s'était assis, se remplissait de cette brume dia­phane qui, déformant légèrement le contour des choses, est l'image de ce mensonge aimable dont sont faites la plupart des vérités humaines.

Tandis qu'Hiram inclinait lentement vers la torpeur qui parfois s'empare des grands conducteurs de peuples, lorsque l'âge les atteint, le silence du rougeoyant automne fut troublé par un pas multiple et sonore.

Pensant que quelque jeune homme d'armes se préparait aux combats de l'avenir en chevauchant martialement sous les futaies immenses de la célèbre forêt, le maître releva ses paupières que la méditation avait baissées et que le sommeil menaçait de clore. Celui qu'il vit apparaître au détour de l'allée n'était pas un jeune cavalier, mais un être singulier, au corps chevalin et au torse d'homme, dont la vue aurait à coup sûr déconcerté un promeneur ordinaire, L'architecte du roi Salomon avait, lui, assez de science et de sang-froid pour reconnaître aussitôt en ce nou­veau venu le centaure Keyron, le précepteur en retraite des demi- dieux, qui en récompense de ses offices auprès de tant de héros, avait vu son image placée au rang des effigies zodiacales, et portait le titre honorifique de SAGITTAIRE.

Keyron, en retour, lorsqu'il arriva devant Hiram, ne montra point d'étonnement : lui aussi reconnaissait le vénérable architecte. Il lui fit un salut plein de dignité hellénique auquel Hiram répondit par un signe de tête tout empreint de majesté judaïque. Il eût, certes, été contraire aux convenances que deux personnages aussi réputés n'entamassent point un de ces entretiens dont Lucien de Samosate, Fénelon, Fontenelle et quelques autres nous ont laissé la formule féconde.

— Est-ce toi, ô Sagittaire, fit donc Hiram, qui par ce triste jour viens, loin des terres ensoleillées où galopa ta jeunesse, errer dans le morose décor de cette forêt gauloise.

— C'est bien moi, Hiram. Sans doute sont-ce cet arc relâché et ce carquois plein de flèches rouillées qui t'ont fait discerner en moi un centaure et, soit dit modestement, le plus illustre de tous.

— Certes, reprit l'architecte, sans cet armement je n'aurais point discerné en toi le grand Keyron auquel Zeus n'hésita pas à confier l'éducation d'un certain nombre de ses fils. Mais serais- je indiscret en te demandant si c'est la fatigue ou le chagrin qui alourdit ton pas et courbe légèrement ta superbe échine ?

Keyron ne répondit point tout de suite. S'approchant d'Hiram, il plia ses membres inférieurs aux articulations un peu raidies, et s'allongea aux pieds de l'architecte, tout en redressant son noble torse ceint d'un baudrier défraîchi.

Après avoir médité quelques instants, il reprit :

— Il est vrai, Hiram, que j'ai sujet d'être attristé et d'être las. J'arrive par la route de ce qui fut l'Hellade.

— Terre fameuse ! fit poliment Hiram.

— Hélas ! s'écria le centaure, d'une voix amère. Ne sens-tu pas au contraire quelle dérision recèle le nom illustre de cette contrée injustement vantée où depuis des siècles j'ai vainement attendu la naissance d'un âge de sagesse et de félicité. Surtout ne lève point des sourcils étonnés sur moi, sinon je te croirais, toi, dont la barbe atteste la pénétration, aussi peu clairvoyant que les poètes et les érudits qui ont chanté mon pays et célébré ses gens.

— Ne t'irrite point, Centaure, la colère ne nous vaut rien à nous qui commençons à n'être plus tout jeunes.

— Hélas, comment ne m'irriterais-je pas ! Voici des siècles, te dis-je, que j'entends louer la sagesse des Hellènes, leur amour de la beauté, leur goût des nobles discussions. Sans doute ceux qui ont donné la vie à ces mensonges n'ont-ils jamais lu ce qu'ont écrit les philosophes et les historiens nés dans cet exécrable pays et dans cet exécrable temps.

— J'incline à penser, fit le Tyrien, que tes expressions dépas­sent ta pensée.

— Hélas ! fit le centaure en levant vers le ciel pur ses yeux douloureux. De quelles laideurs ne fut point faite cette légendaire beauté de l'Hellade : perfidie, adultère, inceste, trahison, meurtre, ambition, massacre, tel est le contenu constant de cette histoire si sottement admirée.

Tous, même les petits enfants du pays barbare où nous som­mes ce soir connaissent les plus marquants de ces tristes faits : Aristide chassé par Thémistocle, Thémistocle frappé par Eurybiade, puis se donnant la mort en exil, Xénophon aussi célèbre par ses trahisons que par sa sagesse, Démosthène livré à ses ennemis par ses concitoyens, Eschyle abandonnant sa patrie pour des jalousies littéraires, Socrate bafoué par Aristophane et contraint de boire la ciguë, Périclès déclarant la guerre pour couvrir ses prévarications... Mais je m'arrête car, Hiram, tu connais tout cela et c'est certainement par ironie que tu as voulu me parler de la sagesse et de la beauté de l'Hellade.

— Les hommes ne sont point des saints, fit l'architecte d'un ton conciliant. Mais tu as eu du moins la consolation de fréquenter les demi-dieux et de prodiguer à certains d'entre eux tes ensei­gnements.

— Ton ironie devient de plus en plus cruelle, répliqua le centaure, car ceux qui furent à mon école ne m'ont guère fait honneur : ni Achille, ni Ajax, ces soudards à l'esprit imperméable, ni Héraclès ce massacreur imbécile qui se laissa berner par une femme vengeresse, ni Bacchus, ce sectaire couronné de pampres, ni Jason, ce cupide chercheur d'or, suborneur de filles, époux adultère, assassin de son oncle.

— En effet, fit prudemment Hiram, je vois que tu n'as pas eu de chance avec tes élèves.

— Certes non, reprit le Sagittaire ; aussi lorsqu'un jour, debout sur un promontoire battu par ces vagues violettes que les poètes disaient plus enivrantes que le vin, j'entendis une voix mys­térieuse annoncer que le Grand Pan était mort, je puis t'assurer que le Centaure, loin de se désoler, s'est réjoui dans son coeur d'enten­dre ainsi proclamer la mort d'un monde de démence et de crime. Puis vinrent les barbares : alors me retirant dans mes forêts natales, j'attendis pendant vingt siècles que surgît enfin cette Hellade, terre de beauté, dont sur la foi des poètes j'espérais encore la naissance. Aujourd'hui j'y ai renoncé : je ne crois plus qu'un jour, montera vers les dieux la fumée des offrandes sacrées, brûlées dans les clairières, sur le marbre immaculé des autels, sous l'oeil extasié de blanches prêtresses au coeur pur. Ce qui s'élève dans l'azur hellénique, c'est seulement la fumée des vaisseaux bardés de fer que des Grecs enrichis offrent à la patrie pour lui prouver leur attachement et lui témoigner de leur génie. Aussi me suis-je décidé à parcourir le monde, certain de n'y pas trouver plus de sottises et plus de forfaits qu'en la terre illustre où le destin me fit naître.

Keyron reprit après un instant de silence :

— Je t'envie, toi, qui, ne te préoccupant pas des dieux, des héros ni des philosophes, n'eus affaire qu'aux plus simples hom­mes : les charpentiers, les tailleurs de pierre, les batteurs de métal, bref à tous ceux qui travaillent de leurs mains. Je ne doute point qu'ils n'aient tiré bon profit de tes sages leçons et ne t'aient donné des satisfactions que je n'ai malheureusement point connues.

— Je crois, répondit Hiram, que tu t'exagères l'influence de mes enseignements, et l'étendue de mes satisfactions. Je laisse de côté mon assassinat par trois compagnons trop ambitieux, incident fâcheux qui me valut en revanche quelque renommée. Mais en vérité j'ai subi de plus cruelles déceptions. Je ne te le dissimulerai pas, Sagittaire : lorsque je présentai à Salomon, assemblés en compagnies, ces artisans qui travaillaient la pierre et le métal, qui broyaient les couleurs ou sculptaient le bois, je rêvais que leur union exalterait leur mérite, que par elle leur labeur prendrait une noblesse jusqu'alors inconnue, et qu'ainsi embellie, sublimisée, l'oeuvre de leurs mains leur ferait une âme plus haute. Je croyais que, liés par une solide amitié, ces artisans qui déjà produisaient tant de grandes et précieuses choses deviendraient toute vertu et toute fierté, et je m'imaginais qu'un jour viendrait peut-être où, reprenant le songe d'un de leurs ancêtres, ils pour­raient édifier de leurs mains ouvrières cette tour qui montera de la terre jusqu'aux Dieux, et dont Babel vit s'écrouler le premier et imparfait exemplaire.

— Le rêve était grand, et il te fait honneur, dit doucement le Sagittaire.

— Grand, certes, répliqua l'architecte, mais vain et menteur comme tous les rêves. Il est vrai que, siècle après siècle, les artisans de tous les métiers s'unissaient sous une loi commune. Leur puissance irrésistiblement grandissait. Tu ne les verras plus se grouper en cortège sous les yeux surpris et inquiets des rois, mais dans les conseils des peuples les chefs de ces camarades, les Sundikoi, comme vous eussiez dit, vous autres Grecs, parlent avec autorité et leur voix prend une force singulière.

— Ton rêve, dit le Centaure, n'était donc pas tout à fait vain.

— Hélas, reprit Hiram, il était d'autant plus vain qu'il parais­sait réalisé. En effet, ce n'est pas à la beauté de leur art, à la dignité de leur âme que ces hommes ont dévoué la force gran­dissante créée par leur union ; ils ne s'inquiètent point que leurs mains soient plus habiles ni que leur esprit ait plus d'agilité, non plus que leur coeur soit plus enclin à s'attendrir justement. Ils n'ont en vérité souci que du prix de leur travail, et toute cette puissance accumulée à travers les siècles et les siècles ne tend qu'à obtenir le loyer le plus fort pour un labeur aussi réduit et aussi facile que possible. Je ne m'en irrite pas ô Keyron, j'admets qu'il faut vivre avant que de philosopher et les poètes ont beau dire pour se consoler que l'homme ne vit pas seulement de pain, je sens bien que nous inclinons vers un monde où les hom­mes, cessant de lever les yeux vers le ciel où brille ta constel­lation, ô Sagittaire, ne se soucieront plus que de pain.

Lorsque Hiram eut ainsi parlé, Keyron et lui restèrent quelque temps silencieux : ils sentaient tomber sur leurs épaules fris­sonnantes le brouillard qui, le jour s'avançant, se dissolvait en pluie infime.

Le Centaure, relevant la tête, reprit d'une voix mal assurée, tout en arrangeant ses flèches dans son carquois pour se donner une contenance :

— Il me semble, Hiram, que si les charpentiers, les peintres, les batteurs de métal, les polisseurs de bois t'ont donné de gran­des désillusions, il est au moins une compagnie dont on assure que tu es satisfait.

— De qui parles-tu ? fit sévèrement l'Architecte.

— Des maçons, répondit malicieusement le Sagittaire.

Il y eut encore un instant de silence, puis Hiram, s'appli­quant à ne point sourire, déclara :

— Il est heureux, Centaure, que de notoriété publique tu sois, en vertu de ta pénétration semi-divine, au courant de tous les secrets, sinon j'aurais sujet de m'irriter de ton indiscrétion et de rompre cet entretien.

— Tu te trompes, Hiram, reprit le Centaure. Je n'ai pas le mauvais goût d'exercer ma clairvoyance surnaturelle à l'égard des hommes qui désirent garder le silence sur leurs travaux. Je ne sais d'eux que ce qu'en dit la rumeur publique.

— Et qu'en dit-elle, ô Keyron ?

— Elle ne leur est pas favorable. Les maçons, tes fils pré­férés, sont paraît-il, des ambitieux qui rêvent de dominer le monde, des impies qui ne comprennent pas la beauté des choses divines. On assure qu'ils vivent dans le libertinage et qu'ils pratiquent quo­tidiennement l'espionnage et la délation.

— Crois-tu vraiment qu'il en soit ainsi ô Centaure ?

— Je tiens, répondit le Sagittaire, que la perfection n'est point de ce monde : je doute donc que des hommes puissent réunir en eux tous les mauvais penchants que l'on impute aux maçons. Et comme je ne crois pas, Hiram, que tu aies la puissance de changer le coeur des mortels, je pense que tes disciples ne sont, comme tous les humains, qu'un banal mélange de bonté et de méchanceté, de sottise et de sagesse. Pourtant je ne serais pas surpris que chez eux la sottise l'emportât sur la sagesse et j'en vois la preuve dans ce goût du décor qu'ils manifestent, m'a-t-on dit, dans leurs assemblées où ils se revêtent d'insignes somptueux, se saluent de titres solennels, et s'obligent à des gestes puérils...

— C'est toi, ô Sagittaire, qui me semble manquer de sagesse, répliqua Hiram avec un sourire ironique, et je commence à être moins surpris que tes élèves aient si mal tourné. Les maçons, mes disciples, qui ne dégrossissent, tu le sais, qu'une pierre ima­ginaire et ne manient qu'une truelle symbolique, les maçons, et tu l'as justement dit, ne sont que de simples humains en qui le bien et le mal s'unissent. Mais ils ont un mérite que le commun des hommes ne possède pas, et c'est justement cette puérilité que les sots leur reprochent. Un Nazaréen dont tu as peut-être entendu parler l'a déjà dit : si vous n'êtes comme des enfants, vous n'entrerez pas au royaume des cieux. C'est tout le mal de notre monde, ô Centaure, de n'être plus comme un enfant. Cette dure loi du travail que les dieux cruels ont imposée aux mortels, ces mortels insensés en sont venus à la vénérer, à l'adorer, à l'exalter, alors qu'ils devraient la haïr et la transgresser toutes les fois qu'ils le pourraient. Hélas, nous voyons au contraire les jeunes hommes qui ont moins de vingt ans repousser les délasse­ments de l'adolescence pour arracher jalousement aux vieillards une part de leur labeur. Et nous verrons bientôt les petits enfants à la mamelle abandonner le sein gonflé de leur nourrice pour lever à grands cris leurs tendres mains vers les graves pensées et les plus lourds soucis. C'est ainsi, ô Centaure, que se sont éloignés de ce monde les Ris et les Jeux, cortège adorable d'Aphrodite à la belle croupe, la plus raisonnable des déesses.

Mais dans cet univers qui se recueille en son ingratitude et se complaît en la délectation morose du travail, il reste encore des hommes qui jouent, encore qu'ils aient parfois les cheveux gris. Et ce sont, tu l'as dit, mes fils préférés, les maçons que l'on dit francs, sans doute parce qu'ils ont seuls la sincérité d'avouer que l'homme n'est pas fait pour ne se nourrir que de morne labeur et de réflexions maussades.

Ils jouent donc, ô Centaure, avec des glaives innocents, des baudriers sans épée, des cordons où brillent un or imité et des pierreries factices, avec de beaux titres, qui retentissent dans leur esprit comme un coup de gong dans le silence sonore des grands temples de l'Inde. Ils jouent avec les plus illustres mots, les plus redoutables serments, les plus grandes vertus. Ils jouent à s'aimer, ils jouent à reconstruire le monde, et grisés par le breuvage capiteux de la fantaisie, ils sont comme le chiffonnier ivre dont parle un poète de ce pays :

Il prête des serments, dicte des lois sublimes, Terrasse les méchants, relève les victimes

Et sous le firmament comme un dais suspendu S'enivre des splendeurs de sa propre vertu.

— Chiffonniers ivres, c'est assez cela, dit le Centaure qui avait écouté impassiblement la longue tirade de l'Architecte. Mais quand les chiffons sont enlevés et l'ivresse dissipée, que reste- t-il de la féerie de ces grands enfants ?

— Je ne sais s'il en reste grand chose, répondit Hiram. Et cependant, Sagittaire, toi qui naquis dans un pays où l'art du théâtre eut jadis quelque éclat, n'as-tu jamais connu d'acteurs ?

— J'en ai connu quelques-uns, dit Keyron.

— Et n'a-tu pas remarqué qu'ils sont enclins à transporter dans l'ordinaire de la vie les personnages qu'ils ont interprétés à la scène.

— Si fait, répondit Keyron, j'ai connu une jeune femme qui pour avoir joué le rôle d'Hélène vit s'éparpiller une vertu jus­qu'alors intacte ; et j'ai connu aussi un homme qui pour avoir figuré Agamemnon parlait à sa cuisinière comme s'il commandait à une armée assemblée sous les murs de Troie.

— Eh bien, repartit Hiram, je crois qu'il en est ainsi des maçons. C'est la vertu du jeu que de corrompre le sérieux, la valeur de l'illusion que de l'emporter sur la réalité. Les parvis du temple où s'assemblent les maçons sont, si j'ose dire, à sens unique : il ne laissent point passer la morne gravité du monde extérieur, mais ils laissent fuir vers ce monde maussade les enseignements ailés de la fantaisie. Ainsi nos maçons, pour avoir joué dans leur décor le rôle d'êtres fraternels, dignes et sages, cèdent involontairement au désir de transporter dans ce qu'ils nomment la vie profane, cette fraternité, cette dignité, cette sagesse qui pour eux sont devenues beaucoup moins factices et beaucoup moins illusoires que les ignorants ne le pensent. Et moi-même pour avoir à l'instant évoqué les jeux auxquels mes disciples préférés se livrent avec une ardeur innocente, je res­sens les effets bienfaisants de l'imagination. Ma tristesse se dissipe et sans doute vais-je de ce pas aller partager ces travaux dont je goûte de plus en plus le précieux enfantillage.

Que ne m'accompagnes-tu, ô Keyron ? Tu seras certes bien accueilli chez les maçons : ils te connaissent déjà, car ton image figure dans le décor qui embellit leur demeure.

Keyron ne répondit pas tout de suite. 

(Ici manquent quelques feuillets.)

Se guidant sur les lumières qui naissaient dans la nuit, Hiram et le Sagittaire s'en allèrent alors vers la Grande Cité.

Publié dans le PVI N° 35 - 4éme trimestre 1979  -  Abonner-vous à PVI : Cliquez ici

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