GLDF | Revue : Points de Vue Initiatiques | 4T/1979 |
Hiram et le Sagittaire La couverture de
l'ouvrage manquant, le nom de l'auteur de ce naïf dialogue est inconnu. C'était
vraisemblablement quelque vieux magistrat ou quelque pédagogue en retraite qui
s'imagina sans doute, en écrivant dans ce style périmé, revivre les heures
regrettées de sa studieuse jeunesse. (Cette présentation
est de Michel Dumesnil de Gramont.) ** Comme Calypso ne
pouvait se consoler du départ d'Ulysse, le maître Hiram ne pouvait se remettre
de la trahison des trois compagnons. Certes, il y avait déjà longtemps que le
perfide attentat avait été consommé et depuis lors Hiram avait maintes fois
ressuscité, ce qui est bien la revanche la plus désagréable et la plus
inattendue qu'une victime puisse prendre sur ses meurtriers. Mais il n'en
était au fond que plus affligé, se demandant si ceux qui le rappelaient
périodiquement à la vie étaient vraiment des disciples fidèles, s'ils étaient
bien pénétrés de ses Immortels enseignements, et s'ils n'étaient point capables
quelque jour de l'étendre à nouveau inerte sur le seuil du temple taché de son
sang. Vers la fin de
l'année 5531, Hiram songeait à ces choses dans le décor d'une forêt dont les
arbres privés de feuilles évoquaient à ses yeux les colonnades rigides du
sanctuaire où il avait jadis trouvé la plus illustre des morts. La verdure
flétrie tombait à ses pieds, abondante et silencieuse, et lui rappelait — comparaison
plusieurs fois millénaire — la chute de ces illusions dont la jeunesse se
défend de vouloir se parer, et dont la vieillesse se désole d'être dépouillée.
Et l'allée au bout de laquelle le mélancolique architecte s'était assis, se
remplissait de cette brume diaphane qui, déformant légèrement le contour des
choses, est l'image de ce mensonge aimable dont sont faites la plupart des
vérités humaines. Tandis qu'Hiram
inclinait lentement vers la torpeur qui parfois s'empare des grands conducteurs
de peuples, lorsque l'âge les atteint, le silence du rougeoyant automne fut
troublé par un pas multiple et sonore. Pensant que quelque
jeune homme d'armes se préparait aux combats de l'avenir en chevauchant
martialement sous les futaies immenses de la célèbre forêt, le maître releva
ses paupières que la méditation avait baissées et que le sommeil menaçait de
clore. Celui qu'il vit apparaître au détour de l'allée n'était pas un jeune
cavalier, mais un être singulier, au corps chevalin et au torse d'homme, dont
la vue aurait à coup sûr déconcerté un promeneur ordinaire, L'architecte du roi
Salomon avait, lui, assez de science et de sang-froid pour reconnaître aussitôt
en ce nouveau venu le centaure Keyron, le précepteur en retraite des demi-
dieux, qui en récompense de ses offices auprès de tant de héros, avait vu son
image placée au rang des effigies zodiacales, et portait le titre honorifique
de SAGITTAIRE. Keyron, en retour,
lorsqu'il arriva devant Hiram, ne montra point d'étonnement : lui aussi
reconnaissait le vénérable architecte. Il lui fit un salut plein de dignité
hellénique auquel Hiram répondit par un signe de tête tout empreint de majesté
judaïque. Il eût, certes, été contraire aux convenances que deux personnages
aussi réputés n'entamassent point un de ces entretiens dont Lucien de Samosate,
Fénelon, Fontenelle et quelques autres nous ont laissé la formule féconde. — Est-ce toi, ô
Sagittaire, fit donc Hiram, qui par ce triste jour viens, loin des terres
ensoleillées où galopa ta jeunesse, errer dans le morose décor de cette forêt
gauloise. — C'est bien moi,
Hiram. Sans doute sont-ce cet arc relâché et ce carquois plein de flèches
rouillées qui t'ont fait discerner en moi un centaure et, soit dit modestement,
le plus illustre de tous. — Certes, reprit
l'architecte, sans cet armement je n'aurais point discerné en toi le grand
Keyron auquel Zeus n'hésita pas à confier l'éducation d'un certain nombre de
ses fils. Mais serais- je indiscret en te demandant si c'est la fatigue ou le
chagrin qui alourdit ton pas et courbe légèrement ta superbe échine ? Keyron ne répondit
point tout de suite. S'approchant d'Hiram, il plia ses membres inférieurs aux
articulations un peu raidies, et s'allongea aux pieds de l'architecte, tout en
redressant son noble torse ceint d'un baudrier défraîchi. Après avoir médité
quelques instants, il reprit : — Il est vrai,
Hiram, que j'ai sujet d'être attristé et d'être las. J'arrive par la route de
ce qui fut l'Hellade. — Terre fameuse !
fit poliment Hiram. — Hélas ! s'écria
le centaure, d'une voix amère. Ne sens-tu pas au contraire quelle dérision
recèle le nom illustre de cette contrée injustement vantée où depuis des
siècles j'ai vainement attendu la naissance d'un âge de sagesse et de félicité.
Surtout ne lève point des sourcils étonnés sur moi, sinon je te croirais, toi,
dont la barbe atteste la pénétration, aussi peu clairvoyant que les poètes et
les érudits qui ont chanté mon pays et célébré ses gens. — Ne t'irrite
point, Centaure, la colère ne nous vaut rien à nous qui commençons à n'être
plus tout jeunes. — Hélas, comment ne
m'irriterais-je pas ! Voici des siècles, te dis-je, que j'entends louer la
sagesse des Hellènes, leur amour de la beauté, leur goût des nobles
discussions. Sans doute ceux qui ont donné la vie à ces mensonges n'ont-ils
jamais lu ce qu'ont écrit les philosophes et les historiens nés dans cet
exécrable pays et dans cet exécrable temps. — J'incline à
penser, fit le Tyrien, que tes expressions dépassent ta pensée. — Hélas ! fit le
centaure en levant vers le ciel pur ses yeux douloureux. De quelles laideurs ne
fut point faite cette légendaire beauté de l'Hellade : perfidie, adultère,
inceste, trahison, meurtre, ambition, massacre, tel est le contenu constant de
cette histoire si sottement admirée. Tous, même les
petits enfants du pays barbare où nous sommes ce soir connaissent les plus
marquants de ces tristes faits : Aristide chassé par Thémistocle, Thémistocle
frappé par Eurybiade, puis se donnant la mort en exil, Xénophon aussi célèbre
par ses trahisons que par sa sagesse, Démosthène livré à ses ennemis par ses
concitoyens, Eschyle abandonnant sa patrie pour des jalousies littéraires,
Socrate bafoué par Aristophane et contraint de boire la ciguë, Périclès
déclarant la guerre pour couvrir ses prévarications... Mais je m'arrête car,
Hiram, tu connais tout cela et c'est certainement par ironie que tu as voulu me
parler de la sagesse et de la beauté de l'Hellade. — Les hommes ne
sont point des saints, fit l'architecte d'un ton conciliant. Mais tu as eu du
moins la consolation de fréquenter les demi-dieux et de prodiguer à certains
d'entre eux tes enseignements. — Ton ironie
devient de plus en plus cruelle, répliqua le centaure, car ceux qui furent à
mon école ne m'ont guère fait honneur : ni Achille, ni Ajax, ces soudards à
l'esprit imperméable, ni Héraclès ce massacreur imbécile qui se laissa berner
par une femme vengeresse, ni Bacchus, ce sectaire couronné de pampres, ni
Jason, ce cupide chercheur d'or, suborneur de filles, époux adultère, assassin
de son oncle. — En effet, fit
prudemment Hiram, je vois que tu n'as pas eu de chance avec tes élèves. — Certes non,
reprit le Sagittaire ; aussi lorsqu'un jour, debout sur un promontoire battu
par ces vagues violettes que les poètes disaient plus enivrantes que le vin,
j'entendis une voix mystérieuse annoncer que le Grand Pan était mort, je puis
t'assurer que le Centaure, loin de se désoler, s'est réjoui dans son coeur
d'entendre ainsi proclamer la mort d'un monde de démence et de crime. Puis
vinrent les barbares : alors me retirant dans mes forêts natales, j'attendis
pendant vingt siècles que surgît enfin cette Hellade, terre de beauté, dont sur
la foi des poètes j'espérais encore la naissance. Aujourd'hui j'y ai renoncé :
je ne crois plus qu'un jour, montera vers les dieux la fumée des offrandes
sacrées, brûlées dans les clairières, sur le marbre immaculé des autels, sous
l'oeil extasié de blanches prêtresses au coeur pur. Ce qui s'élève dans l'azur
hellénique, c'est seulement la fumée des vaisseaux bardés de fer que des Grecs
enrichis offrent à la patrie pour lui prouver leur attachement et lui témoigner
de leur génie. Aussi me suis-je décidé à parcourir le monde, certain de n'y pas
trouver plus de sottises et plus de forfaits qu'en la terre illustre où le
destin me fit naître. Keyron reprit après
un instant de silence : — Je t'envie, toi,
qui, ne te préoccupant pas des dieux, des héros ni des philosophes, n'eus
affaire qu'aux plus simples hommes : les charpentiers, les tailleurs de
pierre, les batteurs de métal, bref à tous ceux qui travaillent de leurs mains.
Je ne doute point qu'ils n'aient tiré bon profit de tes sages leçons et ne
t'aient donné des satisfactions que je n'ai malheureusement point connues. — Je crois,
répondit Hiram, que tu t'exagères l'influence de mes enseignements, et
l'étendue de mes satisfactions. Je laisse de côté mon assassinat par trois
compagnons trop ambitieux, incident fâcheux qui me valut en revanche quelque
renommée. Mais en vérité j'ai subi de plus cruelles déceptions. Je ne te le
dissimulerai pas, Sagittaire : lorsque je présentai à Salomon, assemblés en
compagnies, ces artisans qui travaillaient la pierre et le métal, qui broyaient
les couleurs ou sculptaient le bois, je rêvais que leur union exalterait leur
mérite, que par elle leur labeur prendrait une noblesse jusqu'alors inconnue,
et qu'ainsi embellie, sublimisée, l'oeuvre de leurs mains leur ferait une âme
plus haute. Je croyais que, liés par une solide amitié, ces artisans qui déjà
produisaient tant de grandes et précieuses choses deviendraient toute vertu et
toute fierté, et je m'imaginais qu'un jour viendrait peut-être où, reprenant le
songe d'un de leurs ancêtres, ils pourraient édifier de leurs mains ouvrières
cette tour qui montera de la terre jusqu'aux Dieux, et dont Babel vit
s'écrouler le premier et imparfait exemplaire. — Le rêve était
grand, et il te fait honneur, dit doucement le Sagittaire. — Grand, certes,
répliqua l'architecte, mais vain et menteur comme tous les rêves. Il est vrai
que, siècle après siècle, les artisans de tous les métiers s'unissaient sous
une loi commune. Leur puissance irrésistiblement grandissait. Tu ne les verras
plus se grouper en cortège sous les yeux surpris et inquiets des rois, mais
dans les conseils des peuples les chefs de ces camarades, les Sundikoi, comme
vous eussiez dit, vous autres Grecs, parlent avec autorité et leur voix prend
une force singulière. — Ton rêve, dit le
Centaure, n'était donc pas tout à fait vain. — Hélas, reprit
Hiram, il était d'autant plus vain qu'il paraissait réalisé. En effet, ce
n'est pas à la beauté de leur art, à la dignité de leur âme que ces hommes ont
dévoué la force grandissante créée par leur union ; ils ne s'inquiètent point
que leurs mains soient plus habiles ni que leur esprit ait plus d'agilité, non
plus que leur coeur soit plus enclin à s'attendrir justement. Ils n'ont en
vérité souci que du prix de leur travail, et toute cette puissance accumulée à
travers les siècles et les siècles ne tend qu'à obtenir le loyer le plus fort
pour un labeur aussi réduit et aussi facile que possible. Je ne m'en irrite pas
ô Keyron, j'admets qu'il faut vivre avant que de philosopher et les poètes ont
beau dire pour se consoler que l'homme ne vit pas seulement de pain, je sens
bien que nous inclinons vers un monde où les hommes, cessant de lever les yeux
vers le ciel où brille ta constellation, ô Sagittaire, ne se soucieront plus
que de pain. Lorsque Hiram eut
ainsi parlé, Keyron et lui restèrent quelque temps silencieux : ils sentaient
tomber sur leurs épaules frissonnantes le brouillard qui, le jour s'avançant,
se dissolvait en pluie infime. Le Centaure,
relevant la tête, reprit d'une voix mal assurée, tout en arrangeant ses flèches
dans son carquois pour se donner une contenance : — Il me semble,
Hiram, que si les charpentiers, les peintres, les batteurs de métal, les
polisseurs de bois t'ont donné de grandes désillusions, il est au moins une
compagnie dont on assure que tu es satisfait. — De qui parles-tu
? fit sévèrement l'Architecte. — Des maçons,
répondit malicieusement le Sagittaire. Il y eut encore un
instant de silence, puis Hiram, s'appliquant à ne point sourire, déclara : — Il est heureux,
Centaure, que de notoriété publique tu sois, en vertu de ta pénétration
semi-divine, au courant de tous les secrets, sinon j'aurais sujet de m'irriter
de ton indiscrétion et de rompre cet entretien. — Tu te trompes,
Hiram, reprit le Centaure. Je n'ai pas le mauvais goût d'exercer ma
clairvoyance surnaturelle à l'égard des hommes qui désirent garder le silence
sur leurs travaux. Je ne sais d'eux que ce qu'en dit la rumeur publique. — Et qu'en
dit-elle, ô Keyron ? — Elle ne leur est
pas favorable. Les maçons, tes fils préférés, sont paraît-il, des ambitieux
qui rêvent de dominer le monde, des impies qui ne comprennent pas la beauté des
choses divines. On assure qu'ils vivent dans le libertinage et qu'ils
pratiquent quotidiennement l'espionnage et la délation. — Crois-tu vraiment
qu'il en soit ainsi ô Centaure ? — Je tiens,
répondit le Sagittaire, que la perfection n'est point de ce monde : je doute
donc que des hommes puissent réunir en eux tous les mauvais penchants que l'on
impute aux maçons. Et comme je ne crois pas, Hiram, que tu aies la puissance de
changer le coeur des mortels, je pense que tes disciples ne sont, comme tous
les humains, qu'un banal mélange de bonté et de méchanceté, de sottise et de
sagesse. Pourtant je ne serais pas surpris que chez eux la sottise l'emportât
sur la sagesse et j'en vois la preuve dans ce goût du décor qu'ils manifestent,
m'a-t-on dit, dans leurs assemblées où ils se revêtent d'insignes somptueux, se
saluent de titres solennels, et s'obligent à des gestes puérils... — C'est toi, ô
Sagittaire, qui me semble manquer de sagesse, répliqua Hiram avec un sourire
ironique, et je commence à être moins surpris que tes élèves aient si mal
tourné. Les maçons, mes disciples, qui ne dégrossissent, tu le sais, qu'une
pierre imaginaire et ne manient qu'une truelle symbolique, les maçons, et tu
l'as justement dit, ne sont que de simples humains en qui le bien et le mal
s'unissent. Mais ils ont un mérite que le commun des hommes ne possède pas, et
c'est justement cette puérilité que les sots leur reprochent. Un Nazaréen dont
tu as peut-être entendu parler l'a déjà dit : si vous n'êtes comme des enfants,
vous n'entrerez pas au royaume des cieux. C'est tout le mal de notre monde, ô
Centaure, de n'être plus comme un enfant. Cette dure loi du travail que les
dieux cruels ont imposée aux mortels, ces mortels insensés en sont venus à la
vénérer, à l'adorer, à l'exalter, alors qu'ils devraient la haïr et la
transgresser toutes les fois qu'ils le pourraient. Hélas, nous voyons au contraire
les jeunes hommes qui ont moins de vingt ans repousser les délassements de
l'adolescence pour arracher jalousement aux vieillards une part de leur labeur.
Et nous verrons bientôt les petits enfants à la mamelle abandonner le sein
gonflé de leur nourrice pour lever à grands cris leurs tendres mains vers les
graves pensées et les plus lourds soucis. C'est ainsi, ô Centaure, que se sont
éloignés de ce monde les Ris et les Jeux, cortège adorable d'Aphrodite à la
belle croupe, la plus raisonnable des déesses. Mais dans cet
univers qui se recueille en son ingratitude et se complaît en la délectation
morose du travail, il reste encore des hommes qui jouent, encore qu'ils aient
parfois les cheveux gris. Et ce sont, tu l'as dit, mes fils préférés, les
maçons que l'on dit francs, sans doute parce qu'ils ont seuls la sincérité
d'avouer que l'homme n'est pas fait pour ne se nourrir que de morne labeur et
de réflexions maussades. Ils jouent donc, ô
Centaure, avec des glaives innocents, des baudriers sans épée, des cordons où
brillent un or imité et des pierreries factices, avec de beaux titres, qui
retentissent dans leur esprit comme un coup de gong dans le silence sonore des
grands temples de l'Inde. Ils jouent avec les plus illustres mots, les plus
redoutables serments, les plus grandes vertus. Ils jouent à s'aimer, ils jouent
à reconstruire le monde, et grisés par le breuvage capiteux de la fantaisie,
ils sont comme le chiffonnier ivre dont parle un poète de ce pays : Il prête des
serments, dicte des lois sublimes, Terrasse les méchants, relève les victimes Et sous le
firmament comme un dais suspendu S'enivre des splendeurs de sa propre vertu. — Chiffonniers
ivres, c'est assez cela, dit le Centaure qui avait écouté impassiblement la
longue tirade de l'Architecte. Mais quand les chiffons sont enlevés et
l'ivresse dissipée, que reste- t-il de la féerie de ces grands enfants ? — Je ne sais s'il
en reste grand chose, répondit Hiram. Et cependant, Sagittaire, toi qui naquis
dans un pays où l'art du théâtre eut jadis quelque éclat, n'as-tu jamais connu
d'acteurs ? — J'en ai connu
quelques-uns, dit Keyron. — Et n'a-tu pas
remarqué qu'ils sont enclins à transporter dans l'ordinaire de la vie les
personnages qu'ils ont interprétés à la scène. — Si fait, répondit
Keyron, j'ai connu une jeune femme qui pour avoir joué le rôle d'Hélène vit
s'éparpiller une vertu jusqu'alors intacte ; et j'ai connu aussi un homme qui
pour avoir figuré Agamemnon parlait à sa cuisinière comme s'il commandait à une
armée assemblée sous les murs de Troie. — Eh bien, repartit
Hiram, je crois qu'il en est ainsi des maçons. C'est la vertu du jeu que de
corrompre le sérieux, la valeur de l'illusion que de l'emporter sur la réalité.
Les parvis du temple où s'assemblent les maçons sont, si j'ose dire, à sens
unique : il ne laissent point passer la morne gravité du monde extérieur, mais
ils laissent fuir vers ce monde maussade les enseignements ailés de la
fantaisie. Ainsi nos maçons, pour avoir joué dans leur décor le rôle d'êtres
fraternels, dignes et sages, cèdent involontairement au désir de transporter
dans ce qu'ils nomment la vie profane, cette fraternité, cette dignité, cette
sagesse qui pour eux sont devenues beaucoup moins factices et beaucoup moins
illusoires que les ignorants ne le pensent. Et moi-même pour avoir à l'instant
évoqué les jeux auxquels mes disciples préférés se livrent avec une ardeur
innocente, je ressens les effets bienfaisants de l'imagination. Ma tristesse
se dissipe et sans doute vais-je de ce pas aller partager ces travaux dont je
goûte de plus en plus le précieux enfantillage. Que ne
m'accompagnes-tu, ô Keyron ? Tu seras certes bien accueilli chez les maçons :
ils te connaissent déjà, car ton image figure dans le décor qui embellit leur
demeure. Keyron ne répondit
pas tout de suite. (Ici manquent
quelques feuillets.) Se guidant sur les
lumières qui naissaient dans la nuit, Hiram et le Sagittaire s'en allèrent
alors vers la Grande Cité. |
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