GLDF | Revue : Points de Vue Initiatiques | 4T/1979 |
Bâtir ensemble Monsieur Michel de Just, vous venez, à l'âge de quarante-cinq ans, d'être réélu, pour la seconde fois, Grand Maître de la Grande Loge de France. Voulez-vous exposer vos vues sur votre charge, et nous dire la place que vous estimez devoir revenir à la Franc-Maçonnerie écossaise dans la société contemporaine. Le
Convent de la
Grande Loge de France, qui a pris fin le dimanche 9 septembre, nous a
permis de
constater que toutes nos Loges avaient pris conscience de
l'évolution rapide de
la société contemporaine et des conditions
nouvelles dans lesquelles un ordre
comme le nôtre est appelé à remplir sa
vocation initiatique. Certes, le problème n'est pas nouveau. A toutes les époques les Francs-Maçons, sans rien négliger de la Tradition mais au contraire en la vivifiant, ont eu le souci d'adapter leurs recherches et leurs travaux aux réalités de leur temps. Nous disons que le chantier, sur lequel nous travaillons et auquel nous appelons tous les hommes libres et de bonne volonté, n'est jamais achevé. Il ne se présente pas comme un bloc monolithique de vérités dogmatiquement affirmées ou prétendues exhaustives. Cela signifie avant tout que le respect de la Tradition, exigence première de la vie maçonnique, doit être associé à une recherche prospective qui a permis à toutes les générations de Francs- Maçons de se placer à la tête des grands courants de pensée qui ont éclairé le monde et l'ont guidé au cours des siècles. Il en est encore de même aujourd'hui. Chez
nous, hors de
toute polémique partisane, s'expriment et se confrontent les
mouvements d'idées
qui mobilisent la conscience universelle. C'est par une
méthode qui nous est
propre, dont des siècles d'expérience confirment
la valeur, que nous cherchons
à réaliser notre ascèse personnelle,
l'accomplissement harmonieux de notre vie
d'homme et la synthèse des valeurs philosophiques.
Inlassablement aux écoutes
de l'homme, participant à toutes ses souffrances,
vibrant au cri déchirant qui
s'exhale de l'humanité, le Franc- Maçon se dresse
contre toutes les injustices,
contre toutes les atteintes à la dignité humaine,
contre tous les crimes, de
quelque idéologie dont ils veuillent se parer. Devant
toutes ces
exactions, devant l'image insoutenable des enfants qu'on
torture, des faibles
qu'on opprime, devant les milliers d'êtres humains qu'on
laisse mourir
d'épidémie ou de faim, chacun se prend
à penser : comment peut-il se faire que
malgré sa longue, sa tragique, son émouvante
histoire, faite de tant de pleurs
et de joies, de tant de déceptions et d'espoirs, de tant de
défaites et de
victoires, de tant de mort et de vie, l'homme en soit toujours
là ? Certains
répondront, ou s'ils ne le disent pas le penseront et
agiront en conséquence,
que l'homme est mauvais par nature, qu'il est l'ennemi le plus
acharné de son
semblable et que les seuls rapports qui puissent exister entre les
individus
sont des rapports de force, dominant-dominé,
maître-esclave, et que la seule
règle de vie doit être d'ignorer
délibérément tout ce qui ne nous
touche pas
directement afin d'employer toute notre énergie à
être les dominants, les
maîtres. D'autres s'affligeront de cet état de
choses et concluront que la
tâche est trop lourde et qu'il serait insensé de
la vouloir entreprendre. Nous,
Francs-Maçons, ne pouvons souscrire à ces
analyses et par conséquent ne pouvons
nous enfermer dans l'ignorance bornée, ni renoncer en
faisant nôtre une morale
de la résignation attristée. Mais nous savons
aussi quelle est notre voie
spécifique : c'est la voie de l'initiation. En
effet, et quel
que soit le respect que nous puissions éprouver par ailleurs
pour toute
démarche tendant à améliorer les
conditions immédiates de la vie de l'homme,
nous, Francs-Maçons de la Grande Loge de France, nous
estimons et proclamons
que notre rôle n'est en aucun cas de nous substituer
à un parti politique, ni
d'en suivre les directives ; nous estimons et nous proclamons que notre
rôle
n'est en aucun cas de remplacer un syndicat ni d'en constituer un
relais. Non,
notre rôle est différent. Nous
sommes le
centre de l'union ; l'objet de notre démarche est de
rassembler ce qui est
épars, en proposant à l'homme, à tous
les hommes, sans distinction de race, de
nationalité ou de croyance, de bâtir ensemble le
Temple de l'Humanité.
Entreprise exaltante, malgré tous les obstacles à
franchir, malgré toutes les
difficultés à vaincre. Cette voie que nous
suivons, cette voie qui nous est
propre, c'est la voie initiatique qui, en chaque instant, se manifeste
sur deux
plans différents mais indissolublement liés entre
eux. La
Franc-Maçonnerie
est en effet un ordre initiatique qui nous permet, par ses rituels, de
rendre
réel en nous un ordre cosmique qui n'est que potentiel ; qui
nous permet de
construire un monde intérieur, universel qui n'est
qu'embryonnaire ; qui permet
de sacraliser ce que d'autres tiennent pour un simple
conglomérat de cellules ;
qui nous permet de donner vie, à l'intérieur de
nous, à un être universel, à un
être spirituel qui va rejoindre le Temps, ce temps qui
échappera à l'homme tant
qu'il essaiera de le réduire à ses mesures. Le
Temps s'écoule et fuit, dit-on.
Quelle erreur ? C'est l'homme qui, s'il n'a pas su se situer en dehors
du
moment, disparaîtra, englouti dans le vertigineux chaos ;
c'est l'homme qui,
s'il n'a pas su se dépouiller de la défroque qui
lui est accordée pour quelques
années, cessera d'exister avant même que d'avoir
commencé à être. Le rituel
permet de donner la vie à cet embryon qui est en nous, comme
en tous les
hommes, puis de le mener à terme c'est-à-dire
à une perfection, à une
éternité
; car l'éternité n'est pas comme certains le
prétendent un allongement indéfini
de la durée : elle est dans l'instant
privilégié, en l'éclair de la
vérité du
monde. Et nos rites nous permettent de nous mettre en route vers cet
instant,
alors porteur d'absolu. Mais
cette voie
initiatique se manifeste aussi sur un autre plan : c'est le passage de
l'état
d'individu isolé revendiquant pour lui le droit d'imposer la
vision morale à
autrui, à l'état de personne dont la vocation est
de connaître l'autre, de le
reconnaître tout à la fois différent et semblable.
L'initiation, c'est la volonté de travailler et de polir la
pierre brute que
nous sommes, mais non pour la contempler ensuite, en une narcissique
satisfaction, isolée, comme un chef-d'œuvre
inutile parce qu'il n'a sa place
nulle part, mais au contraire pour qu'elle puisse venir
s'insérer, parfaitement
ajustée, dans l'édifice commun auquel elle est
indispensable mais qui lui est
tout aussi indispensable. L'initiation
c'est
l'exigence constante de la liberté d'aller plus loin et
d'approfondir encore
pour faire progresser l'humanité entière, pour
que demain, dans le monde, règne
la Fraternité. C'est
cela que
nous, Francs-Maçons de la Grande Loge de France, nous
appelons le Grand Oeuvre. SEPTEMBRE
1979 |
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