GLDF | Revue : Points de Vue Initiatiques | 1T/1980 |
Les Traditions Maçonniques De très nombreux
ouvrages relatent l'histoire de la Franc- Maçonnerie et font remonter ses
sources et ses origines bien au-delà de sa date de naissance officielle. La
Franc-Maçonnerie moderne naît en effet dans le premier quart du XVIlle siècle. Mais les diverses
traditions dont les Francs-Maçons se sont inspirés, la tradition opérative ou
la tradition chevaleresque par exemple, ont incité les historiens à rechercher
la filiation entre la Franc-Maçonnerie et les corporations de métiers, ou l'Ordre
Templier. Pour s'en tenir aux
certitudes, le lien entre les « Ateliers créés entre le Xle et le Xllle siècle
et les « Loges N maçonniques actuelles est assez aisément reconstituable, même
s'il est difficile parfois de repérer le fil tenu qui conduit de la Maçonnerie
d'antan, dite opérative, à la Maçonnerie spéculative d'aujourd'hui. Plus essentielle
semble être la filiation symbolique, laquelle intègre un grand nombre de mythes
fondamentaux de l'humanité, tels quels, repris par toutes les sociétés initiatiques,
à travers le temps et à travers le monde. Au cours de son
histoire, la Franc-Maçonnerie, tant opérative que spéculative, a évolué dans
des univers politiques, sociaux et culturels divers qui ont permis la
pénétration de ces mythes auxquels elle a donné, ou redonné, un sens conforme
aux aspirations des hommes dans leur milieu et dans leur époque. Si bien
qu'aujourd'hui, la Franc-Maçonnerie peut se prévaloir de diverses traditions
qui cohabitent harmonieusement pour former la structure culturelle de l'Ordre. *
* * La Tradition
Opérative C'est à la
tradition opérative qu'il faut donner la première place. L'imagerie classique
de la Franc-Maçonnerie est faite principalement de représentation des outils
utilisés par les maçons opératifs : instruments du géomètre ou du tailleur de
pierre, par exemple. L'importance de la
tradition opérative est liée à la non moins grande importance des organisations
de métiers qui naissent en Europe aux alentours du XII' siècle, elles-mêmes
issues des « collegiae » romaines, regroupant en leur sein les membres d'une
même profession. Les « mestiers » en France, les « crafts » britanniques, les
« gilden » d'Allemagne, après un effacement consécutif au mouvement des
grandes invasions barbares, renaissent sous l'impulsion de l'essor urbain et
surtout de l'installation des ordres religieux, l'un et l'autre étant Les associations
artisanales ont une double vocation : la défense et le contrôle de la
profession. Elles donneront naissance aux corporations, puis au compagnonnage,
réaction contre le pouvoir absolu et abusif des Maîtres. On conçoit que dans
ce contexte l'Association des Francs- Maçons ait occupé une place à part. Les
Maçons représentent alors l'élite technique qui, libérée de toutes les
servitudes et circulant d'une région et d'un pays à l'autre, dispose d'un pouvoir
culturel, lié à sa fonction et d'un pouvoir spirituel, lié à son oeuvre. Les réunions de
travail des Francs-Maçons se tiennent dans des « Ateliers », les « Loges »
maçonniques et ont une vocation corporatiste certes, mais aussi technologique
et éducative, dans une ambiance très particulière de fraternité, celles
d'hommes poursuivant un but identique, construisant une oeuvre en commun,
travail qu'aucun d'entre eux ne saurait assumer seul. Ainsi les Francs-Maçons
prennent-ils conscience qu'ils forment une véritable communauté. Cet état d'esprit
est un des fondements de la Franc-Maçonnerie d'hier comme de celle
d'aujourd'hui. Il s'est perpétué à travers les siècles. Lorsqu'on cesse de
construire des cathédrales, les Francs-Maçons ne disparaissent pas tout à fait
; ils subsistent çà et là, et acceptent dans leurs Loges des hommes, qui ne
sont pas des Maçons, mais qu'ils reconnaissent comme Frères en esprit. Ainsi se
fait, en Angleterre et en Ecosse principalement, le passage de la Maçonnerie
opérative à la Maçonnerie spéculative, vraisemblablement au XVI' siècle,
peut-être avant. Peut-être avant,
car on retrouve dans le système symbolique maçonnique des traditions
hermétistes, sans doute issues de l'apport alchimique, mais renforcées par le
mysticisme de certains Francs-Maçons et de certaines Loges au XVIII° siècle. On explique
généralement la tradition chevaleresque de la Franc-Maçonnerie par les
relations privilégiées qu'elle aurait entretenues avec l'Ordre des Templiers,
surtout au moment où, pourchassés et persécutés en France par la Royauté, ces
derniers se réfugiaient à l'étranger. Sont-ce les premières introductions de
Frères étrangers à la Maçonnerie ? *
* * La Tradition ThéisteC'est plus tard, en
Angleterre, que la Franc-Maçonnerie prend son visage contemporain. En 1717, quatre
Loges de Londres décident de se « fédérer » et constituent la « Grande Loge de
Londres » première des étapes qui aboutiront à la création de la Grande Loge
d'Angleterre, un siècle plus tard, historiquement la première des Obédiences
maçonniques. Le Pasteur
Anderson, en 1723, rédige les Constitutions toujours en vigueur actuellement. Les Constitutions
d'Anderson expriment formellement l'obligation faite à un Franc-Maçon « d'obéir
à la Loi morale », et, poursuivent les Constitutions, si le Franc-Maçon «
comprend bien l'Art, il ne sera jamais un athée stupide ou un libertin
irréligieux ». Les Francs-Maçons
britanniques, en 1815, interprèteront la formule comme une profession de foi
religieuse et feront de l'obligation de croire en Dieu une règle de base pour
devenir Franc-Maçon. En France, les querelles entre l'Eglise et la Franc-
Maçonnerie et les décisions papales d'excommunication des Frères, ont conduit à
une interprétation libérale plus conforme à la lettre et à l'esprit du texte. Néanmoins, la
tradition théiste est bien vivante dans les Loges. En premier lieu, de nombreux
croyants, chrétiens et autres fréquentent assidûment les Loges, y compris des
ministres du Culte, certes plus nombreux au XVllle siècle qu'aujourd'hui. En
second lieu, la rupture entre l'Eglise et la Franc-Maçonnerie, survenue en
France, est liée à des contingences historiques et politiques, bien plus que
spirituelles. Elle a eu pour effet bénéfique d'ouvrir les Loges aux
non-croyants, sans que soit pour autant rejetée la tradition théiste, celle-ci
prenant alors un sens neuf. La Franc-Maçonnerie
n'est en effet ni un appendice des Eglises, ni une machine de guerre contre les
hiérarchies religieuses. Elle se situe sur un tout autre plan, mais se réfère à
la tradition théiste comme l'un des environnements de sa recherche en égard au
passé chrétien de l'Ordre, à la foi du nombre de ses membres et enfin à
l'apport des croyances religieuses dans le développement et l'épanouissement de
la pensée. Les Francs-Maçons de la Grande Loge de France travaillent sous
l'invocation du Grand Architecte de l'Univers, après avoir ouvert la Bible,
appelée Volume de la Loi Sacrée : double expression de la tradition théiste et
universalisation de cette tradition pour intégration dans le système symbolique
maçonnique, qui permet à chaque Frère de s'épanouir dans sa Loge, librement et
dans le respect de sa foi et de ses convictions. *
* * La Tradition HumanisteBordeaux et
Dunkerque, villes françaises de tradition britannique, accueillirent les
premières Loges françaises, créées, vers 1730, par des Francs-Maçons anglais. La Franc-Maçonnerie
française se constitue donc en même temps que se développent les idées du
Siècle des Lumières, et quoi qu'elle apparaisse souvent comme conformiste et
conservatrice, elle se laisse pénétrer par le mouvement humaniste qui prépare
la Révolution Française et les idées sociales qui s'épanouiront dans les deux
siècles suivants. En 1789, la
Franc-Maçonnerie comptait déjà quelque 30 000
membres. Elle n'est donc pas
assimilable à un mouvement de masse, ce qu'elle ne saurait
d'ailleurs jamais
être. Néanmoins dans une société
fermée, son poids est considérable, car la plupart
de ses membres appartiennent ou sont liés à
l'élite culturelle et sociale, dans
sa diversité. En Loge se
retrouvent et s'expriment nobles et bourgeois qui n'auraient guère l'occasion
de se rencontrer ailleurs. Dans le climat particulier créé par la fraternité
maçonnique, s'échangent les idées de ceux qui sont les plus proches du pouvoir
et de ceux qui parviendront à le renverser. Tout au long de son
histoire de Franc-Maçonnerie française se révèle l'héritière de cette tradition
humaniste et libérale née dans le creuset des idées révolutionnaires. Intégrée
dans son époque, sensibilisée à tous les problèmes politiques et sociaux, la
Franc-Maçonnerie perçoit les problèmes du temps, les intègre et les restitue
différemment que ne peut le faire toute organisation profane, puisque ses
membres reflètent la totale diversité des opinions qui peuvent être émises à un
moment donné de l'histoire, à l'exclusion des thèses extrémistes contraires à
l'esprit de fraternité et de tolérance qui animent les Frères. Lorsque des
événements graves mettent en péril la dignité humaine, la Franc-Maçonnerie
est amenée à agir et à se battre, et elle le fait. En d'autres temps, la
Franc-Maçonnerie et ses membres sont persécutés, comme au cours de la deuxième
guerre mondiale, par exemple. Mais la vocation
des Obédiences n'est pas d'être partie aux combats politiques : c'est
l'afffaire de ses membres, qui depuis l'avènement de la République en France,
ont souvent été aux avant-postes des combats pour les grandes lois sociales.
Citons la gratuité de l'enseignement, la laïcité, la liberté de la presse, la
Sécurité sociale, la contraception. A travers les
luttes et combats de ses membres pour de meilleurs rapports sociaux, la
Franc-Maçonnerie a acquis une image de maçonnerie de combat qui fournit ses
cadres à la République. C'est oublier que d'autres Francs-Maçons ont oeuvré
dans le même but, en dehors des circuits politiques, traditionnels : nombreuses
sont, par exemple, les associations humanitaires comptant parmi leurs membres
fondateurs et leurs membres actifs de nombreux Frères. Pour la plupart des
Francs-Maçons, la tradition humaniste et libérale de l'Ordre s'exprime tout
simplement par le besoin de s'insérer dans la Cité pour y jouer pleinement son
rôle. Etre pleinement
homme, telle pourrait s'exprimer l'ambition du Franc-Maçon. La Franc-Maçonnerie
d'aujourd'hui, en permettant la réalisation de cet objectif, par le respect de
sa tradition, prépare l'homme au monde futur. La tradition, en
effet, n'est pas l'expression d'un attachement passéiste à l'histoire de
l'Ordre, si glorieuse soit-elle. La tradition constitue la base structurelle de
la pensée du Franc-Maçon. Elle lui permet de plonger dans ses racines
culturelles et éclaire une partie de ce que les psycho-sociologues
contemporains désignent aujourd'hui sous le vocable d'inconscient collectif, en
reliant l'acquis culturel de l'individu et les grands mythes de l'histoire de
l'homme. L'expérience initiatique permet cette relation au niveau du vécu. De ce fait, la
Franc-Maçonnerie n'a jamais éprouvé le besoin de procéder à des révisions
déchirantes, comme c'est le cas, périodiquement, d'autres organisations
bousculées par l'évolution rapide du monde contemporain. Il est de coutume
d'analyser le désarroi actuel des mentalités par la perte des valeurs traditionnelles,
la disparition de la foi, l'absence de grandes idées nouvelles susceptibles
d'enthousiasmer la jeunesse. Sans se prononcer
quant au fond du débat, qui est ici hors de propos, on constatera seulement que
les Francs-Maçons de la Grande Loge de France ont su s'attacher au maintien des
traditions opératives, théistes et humanistes de l'Ordre maçonnique et ont
permis ainsi le développement d'une véritable tradition spiritualiste
indépendante de toute organisation et hiérarchie religieuses et parfaitement
adaptée au siècle présent. Ce spiritualisme
contemporain, propre à la Grande Loge de France, permet au Franc-Maçon croyant
ou non, de se retrouver et de résister dans son environnement et lui fournit
les armes adaptées pour affronter les problèmes de son temps. |
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