GLDF Revue : Points de Vue Initiatiques 2T/1980

Le Symbolisme des Nombres

Les nombres ont l'avantage de constituer un mode immuable dans le temps et l'espace de compréhension universelle entre les peuples. En tant que symboles d'idées et de forces, ils ont été employés depuis Pythagore et ses disciples, par Platon, Plutarque, Jamblique, Boèce, saint Augustin et les docteurs de l'Eglise, Nicolas de Cues, Lao Tseu... et bien d'autres. Les ouvrages consacrés à cette question sont si nombreux qu'il n'est même pas possible de les citer ici.

I- Dans un premier temps, je justifierai par quelques exem­ples, l'assertion fondamentale de Pythagore : « Tout est arrangé d'après le nombre ».


Sur le plan physique, les sons, la lumière, les rayonnements infra-rouges, ultra-violets, les rayons X, les ondes hertziennes sont des mouvements ondulatoires caractérisés par leur fréquence et surtout leur longueur d'onde, donc par un nombre (1).


En géologie, les minéraux qui constituent la terre sur laquelle nous vivons (et même de nombreux corps chimiques quand ils sont sous forme cristallisée) se répartissent entre sept systèmes de cristaux aux angles constants, organisé chacun selon un même motif interne, la maille (que l'on peut révéler par diffraction aux rayons X).


Sur cette trame, se localisent les atomes, avec une répétition numérique parfaitement régulière.


En biologie, les symétries des animaux peuvent être d'ordre 5 (chez les échinodermes), spiralées (chez_ les gastéropodes), ou, le plus souvent binaires. Quant à la classification des phanéro­games, elle repose, toute entière, sur l'organisation florale (nom­bre de sépales, de pétales, d'étamines, de carpelles). Leur dispo­sition se fait par 3 (liliacées, polygonacées), par 4 (crucifères), par 5 (rosacées, renonculacées, etc.).


La disposition des feuilles sur la tige (phyllotaxie) réalise une spirale à nombre de tours plus ou moins élevé, mais constant pour chaque espèce.


Enfin, l'argument le plus extraordinaire de l'organisation du monde, de l'ordre à partir du chaos par les nombres est tiré de la chimie ; c'est la constitution de la matière qu'elle soit vivante ou inorganique. Dans tous les cas, elle est formée de molécules et celles-ci d'atomes. La structure intime de ces derniers est toujours du même type : un moyen central renfermant plus ou moins de protons et de neutrons, autour duquel tournent en couches concen­triques des électrons. Parmi les corps naturels, le cas le plus simple est celui de l'hydrogène (1 proton et 1 électron), le plus complexe celui de l'uranium (92 protons, 146 neutrons, 92 élec­trons). Chaque corps est ainsi caractérisé par son numéro ato­mique (nombre de protons) et son nombre de masse (nombre total de particules).


Rien n'y échappe. On ne saurait trouver meilleure démons­tration. Il est, en revanche, frappant de voir que malgré les immen­ses progrès de la science, basés sur le quantitatif et l'emploi constant des nombres, on ait perdu de vue leur aspect philoso­phique. Sans s'attarder sur les emplois des nombres qui se répè­tent systématiquement dans divers textes sacrés, peut-être avec une intention évidente, essayons maintenant de dégager la signi­fication de chaque chiffre, en relation avec l'environnement qui a pu inspirer son sens caché et le cas échéant avec ses homologues.


Limitons la série de 1 à 10, base de toutes les autres, sans utiliser ni la Kabale, ni le Tarot qui mériteraient, chacun, une étude spéciale.


Du point de vue méthodologique, laissons de côté le système théosophique (ou arithmosophique) tel que :

28 = 2 + 8 = 10 = 1 + 0 = 1, donc ramène à l'unité, ou encore :
153 = 1 + 5 + 3 = 9 (2).

II. — Tout commence avec le nombre 1, dont Pythagore disait qu'il était la source de l'harmonie universelle et Pascal « Tout l'univers est contenu dans l'Unité ». En effet, tous les autres peuvent être dérivés du nombre 1 ; et certains peuples comptent, d'ailleurs ainsi, par additions succes­sives.


Sur le plan de l'être vivant, on constate que, quelles que soient les multiples fonctions que peuvent isoler les physiologistes, les multiples structures et ultrastructures que montrent les anato­mistes et les biologistes, l'unité fondamentale des organismes doit être maintenue constamment. La nourriture, par exemple, qui est absorbée a besoin d'être transformée et remaniée pour pouvoir s'incorporer à chaque être et maintenir la spécificité et l'unicité de celui-ci.


Le sens profond de l'Unité, c'est le Principe organisateur dont découle toute manifestation, le centre cosmique, le Dieu unique. Symbole de l'équilibre dynamique, sa représentation est tantôt un cercle, tantôt un point dans d'autres Traditions. Le retour à l'Unité, au Centre, à l'Absolu, à l'équilibre parfait et paisible est l'objectif idéal de nombreuses initiations et la figuration du centre dans la croix, le lotus dans presque toute l'Asie et cérémonies l'Extrême- Orient, au Japon à l'Inde, la rose, la rosace le rappelle clairement.


2

On ne saurait concevoir le binaire comme la simple addition de deux fois 1 ; mais, au contraire, comme l'intervention d'un com­plémentaire, voire d'une opposition : d'un côté, un principe actif, masculin, animateur — de l'autre, un principe passif, féminin, matière animée. C'est encore, par exemple, le bien et le mal — le conscient et l'inconscient — le rationnel et l'imaginaire — l'idéal et le réel — le concret et l'abstrait...

Les biologistes, de leur côté, connaissent bien les systèmes binaires dont l'opposition constante des composants règle de nom­breux processus vitaux, comme les battements cardiaques, cer­taines sécrétions hormonales, etc.


Les deux colonnes B. et J., le pavé mosaïque, le Dieu romain Janus à deux faces., les signes du Yin et du Yang chinois voire l'équerre (réunissant le niveau et la perpendiculaire) nous figurent ces notions transportées par le nombre 2, et qui peuvent aller, de la lutte totale entre principes irréductibles tels le vice et la vertu, à une addition d'actions synergiques (l'équerre).


3

L'homme, qui vit dans un univers à 3 dimensions, montre inconsciemment un attrait très vif pour le nombre 3, que l'on retrouve dans les devises officielles de nombreux Etats. Le gou­vernement de Vichy, lui-même, avait sacrifié à cette mode. Et pour exprimer le plus puissant superlatif, rien ne saurait dépasser 3 fois, comme l'Hermès trismegiste (3 fois grand). L'arbre séphi­rotique, l'alchimie (avec l'association soufre-mercure-ciel), la phi­losophie religieuse d'un Saint Paul faisant appel à la coexistance « corps-âme-esprit » la tradition celtique, comme la tradition hindoue, utilisant le ternaire. Les corporations de métiers connaissent, depuis des siècles 3 grades et le compagnonnage utilisait l'abréviation des mots-clés par 3 points.

Permettant de réaliser des synthèses, d'obtenir un juste milieu entre les oppositions, d'élever la pensée au-dessus des querelles et des chicanes, tout comme au-dessus des arguments courtois, le nombre 3, figure par le triangle ou 3 points, ramène l'unité. Il est facteur d'harmonie, d'équilibre, de tolérance.


La Franc-Maçonnerie lui attache une importance particulière, tant pour des raisons historiques que de sens profond. Bien penser, bien dire, bien faire se combine à la conception par la sagesse, la réalisation par la force et aboutissent à la beauté de l'édifice. La figure à 3, qui constitue la règle de vie du Maçon, qui doit se maintenir constamment entre L'équerre et le compas entre, d'une part, les réalités terrestres, qu'il doit comprendre et même amé­liorer (et qui sont mesurables par l'équerre) et, d'autre part, les aspirations spirituelles, l'idéal figuré par le compas mobile trouve son équivalent dans « la Grande Triade » de l'Extrême-Orient, où l'Homme est l'intermédiaire entre le ciel et la terre. L'association cercle (3) croix (4) carré (5), le caractère royal Wang, la tortue, en Asie, la roue, en Europe sont d'autres symboles où le ternaire apparaît avec la même signification.


4

Habitué à s'orienter grâce aux 4 points cardinaux, à subir le cycle des 4 saisons, à savoir le monde composé des 4 éléments, à habiter des villes divisées en quartiers, se rappelant peut-être ses 4 tempéraments possibles, ayant lu ou parcouru les textes des 4 évangélistes, l'homme attribue à ce nombre de 4 une idée de plénitude, de totalité, de réalisation, d'achèvement. Ce chiffre a, par ailleurs, été beaucoup utilisé par les imprimeurs et autres ouvriers, il semble qu'il y ait été l'attribut des maîtres finis.

Sa représentation graphique est la croix, forme dynamique, figure centrée, signe d'infini, de synthèse, d'harmonie des contrai­res, d'équilibre, ou encore, le carré, forme statique, rappelant la terre, la stabilité dans la perfection.


Les Pythagoriciens faisaient des 4 premiers nombres, sous le nom de tetraktys, un ensemble exceptionnel et même véné­rable : tout d'abord, la somme de 1 + 2 + 3 + 4 = 10 (ceci se traduit graphiquement en lignes de points alignés de bout en bout par un triangle) ; ensuite c'était la clé de leur conception de l'homme, schématisée par 3 cercles (corps, âme, esprit) circons­crits par un e, celui de la volonté et dans ces divers secteurs répartissent les différentes qualités.


5

Le nombre 5 a la particularité d'être le premier à être formé par la somme du premier pair (4) et du premier nombre impair (5). Il est bénéfique, signe de l'Amour chez les Grecs de l'antiquité, de mariage, de bonheur, de protection contre le mauvais oeil dans l'Islam. La main humaine, avec ses 5 doigts participe de cette symbolique du travail, toujours glorifié par les Compagnons et qui apporte aux outils Force et Sagesse.

Nombre caractéristique du Compagnon, le 5 est parfaitement représenté par le pentagramme, signe de reconnaissance des pythagoriciens, symbole central de la Franc-Maçonnerie des 3 pre­miers degrés. Ce dessin harmonieux, esthétique (d'où son emploi dans de nombreux emblèmes nationaux), est formé de 5 triangles autour d'un pentagone ; il représente l'Homme dans sa plénitude de réalisation, son équilibre par la santé (6) et la domination du spirituel sur le matériel, la quintescence des alchimistes par rapport aux 4 éléments. Comme l'étoile polaire, elle irradie la lumière autour d'elle et invite l'initié à être constamment un guide spirituel, un modèle pour tous ceux qui l'entourent.

En somme, le nombre 5 est, à la fois, le nombre de la réali­sation de l'homme et de l'expansion.

6

Le nombre 6, somme et produit des 3 premiers nombres, garde un certain degré d'ambivalence. Il est représenté par un hoxagramme, forme de 2 triangles entrelacés, l'un la pointe en haut, l'autre la pointe en bas, dit sceau de Salomon.

Il peut signifier la descente du Ciel, du Spirituel vers la Terre, et corrélativement la montée de l'homme vers le Ciel, l'iden­tité du microcosme et du macrocosme, la réunion, la combinaison de l'eau et du feu.


Mais il peut, tout aussi bien signifier les oppositions, la lutte de l'eau et du feu, le retour à la dualité, la nécessité de choisir entre deux voies, entre deux systèmes complexes.


Grâce au nombre 6, les Chinois ont réalisé, en utilisant un jeu de traits longs (créateurs) et de deux traits courts (réceptifs) formant 64 hexagrammes, le YI-King ou Livre des Transformations qui enserre toute la création dans une trame de schémas pré­voyant toutes les situations et suggérant, chaque fois, les meil­leurs comportements.


7

Le 7, nombre sacré pour de nombreuses religions, se retrouve à de multiples reprises dans la Bible ou le Coran. A l'instar des jours de la semaine (associés initialement à des planètes et des dieux, il rassemble et termine un cycle complet. Séparés natu­rellement dans l'arc-en-ciel, ou, expérimentalement par le prisme triangulaire, les 7 couleurs, une fois réunies, s'intègrent dans les rayons de Lumière dont la clarté nous éblouit. Et tout naturelle­ment, le 7 se trouve le nombre d'un ensemble fini, de l'Homme accompli, totalement réalisé, de la spiritualité agissante, de la per­fection, en un mot du vrai Maçon. Dans l'antiquité, le 7 (4 3) signifiait la totalité des hommes (mâles et femelles), ou, chez les égyptiens la totalité des demeures célestes, la vie éternelle.

La traduction graphique du 7 est, soit l'hexagramme avec un centre, soit l'assemblage du triangle et du carré, coupe en quelque sorte de la pierre cubique à pointe.


8

Chiffre symétrique, le 8 représente la stabilité, l'équilibre, la justice suprême et annonce la renaissance. Sa figuration est faite, soit par la rose des vents ou la roue à huit rayons, soit le lotus et, dans tous ces cas, la notion du centre est nettement sou­lignée, soit enfin, par l'octogone.
Mais, ce dernier, étant intermédiaire entre le cercle, qui représente le ciel, et le carré la terre, s'introduit alors la repré­sentation du monde intermédiaire. Aussi n'est-on pas étonné de la fréquence des tours templières et des baptistères hors églises de forme octogonale (7) sans compter qu'ils rappellent la promesse de la résurrection.

9

Le nombre 9, que beaucoup de théologiens de l'église catho­lique ont utilisé, est le carré de 3, et, en même temps, la finale d'une série.

Sous son premier aspect, il traduit l'abondance et la prolifé­ration, l'universalité et, pour les taoïstes, l'humanité toute entière.


Par l'autre aspect, c'est le modèle type d'une suite continue d'exercices religieux, il est l'accomplissement terminal — parfois avec beaucoup de difficultés, d'oppositions, de tribulations, de souf­frances ou simplement d'incertitudes, comme le laissait soupçon­ner le nombre 6. Mais, cette fois, c'est fini !


Ce chiffre peut, enfin, arriver à s'étendre pour constituer l'attribut de la conclusion même : il est le nombre du ciel, après la vie, dont il réalise le couronnement, comme cela apparaît chez Dante dans sa « Divine Comédie ».


10

Et, pour terminer, le nombre 10 nous ramène à l'unité tout en commençant effectivement, cette fois, la série suivante. Le mouvement, si fréquent et apparemment naturel de joindre les mains (avec les dix doigts réunis) dans un geste de prière et de supplication est ainsi une manifestation de retour à l'unité, de soumission à l'Unique, même s'il n'est pas toujours ressenti ainsi par ceux qui l'accomplissent.
Dix c'est encore, et en sens inverse, une généralisation au tout et par là, le nombre du monde, selon Pythagore et Nico­maque.

(1) Sans parler de l'électricité, où les matières de charge, de champ, de différence de potentiel, de résistance, d'inductance, de force électromagnétique, d'intensité, de quantité, tout se traduit par des nombres. Nous en savons quel­que chose avec nos quittances bi-mensuelles !
(2) 153 est dans l'Evangile de saint Matthieu le nombre de poissons péchés par Pierre dans le lac de Tibériade. Et 9 est le nombre de la prolifération ! Donc, selon ce concept, 153 n'est pas mis au hasard et a un sens secret.
(3) Pour le Ciel.
(4) Pour
(5) Pour la terre.
(6) Les pythagoriciens écrivèrent au 5 menuets du pentagramme, UYIZX,
la déesse de Pygie, de la santé, dont est dérivé le mot d'hygiène.
(7) Ou plus tard, des fonts baptismaux à l'intérieur des églises et ayant une forme octogonale.

Publié dans le PVI N° 37 - 2éme trimestre 1980  -  Abonnez-vous : PVI c’est 8 numéros sur 2 ans

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