GLDF Revue : Points de Vue Initiatiques 2T/1980

La Franc-Maçonnerie en Eure et Loire

La Franc-Maçonnerie est apparue en Eure-et-Loir vers 1760 dans les villes de Chartres, Dreux et Châteaudun, mais nous ne pouvons l'officialiser qu'en 1762, avec la création à Dreux de la première loge sur laquelle nous ayons des documents à savoir la loge de Saint-Augustin.

En cette seconde moitié du XVIII' siècle, les loges connues sont les suivantes :
Chartres :
   En cette seconde moitié du XVIlle siècle, les loges connues :
   - la Fidélité, de 1776 à 1786 environ ;
   - la Franchise, de 1789 à 1791.
Châteaudun :
   - la Sincère Union, environ de 1773 ;
   - la Tendre Fraternité, de 1783 à 1784 ;
   - l'Amitié à l'Epreuve 1784-1786 ;
   - l'Aménité, 1786-1789 ;
   - Chapitre du Maréchal de Coigny, 1786-1791.
Dreux :
   - Saint-Augustin, 1762-1766 ;
   - le Triomphe d'Henri IV, 1778-1791.

Il est à noter que les loges de Châteaudun étaient des loges militaires, à l'exception de l'Aménité, créée par une loge militaire avant le départ du régiment. Châteaudun, petite ville de 6.000 habi­tants sous Louis XVI a toujours été une ville de garnison où les plus prestigieux régiments de cavalerie ont stationné.

On pourrait croire que les loges se connaissaient entre elles et qu'elles auraient pu participer à l'installation l'une de l'autre ou se rendre visite entre membres. Or ce n'est pas le cas et nous voyons même la loge l'Aménité de Châteaudun se plaindre auprès du Grand Orient qu'elle n'ait pas été informée de l'installation de sa sœur à l'Orient de Chartres,

La loge Saint-Augustin de Dreux, dépendant de la Grande Loge de France, fut installée par sa sœur Saint-Jacques et Saint- Philippe à l'Orient de Versailles, car les frères fondateurs étaient membres de cette loge. Dans les documents, ces Frères signalent l'existence de Francs-Maçons à Chartres et à Evreux. Pour Char­tres, nous ne savons pas comment et par qui fut installée la Fidélité. Pour la Franchise, le Frère Gillet de la Croix, représentant- député auprès du G.O. indique que les loges les plus proches de Chartres sont celles d'Orléans et de Châteaudun. Et pourtant une loge existait à Dreux et ce qui est surprenant, c'est une loge de Dourdan, la Douce Union qui installe la Franchise après que les deux loges orléanaises consultées aient donné leur avis favorable et que l'une d'elles, l'Union Parfaite ait été désignée par le G.O. pour l'installation, ce qui, comme je le disais plus haut, amène une plainte de la loge de Châteaudun. Quant aux loges de cette ville, seule l'Aménité qui est une loge civile a été installée avant le départ d'un régiment, par la loge de celui-ci.

Quand je disais à l'instant qu'il n'y avait pas de contact entre membres ou entre loges, je dois quand même dire que deux membres de la loge l'Aménité de Châteaudun étaient affiliés à la Franchise, Orient de Chartres.

Voyons maintenant la composition de ces loges de la fin du XVllle siècle. Quelles soient civiles ou militaires, nous pouvons dire que ces loges étaient composées de nobles, de prêtres, de bourgeois, de commerçants et d'employés et plus spécialement pour les loges militaires d'autant de sous-officiers et soldats que d'officiers de la noblesse. Jamais, dans les échanges de corres­pondance, il n'est fait allusion au degré social de tel ou tel Frère et seule, une lettre du vénérable de Gournay de la loge drouaise le Triomphe d'Henri IV est méprisante à l'égard des anciens mem­bres de Saint-Augustin, dont le vénérable n'était que conmis à la Recette des Gabelles.

A Chartres, sur les 17 membres de la loge la Fidélité, 4 sont des bourgeois exerçant des professions libérales (négociants, avo­cats, imprimeur), 2 sont procureurs du roi ; quant au 1 7', si nous ne savons pas sa profession, disons qu'il s'appelait Antoine Ser­gent, qu'il fut le beau-frère du général Marceau et député do Paris sous la Révolution. Sur les 40 membres de la loge la Franchise, nous avons 7 nobles, 4 chanoines, 4 employés et 25 bourgeois.

Pour Châteaudun, nous trouvons dans les loges militaires des officiers de la noblesse, des sous-officiers, des civils bourgeois ou commerçants, des soldats musiciens ou exerçant une proffession à l'intérieur des régiments et des prêtres. Des noms illustres comme de Montboissier, Beaufort, Canillac, Treleau du Petitbois, de Luynes se côtoient à des gens du peuple dans une parfaite fraternité et il faudra attendre les événements révolutionnaires pour voir se briser cette fraternité par le choix des uns épousant la cause de la Révolution et les autres la repoussant.

Enfin, à Dreux, si la loge Saint-Augustin est composée de petits-bourgeois et de simples employés, la loge Le Triomphe d'Henri IV se distingue par l'aristocratie de ses membres (19 nobles dont 15 militaires sur 31 membres) et comme je le disais, par un certain mépris du vénérable de Gournay.

Que faisaient ces Francs-Maçons en loge, nous ne le saurons peut-être jamais, car malheureusement aucune archive interne des loges ne nous est parvenu. Nous ne connaissons que très rarement le lieu du Temple ; à Châteaudun, les frères se réunissaient dans une saille du donjon du château et à Chartres, les membres de la Franchise avaient leur temple rue du Petit-Beauvais, dans un immeuble qui existe toujours.

Si les activités maçonniques nous sont inconnues, par contre, leur activité profane pendant la Révolution nous est amplement connue grâce à l'archiviste départemental Maurice Jusselh pour Chartres et Henri Félix Marcy pour Châteaudun. Beaucoup de Francs-Maçons occupèrent des postes importants ; citons : Vincent Chevard, maire de Chartres de 1792 à 1795, Louis Joliet-Montrage qui arrêta une émeute dans Chartres, Antoine Sergent-Marceau député à la Convention, Claude Horeau, procureur qui fut assassiné par un groupe de bandits qui deviendra célèbre sous le nom de la bande d'Orgères, Louis Masson, maire de Chartres en 1795, grâce à qui le culte put être célébré à la cathédrale jusqu'en novembre 1793, Jérôme Guillard, le personnage le plus curieux de l'époque révolutionnaire en Eure-et-Loir, Nicolas Marceau, frère du général, Claude Maras et Brissot, députés à la Convention. Quelques-uns payèrent de leur vie leur idéal à une cause tel le frère Delacroix mort sur l'échafaud ou les frères de la Chaume et Raimbert, morts en déportation car étant prêtres, ils refusèrent de prêter serment.

Sur Châteaudun, la situation des Francs-Maçons est un peu différente. En effet plus des deux tiers des membres ont moins de 40 ans en 1790. Cette jeunesse fait que le rôle public joué à Châteaudun pendant la Révolution est nul ou presque et que nous rencontrons surtout les noms de leurs pères. Alexandre de Valles est maire de Châteaudun en 1785 ; lui succède Michel Loyres de Saint-Jacques en 1788. A l'assemblée du Tiers à Blois en 1789, 2 députés sur les 6 représentants de Châteaudun sont Francs-Maçons. Dans le cahier de doléances trouvé parmi les papiers du frère Nicolas Bourgeois, celui-ci s'élève contre les grands, les riches, l'organisation judiciaire, la vénalité des charges, la féodalité, les monopoles, l'inégalité des classes, les richesses ecclésiastiques. Il demande un enseignement public, l'égalité devant l'impôt, la liberté de la presse et de conscience, l'abolition des ordres, la réforme du code civil, une constitution, le mariage des prêtres, la souveraineté nationale. Il y a là des mots qui hono­rent notre institution et ceux qui en étaient pétris. Toujours sur Châteaudun, bon nombre de maçons nobles ont émigré ou pris parti contre la Révolution. Le plus célèbre d'entre eux s'appelle de Lescures. Il a 24 ans et est sous-lieutenant au régiment d'Orléans- Dragons qui possède, je le rappelle, une loge F'Amitié à l'Epreuve. De Lescures est orateur en 1778 et pour ceux que cela intéresse, il a été initié dans la loge Saint-Jean et Saint-Louis des parfaits Amis Désintéressés au régiment de Metz-Artillerie. Nous le retrou­ vons capitaine au régiment de Royal-Navarre, puis pendant la Révo­lution, après avoir été membre de la loge sablaise Fidélité-Luxem­bourg, il devient le célèbre généralissime des armées vendéen­nes. Dans le clergé, si la plupart des prêtres Francs-Maçons ont prêté serment, deux le refusent et seront déportés à Ré.

Voilà ce que l'on peut dire sur les Loges et leurs membres pour le XVIII' siècle. Si les loges militaires disparurent, seule la loge civile de Châteaudun ne se réveilla pas au lendemain de la Révolution.

A Chartres la Franchise se réveille en 1801 et à Dreux, le Triomphe d'Henri IV en 1806. Les anciens frères chartrains revien­nent sur les colonnes et oublient le passé révolutionnaire, ce qui a un peu surpris l'ancien archiviste d'Eure-et-Loir, Maurice Jusselin, lequel écrit : « Comment Michel Dazard accepte-t-il de former la chaîne d'union avec l'orateur Jérôme Guillard, commissaire du Gouvernement, ancien député aux Cinq-Cents qui lui a fait perdre sa place de commissaire central ? Le notaire Jean-François Pelle­rin se souvient-il qu'il fut incarcéré en juin 1794 et que son parent Philippe Levassort, alors membre de l'Administration du départe­ment ne fit rien pour le sauver (p. 137). Ce qui frappe dans cette loge la Franchise, c'est la soif de repos et d'apaisement moral qui émanent de ses membres. Aussi ne sera-t-on pas surpris des propos tenus par eux à la chute de l'Empire.

Au XIXe siècle, les loges d'Eure-et-Loir sont les suivantes :
Chartres :
   - la Franchise, 1801-1836 ;
   - la Franchise Beauceronne, 1883-1890-91.
Châteaudun :
   - la Concorde, loge militaire de 1827-1831 ;
   - l'Honneur Français, 1831-1845.
Dreux :
   - le Triomphe d'Henri IV, chapitre 1806-1829 ;
   - la Franche Union, 1862-1878.
Anet :
   - la Simplicité avec chapitre, 1814-1831.

Examinons ces loges une à une et commençons par la Fran­chise. Comme je viens de le dire, les membres de cette loge cherchent à apaiser leurs oppositions pendant la Révolution et épousent dans ce sens la déclaration du préfet Delaitre qui, le jour de son installation à Chartres le 14 mai 1800 disait : « la Révolu­tion est finie, une ligne profonde sépare à jamais ce qui est de ce qui a été ; le Gouvernement ne connaît plus de partis et ne voit en France que des Français. »

Cette loge comprend 25 membres au départ, presque tous anciens de la Franchise de 1789. Elle est active grâce à deux hom­mes, Durand-Clayes qui fut vénérable de 1801 à 1812 et surtout la locomotive de la loge, Bouvet-Mézières qui fut vénérable de 1813 à 1824.

Le nombre des membres va croissant jusqu'à atteindre le chiffre de 59 en 1821. 1810 27 membres dont un tiers a plus de 45 ans et un tiers moins de 30 ans. Il y a 9 professions libérales, 3 employés, 8 cultivateurs et 7 militaires. En 1813 45 membres dont 19 militaires. En 1814 27 membres car les militaires sont partis dans les armées du Nord. Nous sommes en plein Empire. La correspondance nous apprend que la Franc-Maçonnerie ne fut jamais aussi florissante. En 1810, il y avait 878 loges dont 65 mili­taires ; en 1814, 905 loges dont 73 loges militaires. Mais la loge la Franchise n'aimait pas Napoléon le guerrier et voilà ce qu'écri­vait au G.O. le vénérable le 24 mai 1814 : « Quel cœur français, quel bon maçon a pu rester spectateur indifférent des événements heureux qui viennent de changer d'une manière si miraculeuse la position de notre chère patrie. Nous étions en proie à tous les maux, la guerre ravageait nos fertiles guérets, des maladies conta­gieuses moissonnaient nos concitoyens, différentes contrées du royaume étaient menacées de famine et ces fléaux affreux l'au­raient totalement envahi... Un esprit de vertige s'est emparé du Dévastateur de l'Europe ; il n'a plus conçu que des plans erronés, il n'a plus fait que de faux calculs. Du faîte de sa grandeur, il est tombé dans le néant et du fond de l'abîme qu'il avait creusée, nous avons vu le descendant d'Henri IV, les enfants de l'auguste famille des Bourbons venir s'asseoir sur le trône... »

Pour revoir la paix, nous voyons ces maçons, dont un certain nombre ont contribué à l'instauration de la République sous la Révolution, s'en remettre à un roi et aller dans leur amour pour Louis XVIII jusqu'à offrir leurs cotisations pour l'établissement de sa statue et de celle d'Henri IV. Sous .son règne, la Maçonnerie est tolérée et la loge prospère avec 50 membres en 1817, 59 en 1821, 51 en 1823 et puis, sans que l'on sache ce qui s'est passé, la Franchise se met en sommeil de 1824 à 1831. Il est vraisem­blable qu'il faille chercher l'explication de ce sommeil avec le règne ultraroyaliste et ultraclérical de Charles X. La Franchise se réveille en janvier 1832, mais le cœur n'y est plus. Bouvet-Mézières est mort et peut-être faut-il lui reprocher d'avoir découragé ses frères par un vénéralat de 11 ans qui en suivait un autre de 11 ans. Toujours est-il qu'il n'y a qu'une vingtaine de frères sur les colonnes. En 1836, la loge la Franchise sombre dans un sommeil éternel et il faudra attendre 47 ans pour voir fleurir une nouvelle loge à Chartres.

Avec la loge la Franchise Beauceronne, nous avons l'image d'une Franc-Maçonnerie maçonnique, avec toutes les conséquences néfastes que cela entraîne. La loge a vu le jour en mai 1882 et s'est éteinte pratiquement en 1889, officiellement en 1891. Les raisons de cette disparition rapide sont connues et doivent servir de leçon pour toute loge qui se crée et veut se développer, à savoir faire de bonnes enquêtes sur les profanes, laisser mûrir apprentis et compagnons, ne pas prendre la Maçonnerie pour un cercle mondain et ne pas l'utiliser à des fins personnelles, maté­rielles et égoïstes. Voilà ce que les membres de la Franchise Beauceronne n'ont pas compris et c'est malheureux pour nous, car cette loge est une des rares en Eure-et-Loir à avoir relevé de la G.L., à l'époque G.L. Symbolique. 8 fondateurs, pressés d'initier des profanes, n'attendent même pas l'installation de la loge pour recevoir la veille 8 profanes, leur donner le 2e degré le lendemain matin et le 3e l'après-midi. Les dérogations sont accordées trop facilement par la G.L., alors on continue. Début octobre 1882, la loge compte 22 membres, enquêtés, initiés et promus Maîtres en 8 jours. En 1884, il y a 42 membres, en 1885 61 membres. Jusqu'en 1885, tout baigne dans l'huile et jamais en Eure-et-Loir, une loge ne s'est autant extériorisée que la Franchise Beauceronne. Cette dernière participe maçonniquement à toutes les manifestations profanes, à la célébration de la naissance de Marceau et son fameux banquet. 1885 voit le décès de Victor Hugo et la loge est présente aux obsèques à Paris, précédée de la bannière de l'atelier Tous les ans, la loge organise une fête d'adoption en tenue blanche avec bal et spectacle en clôture. C'est la fiesta et la loge continue d'initier au pas de chasseur alpin. En 1886, 11 compagnons sont reçus Maîtres en une séance.

Hélas, l'édifice bâti à la hâte, s'écroule à partir de 1886. Un des membres, chevalier Rose-Croix, est condamné pour escroque­rie d'un million au préjudice de profanes et de frères. Pour com­prendre la suite, disons que la loge la Franchise Beauceronne est constituée de fonctionnaires et principalement d'employés du chemin de fer de l'Etat à plus de 50 %, une sorte de fraternelle du chemin de fer d'Eure-et-Loir.

De nombreux frères sont radiés pour défaut d'assiduité et non paiement des cotisations ; le frère secrétaire traduit la loge devant la justice profane pour une question de loyer de l'immeuble où se trouve le Temple et d'un jardin attenant. Un frère notaire fait banqueroute ; enfin les fonctionnaires et les employés du chemin de fer, qui ont des difficultés dans leur profession, rejettent leur amertume sur la loge ou la G.L. La lecture de la planche du frère trésorier clôturera ce qu'il y a à dire sur cette loge : « Les ouvriers maçons de la Franchise Beauceronne, depuis bientôt un an, ont oublié le chemin de l'atelier, les uns par indifférence, les autres et c'est le plus grand nombre parce qu'ils pensaient, en se fau­filant dans nos rangs, trouver une bourse intarissable pour payer leurs dettes. Il y a aussi les fonctionnaires qui se font initier pour trouver un appui quand ils savent qu'il y a dans leur orient un ou plusieurs députés Francs-Maçons. Toutes ces personnes-là sont reçues généralement parmi nous avec une trop grande facilité. Ils viennent à nous parce qu'ils ont besoin d'argent ; comment voulez-vous qu'ils s'occupent de leurs engagements pécuniers vis-à-vis d'une société qu'ils sont venus exploiter. Voilà, pour la majeure partie, le genre de maçons que possède l'orient de Char­tres, sans compter les détracteurs intrus qui se font maçons par curiosité ou pour exploiter ce titre dans le commerce ou en voyage. »

Sur Châteaudun, nous trouvons 2 loges. La première est une loge militaire à l'orient du 5e régiment des Chasseurs du Cantal, en stationnement à Châteaudun de 1827 à 1831. Nous ne savons pas grand chose sur l'activité de cette loge à Châteaudun, nous dirons seulement que notre regretté frère Henri Félix Marcy, his­torien de la Franc-Maçonnerie a été en possession du cachet de cette loge qu'il avait trouvé dans un champ, en excellent état, près de Châteaudun.

La loge l'Honneur Français a vécu de 1831 à 1845 et a été installée par une loge d'Orléans. Ses membres croissent rapide­ment allant de 18 en 1832 à 41 en 1837 pour décliner ensuite. Si la Franchise Beauceronne, à l'Orient de Chartres, était une loge de chemin de fer, on peut dire que l'Honneur Français a été une loge d'huissiers et de notaires avec 8 et 12 représentants auxquels il faut ajouter des médecins, vétérinaires, marchands, fariniers, phar­maciens et employés. Ce qui est à souligner, c'est l'absence totale de cultivateurs. C'est une loge sans histoire, respectueuse des lois et n'hésitant pas à suspendre ses travaux en 1834 lorsque divorce il y aura entre Louis-Philippe et la Franc-Maçonnerie. A partir de 1837, il s'est passé quelque chose car la loge n'arrive plus à aug­menter ses effectifs. Les départs amenuisent la présence sur les colonnes et la loge va mourir tout doucement jusqu'en 1845. On peut affirmer que la loge l'Honneur Français fut une bonne loge, dans le sens maçonnique. Ne s'occupant pas ou peu de politique, elle n'a pas été troublée par les dissensions internes. Ses mem­bres étaient des bourgeois saisés pour la plupart et se sont com­portés en citoyens dévoués et honnêtes. De plus la loge a vécu en harmonie avec le pouvoir civil. Il faut noter aussi que cette loge a été parrainée par une loge d'Orléans et qu'il n'y a jamais eu de contact avec Chartres. J'ouvre ici une parenthèse pour dire que même maintenant la région dunoise se sent toujours plus attirée par Orléans que par Chartres.

Poursuivons notre chemin et voyons ce qui se passait à Dreux et à Anet puisque ce petit bourg a eu l'honneur de connaître une loge et un chapitre au début du XIXe siècle.

A Dreux, la loge le Triomphe d'Henri IV se succède à elle-même et va travailler de 1806 à 1829. A l'inverse de Chartres où les frères de 1789 se retrouvent en 1801, les membres de la loge drouaise ne sont plus les mêmes. A une loge très aristocratique et militaire succède une loge hétérogène, constituée de 27 mem­bres en grande partie étrangers au département, d'horizon et de professions divers. Ce brassage d'hommes aurait pu être bénéfique pour la vie de l'atelier, malheureusement il en est autrement et l'état d'esprit des frères, oubliant souvent leurs qualités maçon­niques, provoque des querelles vers 1813 qui aboutissent à la défection des trois quarts d'entre eux. Cette saignée contraint la loge de Dreux à se mettre en sommeil pendant 6 ans. Que sont devenus les frères dissidents ? Oh, c'est très simple, ils ont tout bonnement créé une loge à Anet et si loge il y a eu dans ce petit bourg d'Eure-et-Loir, c'est à la suite de différends survenus à Dreux.

En 1819, la loge le Triomphe d'Henri IV reprend force et vigueur. En 1820, elle compte 30 membres, en 1825, 36, pour culminer à 38 en 1826 puis décliner jusqu'en 1829, date de son sommeil définitif. Un des handicaps de cette loge est l'éloignement de ses membres. Comme les autres loges de cette époque, elle fut une loge de notaires avec 10 repré­sentants de cette profession, les autres membres représen­tant la bourgeoisie et les profession libérales ou commerciales. A noter qu'il y avait un cultivateur. Pour revenir à l'éloigne­ment, les frères habitent Passy-sur-Eure 35 km, Maillebois 15 km, Mortagne-au-Perche 75 km, Ablis 45 km, Louviers 40 km ou Nonan­court 20 km. A cette époque, il n'y avait pas les moyens de loco­motion de maintenant... En 1828, la loge célèbre le demi-cente­naire de son existence avec seulement 20 membres et il faut attendre 33 ans pour voir la 2° loge drouaise du XIX° à savoir la Franche Union.

Cette loge a fonctionné de 1862 à 1878 et son originalité sur toutes les autres loges d'Eure-et-Loir est qu'elle s'est créée sur petite annonce parue dans le journal local : « Communiqué du journal de Dreux du 16 octobre 1862. Une loge maçonnique est rétablie à Dreux sous les auspices et l'obédience du G.O. de France. L'installation des officiers est fixée au dimanche 2 novem­bre 1862 à 2 heures précises au local à ce destiné rue Bordelet n° 12. Les anciens membres des loges de Dreux, d'Anet et tous les Francs-Maçons habitant les arrondissements de Chartres, Dreux, Châteaudun et Nogent-le-Rotrou sont prévenus qu'ils seront reçus comme membres actifs fondateurs du nouvel atelier jusqu'au 27 octobre 1862, sans être astreints à aucune formalité d'affiliation. S'adresser à M. Maillier, médecin à Dreux et Castel, clerc de notaire à Bû, pour l'inscription et la vérification des titres.

Le jour de l'installation, il y aura un banquet auquel tous les visiteurs munis de titres maçonniques réguliers seront admis. On souscrit jusqu'au 30 octobre chez Maillier médecin à Dreux, Castel clerc de notaire à Bû, Deshoulières entrepreneur à Nogent­le-Roi, Legoux propriétaire à Brezolles, Dagron, propriétaire à Condé-sur-Vesgres, Hoyau, épicier à Maintenon, Peltier marchand de cuirs à Nonancourt et chez tous les présidents des ateliers de l'Eure, de Seine-et-Oise et à Paris, au Grand Orient de France, rue Cadet n° 16. »

Toujours est-il que la Franche Union compte 35 membres actifs en 1863, payant une cotisation annuelle de 75 francs. La réparti­tion géographiques, en 1864 avec 42 membres est la suivante : Dreux ville 13, région drouaise 11, Anet 3, Brezolles 10, Château- neuf 7, Senonches 3, Chartres 4, dans l'Eure 6, Seine-et-Oise 3, Orne 1, et Paris 3. Sur le plan professionnel, aux professions libé­rales et aisées se sont joints de simples salariés, des artisans, des cultivateurs (13) et des soldats dans la proportion de 50-50.

Comme sa sœur le Triomphe d'Henri IV, l'éloignement est un handicap. En plus, le manque d'intérêt des réunions provoque une certaine lassitude ; c'est ainsi que le nombre des membres tombe à 38 en 1865, remonte à 45 en 1866, atteint son apogée, avec une arrivée de frères militaires en 1867-1869 avec plus de 70 membres pour rechuter ensuite jusqu'au sommeil définitif. En 1870, il y a encore 63 membres, mais la guerre fait perdre les frères mili­taires. Dreux est occupée par l'armée prussienne et la loge sus­pend ses travaux. A la reprise, la loge compte encore 36 membres sur le papier, mais ces derniers ne viennent plus aux tenues et ne paient plus leur cotisation. C'est la version donnée par le dernier vénérable pour expliquer la mort de la Franche Union. Pourtant nombreux furent ses membres qui lui survécurent et qui seront membres fondateurs de la loge chartraine la Franchise Beauce­ronne ou membres de la loge très prospère de Pacy-sur-Eure la Simplicité ?

Pour terminer ce tour d'horizon sur ce XIXe siècle, il me reste à vous parler de la loge la Simplicité à l'Orient d'Anet qui a fonc­tionné de 1814 à 1831 beaucoup plus en loge rouge qu'en loge bleue. Je ne reviendrai pas sur les circonstances qui ont amené sa création mais vous parler de ses malheurs en 1814. Avant d'aller plus loin, disons qu'Anet a 1 400 habitants, que c'est un bourg rural où tout ce qui se fait ou se dit est su de tout le monde, et où la Franc-Maçonnerie n'est pas tellement aimée. Toujours est-il que les premières réunions de gens venant de l'extérieur amènent la malveillance de la population et des bruits désavantageux au sujet de la loge nouvellement installée à Anet, dans une des ailes du château. L'attitude de certains membres ne favorise pas le rapprochement avec la population et pourtant il n'y a pas de quoi fouetter un chat quand je vous aurai dit que 2 frères s'étaient permis d'arborer la cocarde tricolore. Révolution dans le pays que le journal local relate ainsi : « des événements politiques se sont produits à Anet et ont amené la fermeture de la loge la Simplicité d'Anet par les autorités civiles dans le courant du mois de mai 1816. Le maire, membre de la loge, reçut du sous-préfet l'ordre de dissoudre la société maçonnique, de dresser la liste de ses membres et de fermer le lieu des séances, car cette association, composée de gens mal notés s'assemblait en contravention de l'article 291 et 292 du Code pénal. Après bien des tergiversations, l'installation de la Simplicité eut lieu en 1818 et cette loge, consti­tuée de Maîtres Rose-Croix recruta très peu et s'éteignit d'une façon digne et correcte. Les anciens membres de la loge drouaise réintégrèrent leur loge mère en emportant avec eux le chapitre d'Anet, quant aux autres frères, ils fondèrent une loge à Pacy­-sur-Eure et par fidélité l'appelèrent la Simplicité.

Avec l'arrivée du XXe siècle, nous voyons refleurir la Maçon­nerie en Eure-et-Loir avec 3 loges. Marceau à Chartres en 1906, les Temps Futurs à Châteaudun en 1908 et Justice et Raison à Dreux en 1905.

Si la loge Marceau d'avant-guerre fut une loge paisible, sans histoire, et modérée dans le ton des prises de position d'alors, il n'en est pas de même des Temps Futurs à l'Orient de Châteaudun. Cette loge fut dominée par la personnalité d'un homme, Henri Félix Marcy, professeur d'histoire à Châteaudun et historien du Grand Orient de France. Grâce à ses recherches et ses publications, nous savons l'histoire de la Franc-Maçonnerie dans la région dunoise avant et pendant la Révolution. Cette loge, comme ses sœurs du G.O. est profondément républicaine, anticlérical et antimilitariste. A ces titres, elle renseigne l'obédience sur tout ce qui se passe dans la circonscription, ses membres s'inquiètent de tout mouve­ment de la Droite, du clergé ou tout simplement du Gouvernement du Bloc National. Mais les réactions de la loge les Temps Futurs sont relativement modérées. Ses membres se sont battus pour défendre la République dans laquelle ils avaient placé leur espoir ; ils ont défendu la laïcité dans ce que ce terme avait de noble à l'époque et surtout, ils ont apporté leurs concours auprès des autorités et de la population locale.

Il n'en est pas de même pour la loge drouaise Justice et Raison qui, de 1905 à 1940 a fait parler d'elle, par le biais d'un de ses membres les plus célèbre, Maurice Violette. Pour mieux comprendre la mentalité des frères de Dreux, il faut savoir que de tout temps, Dreux a toujours été politiquement plus extrême vers la gauche que le reste du département, classé vers 1900 comme département radical, avec, comme exception la circons­cription de Châteaudun où la majorité républicaine et gauchissante, faute d'entente, laisse toujours la place à un député réactionnaire de droite. Donc, à Dreux, tout ce qui est plus républicain que la République, plus anticlérical que le Grand Orient ou plus ultra que les ultras se trouve réuni à la loge Justice et Raison d'avant guerre. Si des historiens locaux l'ont traîné dans la boue et ont cru voir la Franc-Maçonnerie tout entière à travers elle, il faut reconnaître que l'image laissée par la loge Justice et Raison à l'Orient de Dreux n'est pas belle et que l'intolérance y a régné en maîtresse absolue. Même de nos jours, cette loge qui vit encore a gardé ce petit côté intolérant et surtout la nostalgie de la Ille République où politique et maçonnerie étaient intimement mêlées. Et cette loge Justice et Raison que tout maçon d'Eure- et-Loir, profondément attaché à la notion de laïcité et à la défense de ses membres les plus célèbre, Maurice Viollette. Pour mieux de l'enseignement publique et unique est fier de citer, s'était penché en 1924 sur ce délicat problème de l'enseignement publi­que, laïque et unique et cette loge, pourtant si rouge, en était arrivée à la conclusion que l'école publique, laïque et unique était irréalisable.

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En cette seconde moitié du XX' siècle, la Franc-Maçonnerie en Eure-et-Loir est très prospère. 5 loges existent à Chartres et 1 à Dreux. Toutes les obédiences sont représentées à Chartres où le rayonnement de la Maçonnerie va jusqu'à se réfléchir sur les splendides vitraux de notre cathédrale que nous voulons comme centre d'union avec tous nos Frères, maçons ou non.

Yves LOYAU D'ALLERAY.

Publié dans le PVI N° 37 - 2éme trimestre 1980  -  Abonner-vous à PVI : Cliquez ici

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