GLDF | Revue : Points de Vue Initiatiques | 2T/1980 |
Pierre-Simon dialogue avec Albert MONOSSON
de son livre :
« De la Vie avant toutes chose » A. M. —
Pierre-Simon, vous venez d'écrire un livre qui s'appelle « DE LA VIE AVANT
TOUTE CHOSE », édité par les Editions Mazarine. Il est une quête de
spiritualité et d'autre part, pour reprendre la formule d'Alain Guichard, c'est
une lutte contre l'inertie de notre temps. Qu'en pensez-vous ? P.-S. — Il m'a paru
effectivement nécessaire en 1980 de susciter des réflexions sur les
possibilités de coordonner une pensée symbolique et traditionnelle.
C'est-à-dire une philosophie ouverte à tous et qui trouve ses mouvements dans
une réflexion scientifique avec les grands courants de notre temps et en
particulier avec les modifications sociologiques dont nous sommes les témoins.
« DE LA VIE AVANT TOUTE CHOSE » est une réminiscence de mon
concitoyen de Metz Verlaine • de la musique avant toute chose. C'est un essai
tendant à démontrer l'existence d'une coordination rigoureuse entre la pensée
scientifique et la pensée traditionnelle, c'est-à-dire une morale pour tous. A. M. — Ce qui m'a
beaucoup frappé dans votre livre, c'est la « recherche du bonheur » ;
vous dites qu'Il s'agit de fournir des clés qui permettent l'accès au bonheur,
et je pense que l'idée du bonheur est une Idée très maçonnique. P.-S. — L'idée du
bonheur est effectivement très maçonnique ; on la trouve déjà dans la
Constitution des Etats-Unis qui fut rédigée par les Francs-Maçons d'alors ; on
la trouve également dans la Constitution de l'An II de la République française
dans laquelle les Maçons ont particulièrement tenu à ce que le concept de
bonheur y figure comme un des fondements de la société nouvelle qu'il
s'agissait alors d'ériger. J'essaie dans mon
ouvrage de formuler un concept du bonheur, à savoir que les acquisitions les
plus récentes de la science, à mesure qu'elles s'accumulent, doivent être
dirigées dans un certain ordonnancement. Cet ordonnancement nous pouvons le
trouver dans le cadre d'une pensée maçonnique. C'est-à-dire que la morale
elle-même va être le reflet des modalités de conduite édictées aux sociétés que
nous avons à charge de drainer. Il s'agit donc d'édicter une nouvelle morale,
une morale évolutive. Pour m'exprimer plus clairement : une morale qui prend en
charge au jour le jour les vérités nouvelles, désormais démontrées dans le
cadre du respect de la tradition. A. M. — Ce qui m'a
justement beaucoup frappé à propos de la tradition c'est l'importance que vous
attribuez vous, vous un scientifique, au rituel. Vous dites que le rituel est
pour le Maçon ce qu'est le microscope pour le biologiste. P.-S. —
Effectivement, je pense que dans les sciences nous avons acquis une certaine
discipline et un procédé d'analyse qui permet de faire des recherches, de
comparer, de synthétiser, d'élaborer et ensuite de découvrir. C'est ainsi que
peuvent émerger des pensées nouvelles. La maçonnerie est une méthode
scientifique née en définitive dans le cabinet d'architecte d'alors, qu'on
appelait la Loge. Elle n'avait pas d'autre signification que la mise en lumière
par les modalités expérimentales d'alors : certaines sont d'ailleurs érigées
en art, c'est le cas de l'architecture, dont la méthodologie demeure actuelle. Il en est de même
pour celui qui, entrant dans une Loge maçonnique, va vouloir développer les
modalités de sa réflexion et rechercher les nouvelles mesures au sens
arithmétique du terme qu'il souhaite voir intégrer dans une morale nouvelle. Eh bien le rituel,
de par son fonctionnement assimilant le mécanisme de la recherche
scientifique, m'avait d'ailleurs beaucoup rebuté avant mon entrée en maçonnerie
; ce rituel est un véritable instrument de travail et c'est pourquoi je l'ai
comparé au microscope du biologiste. A. M. — Vous
attachez beaucoup d'importance au symbolisme vous nous dites que le symbolisme
est un langage universel, un langage de connaissance, ne pensez-vous pas que
peut-être le symbolisme peut rebuter les esprits des jeunes de notre temps ? P.-S. — Je pense
que c'est le contraire. En particulier ce fut l'expérience que j'ai recueillie
en mai 1968 ayant été à la fois à l'Odéon, en Sorbonne et en particulier à
Orsay où commençaient à émerger les têtes chercheuses en matière scientifique.
Il est apparu que tout était symbolique, que ce soit le langage des
mathématiques ou celui de la chimie, et encore la recherche qui s'oriente
aujourd'hui dans le cadre de l'informatique succédant à la cybernétique, oui en
définitive tout était symbolique, la recherche des hommes se trouve facilitée
par ce itingage. Ce langage répond à un mouvement de l'esprit et fait qu'il
n'existe pas de séparation entre les différentes disciplines puisque c'est un
même mouvement d'esprit qui permet l'accession, à tous les autres. A. M. — Ce qui m'a
beaucoup frappé dans votre ouvrage c'est l'importance que vous attribuez au
Temps ; vous savez d'ailleurs, bien entendu, puisque vous êtes de la Grande
Loge de France et passé Grand Maître, que la Grande Loge de France a mis à
l'étude des Loges cette année le problème du TEMPS. Et vous parlez beaucoup du
temps dans votre livre et moi-même en tant qu'admirateur de Marcel Proust, j'ai
été fasciné par les lignes que vous avez écrites à ce sujet. P.-S. — Le Temps me
semble l'élément capital de la réflexion, à la fois maçonnique d'une part, et
la Grande Loge de France en particulier l'a mis à l'étude de ses travaux parce
que c'est un concept essentiel. Je crois qu'on peut le relier d'emblée au
concept du Grand Architecte de l'Univers puisqu'en définitive ils procéderont
d'une seule et même analyse. Certes, les
Francs-Maçons de la Grande Loge de France peuvent rechercher ses sources et la
source de l'être en particulier dans la discipline ou plus exactement dans les
domaines qui lui sont propres. Certains, théologiens par exemple ou croyants,
la trouveront dans Dieu, au terme de leurs recherches à condition qu'ils aient
cherché librement. La véritable
essence réside dans le concept du temps et lui-même est issu des connaissances
que nous possédons du temps. Vous savez que ces connaissances sont doubles : il
y a le temps qui détruit, le temps destructeur ; comme Janus à deux têtes, il
existe parallèlement le temps qui construit et c'est à celui-là précisément
que les Maçons vont faire appel. Le temps qui détruit c'est celui que la thermodynamique
a révélé depuis la fin du siècle dernier, que les physiciens connaissent bien
et qui montre effectivement l'existence d'un phénomène d'altération
irréversible avec lequel il va falloir compter. En revanche, il existe des
systèmes ouverts, comme les systèmes biologiques et d'autres systèmes comme
certaines institutions dont l'archétype (c'est ce que j'essaie de montrer dans
ce livre) est la Loge maçonnique. La Loge maçonnique
de par son fonctionnement — et c'dst là que l'on peut faire référence à Proust,
comme vous le faites et où l'on peut faire également référence à Gide comme
vous le montreriez sans effort, vous qui êtes un fin gidiste — est précisément
un de ces corps organisés, corps biologiques ou corps constitutionnels qui ont
la faculté de remonter le temps parce qu'ils le suspendent. La méthode
maçonnique consistant à fermer, après les avoir ouverts, les travaux de la
Loge, c'est- à-dire à suspendre un groupe d'hommes à l'intérieur d'un système
auquel le rite va servir d'instrument permettra cette suspension d'avec le
temps. C'est une création marquée par le temps, mais positive. On dirait en
biologie : anabolique et qui va être accrochée à l'histoire par ce personnage
singulier de la Loge maçonnique qu'est l'orateur, dont la fonction est
d'intégrer les travaux de la Loge au vecteur temps, tradition et histoire tout
à la fois. Et c'est cela le temps qui se remonte, le temps anabolique, le temps
non destructeur, particularité de tous les systèmes vivants et de la Loge
maçonnique en particulier. A. M. — Alors
pouvez-vous me définir le Grand Architecte de l'Univers par rapport au temps. P.-S. — Le Grand
Architecte de l'Univers n'est pas un concept nouveau. On le retrouve chez
Lamarck, chez les néo-darwinistes, beaucoup se sont attachés à ce concept. En
vérité, à la faveur de ce que nous savons aujourd'hui de la biologie
macro-moléculaire et en fonction de ce que les Prix Nobel, particulièrement
anglais et français ont pu vérifier il y a quelque dix ans, nous savons que la
vie n'est en sorte que l'agencement de molécules. Cet agencement procède non de
la matière mais de la forme, et c'est cette forme qui est le fruit du temps. En d'autres termes,
cela voudrait dire que le fil du temps a agencé ces molécules qui ont fini un
jour par leur combinaison à donner la vie, un peu comme goutte après goutte,
dans une grotte, se forment stalagmites et stalactites. Et c'est pour cela
qu'à l'origine de la vie nous pourrons dire qu'il était le temps mais aussi
nous pourrons affirmer qu'à l'origine de la vie était la forme. Et ceci est une
pensée maçonnique traditionnelle qui remonte dans l'histoire jusqu'aux racines
du temps. Nos Maîtres Maçons traditionalistes et les Maîtres d'aujourd'hui ont
repris cette vision. C'est à ce niveau et au niveau de la conjonction entre le
temps et le Grand Architecte de l'Univers que nous retrouvons le pont entre la
pensée scientifique et la pensée traditionnelle. C'est pourquoi en 1980 on peut
estimer que les connaissances physico-chimiques et biologiques d'une part
s'intégreront et donneront naissance d'autre part à une morale pour les temps
modernes, morale à la fois traditionnelle, vivante et évolutive. Le symbole en
est le Grand Architecte de l'Univers, affirmation du progrès scientifique et
moral, à l'invocation duquel travaillent les Francs- Maçons de la Grande Loge
de France. A. M. —
Pierre-Simon, il existe différents Prix Nobel : les Prix Nobel de la Paix, les
Prix Nobel de la Littérature ; mais s'il existait un Prix Nobel pour ceux qui
ont favorisé le progrès de la femme au XXe siècle, je pense que vous pourriez
être un sérieux candidat, qu'en pensez-vous ? P.-S. — Je pense
que les Prix Nobel doivent avant tout favoriser ceux qui ont fait progresser
l'idée d'une recherche qui concourt au bonheur. La Franc-Maçonnerie a tout
naturellement estimé qu'il était de son devoir, sinon de créer, du moins de
venir en aide aux Associations qui avaient pour charge la promotion de la
femme. L'évolution sociale est un souci constant du Franc-Maçon et il était
affligeant sinon désespérant de voir la France au lendemain de la dernière
guerre, considérer la femme comme tout juste objet de cuisine, satisfaction du
guerrier, alors que la fin poursuivie a été pour nous de lui conférer une
fonction équivalente à celle de son compagnon. Mais, pour cela il fallait d'une
part asseoir la maîtrise de la fécondité, d'autre part il fallait assurer à
cette maîtrise un statut juridique. Enfin il convenait d'insérer la femme dans
le monde du travail avec une parité qui puisse se mesurer sur l'évaluation de
ses partenaires. C'est pourquoi dans les différentes Associations, en
particulier dans le planning familial, pour la promotion de l'éducation
sexuelle et familiale, les Francs-Maçons ont tout naturellement estimé qu'il
était de leur devoir d'ceuvrer dans ce sens, ce qui aboutit à une transformation
de la société ; non seulement au niveau de la condition de la femme elle-même,
mais encore au bénéfice de l'ensemble de la nation. Il devenait enfin possible
de désacraliser une certaine conception de la vie (désacraliser dans le sens
profane du terme). En quelque sorte, on allait gérer la vie comme on gère les
produits les plus précieux de notre environnement : l'air, l'eau, l'oxygène,
la nature. Je pense que c'est
dans le cadre de la gestion de la vie qu'il faut engager nos efforts. A. M. — Dernière
question, Pierre-Simon, êtes-vous optimiste ou êtes-vous pessimiste ? P.-S. — Je suis
naturellement optimiste. D'abord parce que la morale que je professe, la morale
maçonnique est une morale optimiste ; c'est une morale optimiste parce qu'elle
conduit à travailler au perfectionnement de l'individu et au sein de la Grande
Loge de France, autant que je le sache, je ne connais pas d'homme qui oeuvre en
dehors de cette recherche du perfectionnement quotidien. Notre Constitution
montre, en effet, que tous les humains sont perfectibles. Cette même recherche
quotidienne est nécessairement constructive et tout naturellement source
d'optimisme. L'optimisme c'est
la quête du bonheur ; pour le Franc-Maçon le bonheur est un fruit que l'on
cueille chaque matin parce que chaque jour suffit à fertiliser le terreau.
Terreau que fertilisent Connaissance et Amour. FEVRIER 1980 |
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