GLDF | Revue : Points de Vue Initiatiques | 3T/1981 |
D'une Philosophie de l’Homme à une Philosophie de l’éducation et de la Culture Les lois scolaires
de 1881 qui organisent l'enseignement public en France, comme les lois de 1905
qui entraîneront la séparation des Eglises et de l'Etat, sont l'aboutissement
d'un grand mouvement d'idées qui, né à l'époque de la Renaissance, s'est
poursuivi avec des fortunes diverses au cours du XVIIe siècle, puis développé
et amplifié aux XVII!' et XIX' siècles. Les hommes de la
Renaissance et nombre de ceux qui leur ont succédé, ont voulu repenser les
rapports des hommes entre eux et ceux de l'individu avec l'Etat, comme les
rapports de la Puissance temporelle avec la Puissance spirituelle, ce qui supposait
une nouvelle conception de l'homme, d'abord en tant que tel, ensuite dans sa
relation essentielle avec la Vérité, avec la Nature et avec Dieu. Cette époque de la
Renaissance nous apparaît et est apparue à ses contemporains comme une époque
entièrement nouvelle, en rupture radicale avec les siècles passés. Comme un
temps. certes caractérisé, par un énorme accroissement du savoir et un considérable
perfectionnement des techniques, mais caractérisé aussi par le désir intense
d'une connaissance et d'une morale, et aussi d'une politique autres, d'une
existence et d'une vie entièrement nouvelles : un siècle enfin dont va sortir
tout notre monde moderne. Les humanistes redécouvrent avec émerveillement les
richesses de l'Antiquité classique : « Maintenant toutes disciplines sont
restituées, les langues instaurées, grecque sans laquelle c'est une honte
qu'une personne se dise savante, hébraïque, chaldaïque et latine » (Rabelais).
Un appétit de savoir et de vie a saisi les hommes de ce siècle dont, encore
aujourd'hui, nous avons du mal à mesurer l'étendue et la vivacité. Un appétit de
savoir et de culture qui embrasse non seulement l'antiquité classique mais
aussi toutes les époques, tous les espaces, toutes les civilisations. On veut
découvrir et connaître tout ce qui concerne l'homme et, peu à peu, se forge
l'idée d'un homme, être universel. Car l'humaniste se veut et se pense comme
homme universel. « Je suis ainsi
né, écrit Erasme, que je puis être tout à la fois Français et Allemand.
D'ailleurs, pour les amis des lettres. peu importe les différents pays. »
Mais dans un temps même où l'on affirme l'homme comme être universel, on
l'affirme comme être libre dans l'exercice de sa pensée à la recherche de la
vérité et dans le domaine de la foi. C'est Erasme encore, témoin significatif
de son temps, qui écrit : « Je ne tairai pas l'opinion que je me suis formée »
et comme un écho lui répond Thomas More, l'auteur célèbre de l' Utopie », ce
pays imaginaire, ce lieu de nulle part, où l'on a décrété la liberté des
religions, Thomas More qui écrit : Je ne puis trouver en mon coeur la force de
parler autrement que ma conscience me dit de le faire. » Les humanistes
veulent libérer l'homme dans l'ordre de la pensée mais aussi dans l'ordre de la
vie. Et nous avons tous, ici, en mémoire, l'exemple célèbre de l'abbaye de
Thélème, chère à Rabelais, dont la devise était : « Fais ce que voudra ». Ainsi
se dessine et se constitue une certaine image, une certaine idée de l'homme
faite de confiance en la raison humaine et en la nature, dans l'ordre de ia
connaissance et dans celui de l'action, et qui, sans négliger la croyance aux
puissances surnaturelles, cherche dans l'homme lui-même, dans son esprit et
dans son coeur, la raison d'être de sa pensée et de sa vie. Vision nouvelle
sans aucun doute et exaltante de l'homme, espérance et foi en l'homme, aventure
qui fascinera les grands esprits de ce temps. « Dieu immortel, écrit Erasme à
Guillaume Budé, quel siècle je vois s'ouvrir devant nous ! Comme je voudrais
rajeunir. » Cet élan vers l'universalité et vers la liberté, cette foi en la
raison et la nature, cet espoir en l'homme, vont se trouver ralentis,
contrariés, parfois même brisés, par la Réforme luthérienne et calviniste et
par la Contre Réforme. A cet humanisme vont succéder le dogmatisme et
l'absolutisme. C'est ainsi qu'au XVII' siècle pour Bossuet en France, comme
pour Hobbes en Angleterre, l'individu doit être étroitement soumis à un dogme
religieux et à une autorité politique absolue. Et pourtant, dans ce même
siècle, Descartes n'avait- il pas affirmé en même temps et l'universalité de la
Raison et l'évidence du témoignage de la conscience (1). Et à la suite de
Descartes, dans cette deuxième moitié du XVII' siècle, des philosophes aussi
différents que Spinoza, que Pierre Bayle ou que Locke vont eux aussi
revendiquer le droit pour la conscience de ne se soumettre qu'à l'évidence
intérieure et affirmer la valeur universelle de la raison humaine. C'est
Spinoza qui dans le dernier chapitre du « Traité Theologico Politique » écrit :
« On établit que dans un Etat libre chacun a le droit de penser ce qu'il veut
et de dire ce qu'il pense. » Spinoza veut montrer dans son ouvrage que le pacte
social fondement de la Société civile n'entraîne pas l'aliénation des volontés
individuelles. Personne ne peut renoncer à la liberté de jugement dans la
recherche de la vérité et aucun gouvernement, aucune Eglise ne saurait nous
l'enlever : « Il faut laisser à chacun la liberté de son jugement et le pouvoir
d'interpréter selon sa complexion les fondements de la foi. » Plus loin il veut
montrer que la foi religieuse n'exclut pas le libre examen. « La foi reconnaît
à chacun une souveraine liberté de philosopher, chacun peut penser sans crime
ce qu'il veut de toutes choses ; la foi condamne seulement pour hérétiques ceux
qui enseignent des opinions propres à répandre parmi les hommes la haine et la
colère. Elle tient pour fidèles ceux qui répandent la justice et la charité. » Avec autant de
force et de vigueur, Pierre Bayle affirme à son tour les droits de la liberté
et de la raison et le caractère universel de l'homme. « C'est un attentat
assurément contre les droits de la divinité que de vouloir former la
conscience. » (Critique générale de l'histoire du Calvinisme, 1681.) « Dans son
commentaire philosophique « Compelle Intrare » il va même jusqu'à montrer que
la religion véritable a pour base la lumière naturelle. « Tout dogme qui n'est
point homologué, pour ainsi dire vérifié et enregistré au Parlement Suprême de
la Raison et de la Lumière Naturelle ne peut qu'être une autorité chancelante
et fragile comme le verre. Enfin Bayle s'affirme comme « habitant du monde » et
au seul « service de la Vérité ». C'est enfin John
Locke qui, à son tour, se fera l'apologiste de la tolérance, de la liberté de
la conscience, en particulier dans sa célèbre « Lettre sur la Tolérance » qui
inspirera nombre de philosophes du XVIII' siècle : « Puisque vous me demandez
mon opinion sur la tolérance réciproque je vous dirai que c'est à mon avis le
principal critère de la véritable Eglise. » La garantie de cette tolérance, la
condition de cette liberté, se trouvent dans la séparation du pouvoir
spirituel et du pouvoir temporel, dans la séparation des Eglises et de l'Etat
(2). Toutes ces idées se
trouvent au carrefour des routes qui nous amèneront au XVIII' siècle et à
l'époque contemporaine. Chez les philosophes du XVIII' siècle nous retrouverons
cet amour de la liberté, ce sens de l'universel, cette confiance en la nature,
cette foi en la raison dans l'ordre de la connaissance comme dans celui de
l'action. Tout cela développé, approfondi, amplifié. Chez MONTESQUIEU qui dans
l'Esprit des Lois pose les fondements du libéralisme politique ; chez DIDEROT
« Chaque siècle a son esprit qui le caractérise — l'esprit du nôtre semble être
celui de la liberté » ; chez Jean-Jacques ROUSSEAU « Etre homme c'est être
libre » ; chez CONDORCET qui résume tout l'effort du XVIII' siècle dans ces
trois mots : « RAISON - TOLERANCE - HUMANITE ». Mais nul sans
doute, mieux que VOLTAIRE, ne représente cet esprit de la philosophie des
Lumières qui inspire l'esprit des Loges maçonniques de ce temps. « Puissent tous les
hommes se souvenir qu'ils sont Frères ! Qu'ils aient en horreur la tyrannie
exercée sur les âmes », s'écrie- t-il dans son « Traité de la Tolérance ». Mais si Voltaire
est de ceux qui dans leur siècle ont lutté en faveur de la tolérance et de la
fraternité humaine, c'est-à-dire pour la liberté et pour l'universalité de
l'Homme, il est aussi celui qui a toujours affirmé la validité d'une raison
apanage du genre humain dans tous les ordres. « Il n'y a qu'une morale, comme il
n'y a qu'une géométrie. » « Les dogmes sont
différents... la morale est la même chez tous les hommes qui font usage de leur
raison. » (Dict. philosophique). « La morale m'apparaît tellement universelle
que depuis Zoroastre jusqu'à Lord Shafestburey, je vois tous les philosophes
enseigner la même morale. S'agit-il de savoir s'il faut être juste, tout le
monde est d'accord. » (Le philosophe ignorant, ch. XXXI) (3). Nous disions au
début de notre propos que les lois qui ont instauré l'école laïque, gratuite et
obligatoire étaient l'aboutissement d'un grand courant d'idées, qui prenait sa
source au XVIe siècle, se développait dans les siècles suivants pour trouver
leur concrétisation dans un domaine particulier, celui de l'Ecole, et qu'il
impliquait une certaine vision globale du monde et de l'homme, disons une
certaine philosophie, théorique, morale et même politique. Tout cela, nous le
retrouverions au XIXe siècle dans un ouvrage d'un philosophe trop injustement
oublié : « Le Manuel républicain de l'homme et du citoyen » de Charles
Renouvier et dont on a de bonnes raisons de penser qu'il inspira largement les
promoteurs de l'école laïque et républicaine. Car si le manuel de Charles
Renouvier, est éclairé par toutes cette philosophie des lumières, il éclaire à
son tour l'idéal scolaire, culturel et politique qui a pu animer l'esprit des
fondateurs de la Ille République. Dans son ouvrage «
Manuel républicain de l'homme et du citoyen » qui date de 1848 et cette date
est particulièrement significative, Renouvier sépare le domaine politique (ou
temporel), du domaine religieux (ou spirituel). Il distingue en particulier ce
qui dépend de la religion de ce qui dépend de la seule morale, préfigurant ici
la fameuse lettre de Jules Ferry aux instituteurs. Ainsi écrit-il dans
le chapitre premier : « La religion
nous enseigne comment vous devez vous conduire en cette vie pour vous rendre
digne d'une félicité éternelle. Moi je ne vous parle qu'au nom de la
République, dans laquelle nous allons vivre et de cette morale que tout homme
sent au fond de son cœur ». Il ne s'agit par
pour Renouvier, au nom de cette morale, de revendiquer une conception du monde
et de l'homme, achevée et totale. Elle laisse à la religion sa place et sa
fonction, mais en dehors de la morale et de la République. Elle n'est pas
antireligieuse par essence, mais elle se situe seulement en dehors du domaine
religieux ; car, pour Renouvier, comme pour ces républicains de 1848,
l'instituteur doit d'abord enseigner l'alphabet et l'arithmétique mais il ne
doit pas se limiter à cela ; il doit être aussi un éducateur, un maître de
morale et de civisme. L'instituteur doit enseigner à ses élèves les droits
naturels de l'homme que sont la liberté et l'égalité (ch. 5). Mais il doit
aussi enseigner ses devoirs. Et quels sont ces devoirs ? Le premier, dit-il,
est le devoir de justice : il nous ordonne de respecter l'homme notre semblable
et tout ce qui est à lui. Le second est le devoir de fraternité : nous y serons
fidèles si nous faisons tous nos efforts pour que la société des hommes soit
une société de Frères. Enfin il y a le devoir de tolérance : « Il consiste à
n'imposer jamais ses sentiments par la force, à respecter les convictions, les
cultes, enfin la conscience de tous les hommes. Ce respect est juste : il n'y a
pas de fraternité entre des hommes qui n'en sont pas pénétrés. » Et Renouvier,
en disciple fidèle de Kant, a soin de distinguer en l'homme ce qu'il sait et ce
qu'il croit, de distinguer le savoir, qui est universel, et la croyance qui,
elle, est particulière à chaque individu. Ces principes, qui
sont à la base, qui vont servir de fondement à l'institution scolaire telle que
la concevront ceux que l'on a appelé « les pères conscrits de la République »,
nous les retrouverons dans « La Lettre aux instituteurs » de Jules Ferry : «
L'école laïque met en dehors du programme l'enseignement de tout dogme
particulier... et place au premier rang l'enseignement moral et civique ».
Comme il l'écrit, il s'agit de « distinguer deux domaines trop longtemps confondus,
celui des croyances qui sont personnelles, libres et variables, et celui des
connaissances qui sont communes, indispensables à tous ». Il s'agit pour
l'instituteur de transmettre un savoir, ici élémentaire, « apprendre à lire et
à écrire et apprendre à compter » mais il s'agit aussi de transmettre ces
règles élémentaires de la vie morale qui ne sont pas moins universelles que
celles du langage et du calcul. Ce que vous allez communiquer à l'enfant ce
n'est pas votre propre sagesse, c'est la sagesse du genre humain, c'est-à-dire
une de ces idées d'ordre universel que plusieurs siècles de civilisation ont
fait entrer dans le patrimoine de l'humanité. » Cet esprit qui
préside à l'instauration de l'école laïque
n'est-il pas le même qui avait
présidé naguère à la rédaction d'un
texte célèbre et qui nous est familier : «
Les Constitutions d'Anderson » de 1723. Est-ce que nous ne
trouvons pas dans
l'école telle qu'elle fut conçue par Jules Ferry et Jean
Macé, continuée par
Jean Jaurès et Edouard Herriot, cet esprit de liberté et
de tolérance, ce sens
de l'universel, ce respect de la loi morale, cette volonté de
« réunir ce qui
est épars » et de faire de l'école, comme on
l'avait fait naguère de la Loge
maçonnique, un véritable Centre d'Union ? Faire de
l'école laïque et
républicaine un centre d'union, un lien de fraternité
véritable et que cette
fraternité scolaire serve de modèle à la
fraternité des citoyens et à celle de
la Nation tout entière. Oui, en effet, cette école
apparaît bien comme une
projection sur le plan scolaire de l'idéal, de l'esprit qui
naguère avait animé
les « Constitutions d'Anderson ». Dans cette France
que l'histoire avait voué aux divisions et aux déchirements de toutes sortes,
ces hommes ont fait une sorte de pari. Cette diversité pourquoi ne serait-elle
pas un facteur de conciliation et de concorde au lieu d'être un facteur de
division et d'opposition ? Et pourquoi, au lieu d'entraîner l'hostilité et l'appauvrissement,
n'entraînerait-elle pas l'unité et l'enrichissement, dans le respect des
identités et des différences ? Cette école où des
enfants de milieu, de condition, de croyance, parfois de nationalité
différentes, est-ce que nous ne l'avons pas connue, est-ce que nous ne l'avons
pas vécue, pour la plupart d'entre nous ? Pour ma part, lorsque ma pensée se
tourne vers le passé (et avec quelle émotion), je revois l'école de mon
village, Coursan, un pays noyé au milieu des vignes en Languedoc, une grande
bâtisse rectangulaire entre la route nationale poussiéreuse et la grande cour
plantée d'ormes et de platanes. J'entends encore les cris de mes camarades et
les chants martelés par la baguette du maître reviennent à ma mémoire.
J'entends encore la voix de ce maître qui était la voix de mon père. Les
enfants du village et des campagnes environnantes étaient là, rassemblés dans
les différentes classes. Il y avait Pierre, dont le père était médecin et
Richard, le fils du garde-champêtre, Georges, dont le père tenait le Café de
l'Avenir et Michel, le fils du vigneron ; il y avait Mario qui aidait, le jeudi
matin, son père à vendre les légumes et les oranges sur la place du village et
ceux qui portaient les noms des généraux républicains, Kléber et Marceau, deux
frères qui venaient d'une lointaine campagne, leur sac sur le dos ; et Henri,
le fils de l'instituteur. Dans la classe, sur
les bancs, j'allais dire sur les colonnes, le fils du catholique
était assis à
côté de celui du libre penseur et pendant les
récréations le fils du socialiste
jouait à qui perd gagne avec le fils du communiste tandis que
tranquillement le
petit-fils du radical les regardait faire et que le neveu du
conservateur était
au piquet car il avait fait des erreurs de calcul, avait raté
ses deux
problèmes et avait fait 12 fautes à la dictée : 7
de trop ! Nos semaines
commençaient le lundi matin et se terminaient le samedi soir,
car les parents
ne partaient pas en week-end le vendredi à midi. Nos jours
étaient réglés,
rythmés par la vieille cloche fêlée suspendue
au-dessus d'une porte branlante.
Nous essayions avec plus ou moins de bonheur d'assimiler la
règle de trois, de
pénétrer les arcanes secrets de l'accord des participes
passés. Ainsi, tous
ensemble, nous allions « du travail à la
récréation » et de la «
récréation au
travail ». Et, comme aurait
dit Kipling, c'était très bien ainsi. Cette école était
un centre d'union, un lieu de véritable fraternité. Mais cette école
communale, laïque, nous apparaît universelle dans un autre sens, en ce sens
qu'elle repose sur un savoir lui-même universel comme le fait remarquer Alain :
nous voulons dire par-là, qu'il n'y a pas une mathématique chrétienne et une
mathématique athée, une chimie allemande et une chimie anglaise, une biologie
américaine et une biologie russe, pas plus qu'il n'y a un science bourgeoise et
une science prolétarienne, un art capitaliste et un art socialiste, une morale
de gauche et une morale de droite ou de l'extrême centre. Et si nous passons du
domaine du savoir et de la morale à celui de la littérature nous dirons que
Goethe n'appartient pas seulement à l'Allemagne, Tolstoï à la Russie, Dante à
l'Italie et Molière à la France, mais qu'ils appartiennent à tous les hommes.
Allons plus loin et ajoutons que l'Ancien Testament n'est pas la seule
propriété des juifs et le Nouveau Testament celle des chrétiens, mais qu'ils
appartiennent aux uns et aux autres ; disons même qu'ils n'appartiennent pas
aux seuls croyants, mais à tous les hommes, à ceux qui cherchent le salut mais
à ceux aussi qui cherchent la sagesse. *** Ainsi cette école
de la République, cette école laïque est la conséquence, la concrétisation d'un
long et vaste mouvement d'idées, elle est aussi le fruit d'un long et difficile
combat en faveur de la culture, de la tolérance, de la liberté, de la fraternité
d'un combat en faveur de l'enfant, c'est-à-dire de l'homme. Mais cette école,
fruit d'un certain idéal, a subi, comme nos idéaux, de rudes coups, certains
venant de l'extérieur, d'autres de l'intérieur. Et, aujourd'hui, on peut se
demander si elle n'est pas menacée aussi peut-être par certains, certes une
minorité, qui croient et qui pensent qu'elle doit changer de nature et
d'esprit, qu'elle doit devenir le lieu et le véhicule, sinon l'instrument d'un
endoctrinement particulier et d'idéologies partisanes. Au risque de
déplaire, il nous semble, aujourd'hui encore, nécessaire de dire et de répéter
que le maître, instituteur ou professeur, doit distinguer ce qui est du domaine
du savoir et qu'il peut enseigner et ce qui n'est que du domaine de sa
croyance, de ses convictions et qu'il doit taire ou n'exprimer qu'avec la plus
grande réserve. Le maître, à l'intérieur de sa classe, ne saurait se
transformer en propagandiste ou en un quelconque idéologue, d'une quelconque
croyance ou non-croyance et ne pas confondre sa conviction particulière avec la
conscience universelle. Il n'a pas à se faire le propagandisme de l'athéisme,
pas plus que celui de la foi en Dieu, le propagandiste du capitalisme ou du
socialisme ou de tout autre système. Les franchises universitaires, si souvent
invoquées et si souvent mal comprises, signifient qu'aucun instituteur ou
professeur ne saurait être soumis dans son enseignement à des pressions
extérieures que celles-ci viennent d'un gouvernement ou d'un groupement quel
qu'il soit. Mais elles impliquent également qu'il doit respecter la conscience
de l'enfant et de l'adolescent et qu'il s'interdit de transformer son enseignement
en un endoctrinement partisan et sectaire. Là encore Jules
Ferry, dans sa lettre aux instituteurs, parle d'or, lorsqu'il dit que la loi
scolaire a eu pour objet de séparer l'école de l'Eglise, et nous ajouterions de
toutes les Eglises, de tous les dogmes religieux et idéologiques, d'assurer la
liberté de conscience et des maîtres et des élèves, de séparer ces deux
domaines, celui des croyances et celui des connaissances. *** Nous ne pourrons
sauver et sauvegarder notre école qu'en restant fidèles à sa tradition, à son
idéal, à son esprit. C'est à cette seule condition qu'elle pourra retrouver et
jouer encore dans la nation et dans la République le rôle qui fut le sien,
qu'elle pourra être l'institutrice et la gardienne de l'Institution républicaine,
qu'elle pourra demeurer le témoin vigilant et lucide, de la liberté, de la
justice et de la fraternité humaines. Alors le peuple de
France tout entier, par tous ses enfants rassemblés, dans la même ferveur et la
même espérance, pourra poursuivre cette grande entreprise d'émancipation des
esprits et des âmes, et nous, Francs-Maçons, nous pourrons peut-être dire comme
l'écrivait Etienne Dolet, ce grand humaniste du XVIe siècle : Maintenant les
hommes ont appris à se connaître, alors qu'auparavant misérables, aveugles,
ils étaient plongés dans les ténèbres, maintenant, oui maintenant, ils
jouissent de la Lumière. Henri TORT, Grand
Maître adjoint. |
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